Hauts salaires: un malaise croissant

Le malaise devant une mondialisation insuffisamment régulée est aussi un malaise devant les inégalités. Tous les indicateurs sont au rouge dans nos sociétés et les constats convergent pour souligner une croissance significative des extrêmes : des riches plus riches ; des pauvres plus pauvres. Ceci dans une société où tout tend à se monnayer.

2013, contre les rémunérations abusives, une mesure rejetée…

Voici trois ans (novembre 2013), une initiative des jeunes socialistes a été rejetée à 3 contre 1. Elle demandait de limiter les écarts de salaires dans une entreprise au facteur 12. Couplé avec un salaire minimum qu’on peut estimer autour de 4'500.-, cela aurait autorisé un salaire mensuel maximum de 54'000, soit 648'000.- par an. On parle bien ici de salaires, et pas d’autres éléments de revenu non fonction d’un contrat de travail.

Et quand on parle de salaire, on parle forcément de la valeur qu’on accorde à la contribution de chaque personne engagée par une entité pour que celle-ci puisse fonctionner. A tous les événements de l’entreprise, repas de Noël, jubilés ou autres, il est de bon ton de souligner combien la contribution de chacun est essentielle au succès commun et je ne doute pas que cela soit vrai, faute de quoi l’on devrait se passer d’une partie de l’effectif. Or, est-il humainement et techniquement défendable que la valeur ajoutée d’une personne dépasse de plus de 12 fois celle d’une autre ? La question a été tranchée politiquement certes, mais d’un point de vue éthique elle demeure posée.

…au bénéfice d’une norme de compétences

Peu avant cette votation, l’initiative du conseiller aux Etats Minder avait été acceptée. Son titre «contre les rémunérations abusives» n’a pas tenu ses promesses, vu qu’il s’agit essentiellement d’une norme de compétence. Celle-ci prévoit notamment pour les sociétés anonymes que «l'assemblée générale vote chaque année la somme globale des rémunérations (argent et valeur des prestations en nature) du conseil d'administration et de la direction…». Ces montants sont certes aujourd’hui spécifiés et votés en tant que tels, mais cela n’a guère freiné les pratiques en matière de rémunération.

L’inégalité ressentie au quotidien

Pire, dans de nombreux cas, la part pourtant déclarée variable des rémunérations des dirigeants ne varie que vers le haut, et en cas de soucis économiques, le commun des salariés est susceptible d’être licencié sans autre forme de procès. Alors que le management est au pire «outplacé», au mieux pourvu d’un solide pactole au terme d’une convention de départ ou de «non-concurrence». Il ne faut pas aller chercher bien loin pour voir ce qui alimente le rejet des «élites» ; ces pratiques rappellent avec grande brutalité aux moins bien lotis le rapport de forces dans nos sociétés et souligne dans quel ordre les personnes se servent dans le produit de l’effort commun.

Et le secteur public

Dans les grandes entreprises du secteur privé, des salaires annuels entre un et dix millions font régulièrement la une des médias et alimentent (à juste titre) l’indignation d’une population qui fort souvent peine à nouer les deux bouts. Cet été on apprenait ainsi que sur les 10 PDG les mieux payés d’Europe, 5 étaient Suisses, ceci pour un chiffre moyen d’affaires deux fois moins important… De plus, ces salaires avaient connu une augmentation de 10% en 2015, tout à fait indépendamment de la rentabilité de l’entreprise.

Dans le secteur public et semi-public, des rémunérations de l’ordre du million semblent devenir un standard. Ainsi la directrice générale de la Poste, qui ne se gène pas de fermer régulièrement des guichets qualifiés de non rentables, atteste une rémunération de près d’un million ; idem pour son collègue des CFF. Ce qui est plus du double de ce que perçoivent les 7 membres de l’organe exécutif suprême de la Confédération, le Conseil fédéral.

Précisément, le Conseil fédéral vient de proposer une révision du droit de la société anonyme. Elle frappe d’une pierre deux coups, rappelant l’exigence d’une représentation équitable des genres, par un quota féminin de 30% dans les conseils d’administration et de 20% dans les directions, et d’une rémunération raisonnable. Il a également décidé que les salaires des directeurs généraux des entreprises publiques ou majoritairement en mains de la Confédération seraient plafonnés.

Les populistes au pied du mur

De premières mesures qui vont dans la bonne direction. Et si elles ne passent pas le cap du Parlement, ce qui est à prévoir, cela devra faire partie des questions qu’électrices et électeurs auront à se poser lors des prochaines élections. Question piège : qu’auront voté les élu-e-s des partis dits «populistes» vers lesquelles va souvent la préférence des citoyennes et des citoyens déçus par les inégalités croissantes dans notre société ? C’est à leurs votes que se mesurent les élus, bien plus qu’à leurs paroles…

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.