Attention avec les termes

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Parlez trop vite donne lieu à la confusion! Analyse

Suite aux événements tragiques de Paris, on entend de tout sur les ondes, dans la presse écrite, dans les rues, etc.

La troisième guerre mondiale a commencé! C’est la guerre! Le "11 septembre de la France"! La série des attentats recommence…

Mais que faudra-t-il écrire lorsqu’une vraie guerre éclatera? Je suis également surpris par les propos de Jacques Beaud, lui, le spécialiste du renseignement, parlant de guerre. Certes, les moyens utilisés sont des armes de guerre, une approche de commando (toute proportion gardée: par 3 hommes!), une presse se faisant un plaisir de montrer des images de dispositifs policiers tout comme leurs interventions sous un aspect de « guerre ».

Restons lucide et analysons!

Premièrement, il s’agit d’un acte isolé, certes très bien préparé, mais isolé toujours et mené par 3 ou 4 personnes, toutes connues de la police et des services de renseignement ayant pour ainsi dire toutes subit une condamnation et fait un passage en prison. Ces personnes ont également fait des séjours d’entraînement à l’étranger et les services de renseignement en étaient parfaitement informés.

Deuxièmement, les auteurs de l’attaque étaient ou sont devenus des fanatiques religieux, c’est-à-dire que leur cerveau n’est pas aussi brillant que certains veulent bien le dire et que pour mener une attaque de ce type, il ne faut pas forcément être intelligent mais uniquement bien formé et entraîné. Nuance! Mais également, d’un autre aspect, faire preuve de folie, c’est-à-dire, d’une certaine manière, d’être atteint d’une maladie de raisonnement.

Troisièmement, il faut se mettre dans la peau des auteurs de ces attaques et comprendre leur finalité. Il n’y en a qu’une, en fait: mourir en martyre! Mais avant de mourir, avoir provoqué le plus de casse possible et, surtout, d’avoir pu tenir en halène les médias internationaux le plus longtemps possible tout en faisant régner la terreur.

Quatrièmement, le fait de savoir et vouloir mourir en martyre donne déjà l’indice de la gravité des événements qui vont se succéder du début de l’opération jusqu’à la « mort » des protagonistes.

Cinquièmement, la cible. En principe, un commando devrait s’attaquer à un objectif militaire (et/ou civil) difficile à prendre et/ou à détruire. Ce qui complique passablement le problème d’organisation, de la planification à la réalisation de l’opération. Ici, il s’agit d’une rédaction de presse faiblement ou pas gardée, juste surveillée. Par contre, l’objectif visé est très médiatique, d’où son intérêt.

Résultats de l'analyse

Dans le cas de « Charlie Hebdo » on est ni en face d’un attentat ni en situation de guerre. On se trouve simplement dans une situation d’une attaque terroriste contre un journal dont la liberté de pensée dépasse celles de sectes et/ou de mouvements fondamentalistes réduits à obliger leurs fidèles à la pensée unique. De plus, « Charlie Hebdo » était une cible de choix, largement menacée et revendiquée comme cible pour une action de ce genre ou tout simplement pour y placer un colis piégé.

Les autorités françaises étaient parfaitement au courant des risques encourus par « Charlie Hebdo » mais également des effets sur l’image international d’un tel risque s’il devenait réalité aussi bien pour la presse libérale que pour la France et le monde occidental. Les services de renseignement français étaient également parfaitement au courant de l’activités des différents belligérants de la future attaque, tout comme la police et la justice française. De plus, les services de renseignement algériens ont prévenu la France quelques jours plus tôt d’une attaque imminente. Les services de renseignement d’un Etat servent essentiellement à prévenir toutes actions et ou tous risques à l’encontre de la nation. Ils disposent, en principe, de tous les outils nécessaires (logiciels sophistiqués, système expert, intelligence artificielle, CI, écoutes, surveillance satellite, etc.) afin d’investiguer, regrouper les informations, établir des scenarii, les prévoir et les prévenir.

Comme déjà dit, le fichage n’est pas fait pour surveiller le citoyen lambda, mais pour permettre de suivre l’évolution de « malades », de fondamentalistes religieux de tout bord, de récidivistes, de criminels, c’est-à-dire toutes personnes présentant un risque pour la société dans son ensemble et pour la sécurité des citoyens. Il faut faire une grande nuance entre un "Patriot Act" (Etats-Unis) visant finalement à surveiller tous les résidents (au minimum) sur le territoire américain et un système de fichage et de suivi d’une population dite à risque et représentant uniquement quelques centaines d’individus.

L’action policière (GIGN, RAID) dans un tel cas doit être la plus rapide possible ainsi que la plus forte possible quant à son déploiement. Mais également la plus courte possible. Il s’agit, dès le début d’un acte criminel de ce type, de mettre en place le plus rapidement possible les éléments nécessaires et planifier les actions les plus efficaces et les plus fortes afin que le dénouement soit le plus court possible. Il ne faut en aucun cas laisser de l’espace temps aux belligérants pour éviter qu’ils puissent l'exploiter à des fins médiatiques et faire parler d’eux durant une très grande période. Il faut également que les médias comprennent, avant de raisonner que de manière économique (audience, nombre de ventes, etc.), qu’il ne doivent pas faire le jeu des belligérants et laisser faire le travail de la police. Le fait qu’une télévision montre les images du dispositif policier en direct sur ses ondes renseigne immédiatement les assaillants au travers de leurs smartphones. Un dispositif militaire/policier de brouillage d’ondes GSM pourrait facilement être mis en place, cependant ce dernier est interdit par l’Etat de droit.

Partant du postulat que les belligérants veulent mourir en martyres, plus vite l’action se terminera, moins il y aura de morts. Preuve en est : les morts de la prise d’otage de la supérette casher ont été tués bien avant l’assaut. Lors d’un tel assaut, la plus grande difficulté est dans l’engagement des armes du côté policier afin de pouvoir distinguer les otages des preneurs d’otages, tandis que du côté belligérants cette difficulté n’existe pas car plus il y a de morts plus cela valorisera leur attaque, leurs morts personnels étant leur but.

Il est clair que pour un Etat de droit l’objectif serait de pouvoir prendre ces criminels vivants et les juger pour leurs actes. Mais dans les faits, il en est tout autre. Plus l’action des forces policières sera courte, c’est-à-dire que le/s belligérant/s ne soit/seront plus en état de nuire, plus les chances de survie des otages seront grandes. Donc l’issue par la mort des belligérants est inéluctable.

Enfin, si nous revenons au début, c’est-à-dire avant l’attaque de « Charlie Hebdo », même si la réflexion ne servira en rien à faire revivre nos humoristes et ne nous enlèvera pas l’indignation de cet acte, il s’agit de prévenir et d’investiguer les (futurs) risques. Cette tâche revient à l’Etat et il ne suffit pas, au nom de la liberté de penser que l’on ne risque rien dans un Etat de droit. Cette pensée est naïve mais également très suisse.i

En conclusion

La tragédie de « Charlie Hebdo » était prévisible ! Elle aurait donc pu être évitée. Mais beaucoup d’autres situations peuvent l’être également. C’est pourquoi, il faudrait enfin pouvoir réfléchir de manière différente en se posant ce type de question : « Quels seraient les buts finaux recherchés par des terroristes ? ».

Une question subsidiaire étant : « Quels seraient les objectifs les plus médiatiques ? ». Ces objectifs sont également et très certainement très faciles à attaquer, puisque ni réfléchis, ni protégés. Il ne s’agit pas là de vouloir mettre tout sous protection, mais plutôt se rendre compte qu’il existe d’autres risques. Ceci permettra ensuite de se poser les questions : Qui ? et Comment ? Plutôt que l'inverse !

Sandro Arcioni

Sandro Arcioni, Dr ès sciences, lieutenant-colonel, expert en stratégie et en cyberdéfense, directeur de mupex Sàrl et enseignant-chercheur dans le domaine de la gouvernance.