La démocratie entre populisme et humanisme

Depuis le Brexit, depuis la montée des partis de la droite extrême voire leur prise de pouvoir dans certains pays européens (Hongrie par exemple), depuis l’élection de Trump, et l’élection probable d’un président d’extrême-droite en Autriche, on ne peut plus faire l’économie d’une analyse précise du populisme.

En effet ce phénomène, dont les racines socio-économiques sont assez simples à énoncer, doit être combattu avec détermination si nous voulons que les valeurs humanistes fondement de notre monde puissent survivre. Car le populisme les relativise, les moque, les taille en pièces. C’est bien sûr l’incapacité des classes dirigeantes à assurer à toutes et à tous les droits économiques et sociaux, conditions de base à l’exercice des droits humains, qui nous a menés là. Mais comprendre n’est pas excuser, et ne nous dispense pas de passer au crible le fonctionnement du discours populiste.

En effet, le populisme est d’abord et avant tout une révision radicale du consensus sur lequel le débat et la délibération peuvent fonctionner dans une démocratie.

Le réflexe l’emporte sur la réflexion, la haine sur la compréhension

Révision de la forme. C’est la pratique revendiquée du droit à l’insulte, au dénigrement, à la libération sans aucun tabou de la haine. La haine de l’autre, du Noir, du musulman, de l’étranger, de l’homosexuel-le. Une haine (encore) circonstancielle mais qui peut parfaitement conduire à l’acte. C’est cette haine chauffée à blanc qui a mené au cœur d’une Europe prétendument civilisée à l’holocauste. C’est elle qui a conduit au génocide au Rwanda, naguère appelé la Suisse de l’Afrique.

Puissamment relayées sur les réseaux sociaux sous couvert de «démasquer» une soi-disant pensée unique humaniste décrédibilisée par des élites qui ne font qu’en parler sans la vivre, qui sont incapables de résister aux lobbies et de promouvoir ce qui les légitime, le service du bien public, les opinions les plus extrêmes circulent, la démolition des droits humains ne fait halte devant rien, ni les faits, ni les personnes, ni la sphère privée. Le tout crée une virulence qui banalise les mauvais côtés de l’être humain, légitime les bas instincts, autorise à ôter le fragile vernis de politesse et d’éducation qui assure le vivre ensemble, libère la bête humaine et la bêtise humaine de toute discipline.

L'appel à l’homme fort prime sur le pluralisme démocratique

Révision des fondamentaux. Sur le fond en effet, le populisme n’est rien d’autre que, sous prétexte de lutter contre le "politiquement correct", le refus de toute cohérence et fiabilité, de toute coopération internationale, de toute capacité de traiter les enjeux qui le nourrissent; c'est pratiquer un narcissisme collectif assoiffé de vengeance. C’est rejeter radicalement toute problématique environnementale, inexistante pour les populistes. C’est mettre à la place d’un devoir d’écoute et de raisonnement, voire de contestation, fondé sur des faits, l’explosion de la colère, la primauté des émotions (exclusivement négatives d'ailleurs), l'intimidation et la surenchère comme mode de communication politique, le kaléidoscope des contradictions, des théories du complot aussi obsessionnelles qu'aucunement étayées et une méfiance érigée en système.

C’est assurément la fin à la fois des conditions du débat démocratique et des valeurs qui fondent le vivre ensemble. L’admiration pour Putin et Erdogan montre que le populisme n’hésitera pas à sacrifier ce qui l’a mis au pouvoir : la liberté d’expression et la démocratie. Au bout du chemin : la dictature, la violence, l’arbitraire, les pogroms et l’implosion des leviers d’action supranationaux.

Réaffirmer un leadership moral fait de droits et de devoirs

Un front républicain face à cette menace majeure est indispensable. Surtout pas pour préserver de quelconques prébendes. Mais pour préserver ce qui permet la survie des valeurs  à la base de notre civilisation. Le style et le fond du populisme doit être combattu ! En l’analysant. En débattant avec ses protagonistes. En retrouvant ce qui doit être la base de la démocratie, le respect des élus pour leurs électeurs, tous leurs électeurs,  le contact quotidien avec les quartiers, le terrain, la base. En reposant les termes du débat : comme toute liberté, la liberté d’expression connaît des limites. Et on ne peut affirmer tout et son contraire, il y a une obligation de répondre par des faits et à des faits.

Mais pour gagner cette bataille pour les valeurs, plusieurs prérequis sont indispensables : une limitation du libre-échange et un cadrage des activités économiques transnationales ; une qualité d’écoute, de dialogue, de service, de transparence, de vision, et des projets d’utilité publique de la part des dirigeants politiques ; une vraie politique de l’immigration et de l’intégration, de priorité aux personnes déjà sur le territoire; une presse pluraliste et en mesure d’assurer une éthique du débat et de l’information ; une application stricte aux médias sociaux également des règles pénales sur l’insulte et la diffamation.

Dans les années 1920 et 30, il a fallu 2 conditions pour rendre possible le voyage vers l’enfer et la 2e guerre mondiale (52 millions de morts): le manque total de scrupules des leaders fascistes Hitler et Mussolini et de leurs affidés ; le manque total de courage et de combativité des leaders des démocraties occidentales (Churchill n’apparaîtra que plus tard). On peut à juste titre – comme on parle de ce néolibéralisme largement responsable de la crise actuelle – parler de néofascisme. Peut-être est-ce cela le vrai nom à donner au populisme. Les prochains temps nous le diront. En attendant, ce mal qui ronge la culture politique de l’Occident reste le meilleur indicateur de son incapacité de passer des parles aux actes, de tenir ses promesses d’inclusion et d’égalité des chances.

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.