Compétitivité, rationnalité, hyperspécialisation. Depuis des décennies, notre système économique, nos administrations, nos entreprises fonctionnent sur cette organisation.
Son but ? Réduire les coûts, réduire les délais, réduire les distances. Rendre les produits et services accessibles partout au moindre prix.
Ce modèle basé sur une pensée technicienne, hyper-rationnelle a depuis longtemps montré ses limites. « Aujourd’hui, deux chercheurs travaillant sur le cerveau peuvent en arriver à ne plus se comprendre tellement leur spécialité est poussée ! » témoignait l’autrice Siri Hustvedt, qui a reçu à Lausanne le Prix européen de l’essai en 2019 pour sa critique fine de cette volonté absolue de « certitude » qui nous gouverne.
Ce modèle de rationnalité à tous crins est critiqué sur le plan philosophique. Il est chancelant sur le plan économique. Il ne tient plus la route sur le plan écologique.
De nombreuses études montrent en effet l’aberration des indicateurs économiques actuels, PIB en tête, purement axée sur la croissance de revenus qui ne tiennent en aucun cas compte des impacts d’une activité économique sur la santé, l’environnement ou le bien-être. L’idée d’un indicateur incluant le « bonheur » fait son chemin, notamment par une proposition émise cette semaine au Grand Conseil vaudois.
Que faire ? Changer de modèle. Pour construire la durabilité nous avons besoin d’une autre manière d’être et de penser. Une économie vraiment durable doit pouvoir faire face à des enjeux systémiques. Il faudra produire mieux mais moins, tout en créant de nouveaux emplois, innover dans les technologies agricoles, protéger coûte que coûte notre biodiversité, trouver massivement de nouvelles sources énergétiques, mais aussi changer radicalement chacun et chacune notre manière de manger, de nous déplacer et de travailler. Voilà pour les objectifs.
Penser autrement c’est faire place à la créativité, à l’intuition, aux personnalités des porteuses et porteurs de projet. Faire confiance à l’humain, aux personnes de terrain. Valoriser les savoir-faires ancestraux, qui ne sont pas toujours validés par la science. Reconnaitre des droits à la nature. S’inspirer de la nature et de ses solutions. Il nous faut réfléchir collectivement, prendre du temps pour s’écouter, élaborer des solutions locales, co-construire, sans généraliser. Voilà pour la méthode concrète.
Cette pensée nouvelle ne veut pas dire opposer science et intuition, ni humain et nature, croissance et bien-être. Au contraire, il s’agit de combiner le meilleur des deux. Embrasser, dépasser, englober les antagonismes et réunir, relier différents univers jusque-là séparés. Mettre en symbiose les humains et le vivant, par exemple. Et viser un bien-être qui bénéficie à toutes et tous, sur tous les plans. C’est ce que théorise par exemple Isabelle Delannoy dans son livre L’économie symbiotique (Actes Sud, 2017, Préface : Dominique Bourg).
Ces concepts théoriques vous semblent très abstraits ? Des tas d’alternatives concrètes existent déjà. On les trouve dans tous les domaines. Dans l’agriculture, par exemple, certains projets tissent concrètement ces liens et ces symbioses, à coup d’innovations petites ou grandes. C’est le cas, par exemple, d’Esther Mottier et de son projet de ferme durable à Château-d’Oex, raconté dans Le Pari d’Esther documentaire à voir dans les salles romandes en décembre. Son bâtiment, à la fois ferme, hôtel, spa, jardin, école, restaurant et centrale énergétique est conçu pour tout recycler, comme le fait la nature. Tout part des vaches: leur chaleur chauffe la construction, leur lait permet de fabriquer du fromage avec les visiteurs, leur fumier alimente le biogaz utilisé dans les fourneaux… Vous avez dit innovation?
Le biomimétisme n’en n’est qu’à ses débuts !
Je me permets de m’exprimer en partageant entièrement votre approche qui est simple, claire, pragmatique et philosophique. Nous sommes effectivement avides de certitudes mais aussi de transparence dans tous les domaines. Or la certitude n’est jamais acquise et la transparence très limitée, en particulier quant à notre sphère privée. Il nous appartient donc de diriger nos efforts sur d’autres pistes dont celles que vous proposez avec lucidité. Les acquis technologiques des 19ème et 20ème siècles sont impressionnants et continuent de croître asymptotiquement. Pourtant et à l’inverse, le nombre des bénéficiaires est de plus en plus inégalement réparti. Il faut donc être et penser différemment comme vous le dites justement et cela présuppose de sortir de notre égocentrisme. Le vrai progrès commence pourtant par une démarche individuelle, chacun portant sa propre responsabilité, le mot est lâché ! Je suis quant à moi convaincu d’une culture universelle qui pourrait nous aider à atteindre ces buts. Mais l’être humain étant toujours en proie à ses démons ces buts semblent très lointains, ce qui n’empêche nullement de chercher à les atteindre.