La politique monétaire n’est pas un jeu

La théorie économique dominante repose, entre autres, sur la théorie des jeux, notamment parce que ses disciples croient que tout sujet de recherche en «sciences économiques» peut être appréhendé par une analyse des comportements des agents économiques – faisant par là abstraction des institutions et des lois d’ordre macroéconomique, qui, en fait, reposent sur la logique et les identités comptables.

Celles et ceux qui considèrent les choix de politique monétaire comme un jeu (voire comme un jeu à somme nulle pour les grandeurs réelles, au vu du dogme de la neutralité de la monnaie par rapport au niveau d’emploi et de production) peuvent désormais s’amuser avec un jeu électronique que la Federal Reserve Bank of San Francisco propose sur son site Web pour simuler les conséquences macroéconomiques du pilotage du taux d’intérêt directeur.

Votre serviteur n’a pas su résister et a joué plusieurs fois, s’imaginant bien assis à la place de Janet Yellen lors d’une séance du Comité de politique monétaire qui doit décider le niveau du «Fed funds rate» afin d’atteindre les objectifs du «mandat dual» de la Réserve fédérale aux États-Unis, à savoir «un emploi maximum, des prix stables et des taux d’intérêt modérés à long terme».

Même si, au terme du mandat (de 4 ans), votre serviteur a toujours été reconduit – au vu des résultats satisfaisants par rapport aux objectifs de politique monétaire à atteindre – dans sa fonction de Président de la Fed virtuelle par le «software» de ce jeu électronique, personne ne doit se laisser leurrer par celui-ci: la politique monétaire n’est pas une simple décision d’arbitrage entre davantage d’inflation ou davantage de chômage par la manipulation du taux d’intérêt directeur. Elle a en réalité des conséquences multiples, à géométrie variable et qui sont distribuées de manière magmatique dans le temps et dans l’espace.

De surcroît, le jeu de politique monétaire mis sur pied par la Fed de San Francisco est biaisé par l’idée (néolibérale) qu’il existerait un taux de chômage «naturel» (de 5 pour cent en l’état), pour aller au-dessous duquel la politique monétaire serait impuissante, seules des «réformes structurelles» du marché du travail (entendez davantage de flexibilité, libéralisation et dérèglementation) étant à même de réduire ce taux de manière durable et sans provoquer des conséquences négatives dans l’ensemble du système économique.

On l’aura compris, la politique monétaire n’est pas un jeu électronique, même si désormais une large majorité de banquiers centraux pensent qu’il soit possible de jouer avec les taux d’intérêt négatifs pour relancer les activités économiques paralysées par la crise financière globale et systémique que nombre d’entre eux avaient contribué à faire éclater. Il conviendrait de se rendre à l’évidence et contribuer au bien commun – plutôt que de multiplier les germes de la prochaine crise systémique.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.