L’importance de l’économie verte

Le 25 septembre prochain, le peuple suisse est appelé à voter pour décider du sort de l’initiative populaire fédérale «Pour une économie durable et fondée sur une gestion efficiente des ressources (économie verte)». Le sujet est important pour l’économie, l’environnement et la société tout à la fois. Il s’agit de passer d’un système économique qui détruit des ressources non renouvelables le long de son sentier de croissance et d’accumulation du capital matériel et financier, à une économie circulaire capable de préserver les ressources naturelles sans réduire le niveau de bien-être de l’ensemble de la population.

La théorie économique propose deux approches fondamentalement différentes au développement durable des activités économiques.

L’approche de la pensée dominante depuis une quarantaine d’années (qui a donné lieu au néolibéralisme) revient à assimiler croissance et développement économique – utilisant alors ces deux termes comme s’ils étaient des synonymes et donnant la priorité à l’augmentation du Produit intérieur brut (PIB) pour déterminer notamment la vitesse du développement économique, censée indiquer l’évolution du bien-être de la population concernée. Selon cette vision économiciste, la nature est un bien collectif qui n’a aucun prix, tandis que le capital utilisé pour produire les biens et services (qui forment le PIB) est uniquement celui accumulé au sein des entreprises, entendez par là les machines et les équipements. Les problèmes liés à la pollution et à la consommation des ressources non renouvelables, selon cette vision, peuvent être résolus en général par le prélèvement d’une taxe pigouvienne, c’est-à-dire qui adopte le principe du «pollueur–payeur», censée faire payer aux pollueurs les coûts que ceux-ci induisent dans l’ensemble de la société par leur utilisation du capital naturel, tout en respectant les «lois» du libre marché prônées par le néolibéralisme. Suivant cette approche, l’économie est durable lorsque les profits gagnés à travers l’utilisation de ressources naturelles sont entièrement investis pour la formation brute de capital fixe remplaçant ces ressources, afin de ne pas prétériter les opportunités économiques des générations futures.

L’approche alternative (définie hétérodoxe), par contre, reconnaît que croissance et développement économique sont deux phénomènes fort différents. Cela implique qu’il faut faire appel à d’autres indicateurs, au-delà du PIB, afin de mesurer le degré de développement économique et surtout le niveau de bien-être de la population. Suivant cette vision systémique, la nature n’est pas un intrant dans la production de biens et services, mais une forme de capital (à l’instar du capital matériel, du capital humain et du capital social) qui exerce une fonction essentielle pour la société dans son ensemble. Si l’on réduit le capital naturel, par l’utilisation de ressources non renouvelables, on diminue également le développement économique même lorsque le PIB augmente (peut-être suite aux activités économiques mises en œuvre pour pallier les effets négatifs de l’utilisation de ces ressources). Cette vision alternative met l’ensemble du système économique au sein de la société, étant donné que celui-ci est instrumental pour répondre aux besoins humains sans néanmoins empiéter sur les générations futures, dans une optique de développement durable conforme à celle du Rapport Brundtland.

Les données publiées récemment par Eurostat en ce qui concerne les activités économiques favorables à l’environnement appuient la vision hétérodoxe résumée plus haut: depuis l’an 2000, et surtout après que la crise financière globale ait éclaté au plan global, ces activités font enregistrer des taux de croissance économique beaucoup plus élevés que ceux de l’ensemble de l’économie des 28 pays membres de l’UE. De surcroît, le niveau d’emploi (en équivalent plein temps) a augmenté d’environ 50 pour cent dans lesdites activités, alors qu’il a stagné dans l’ensemble de l’économie européenne durant la période 2000–2013. Il faudra attendre fin 2017 pour savoir si l’économie suisse suit la même tendance, lorsque l’Office fédéral de la statistique publiera les résultats au terme de son projet pilote.

Une chose est néanmoins d’ores et déjà certaine: l’économie suisse ne pourra pas continuer à afficher l’empreinte matérielle actuelle car cette dernière dépasse largement celle de l’Union européenne par habitant et de surcroît n’est pas compatible avec la nécessité de préserver le capital naturel de la planète.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.