La capture des banques centrales

La Banque nationale suisse (BNS), de manière analogue à la Banque centrale européenne, est indépendante du gouvernement, mais a été désormais capturée par les milieux bancaires, qui exercent de manière subreptice leur influence sur ses décisions de politique monétaire, afin de tirer toujours leur épingle du jeu, peu importe la situation financière au plan global.

En ce qui concerne la BNS, son choix de frapper par un taux d’intérêt négatif une partie des avoirs que les banques ont déposés chez elle – n’en déplaise à celles-ci – leur permet assez facilement d’échapper à cette taxe sur les dépôts en en transférant la charge, d’une manière ou d’une autre, à leur propre clientèle (déposants et/ou débiteurs de tout genre).

Il en irait autrement si la BNS, au lieu de frapper les stocks (entendez les dépôts bancaires), frappait les flux (à savoir, les achats de francs), parce que, dans le deuxième terme de l’alternative, les banques n’ont pas la possibilité de se soustraire au paiement d’une taxe «Tobin» sur le marché des devises, dans la mesure où elles achètent des (milliards de) francs suisses pour leur propre compte au lieu de le faire pour celui de leur clientèle.

Certes, il serait toujours possible pour les banques frappées d’une taxe sur les achats de francs suisses d’en répercuter la charge sur (la partie moins importante de) leur clientèle, mais cela aurait au moins le grand avantage de réduire la survalorisation du franc suisse (à l’avantage de la branche touristique et des entreprises helvétiques tournées vers les exportations) et d’apporter quelques milliards de recettes fiscales que la Confédération pourrait bien utiliser pour soutenir les entreprises qui sont vraiment en difficulté – malgré leurs efforts – à cause du franc fort.

Lorsqu’il y a des conflits d’intérêts entre la finance et l’économie réelle, la BNS devrait faire preuve d’indépendance à 360 degrés – donc aussi à l’égard des milieux bancaires –, comme l’exige d’ailleurs son mandat constitutionnel: «En sa qualité de banque centrale indépendante, la Banque nationale suisse mène une politique monétaire servant les intérêts généraux du pays» (Art. 99 § 2, Constitution fédérale suisse).

Il est vrai que la définition des «intérêts généraux du pays» n’est pas aisée, surtout lors de turbulences majeures au niveau financier, mais au vu de l’inefficience et des conséquences négatives de la politique des taux d’intérêt négatifs il est impératif de se demander si la BNS a saisi correctement quels sont ces intérêts ou si elle les confond avec ceux (de court terme) des banques en Suisse. Le doute est légitime.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.