Les blogueuses du Temps au pouvoir

Les blogueuses du Temps au pouvoir

A quoi ressemblerait notre monde si les femmes étaient au pouvoir ? Peut-on s’attendre à une différence d’angle de vue du fait d’un changement de genre ? Et au fond, que signifie être au “pouvoir”? J’ai invité toutes les blogueuses du Temps dont le profil était actif à répondre à cette question: “Si j’étais au pouvoir, comment ce serait?” Quelques-unes ont réagi (par ordre alphabétique, 1000 signes maximum) :

 


 

J’ai reçu cette question durant l’été… elle a trotté dans ma tête. Pourquoi nous pose-t-il cette question ? Pourquoi « si », sous-entendant d’emblée que je ne suis pas une femme au pouvoir ? Et qu’entend-il par « pouvoir » ? Le pouvoir politique ? Je ne suis pas une femme politique et je ne me suis jamais posée la question en ces termes.

Il est difficile de parler de pouvoir sans définition préalable et le singulier est problématique. A une échelle individuelle, comme il nous est proposé de réfléchir, je dirais qu’il est possible d’évoquer des situations de pouvoir. Elles sont variées, se produisent dans de multiples sphères et sont impermanentes. Aux prises avec une situation de pouvoir, ce qui va primer pour moi, ce sont les émotions que je vais ressentir et la manière dont je vais me comporter.

A la question « Si j’étais au pouvoir, comment ce serait ? », je réponds : « Quand je suis dans une situation de pouvoir, je me sens bien si mon comportement est adéquat et fidèle à mes valeurs ».

Nadia Cattoni

 


 

Cette question m’a d’abord laissée perplexe. Le pouvoir ne m’a jamais vraiment intéressée. J’ai une vision transversale du management, chacun participe à l’avancée de notre groupe.

En y réfléchissant cependant, j’exerce quand même un certain pouvoir. Et je trouve cela important et nécessaire.

Depuis 20 ans, je travaille sur le risque des substances chimiques pour l’environnement. Pour moi, ce n’est pas qu’un thème de recherche. Je pense que la pollution actuelle est grave. Des changements doivent intervenir rapidement pour réduire ce risque. Il en va de notre santé et de celle de nos enfants.

Or publier mes recherches dans des journaux scientifiques sert ma carrière, mais pas forcément mon but.

J’ai donc commencé à donner des conférences et à publier des articles vulgarisés. J’ai également un blog qui me permet d’exprimer mes idées et d’expliquer les enjeux de la pollution actuelle.

C’est une forme d’expression du pouvoir qui me convient puisqu’elle sert le but que je poursuis.

Nathalie Chèvre

 


 

Pourquoi n’y suis-je pas? *

S’il s’agit du pouvoir politique, si on y est c’est après une âpre lutte, pas par hasard. C’est par ambition personnelle, par idéal (espérons-le) par inconscience, souvent, et cela s’assortit d’une montagne de contraintes doublée d’une grande solitude. Or rien de cela ne me conviendrait. Chacun a du pouvoir (vie, carrière). Mais « être AU pouvoir » c’est encore une autre paire de manches!

Donc si j’y étais obligée, je recréerais une démocratie « à la suisse », avec responsabilités partagées, mixité et métissages, négociations fréquentes, humour, culture, et quelques fous du roi pour nous remettre les réalités en face au cas où…

Je ferais graver sur mon bureau des rappels, comme « Tout pouvoir corrompt, et le pouvoir absolu corrompt absolument » (la Rochefoucauld) et: « Au-dessus de vaincre, il y a convaincre. » (Victor Hugo).

*Voilà pourquoi … ! Ouf ! …pour tous…

Véronique Dreyfuss Pagano

 


 

La base de mon engagement politique est l’égalité, celle entre humains, mais aussi plus globalement le respect des équilibres entre l’environnement, l’économie et nos sociétés. Je travaille à nos nécessaires prises de responsabilité environnementale, économique et à une meilleure solidarité sociale.
Je crois en la démocratie, en notre pays, en la politique: j’y ai été et suis très active à divers niveaux. J’ai obtenu des résultats, vécu des pas allant dans le bon sens… il faut continuer pour avoir des perspectives durables. Cela se fait par plusieurs biais : planter des graines dans les esprits des gens, convaincre, allier paroles aux actes, parfois trancher dans le vif, être soi-même exemplaire. Bref, pour moi, le pouvoir, c’est travailler à améliorer les conditions de vie de tous les êtres vivants, mais avec la manière, et pas à tout prix.

Fabienne Freymond Cantone

 


 

Ma première interrogation serait de me questionner sur mon rapport au pouvoir. Pourquoi je veux avoir du pouvoir, comment je l’utilise et à quelle fin ? En d’autres termes, j’aimerais disposer d’une grande capacité à m’observer à l’œuvre pour éviter tout dérapage. Je mettrais en place des garde-fous, des personnes de confiance pour m’alerter si je n’en fais pas un bon usage. Le pouvoir n’est pas une fin en soi, il est même dangereux dans la mesure où il flatte trop les égos. Par contre, un usage éclairé peut en faire une vraie locomotive pour faire avancer les projets. Ce que je ferais aussi c’est de créer un climat de confrontation saine pour que les idées et les opinions soient débattues dans le respect et l’écoute et je l’utiliserais pour trancher en cas d’enlisement. Enfin, le plus important pour moi est que je l’utiliserais pour inscrire ma vision de la collaboration, à savoir rendre les gens plus autonomes et plus responsables de leurs actes tout en garantissant un cadre sécurisant.

Assia Garbinato

 


 

Je transformerais le paradigme d’informatisation, issu de la rationalité économique, de la performance et de la croissance infinie, pour ré enchanter le monde, soutenir le développement durable, préserver les ressources et faire face aux problèmes majeurs. L’économie numérique transgresseraient les limites du néolibéralisme, les choix technologiques se développeraient à condition qu’ils soient bons pour les personnes et les générations futures.

Les technologies seraient au service du vivant. L’humain ne serait ni un objet à optimiser, ni un robot de chair et de sang au service de plateformes numériques. De nouveaux droits fondamentaux seraient respectés, comme le droit à la déconnexion et à ne pas être sous surveillance informatique. La décroissance technologique serait heureuse, le courage de penser et de faire, le refus de l’instrumentation des conditions de penser, seraient valorisés. La glace à la fraise avec deux meringues en croix, serait gratuite le jour de la fête nationale.

Solange Ghernaouti

 


 

If I ruled the world, all power used on our planet would come from the sun. The technology is here, the need is here; what is lacking is political will that looks to the future of the forests and the birds rather than minor, nefast, existential matters such as arms sales and oil tankers.

As queen of the universe, I would make sure that every suitable building on Earth had solar panels that would feed the sun’s energy into storage units. Everything would be sourced by the power of the sun.

See http://powerofthesun.ucsb.edu/ where the case is made without ambivalence by Walter Kohn and Alan Heeger – both chemistry Nobel laureates.

Solar power is no longer a gadget, gizmo or gimmick. It is truly what can, and should, save our Earth from the pollution of ourselves.

As it is logical and obvious, I’m sure that the robots will understand.

Joy Kündig-Manning

 


 

J’aime le pouvoir de garder l’amour de cette personne qui me dit je t’aime tous les jours. Qui m’apporte des fleurs chaque semaine. Mais, si je perdais ce pouvoir, je laisserais cet amour s’en aller sans tenter de le retenir.

J’aime le pouvoir. Celui d’écrire des livres. De plaire à des lecteurs. Parfois même de modifier leur vie après la lecture de l’un de mes récits, généralement en mieux et malgré moi. Je n’écris pas pour changer autrui. Il arrive, cependant, que mon pouvoir d’écrivaine soit plus grand que je ne l’imagine et ça me fait presque peur.

Le pouvoir au sens politique du terme ne m’intéresse pas. Le pouvoir politique exige trop de compromis, de collaborations. Je ne suis friande ni de compromis ni de collaborations. Or, en politique c’est inévitable. Sinon l’on devient un despote. J’abhorre les dictateurs et les dictatures. Je ne voudrais pas devenir l’une de ces personnes que je hais. Non, décidément, le pouvoir au sens strict n’alimente pas mes fantasmes.

Dunia Miralles

 


 

J’aimerais voir la Terre se couvrir d’une riche végétation. Il y aurait des forêts immenses, sauvages, des murs végétalisés, des arbres et des plantes grimpantes dans les villes.

L’économie serait circulaire. Les objets seraient peu nombreux, de qualité mais durables. Ils seraient soigneusement réparés. Comme dans le passé, un objet pourrait durer des générations. Nous vivrions en sobriété, sans publicité ni surenchère de nouveaux modèles. Les  appareils  seraient développés bien plus soigneusement avant d’être commercialisés. Cette planète durable se passerait d’énergies fossiles. L’agriculture serait essentiellement biologique et les produits chimiques seraient fortement limités. Ainsi, il n’y aurait pas de pollution ni de maladies qui en découlent.

Nous travaillerions assez peu. Nous passerions du temps avec nos enfants, qui  bénéficieraient de plus d’attention. Nous aurions du temps pour des activités artistiques ou de bien-être.

Dorota Retelska

 


 

Si j’étais « au pouvoir », au sens où l’on comprend habituellement l’expression, je mettrais au mur de mon bureau cette devise, empruntée au général d’Armée Pierre de Villiers : « Toute autorité est un service ».

A vrai dire, je ne crois pas au pouvoir en tant que « puissance », je ne crois qu’au service. Le service n’est pas l’esclavage, c’est l’exercice de sa liberté avec lucidité, fermeté, humilité, compassion, persévérance. Je ne considère donc jamais que quiconque soit « au pouvoir ». Je suis simplement reconnaissante à tous ceux qui prennent du service et je les respecte pour cela. Reconnaissance et respect n’excluent pas des critiques éventuelles.

Le seul pouvoir que l’on peut exercer, c’est le pouvoir sur soi-même. Cet exercice rend libre. Il n’est jamais achevé, il entraîne à tenir compte d’autrui, il est stimulant, rigoureux ; il exige aussi une petite dose d’humour pour assumer dans un miroir le reflet de sa propre personne.

Si j’étais au pouvoir ? Mais j’y suis tous les jours !

Suzette Sandoz

 


 

Je suis au pouvoir – du moins, dans mon univers -. En effet, la plus simple définition du pouvoir est la suivante : exercer de l’influence sur autrui.  Ainsi, chacune et chacun est au pouvoir à certains moments et avec certaines personnes. Mais dans quel but ? Comme le disait Ralph Nader : Le but du leadership est de produire plus de leaders, pas plus de subordonnés. Pour moi, les tâches les plus importantes pour une personne au pouvoir sont de motiver et d’inspirer ses collaborateurs en donnant le bon exemple, de mettre la barre haute tout en mettant à disposition les outils nécessaires pour réussir, et d’être à l’écoute et de s’intéresser sincèrement aux autres. Il ne peut pas y avoir de pouvoir, si personne ne suit les gens au pouvoir. Le pouvoir est par définition un concept relationnel. Pour moi, le pouvoir se traduit donc en premier lieu par la manière avec laquelle il est utilisé dans les relations sociales, que ce soit avec des collaborateurs ou des collègues.

Marianne Schmid Mast

 


 

Si j’étais au pouvoir, je focaliserais toutes les énergies du monde sur le respect de l’humain en abolissant certains travers pervers du capitalisme, avec 2 valeurs clé :  Générosité et Gentillesse. J’aime le pouvoir de ces 2 forces sous-estimées et considérées comme des faiblesses.

Voici encore une douce rêveuse me direz-vous…

En ces temps d’incivilités et d’individualisme à outrance, nous pouvons bien nous focaliser sur des fantasmes climatiques ou de paix dans le monde. Cela ne sera pas suffisant et nous le savons.

Et si nous le faisions avec ces 2 armes de reconstruction massive de l’humain ?

Cela pourrait donner une planète qui serait concrètement innovante dans un objectif de pérennité de notre espèce

En avant les GéGé !

J’ai le pouvoir de sourire et de dire bonjour. Je rêve que cela devienne la maladie la plus contagieuse au monde.

Anne-Marie Van Rampaey

 


 

Vivant probablement l’une des situations les plus discriminée par le regard d’autrui, en tant que femme en situation de handicap, je porte cette cause à travers la société en promouvant l’inclusion et l’égalité. Tout le monde a des talents et il s’agit de de les mettre en avant ! Peu importe son apparence, chacun mérite d’être approchée objectivement avant de former son jugement.

Malgré les montagnes à surmonter, les défis me permettent de prendre le pouvoir sur mon corps, de développer mes atouts et de « donner » ce que l’on m’a apporté. Je souhaite que chacun puisse prendre conscience de ses forces, les affiner, définir des objectifs et remplir ses engagements. Tous auraient la chance de « se réaliser » et une chaîne d’entraide serait créée.

L’innovation rimerait avec la promotion des parcours humains et de leurs actions. Je souhaite être une source d’identification pour une meilleure inclusion, œuvrer pour que toutes les personnes puissent se révéler dans un environnement favorisant la cohésion et l’intégration, tant entrepreneuriale, sociale qu’humaine.

Celine van Till

 


 

Si vous êtes blogueuse au Temps et que vous souhaitez contribuer à cet article ou modifier votre contribution existante, merci de me le signaler. Vous en avez le pouvoir!

Je remercie chaleureusement toutes les blogueuses qui ont bien voulu relever le défi de contribuer à cette réflexion.

 

 

 

Modifications a posteriori:

2.11.19: ajout du texte de Anne-Marie Van Rampaey

 

Crédit photo : UN Women  …avec un ajout personnel 😉

Thomas Noyer

Thomas Noyer travaille comme psychologue-psychothérapeute (adultes et couples) et superviseur au Cabinet Sens à Neuchâtel. Il anime des groupes sur le masculin et les troubles alimentaires. Il écrit dans un blog personnel et contribue aussi à un blog collectif, où il s'exprime surtout sur la psychothérapie humaniste. Il est aussi l'auteur de "Dans la peau du psy" (2023).

3 réponses à “Les blogueuses du Temps au pouvoir

  1. J’ai beaucoup aimé lire comment des rédactrices de personnalités différentes, qui défendent des idées ou apportent leur bonheur (oui, il y en a qui le transmettent si bien que je ne me souviens subitement plus du sujet de leur article), conçoivent le pouvoir qu’elles souhaitent, ou ne désirent pas avoir.

    Est-ce que dans ce blog il est permis de donner ses sentiments générés par les réponses des femmes qui s’expriment ? Si oui, c’est vous Mme Dunia Miralles qui m’avez causé une surprise ! « Le pouvoir de garder l’amour (de la personne qui m’aime) ». Le même pouvoir que lorsque vous l’avez trouvé ? En même temps que le pouvoir de celui qui vous a trouvée aussi ? Je ne nie pas ce pouvoir, j’en ai usé et mes amies aussi, quand chacun de nous pensait : « Est-ce que je lui plais ? Oui… Je le vois dans ses yeux ! Je ne peux pas me tromper !.. » Et quelques semaines plus tard, quand nous restions serrés dans les bras l’un de l’autre, nous évoquions ces premiers souvenirs en riant : « Ah je pensais que je n’étais pas du tout le genre de femme pour toi ! » Et l’autre : « Je pensais la même chose pour moi ! » Mais comment avions-nous alors réussi à nous trouver ?.. « Un extraordinaire hasard ! », disions-nous. Et je songe maintenant à une série télévisée que je ne regardais jamais, tant ces histoires d’amour m’ennuyaient à mourir. Mais je me sentais chaque fois très ému quand je tombais sur le générique : Une foule dense vue de dessus, en noir et blanc, sauf deux personnes violettes à bonne distance l’une de l’autre, dont les trajets semblaient se rapprocher, puis s’éloignaient de nouveau… Et dès que j’avais zappé avant le début de l’épisode, je pensais chaque fois : « Comment le réalisateur, qui a réussi un si émouvant et terrible générique, n’invente que des histoires où on s’endort ?.. Il y a pourtant tant d’histoires infiniment bêtes et heureuses dans la réalité, il suffit de les recopier ! » C’est cette bêtise sans pouvoir intentionnel à laquelle je crois. Quelque chose de très précieux, et le jour où le bonheur faisait mine de nous quitter, nous souffrions comme d’une perte de pouvoir… Et c’était le début de la guerre pour aimer, où l’un de nous deux qui se sentait abandonné usait de toute son intelligence pour ne pas (se) perdre. Je ne parle que de ce que j’ai vécu, et ne cherche nullement à définir l’amour (Vrais entre deux caractères indépendants ? Faux entre deux ados en fusion ?) Deux personnes qui me disent : « Nous nous aimons si fort !.. » ne vont pas consulter un manuel de psychologie pour être certaines de ne pas se tromper, et moi le spectateur je les crois tout de suite !

    Je crois donc au hasard qui réunit les personnes sans aucun pouvoir, mais malgré tout il m’est arrivé dans ma jeunesse, et même plus tard, d’avoir le pouvoir de créer l’imprévu : « Elle passe dans telle rue à telle heure… Je vais la croiser par hasard… Puis nous irons boire un verre à la terrasse là-bas… »

    1. Merci beaucoup pour votre commentaire.
      En proposant cette tribune au sujet du pouvoir, j’avais en tête le pouvoir politique, juridique, économique, le pouvoir dont l’impact est soutenu par un système et des votants. Mais j’ai gardé ça pour moi afin de ne pas biaiser les réflexions, pour ne pas justement que mon pouvoir de blogueur vienne amputer une réflexion propre, celle justement qui m’intéresse chez les blogueuses. Et en général.
      Je crois que le pouvoir est celui de l’influence et de l’impact, dans le sens que je crois ne pas avoir le pouvoir de changer qui que ce soit à part moi, mais que je peux, en montrant un exemple authentique de qui je suis, réveiller en un·e témoin la conscience que cette personne porte en elle une partie de cette vérité que j’incarne. Les effets de ce pouvoir-là diraient quelque chose comme “je me reconnais dans cette personne, elle m’aide à devenir plus moi-même”. C’est le pouvoir que je crois avoir, et que je crois que tout le monde a. C’est un pouvoir que l’on retrouve d’ailleurs facilement dans les histoires d’amour…

      1. Merci Thomas de me donner plus à penser et à comprendre, mais le risque c’est qu’une nouvelle histoire violette va tomber dans votre blog !

        Je me souviens de mon amie d’il y a cinq ans, quand nous restions souvent debout dans sa cuisinette, parce que toutes les chaises et fauteuils étaient couverts de vêtements ! Mais au bout d’un moment j’avais quand même le rebord de la boîte d’Ariel où m’asseoir à moitié, et elle la poubelle en plastique. Ce jour-là je lui prenais la main comme un coquillage dans le creux de la mienne, puis au moment où ma main gauche voulait se poser dans le coquillage, elle retirait rapidement la sienne. Et je pensais : « Mais pourquoi ? Et dans un moment elle posera sa main sur la troisième qu’elle a fuie !.. » Mais non, elle s’était mise debout en déclarant : « Maintenant il faut que je téléphone à mon père !.. » Je pouvais facilement suivre la conversation parce que ce père avait le temps de ne presque rien dire, pendant que sa fille parlait sur une cadence prompte : « Oui ! Oui ! Oui ! Je t’écoute pour t’entendre me dire cent fois la même chose !.. » Et j’entendais le père répondre : « Mais je n’ai encore rien dit, tu ne me laisses pas parler, es-tu d’accord de m’écouter aussi un peu ?.. » Elle m’avait subitement passé le téléphone, puis en me voyant embarrassé posait ses mains sur son visage pour cacher son rire. Le père commençait à parler, j’avais attendu qu’il ait terminé, puis : « Bonjour Monsieur, ce n’est pas votre fille mais son ami, je pense qu’elle m’a passé rapidement le téléphone pour que nous fassions connaissance… » Et lui : « Ah ?.. Bonjour cher Monsieur, je suis content, euh… Je parie que ma fille écoute en riant. Elle adore créer des situations sans prévenir, vous la connaissez peut-être déjà suffisamment pour vous en être rendu compte ! » Et moi : « Oui, j’aime beaucoup votre fille qui est compliquée, c’est vrai, elle m’apporte plein de vie. Son rire, ses colères et ses chagrins… » Lui : « Je suis content de vous entendre dire cela ! Je suis souvent inquiet pour ma fille, mais finalement cela ne va peut-être pas si mal… Merci cher Monsieur de m’avoir parlé si spontanément, dites à ma fille que je l’aime, elle peut m’appeler quand elle veut ».

        Dès que la conversation était terminée, mon amie était partie à grand pas se verser un verre de vin (sans même m’en proposer un), l’avait bu d’un seul mouvement, à rapides gorgées, puis était venue vers moi avec un visage si beau et paisible : « Avec toi… Je pourrai enfin être moi-même !..”

        Une année après : « Non, non ! Ça ne va pas ! J’ai l’impression d’être avec mon père !.. Tu… Tu es celui que j’aime le plus au monde… » Et elle avait des larmes, et je pensais en la prenant dans mes bras : « Notre monde… »

Les commentaires sont clos.