Vivement le Grexit!

Cet été a été torride autour de la Méditerranée. Mais les événements politiques tragicomiques qui se sont déroulés au sujet de la Grèce sur le plan européen ne relèvent aucunement d’un coup de chaleur. C’est un véritable coup d’État qui a eu lieu, inspiré par l’attitude abominable du Ministre des finances allemand – un juriste qui visiblement n’a pas suffisamment de compétences d’ordre macroéconomique et qui donc fait confiance aux slogans de la pensée dominante en la matière, n’en déplaise aux partisans de la démocratie et du pluralisme en économie politique.

Il ne s’agit pas uniquement de l’acceptation par Alexis Tsipras de l’«accord» qu’il a signé – avec un gros couteau sous la gorge – au petit matin du 13 juillet dernier à Bruxelles dans le cadre du sommet de la zone euro (un forum de discussion a-démocratique, qui ne tient aucun procès-verbal de ses propres décisions et qui n’a pas de règles à cet égard, sauf la règle du plus fort auquel se rallient, par un comportement moutonnier, celles et ceux qui sont occupés à satisfaire avant tout leurs intérêts personnels, nonobstant leur rôle institutionnel de premier plan au niveau national, voire européen).

Il s’agit surtout et notamment de ce qui s’est passé depuis la signature dudit «accord» dont les éléments principaux ont été rendus publics par une déclaration du sommet de la zone euro qui révèle sans gêne son caractère de toute évidence dictatorial et humiliant pour le peuple grec, frappé par une crise humanitaire et désormais puni pour avoir osé se prononcer, de manière démocratique, contre le prolongement sans fin de mesures d’austérité qui ne font qu’aggraver la situation d’une partie non-négligeable de la population grecque et que la majorité du peuple a clairement refusées lors du référendum tenu en Grèce le 5 juillet 2015.

Sous l’intenable menace un tant soit peu voilée de la Banque centrale européenne, qui de manière subreptice exerce de plus en plus un rôle politique en dépit du fait que les membres de cette autorité monétaire ne sont aucunement élus par le peuple de l’Euroland, Mario Draghi et ses collègues au sein du Conseil des gouverneurs ont fait plier Tsipras et son gouvernement (élu, lui, selon les règles démocratiques), fermant le robinet par lequel les banques grecques pouvaient obtenir la liquidité d’urgence (Emerging Liquidity Assistance) afin de rester au fil de l’eau.

Après avoir sacrifié la tête de son ancien Ministre des finances, le seul qui, au sein de l’Eurogroupe, a toujours eu une attitude scientifique (et pas partisane ou technocratique) par rapport aux graves problèmes sur la table (et derrière les coulisses), Tsipras s’est complètement plié face à la «troïka» des créanciers étrangers, qui intègrent désormais aussi le représentant du Mécanisme européen de stabilité dans le troisième (et peut-être dernier?) plan de «sauvetage» de l’économie hellénique – un plan qui ne dit pas son nom et que toutes ses parties prenantes savent qu’il n’aboutira pas aux résultats annoncés avec beaucoup d’hypocrisie par ses plus fervents avocats.

Au vu de ces événements et de l’attitude exécrable de l’Eurogroupe et du sommet de la zone euro, l’économie et la société en Grèce ont tout l’intérêt à quitter l’Euroland (s’inspirant du défaut de paiement argentin au début de ce siècle), sachant que, de toute manière, la permanence de la Grèce dans la zone euro ne lui permettra pas de sortir du coma à long terme.

Il suffit d’ailleurs de lire l’article de Yanis Varoufakis publié par Die Zeit le 15 juillet dernier, pour comprendre que le couteau sous la gorge de Tsipras a les empreintes digitales du Ministre des finances allemand, qui vise ouvertement une sortie de la Grèce de l’Euroland (le désormais fameux Grexit), surtout pour montrer à d’autres pays «récalcitrants» – entendez l’Espagne et l’Italie, voire la France – qu’ils ont intérêt à ne pas essayer de répéter l’expérience de désobéissance grecque, s’ils ne veulent pas sortir (ou être expulsés) à leur tour de la zone euro le moment venu.

Or, à la lecture du «Rapport des cinq présidents» (à savoir le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le président du sommet de la zone euro, Donald Tusk, le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, et le président du Parlement européen, Martin Schulz) pour «compléter l’Union économique et monétaire européenne» on ne peut qu’être abasourdi par l’absence de vision paneuropéenne de ses signataires, qui imaginent pouvoir continuer le long de la trajectoire inconcluante par laquelle, suivant leurs prédécesseurs, ils ont forgé le Léviathan européen qui a fait table rase du droit à l’autodétermination des peuples de l’Euroland.

Dans ces conditions et considérant le scénario que ledit «Rapport» va amener à réaliser à l’horizon 2025, il convient pour la Grèce de sortir à court terme de la zone euro en se débarrassant de la chemise de force imposée par le Léviathan européen, afin d’avoir une lueur d’espoir tout en sachant que sa population devra encore faire bien des sacrifices et ne pourra pas se contenter d’avoir retrouvé sa souveraineté monétaire. Quoi qu’il en soit, un avenir de souffrances c’est toujours mieux que de souffrir sans avoir aucun avenir devant soi.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.