La BCE est-elle vraiment indépendante?

La Banque centrale européenne (BCE) est considérée comme étant la banque centrale la plus indépendante du monde, parce qu’elle ne doit aucunement donner suite aux pressions provenant des gouvernements des pays membres de l’Euroland nécessitant de financer leurs propres déficits budgétaires. Le rôle de prêteur en dernier ressort que bien des banques centrales ont assuré par le passé face à leurs gouvernements nationaux serait problématique, dans la mesure où cela n’incite pas les autorités politiques à l’équilibre budgétaire et exerce donc une pression à la hausse sur les prix des biens et services produits dans l’économie.

Il est curieux, toutefois, pour ne pas dire problématique, que la BCE ne montre pas son indépendance face aux pressions que les banques (en Allemagne plus qu’ailleurs) exercent afin qu’elle continue sans arrêt de leur donner des liquidités pour leur permettre de garder la tête hors de l’eau trouble de la crise de l’Euroland. Après la capture des politiciens, il est assez évident que les milieux financiers ont aussi capturé la BCE (qui, toutefois, n’est pas la seule banque centrale dans cette situation), au détriment de l’intérêt général et du bien commun.

Compte tenu de l’intransigeance des autorités politiques allemandes à l’égard de l’indépendance de la BCE, il est tout aussi frappant de noter que cette indépendance est bafouée par lesdites autorités, lorsqu’il est question de défendre les intérêts (de très court terme) de l’Allemagne – que ce soit lors des pressions exercées par le gouvernement d’Angela Merkel sur Mario Draghi afin qu’il ferme le robinet pour les banques en détresse en Grèce avec l’objectif de faire tomber le gouvernement grec dirigé par Alexis Tsipras, ou, plus récemment, en exerçant des pressions pour que la BCE arrête sa politique des taux d’intérêt négatifs afin que l’épargne allemande ne souffre pas apparemment de cette politique.

Si la BCE tient à sa propre crédibilité, il est impératif qu’elle commence à montrer son indépendance de jugement, tant par rapport à la pensée dominante qu’en ce qui concerne l’élite au pouvoir dans la zone euro. Il en va de l’avenir de l’Union européenne et du sort du Vieux continent, y compris la Suisse. Le temps est désormais compté et la récréation des élites politiques et financières européennes touche à sa fin inexorable.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.