Le grand rendez-vous

Le 29 novembre prochain, la Suisse a rendez-vous. Elle a rendez-vous avec l’humanité et la planète.  Car nous voterons oui ou non à l’initiative pour des multinationales responsables.

Cette initiative a été lancée en 2015 par des acteurs de la société civile, aujourd’hui plus de 130 ONG et associations indépendantes. C’est la première fois que les ONG de développement, de droits humains ou encore de défense de l’environnement lancent une initiative populaire. La démarche est inédite.

Pourquoi l’ont-elles fait ?

Après des années d’activités de coopération au développement, elles partagent un constat : certaines entreprises multinationales commettent, sur le terrain, des abus graves de droits humains et de standards environnementaux. Des enfants empoisonnés au plomb ou à l’arsenic parce que les sources d’eau sont polluées, des paysans qui sont chassés de leur terre avec violence, des familles dont les poumons sont abîmés par des poussières fines et toxiques qu’elles inhalent en raison de leur proximité aux usines qui ne respectent pas les standards en vigueur.

Aujourd’hui plus de 350 entrepreneurs, les églises, des membres de partis politiques de tout profil (même l’UDC du Valais Romand) et des milliers de citoyennes et citoyens engagés bénévolement soutiennent cette initiative.

Au-delà des arguments, l’essentiel

Nous avons pu entendre et lire les arguments pour et contre, animés de faits et de revendications, d’espoir et de peur.

Au cœur de ces échanges surgissent deux questions essentielles :

  1. Quelles valeurs fondamentales souhaitons-nous incarner tant individuellement que collectivement ?
  2. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour les défendre ?

Que nous soyons politiciens, juges, dirigeants, étudiants, actifs, retraités, artistes, parents…. Nous sommes tous concernés par ces questions tant ces valeurs raisonnent en nous et impactent notre quotidien.

Nous nous trouvons face à un carrefour. La pandémie du Covid, les inégalités sociales, la vulnérabilité de nos systèmes, l’état de notre planète. Ce tout nous rappelle systématiquement que nos modèles ont atteint une limite, qu’ils doivent évoluer et que nous avons un rôle à prendre dans cette évolution.

Il est temps de changer de regards, de lignes et de cadres.

Il est temps de changer de discours.

Il est temps de prendre conscience de la portée de nos pensées, puis de nos paroles et d’y joindre celle de nos actes.

Il est temps de se demander si nous sommes prêts à donner une place à la bienveillance et l’altruisme dans notre économie mondialisée. Une vraie et juste place. Une place vivante loin des slogans qui font rêver.

Il est temps de se demander si nous pouvons sincèrement défendre le sens d’une économie dont la performance dépend de l’exploitation de femmes, d’hommes et d’enfants, et de la destruction d’écosystèmes entiers dont nous dépendons.

Il est temps de se demander si la responsabilité a une frontière lorsqu’elle touche à si grande échelle à la santé d’êtres humains et de la nature à travers le monde.

Il est temps de se demander si nous pouvons laisser le pouvoir et l’influence de certains acteurs économiques se développer sans qu’il soit associé à un devoir de responsabilité sociale et environnementale.

Il est temps de se demander si la quête du profit peut prendre autant de place dans nos vies alors que nous vivons une période de grande anxiété et qu’il n’aura pas servi à nous en épargner.

Il est temps de changer de regard sur la valeur accordée à la vie par les entreprises qui, au final, ne sont que le reflet de nos sociétés.

Il est temps de prendre conscience que le pouvoir n’a pas de sens s’il s’exerce au détriment des autres, mais qu’il en a beaucoup plus s’il sert à prendre soin des autres et de la planète.

Prendrons-nous ce temps ?

A chacun de nous de le décider. Aujourd’hui. Le 29 novembre prochain. Et chaque jour qui suivra.

Sofia de Meyer

Avocate de formation, Sofia de Meyer a a travaillé à l’international dans de grandes villes comme Londres et Chicago. Puis, après plus de 7 ans au service de multinationales, elle part à la quête de sens et s’engage pour une économie de conscience. Elle fonde Whitepod en 2004 (concept d’éco-hébergement) et Opaline en 2009 (producteur de jus et limonades suisses sur un modèle d'économie circulaire et régénérative). Récemment, elle a également créé la Fondation Opaline, dont la mission est de valoriser les métiers de la Terre et de favoriser les liens que nous cultivons avec elle.

7 réponses à “Le grand rendez-vous

  1. L’humanité, la planète…
    Ce sont des problèmes existentiels occidentaux, judéo-chrétiens, pas universels.
    Il est temps que les occidentaux arrêtent de se prendre pour le centre du monde et de continuer à vouloir sans succès, modeler le reste de la planète à leur image. Sommes-nous la race supérieur pour dire au monde ce qui est bien ou pas, de favoriser notre vision d’avenir du monde d’après ?

    Votre discours comme d’autres “humanistes” ne respectent pas les différents peuples de la planètes même si le point de départ est de faire le bien. On ne peut parler que pour notre civilisation occidentale. Les autres, à eux de faire leurs choix.

    Cette initiative, si elle implique des accords avec les pays en cause pour que notre justice intervienne, alors je suis pour, dans le cas contraire je suis contre. Ce qui me préoccupe ce n’est pas l’Asie, mais le sentiment fort anti-occidental que l’on trouve en Afrique, avec des africains qui parlent de respect.

    En résumé, nous n’avons pas à créer des ingérences dans des pays qui ont des institutions démocratiques. Pour les dictatures on peut y penser.
    Dans un contexte mondiale crispé, et un occident peu populaire parce qu’il a utilisé l’ingérence à profusion, on peut se poser la question sur la solution proposée par l’initiative.
    Le but visé par l’initiative est une nécessité puisque ces “mauvaises” entreprises sont souvent occidentales, et indirectement favorisent une mauvaise opinion contre l’occident (outre l’aspect humain).
    La seule chose qui m’importe, c’est la perception des populations locales face à cette ingérence. Eux seules devraient pouvoir voter.

    Le Mali a accueilli les militaires français avec ferveurs, et maintenant ils sont perçu comme du néocolonialisme.
    Il faut donc répondre à cette question : Est-ce que le bénéfice de cette initiative l’emporte sur les effets néocolonialistes qui seront perçus à la mise en oeuvre?

    1. En réponse à Motus.
      Il ne s’agit pas, me semble-t-il, d’une modélisation, à l’image de l’occident, du monde que nous souhaitons construire. Il s’agit de faire évoluer la responsabilité des entreprises avec leur développement et de donner une voix aux personnes lésées pour renforcer cette évolution.

      Quant au vote, oui, nous devrions tous pouvoir voter sur ce genre d’initiative… mais le système ne le permet pas…. encore! Alors, en attendant, agissons là où nous pouvons et accordons cette voix aux populations locales.

    2. Mais c’est dans l’ordre des choses si nous les dépouillons de leurs ressources et détruisons leur (notre) écosystème?

  2. Combat sacré !
    Prioritaire dans la répartition des valeurs
    Essentiel dans la lutte contre tous les aveuglements

  3. Certaines entreprises n’ayant pas encore compris l’urgence d’une éthique dans le commerce local et mondial, sont en fait à l’origine de cette initiative. Le cynisme néolibéral va enfin devoir se replier pour céder la place a un retour de l’éthique dans notre libéralisme.

  4. Yula
    16 novembre 2020
    Les réponses sont toutes dans la “Déclaration Universelle des droits de l’homme” : Paix, dignité et égalité sur une planète saine !

  5. En clair et en termes de valeurs cette initiative est une occasion unique de nous exprimer, il n’y en aura pas beaucoup d’autres. La refuser c’est se montrer tolérant envers l’évidente cupidité de certaines entreprise qui viennent s’héberger juridiquement chez nous. Mettons un frein à une situation que notre démocratie ne peut plus tolérer ni cautionner par son silence, cessons cette hypocrisie. L’image de notre pays à l’étranger a tout à y gagner, ayant déjà suffisamment souffert des abus de certaines grandes banques qui l’ont ternie. Et puis ne parlons pas de néo-colonialisme dans un pays qui n’a jamais eu de colonies.

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