Le nouveau coronavirus est un cygne noir

Le système économique globalisé se trouve à nouveau face à un cygne noir, encore plus impétueux et difficile à combattre que celui découvert en 2008 après l’éclatement de la crise financière globale. Ce nouveau cygne noir est représenté par le coronavirus (covid-19) qui est en train de se répandre dans le monde globalisé, par des canaux de transmission créés par l’étroite interdépendance entre les économies nationales liées entre elles par le commerce international et par la «chaine de valeur» à travers laquelle les entreprises ont fragmenté sur le plan global la production des biens afin de réduire au minimum le coût du travail et maximiser ainsi leurs propres profits.

Le nouveau coronavirus est bien plus difficile à combattre que les effets de la crise financière globale éclatée en 2008, parce qu’il frappe à la fois l’offre et la demande sur le marché des produits, tandis que la crise précédente avait eu essentiellement des effets sur la demande – qui par la suite a évidemment influencé l’offre sur ledit marché. Dans ce cas, toutefois, la pandémie du covid-19 affecte négativement chacune des deux «forces» du marché, de telle sorte qu’il est beaucoup plus difficile de mettre en œuvre une stratégie qui puisse résoudre de manière efficace les problèmes engendrés par ce virus.

Faute de vouloir augmenter considérablement les dépenses publiques au-delà de ce qu’on est en train de faire sur le plan sanitaire, les gouvernements nationaux délèguent une fois de plus aux banques centrales la tâche de pallier les dégâts énormes du covid-19 sur le plan macroéconomique. Or, cette tentative est vouée à l’échec, étant donné que, visiblement, les choix de politique monétaire n’affectent pas l’offre sur le marché des produits. Seuls des fous (ou des économistes) peuvent penser qu’en réduisant les taux d’intérêt directeurs une banque centrale puisse relancer les investissements productifs afin d’observer une augmentation de l’activité économique qui puisse compenser les effets négatifs que le nouveau coronavirus provoque dans les économies globalisées.

Le seul espoir d’une relance économique repose sur le covid-19 lui-même, parce qu’il induit un nombre croissant d’entreprises occidentales à rapatrier les activités qu’elles avaient délocalisées en Chine ou dans d’autres pays asiatiques dans le but de réduire leurs coûts de production. Dans le cas de la Suisse, par exemple, l’interruption de la «chaine de valeur» globale fera rapatrier plusieurs activités industrielles, pour pallier aussi le dégât d’image que l’éclatement de la pandémie globale a engendré pour les produits fabriqués en Chine.

De cette manière, les entreprises contribueront aussi à réduire les dégâts environnementaux provoqués par la globalisation, réduisant les flux internationaux de marchandises et, de là, faisant augmenter le commerce de proximité, qui est favorable à l’emploi et à l’environnement tout à la fois.

Le nouveau coronavirus pourrait être la réaction naturelle de notre planète à la progressive destruction de celle-ci induite par le système économique contemporain.

Une grève pour le Keynésianisme

Les jeunes (et les moins jeunes) du Vieux continent sont en train de se mobiliser de plus en plus afin d’induire la classe politique et le régime économique à modifier radicalement leur propre trajectoire, pour faire en sorte de lutter contre les changements climatiques dommageables pour la vie sur notre planète. Plusieurs initiatives et manifestations ont déjà eu lieu à cet effet. Elles ont entre autres mené des jeunes à organiser des journées de «grève pour le climat» qui visent à sensibiliser l’ensemble des parties prenantes sur cette problématique d’ordre planétaire.

Quelque chose de semblable doit être fait rapidement pour lutter contre les dérives de notre système économique, qui sont nuisibles à l’ensemble de l’économie, de la société et de l’environnement. Il est désormais évident, en effet, que les problèmes environnementaux sont la conséquence des choix économiques privés ou du secteur public. L’échec du «libre marché» est une lapalissade à cet égard, même si bien des politicien.ne.s et des économistes dans le monde académique font semblant de ne pas le voir ou ferment les yeux car cela les arrange.

Pour l’ensemble de ces motifs, ce sont les jeunes (étudiant.e.s) qui peuvent faire changer le paradigme dominant sur le plan économique par une «grève pour le Keynésianisme» – comme cela vient d’être suggéré par un fameux professeur d’économie en Allemagne, où il a fonctionné aussi en tant que conseiller économique du gouvernement national entre 2004 et 2019. Une telle grève serait le moyen le plus percutant pour amener des changements importants dans les programmes d’études des facultés de «sciences économiques» des pays occidentaux, comme le demandent d’ailleurs les étudiant.e.s réuni.e.s dans l’association «Rethinking Economics» à travers le monde. Par ailleurs, on se souviendra qu’un nombre important d’étudiant.e.s à l’Université de Harvard ont quitté la salle durant un cours de macroéconomie de Gregory Mankiw lors du semestre d’automne 2011, en guise de protestation contre l’absence de pluralisme scientifique dans ce cours, fondamental pour comprendre les problèmes contemporains et proposer des solutions capables de résoudre vraiment ces problèmes dans l’intérêt général pour le bien commun.

Une «grève pour le Keynésianisme» devrait donc permettre, d’une part, de redécouvrir la pensée de J.M. Keynes – un économiste libéral qui considérait l’État comme un acteur important pour le fonctionnement ordonné de l’économie de marché – et, d’autre part, de redonner un caractère pluraliste et scientifique à l’enseignement de l’économie politique – une science humaine, sociale et morale, qui ne peut pas être assimilée à une science exacte (à l’instar de la physique et des mathématiques) comme le prétendent les économistes néolibéraux.

Les nations existent au-delà du «souverainisme»

La «stagnation séculaire» dans laquelle l’économie mondiale tourne en rond depuis une décennie révèle la nécessité de remplacer le dollar états-unien (ainsi que toutes les autres monnaies nationales utilisées comme des actifs de réserve au niveau international) par une monnaie vraiment internationale, avec laquelle payer les importations de biens et d’actifs financiers.

Il ne s’agit pas seulement d’une question géopolitique, mais d’une question d’ordre essentiellement macroéconomique: n’importe quelle monnaie nationale (même une monnaie considérée «forte» comme le franc suisse) est une simple promesse de paiement lorsqu’elle est utilisée au-delà de l’espace monétaire où elle est émise par l’ensemble du système bancaire (formé par la banque centrale et par toute autre banque émettant la même unité monétaire).

Par exemple, le dollar états-unien est une simple reconnaissance de dette lorsque son pays émetteur (entendez les États-Unis) verse une somme de dollars à ses propres créanciers dans le reste du monde. Comme l’affirma justement Jacques Rueff dans les années 1950, le déficit de la balance commerciale américaine est un déficit «sans pleurs» aux États-Unis, parce que cette nation ne perd rien par le versement d’une somme de dollars au reste du monde. En fait, tout dépôt bancaire libellé en dollars états-uniens se trouve dans le système bancaire des États-Unis: le reste du monde ne fait rien d’autre qu’enregistrer dans son propre système bancaire l’«image» (comme l’expliqua bien J. Rueff) de ce dépôt, qui reste nécessairement dans le système bancaire américain. Cette «duplication» (selon les mots de J. Rueff) comporte toutefois des effets négatifs, car elle fait augmenter de manière inflationniste la quantité de dépôts bancaires: dans le pays importateur, en effet, le volume de ces dépôts augmente, sans qu’il y ait une augmentation simultanée et équivalente de la production. Il y a dès lors de l’inflation, même si cela n’engendre pas une augmentation des prix à la consommation, étant donné que ces dépôts excédentaires ne sont pas dépensés sur le marché des produits, mais sont placés sur les marchés financiers ou investis dans les marchés immobiliers, faisant ainsi enfler des bulles qui peuvent éclater, à l’instar de celle des subprime.

La solution à ces désordres monétaires au niveau macroéconomique ne peut pas passer par une plus sévère réglementation des acteurs sur les marchés financiers ou immobiliers. Le problème n’est pas lié au comportement de ces acteurs, mais est d’ordre structurel. Il faut donc une réforme structurelle du système monétaire international, qui doit tenir compte de la nature de la monnaie.

Pour agir sur ce plan, il faut d’abord comprendre que les nations existent au-delà du «souverainisme», car elles sont des ensembles d’agents économiques qui paient de manière finale les biens, les services et les actifs, à travers l’émission de la monnaie nationale par l’ensemble du système bancaire.

Une monnaie internationale doit alors être émise par une institution supranationale, afin de garantir que les nations en tant que telles (au-delà de leurs habitants) reçoivent une valeur réelle (au lieu d’une simple promesse de paiement) en échange de ce que leur système économique produit et exporte. Il en va de la stabilité financière au plan mondial.

La BCE pourrait entamer le virage

À la fin du mois passé, la Banque Centrale Européenne (BCE) a annoncé qu’elle allait évaluer sa propre stratégie de politique monétaire, à la lumière des événements observés depuis l’éclatement de la crise financière globale en 2008. Jusque là, la BCE (à l’instar de presque toutes les autres banques centrales au monde) avait focalisé son attention et utilisé les instruments à sa disposition pour assurer la stabilité des prix à la consommation, ignorant la stabilité financière et a fortiori les questions climatiques. Cette attention exclusive à la stabilité des prix à la consommation (erronément assimilée à l’absence d’inflation) a largement contribué à faire enfler des bulles du crédit qui ont fini par éclater suite à la crise des subprime aux États-Unis, donnant lieu à la pire crise financière de l’histoire mondiale.

Douze ans après l’éclatement de la crise financière globale, la BCE reconnaît qu’il est temps de repenser complètement la stratégie de politique monétaire, de telle sorte que les choix de politique monétaire soient adaptés à la situation économique. Dans ce cadre, la BCE entend examiner la définition quantitative de la stabilité des prix, les instruments de politique monétaire, l’analyse économique et monétaire, ainsi que sa stratégie de communication. Dans ces domaines, la BCE intégrera aussi les questions concernant la stabilité financière, l’emploi et le développement durable – à savoir, les trois questions cruciales pour l’intérêt général que la BCE a ignoré jusqu’à présent.

L’évaluation de la stratégie de politique monétaire de la BCE devrait être achevée avant la fin de 2020 et ce processus devrait être guidé par deux principes (selon les propres mots de la BCE), à savoir, «analyse approfondie et ouverture d’esprit». Il sera intéressant de voir si cela s’avère, étant donné que beaucoup d’économistes et de banquiers centraux ne respectent pas ces deux principes en l’état.

Pour s’en rendre compte, il suffit de considérer la conception erronée de la monnaie que bien des économistes et des banquiers centraux ont encore de nos jours, étant donné qu’ils imaginent que seule la banque centrale est à l’origine de l’émission monétaire, tandis que ce sont surtout les banques commerciales qui émettent de la monnaie lorsqu’elles ouvrent des lignes de crédit à partir de rien. Par ailleurs, même la définition de l’inflation en tant qu’augmentation d’un indice des prix quelconque est erronée, car les prix peuvent rester stables (voire baisser) même lorsqu’il y a de l’inflation, qui est essentiellement la perte du pouvoir d’achat de la monnaie.

L’évaluation de la stratégie de politique monétaire de la BCE représente un bon point de départ. Nous saurons seulement dans une année s’il s’agit simplement d’un exercice de style, visant à calmer les esprits avant la prochaine tempête sur les marchés financiers.

Trois réformes pour l’économie et la société

L’introduction d’un salaire minimum dans quelques cantons en Suisse – le dernier en date étant le Tessin – semble être la clé de voûte pour relancer une économie morose depuis (au moins) l’éclatement de la crise financière globale en 2008.

Or, les mesures nécessaires pour donner de l’élan à l’économie suisse sont beaucoup plus structurelles et systémiques que l’adoption d’un salaire minimum horaire.

Parmi ces mesures, celle qu’il serait possible d’adopter assez rapidement consiste à « travailler moins pour [faire] travailler tous » – comme cela fut déjà proposé dans les années 1930 par Luigi Einaudi, le fondateur de l’entreprise Fiat en Italie. Grâce au progrès technique et à la formation de ce qu’on appelle le « capital humain », il est tout à fait possible de réduire l’horaire hebdomadaire de travail, au bénéfice tant de la qualité de vie des travailleurs que de l’emploi des personnes qui, autrement, ne trouveraient aucun travail rémunéré. Cette mesure devrait être associée à des incitations (fiscales) pour faire de la formation continue dans le temps libre, qui bénéficierait ainsi à l’ensemble des parties prenantes dans le système économique.

Une deuxième mesure, qu’il serait possible d’introduire rapidement, revient à supprimer la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), de manière à augmenter la capacité d’achat des consommateurs de la classe moyenne et de celle inférieure – aujourd’hui pénalisés par cet impôt indirect, qui est antisocial car il frappe davantage ces classes sociales par rapport à la classe supérieure (celle des personnes nanties, dont la propension à consommer est inférieure à celle du reste de la population par rapport au revenu disponible).

Une troisième mesure, à introduire à long terme, est celle d’un revenu de base inconditionnel, à verser à chaque résident en Suisse indépendamment de sa propre situation personnelle et financière. Ce revenu de base permettra de rémunérer le travail gratuit qui, actuellement, est fait surtout par les femmes et dont bénéficie l’ensemble de l’économie nationale. Il sera ainsi possible de simplifier le système des assurances sociales désormais en crise suite aux problèmes liés au vieillissement démographique et au marché du travail.

Certes, les mesures à prendre pour relancer l’économie et la société en ce début de XXI siècle sont de taille systémique et structurelle. La classe politique suisse doit faire ses propres devoirs, respectant le principe de subsidiarité au sein d’un système fédéraliste qui doit être (à nouveau) collaboratif au lieu d’être compétitif – comme c’est le cas depuis au moins un quart de siècle.

Le bilan après 5 années de taux négatifs

Cela fait cinq années que la Banque nationale suisse (BNS) pratique une politique des taux d’intérêt négatifs. Son objectif reste celui de réduire l’attractivité du franc suisse sur le marché des changes afin, d’une part, d’atténuer les difficultés des entreprises suisses qui exportent leurs produits et, d’autre part, amener les entreprises à investir davantage suite à la baisse des taux d’intérêt que les banques exigent pour leur ouvrir des lignes de crédit.

Cinq années après l’introduction des taux d’intérêt négatifs en Suisse, le bilan qu’il est possible de faire est clairement décevant: le taux de change du franc suisse continue d’être trop fort pour bien des petites ou moyennes entreprises orientées à l’exportation, ainsi que pour nombre d’autres entreprises qui sur le marché suisse sont confrontées à la concurrence des produits importés ou achetés à l’étranger par les consommateurs helvétiques.

Il y a également deux effets problématiques des taux d’intérêt négatifs en ce qui concerne la stabilité financière de l’économie suisse. D’un côté, cette stratégie de politique monétaire est le facteur principal de la surchauffe des prix sur le marché immobilier helvétique – où l’on observe depuis bien des années une augmentation des prix immobiliers nettement plus élevée que celle des prix à la consommation et celle du revenu national. Si l’on continue de cette manière, à moyen terme il est possible d’observer l’éclatement d’une nouvelle crise immobilière en Suisse, qui serait alors bien pire que celle éclatée à la fin des années 1980.

D’un autre côté, la politique des taux d’intérêt négatifs mise en œuvre par la BNS comporte une augmentation évidente des risques financiers pour les caisses de pension, qui cherchent des rendements à même de remplacer ceux autrefois dégagés par les marchés financiers – se dirigeant ainsi de plus en plus vers le marché immobilier, contribuant par là à en surchauffer davantage les prix.

Au lieu de continuer à imposer un médicament inefficace (entendez les taux d’intérêt négatifs), la BNS devrait soutenir l’introduction d’une micro-taxe sur les achats de francs suisses sur le marché des devises. De cette manière, il serait possible de réduire la force du franc sur ledit marché, sans augmenter la fragilité financière du secteur bancaire, qui est de plus en plus exposé à des risques incalculables mais problématiques sur le marché immobilier helvétique. Cela serait aussi l’occasion de faire payer les coûts du franc fort aux sujets économiques qui en sont à l’origine (à savoir, les institutions financières qui achètent des francs suisses sur le marché des changes), au lieu de prélever une taxe sur les dépôts bancaires des personnes qui ne sont aucunement responsables de l’appréciation du franc suisse depuis l’éclatement de la crise financière globale en 2008.

Une fois de plus, toutefois, la Suisse est « forte avec les faibles et faible avec les forts », notamment avec les grandes banques qui ont désormais oublié leur lien avec le territoire national.

Politique monétaire et risques climatiques: que fait la BNS?

Durant l’apéritif traditionnel de fin d’année avec les acteurs financiers, le mois passé, l’un des membres de la Banque nationale suisse (BNS) a souligné justement que, pour accomplir son mandat, une banque centrale doit comprendre de quelle manière les risques climatiques influencent l’évolution de l’économie et des marchés financiers, affectant ainsi la stabilité des prix et la stabilité financière.

En effet, il y a plusieurs risques financiers liés aux changements climatiques que l’ensemble du système bancaire doit considérer correctement. Ces risques peuvent être divisés en deux catégories:

  • d’un côté, il existe des risques physiques (comme ceux induits par une catastrophe naturelle) qui engendrent des pertes d’output et d’emploi, ralentissant l’activité et le développement économiques avec de potentielles retombées négatives sur le commerce international;
  • de l’autre côté, il y a des risques de transition vers un système économique favorable à l’environnement, qui comportent des coûts induits par l’adoption de réglementations et de politiques économiques visant la décarbonisation de l’économie (comme la taxe sur le CO2).

L’ensemble de ces risques ne peut pas être évalué avant que ceux-ci s’avèrent, même si les institutions financières prétendent le contraire, utilisant des modèles mathématiques qui ne peuvent pas représenter la complexité du fonctionnement (ordonné ou désordonné) du système économique dans son ensemble.

La prise de conscience de l’importance pour les banques centrales de considérer les risques liés aux changements climatiques est en train d’augmenter dans les économies occidentales. Même la BNS et l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) ont adhéré – au mois d’avril 2019 – au Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier (NGFS).

Néanmoins, ce qui manque à la BNS, en l’état, c’est la volonté d’influencer le comportement des banques et des autres institutions financières à l’échelle nationale pour la transition vers un système économique favorable à l’environnement: lors de l’apéritif de fin d’année avec les acteurs de la place financière helvétique, la BNS a rappelé que sa stratégie de placement consiste à «rester neutre vis-à-vis du marché». En effet, dans la gestion de son propre portefeuille, la BNS ne fait que suivre les indices boursiers, évitant d’influencer l’évolution des marchés financiers par le biais de ses opérations d’achat et vente de titres, ignorant le fait que le portefeuille de la BNS est l’un des plus importants au monde. Si elle le voulait, en fait, la BNS pourrait vendre les titres des entreprises qui nuisent d’une manière ou d’une autre à l’environnement et pourrait acheter les titres des entreprises dont les activités sont favorables à l’environnement, induisant les banques et les institutions financières non-bancaires à en faire de même, au vu de l’évolution des prix (relatifs) en bourse.

À l’instar de son interventionnisme après l’éclatement de la crise financière globale, la BNS devrait se montrer aussi active et innovante par rapport à la crise climatique qui approche à grande vitesse.

La prochaine crise financière est proche

Les signaux de la prochaine crise financière sont toujours plus clairs et évidents aux États-Unis (déjà au centre de la crise globale éclatée en 2008). Si à cette époque là les hypothèques « subprime » devenues inexigibles ont été l’élément déclencheur du tsunami financier dans le monde entier, maintenant cela pourrait être les prêts aux entreprises insolvables à déclencher la prochaine crise.

Les acteurs sur les marchés financiers, à commencer par les banques « trop grandes pour faire faillite » – suivies par les investisseurs institutionnels à l’instar des caisses de pension – continuent en effet à prêter de l’argent aux entreprises américaines déjà surendettées, leur octroyant des crédits à taux d’intérêt variable, à l’image des prêts hypothécaires « subprime ». En l’état, il y a environ 1500 milliards de dollars américains de crédits de ce type, dont la plupart a été donnée à des conditions qui imposent moins de contraintes aux débiteurs, donc aussi avec moins de garanties pour les bailleurs de fonds. Cela signifie que si le débiteur n’est pas en mesure de repayer sa dette, ses créanciers perdent toute leur mise.

Les problèmes pour la finance globalisée ne terminent pas là, vu que, de plus en plus, ces prêts à des entreprises déjà surendettées sont « titrisés », à savoir, insérés dans des boîtes noires où autrefois on insérait les hypothèques « subprime », pour ensuite vendre des tranches de ces boîtes aux épargnants dans le monde entier, ignorant ce qu’ils achètent et les risques qu’ils assument de cette manière.

Aux États-Unis, selon une enquête récente, 80 pour cent de ces titres se trouvent dans le portefeuille de trois gros acteurs de la finance américaine (Wells Fargo, JPMorgan et Citibank). Le reste se trouve, pour deux tiers, dans le portefeuille des institutions financières non-bancaires, pour lesquelles il existe encore moins d’exigences de liquidité et de fonds propres que pour les banques.

Les autorités de réglementation des marchés financiers ne vont sans doute pas imposer davantage de rigueur sur ces marchés, au vu de leur bienveillance, qui a augmenté visiblement suite à l’élection de Donald Trump à la présidence américaine.

Les États-Unis, toutefois, pourraient être à nouveau au centre de la prochaine crise systémique, lorsque l’économie américaine entrera en récession, comme le laisse entrevoir déjà l’inversion de la courbe des taux d’intérêt américains.

Evidemment, aucune partie prenante ne bougera pour éviter l’éclatement de la prochaine crise financière : les principaux acteurs sur les marchés financiers s’estiment rusés et capables de faire reposer sur le dos de quelqu’un d’autre les risques et les coûts d’une telle crise, tandis que les autorités de surveillance et de réglementation des marchés financiers dorment sur leurs deux oreilles. La crise, toutefois, sera un cauchemar pour tout le monde et le réveil sera dramatique.

L’Union européenne est en récession démocratique

Dix ans après l’éclatement de la crise dans la zone euro, l’Allemagne est en récession économique. Cela n’est pas surprenant, au vu des politiques d’austérité qui frappent aussi l’économie allemande – qui les avait imposées à l’ensemble de l’Euroland. Un nombre croissant de politicien.ne.s allemand.e.s semble désormais vouloir abandonner la politique du « schwarze Null » visant l’équilibre budgétaire, afin de relancer l’activité économique par une augmentation des dépenses publiques pour stimuler la croissance du Produit intérieur brut (PIB) – l’indicateur principal, voire unique, que la majorité des politicien.ne.s et des économistes considère pour savoir si un pays se porte bien ou mal sur le plan économique.

En fait, déjà bien des années avant l’éclatement de la crise de la zone euro, l’Union européenne (UE) est entrée en récession démocratique. L’introduction de l’euro ainsi que les politiques économiques néo-libérales mises en œuvre dès les années 1990 ont induit une perte de bien-être économique pour une partie importante de la population européenne. La crise éclatée dans la zone euro a fait augmenter visiblement le nombre de personnes en difficulté financière, mais n’est pas la cause essentielle de cette situation. Le « péché originel » se trouve dans l’idéologie du « libre marché » en tant que source de la croissance et du bien-être économique. Cette idéologie a paupérisé un nombre croissant de personnes à travers l’UE (et bien au-delà), péjorant aussi l’environnement et réduisant de manière pernicieuse les démocraties du Vieux continent, où les populistes et les « souverainistes » agitent les foules pour des raisons électorales.

Pour contrer ces dérives et renverser la vapeur, il faut un « Green New Deal » que les pays membres de l’Euroland doivent mettre en œuvre afin de remettre sur pied la démocratie dans l’UE. La priorité ne doit pas être l’équilibre budgétaire du secteur public ni la croissance du PIB : il faut assurer avant tout une existence digne à toute personne, offrant les services publics dont chacun a besoin pour faire partie de la société. Seulement de cette manière il sera possible de soutenir la croissance économique mesurée par le PIB, atteignant à long terme l’équilibre budgétaire en tant que conséquence (plutôt que comme prérequis) des choix de politique économique.

L’UE ne peut pas se permettre de s’effondrer, parce qu’elle tire ses origines de la volonté d’éviter une nouvelle guerre mondiale. Les politicien.ne.s allemand.e.s – entre autres – doivent en être conscient.e.s, avant que cela soit trop tard.

L’Allemagne doit remercier la BCE

Les politicien.ne.s et la population en Allemagne, ainsi qu’une grande partie de la presse, n’arrêtent pas de critiquer la Banque centrale européenne (BCE), parce qu’elle continue de mettre en œuvre sa propre politique monétaire ultra-expansive, au détriment des épargnants allemands et d’autres pays européens, qui doivent supporter les intérêts négatifs sur leurs dépôts bancaires ainsi que les rendements négatifs des titres de la dette publique.

En fait, si la BCE doit continuer à adopter une telle politique monétaire, c’est à cause de l’attitude de l’Allemagne, qui a imposé des politiques d’austérité draconienne aux pays membres de l’Euroland qui souffrent le plus de la crise systémique éclatée dans la zone euro il y a désormais dix années, lorsque le nouveau gouvernement élu en Grèce révéla que la situation des finances publiques était bien pire de ce qu’on avait laissé entendre auparavant.

La politique monétaire de la BCE, en effet, cherche principalement à contraster les effets récessifs qui sont induits par les politiques d’austérité, à travers des interventions considérées comme étant « non-conventionnelles » par celles et ceux qui ont une vision néo-libérale de la politique économique.

À vrai dire, en réalité, l’expansion monétaire de la BCE favorise la classe supérieure et n’aide pas la classe moyenne de la population en Allemagne (comme ailleurs dans la zone euro). Les riches profitent des effets que la politique monétaire de la BCE engendre, dans la mesure où elle augmente les prix des actifs financiers et ceux des terrains et des immeubles dont sont propriétaires les personnes nanties – dont la richesse augmente alors sans aucun mérite ni fondement dans l’activité économique.

La classe moyenne, par contre, subit les effets négatifs des politiques d’austérité, qui ont baissé la qualité ou le volume des services publics offerts à la population, suite à la diminution des dépenses publiques imposée par la classe dominante en Allemagne (comme ailleurs). Cela comporte aussi une réduction du niveau d’emploi dans le secteur public, qui tôt ou tard induit aussi une augmentation du chômage dans l’économie privée, vu que de nombreuses entreprises ont plus de peine à écouler leurs biens et services suite à la réduction des dépenses publiques.

Si les politicien.ne.s et la population en Allemagne veulent mettre fin à la politique monétaire ultra-expansive de la BCE, elles ne doivent faire rien d’autre qu’accepter l’augmentation des dépenses publiques, dans leur propre pays et a fortiori dans les pays le plus lourdement frappés par la crise de la zone euro. Cela permettra de relancer et soutenir l’économie de ces pays, augmentant aussi le niveau d’emploi et les salaires, avec des répercussions positives sur les recettes fiscales engrangées par l’État (qui pourra ainsi rembourser les dettes accumulées pour relancer l’ensemble de l’économie).