La voie de l'inconscient, Djibouti

À la conquête de la Voie de l’inconscient

Il y a 45 ans, le 20 décembre 1976, cinq marins d’État ouvraient une voie d’escalade militaire en plein désert de Djibouti sur une falaise réputée comme étant un pur concentré d’audace. L’exploit de ces hommes devait marquer l’histoire militaire.

 

Philippe Blatter, Patrick Delezaive, Jean-Marie Jourdain, Yves Lorette et François-Alain Gourmelen entraient alors dans l’Histoire et écrivaient une des plus belles pages de l’armée française.

« L’emplacement de ce point n’a rien d’anodin. Il se détermine par rapport à la sécurité, à la nature du rocher à cet endroit-là ». « Je l’ai surnommé Voie de l’inconscient en raison de sa roche friable et du peu de tenue des fixations sur la paroi. »

C’est en ces termes que le fondateur principal, Philippe Blatter, un fils d’immigrés suisses, décrit l’œuvre d’une vie.

En effet, ce parcours de l’extrême jaillit des tréfonds du désert et s’étend sur 265 mètres et comprend 10 obstacles accrochés à flanc de falaise dont certains sont à plus de 70 mètres du sol.

 

Des marins créent une voie d’escalade en plein désert

 

C’est munis de pataugas et sans un équipement adéquat sur une roche friable d’où s’échappent facilement des pierres, qu’ils entreprennent un travail sans relâche alors que règnent des températures écrasantes frôlant les 50 degrés à l’ombre.

Un sentiment de fierté et une aventure humaine aux confins du possible, c’est ce qu’éprouve François-Alain Gourmelen, l’un des cinq fondateurs.

« Qui aurait pu imaginer que moins d’un demi-siècle après la création de cette voie, celle-ci verrait passer des générations de militaires et deviendrait une référence mondiale ? » « Jusque-là, personne n’avait eu l’audace de s’attaquer à cette paroi. À l’origine, elle fut créée spécialement pour entraîner les commandos marine, ensuite nous avons accueilli et formé régulièrement toutes les compagnies de légionnaires à l’instar de la 13e demi-brigade, sur trois différents ateliers : le nautisme, le sabotage et… la Voie de l’inconscient. »

Ce parcours est situé sur la piste des Mariés reliant Arta à Arta plage, sur les rives du golfe de Tadjourah en République de Djibouti.

 

voie de l'inconscient
Voie de l’inconscient en 2021.© Jeff

 

 « Qui possède la mer Rouge, possède le monde » Gabriel Hanotaux

À ce titre, il convient de rappeler brièvement les contextes historiques de Djibouti. Nommée « Côte française des Somalis », de 1896 à 1967, puis « Territoire français des Afars et des Issas » entre 1967 et 1977, elle accède à l’indépendance le 27 juin 1977 et devient la « République de Djibouti ».

Nonobstant la modicité de Djibouti, 23200 km2 pour environ un million d’habitants, son débouché sur la mer Rouge a été convoité par les puissances internationales et régionales dès le XIXe siècle. Mais la réalité est plus complexe.

En effet, la République de Djibouti est un acteur essentiel en termes de stratégie géopolitique.

 

Djibouti, Un carrefour stratégique

 

Il est à souligner que la simple position géographique du territoire lui confère un rôle stratégique essentiel depuis l’ouverture du canal de Suez en 1869, rôle qui perdure aujourd’hui.

Outre le fait d’être le siège des troupes européennes luttant contre la piraterie maritime dans le Golfe d’Aden, cet îlot de sécurité qu’est Djibouti se situe sur l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde, et la Corne de l’Afrique est une zone essentielle du projet chinois, tant d’un point de vue économique avec les « Nouvelles routes de la Soie », que militaire avec la stratégie dite du « collier de perles ».

Cependant Djibouti entend également tirer profit de sa situation pour accueillir des militaires étrangers d’Etats aussi différents que les États-Unis, la Chine, la France, l’Espagne, l’Italie et le Japon.

Après le départ des commandos à Arta, la Voie de l’inconscient est reprise par la Légion qui crée en 1978, le CECAP, qui l’améliore et la sécurise. La célèbre tête de mort peinte sur la falaise est, par exemple, un des rajouts de la Légion tout comme la gouttière qui a remplacé l’échelle spéléo de 18 mètres pour franchir cette même falaise. Depuis le départ de la 13e DBLE de Djibouti en 2011, le centre d’entrainement et ses infrastructures ont été repris par le 5° RIAOM sous le nom de CECAD. Le centre accueille aujourd’hui plus de 1500 stagiaires par an. En 45 ans d’existence, on peut donc considérer que plus de 50.000 soldats de tous grades, armes, armées et nationalités ont suivi la trace des 5 pères fondateurs sur la voie qu’ils ont tracée.

Voie de l'inconscient
François-Alain Gourmelen, Philippe Blatter et Patrick Delezaive. © S. Kurschat

 

Commémorer ou ignorer ? Vers une reconnaissance officielle des autorités ?

 

À l’occasion du 45e anniversaire de cet emblématique parcours militaire, puisant dans des images d’archives inédites, un court-métrage retracera le passionnant destin des fondateurs de la Voie de l’inconscient.

Et pour cause, leur œuvre aura permis de former des décennies de soldats des forces armées françaises et internationales à l’aguerrissement en milieu désertique et permet de nos jours à se préparer lorsqu’ils opèrent sur les différents théâtres d’opérations dans le monde.

Formons désormais le vœu que la Marine nationale française reconnaîtra un jour, le courage et le remarquable travail de ces 5 hommes.

 

Serge Kurschat, historien

Serge Kurschat

Historien diplômé de l'Université de Franche-Comté, multientrepreneur, chroniqueur sur le blog du journal Le Temps.

Une réponse à “À la conquête de la Voie de l’inconscient

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *