L’économie est-elle une science?

Huit années après l’éclatement de la crise financière globale, suite à la mise en faillite aux États-Unis de la banque d’affaires Lehman Brothers (qui a allumé l’étincelle de la crise dans la zone euro), les économistes de la pensée dominante continuent de tourner en rond pour trouver les clés de sortie de la situation qui désormais risque de coûter cher aussi, en termes politiques, à Angela Merkel et à François Hollande, tous les deux appelés à être évincés lors des élections qui auront lieu en 2017 dans leur propre pays.

Au lieu de faire preuve d’ouverture d’esprit, nécessaire aussi pour faire leur autocritique, ces économistes sont de plus en plus nombreux à se cantonner dans ce que deux d’entre eux ont appelé «le négationnisme économique», suscitant des réponses fermes et bien argumentées de la part d’une poignée d’économistes «hétérodoxes» en France.

Plutôt que d’être une science, l’économie est désormais devenue une religion, à en juger par les «guerres de religion» auxquelles se livrent bien de ses adeptes, considérant notamment que leur force de frappe réside dans le nombre des partisans de la pensée dominante au lieu de reposer sur le pouvoir de persuasion de leurs arguments.

Tout n’est pas perdu, néanmoins, car la vérité, même à l’égard de la «science économique», finit toujours par s’imposer, coûte que coûte. Or, l’évidence empirique laisse penser que le changement ne va pas s’opérer à l’initiative de la communauté scientifique, mais va résulter de la demande émanant des milieux estudiantins, qui depuis le début de la crise financière globale sont de plus en plus nombreux à vouloir un enseignement de l’économie respectueux du pluralisme scientifique nécessaire pour l’ouverture d’esprit et l’émancipation intellectuelle des nouvelles générations d’économistes.

Le Manuel d’économie critique publié le mois passé par Le Monde diplomatique est une contribution de taille au débat de société et au développement d’une approche œcuménique pour le bien commun. L’économie est trop importante pour être laissée aux mains des seuls économistes «orthodoxes», même si «une vérité nouvelle, en science, n’arrive jamais à triompher en convainquant les adversaires et en les amenant à voir la lumière, mais plutôt parce que finalement ces adversaires meurent et qu’une nouvelle génération grandit à qui cette vérité est familière» (Max Planck, Autobiographie scientifique, 1960, pp. 84–85).

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.