Ce texte s’inspire de mon discours lors du Forum des 100, qui a eu lieu à Lausanne le 9 mai dernier.
Nous vivons un profond paradoxe.
D’une part, une multitude d’alertes sonnent partout depuis des décennies. On déplore l’exploitation de toutes les ressources, humaines et naturelles, misent au service d’une profitabilité économique hors-sol, sans lien avec la terre, les espèces vivantes et les ressources. La répartition des richesses est plus inégale chaque jour, au coût de la vie humaine et d’écologie.
Et de l’autre, nous avons autour de nous des connaissances et des compétences extraordinaires, des intelligences entraînées à résoudre les plus complexes des problèmes et à mener une multitude d’initiatives dont certaines sont déjà en marche.
Et pourtant… La problématique demeure et se dégrade à une vitesse terrifiante. L’urgence climatique et écologique est là.
Comment inciter une action qui soit à la hauteur de ces enjeux?
Partager un modèle éco-responsable, aujourd’hui viable et inclusif
Depuis 10 ans, j’accompagne l’entreprise Opaline. Opaline propose des jus et limonades naturelles, issus de fruits locaux. Son modèle a été, dès le début, centré sur une économie régénératrice: plus digne de l’Humain et de son lien à la Nature. Une économie non faite de concurrence et de prise de pouvoir, mais de collaboration, de compréhension, de partage.
Des mots que nous aimons tous entendre mais qui peuvent éveiller en chacun d’entre nous une bonne dose de scepticisme. Je le comprends. Parce que cela demande un engagement qu’on pourrait qualifier d’héroïque tant il est à contre-courant.
Une boisson qui se veut tisseuse de liens humains et respectueuse de l’environnement se doit d’être locale. Élaborée à base de fruits et légumes locaux. Produite en Suisse pour une distribution suisse. Elle arrive donc sur le marché à un prix plus élevé et un potentiel de croissance limité. Alors que l’économie d’aujourd’hui repose sur une guerre des prix, et une ambition d’économie d’échelle. Elle ne permet pas la collaboration et ne reflète pas l’impact écologique.
Qui dit dignité, dit répartition de marge équitable entre tous les acteurs du système. Or, ce que j’entends encore trop souvent, c’est l’optimisation de marges. Une décision stratégique d’un conseil d’administration qui au final est financée par le producteur.
Au sein d’Opaline, nous pratiquons, entre autres, le salaire linéaire dans le sens d’un revenu conditionnel de base lié à un engagement social et écologique. Cela nous demande de repenser notre lien à l’argent et d’avoir des discussions difficiles pour aligner nos ambitions personnelles aux enjeux du collectif.
Agir pour la transition écologique repose sur un engagement collectif. Agir nous demande d’aller à la rencontre et à l’écoute de la communauté. Tous les jours. Financièrement, c’est n’est pas optimal. Mais collaborer au service de la Nature n’est pas une opération financière. Elle est humaine. Comment intégrer cette notion dans un budget marketing ?
Avec ces quelques exemples concrets, parmi tant d’autres, une question se pose.
Combien d’entre vous aurait financé cette vision si je vous l’avais présentée il y a 10 ans ?
Je vous la pose parce qu’elle est essentielle à la transition écologique. Êtes-vous prêt à prendre ce risque ? Êtes-vous prêt à nager à contre-courant jusqu’à ce que le courant tourne sans vraiment savoir si il va tourner ? Ou si vous allez être un jour rentable ?
Il y a 10 ans peut-être pas. Mais aujourd’hui ?
Aujourd’hui, Opaline est soutenue par une équipe de 12 personnes et plus de 2’000 boulangers, cafetiers, restaurateurs et hôteliers. Grâce à eux, et nos agriculteurs partenaires, nous avons atteint l’année passée le seuil du million de bouteilles vendues et l’équilibre financier.
Depuis 2018, par le biais de notre Fondation, un premier verger participatif a pu voir le jour. Permettre, par un parrainage, aux agriculteurs de produire des fruits en percevant une rémunération juste et pérenne dans un esprit de préservation de la terre et de la biodiversité. Cette initiative se veut elle aussi d’être locale pour renforcer le lien fondamental qui unit notre communauté à la terre. Nous proposons donc également aux écoles, aux parrains, aux entreprises et à notre communauté, de participer à des ateliers. De la taille à la récolte, des abeilles aux oiseaux, chacun peut y retisser son lien. A ce jour, 900 arbres ont été plantés, 2 pierriers à hermines et plus de 15 nichoirs ont été installés. Depuis le premier janvier de cette année, 5ct par jus et limonade Opaline achetés sont reversés à la Fondation. Une demande d’étude d’impact social et environnemental a également été soumise à l’Office Fédéral de l’Agriculture, pour accompagner la politique dans la transition.
Alors, oui, Opaline est un exemple concret d’une viabilité économique mise en service de la transition écologique. Et elle permet dès aujourd’hui à tout un chacun de rejoindre ce mouvement: proposer de l’Opaline dans son entreprise, boire de l’Opaline, ou soutenir sa Fondation, c’est contribuer au cercle vertueux de la régénération.
Partager sa vision au sens large
Mais aujourd’hui, au-delà d’une marque, nous avons aussi besoin d’aller plus loin.
Aujourd’hui, nous avons besoin de répliquer ces modèles. C’est pourquoi Opaline s’engage à collaborer avec le monde académique pour une modélisation de son expérience et de ses pratiques. La modélisation permettra de mieux accompagner les acteurs de la transition et d’informer les acteurs de la politique économique en matière de durabilité.
Nous avons aussi besoin de plus d’héroïsme, non pas pour survivre dans un système économique dépassé, mais pour changer le courant. Nous devons nous démettre. Pas nécessairement de notre poste, mais des pratiques et œillères acquises. Changer notre regard, casser les codes obsolètes et mettre nos compétences et nos moyens au service du collectif.
Nous avons besoin de résister à une économie de la performance individuelle qui est somme toute un énorme territoire de guerre. Guerre des prix, optimisation des marges, cible de marché, loi du plus fort, exploitation des ressources. Ces pratiques nous déconnectent de qui nous sommes, du lien d’appartenance à une communauté et à la Terre avec lequel nous sommes nés mais que nous avons perdu.
En temps de guerre, les émotions dominantes sont la peur, la haine et la cruauté. Si nous restons dans cette énergie, en quête de performance individuelle et dominante, nous ne pourrons pas adresser la transition écologique. Nous resterons témoins, ou acteurs, de grands abus de droits humains justifié par une profitabilité financière à outrance. Et si nous ne pouvons pas respecter la dignité humaine, comment voulons-nous respecter celle du Vivant, de la Terre ?
C’est impossible.
Il nous appartient d’aller au-delà du développement durable, de nous engager pour un développement pacifiste, pour la paix. L’urgence climatique et écologique nous demande un cessez-le-feu collectif, afin de laisser une chance à la solidarité et la collaboration de triompher sur la domination et l’exploitation. Il est temps non pas d’être les meilleurs, ni les plus forts, mais d’être tout simplement, tous ensemble, au service de la transition.
Avec le champion de la planete et le CETA “make our planet great again” !