La critique du « greenwashing » est à la mode et occupe beaucoup de place. On pouvait ainsi lire dans le Matin Dimanche du 12 février dernier une dénonciation en règle des compensations carbone et dans la Tribune de Genève du 2 mars une critique virulente des labels de gestion forestière durable. Tout en notant que le ton criard des manchettes et des titres « Les crédits carbone manquent leur cible » ou « Des labels trompent les consommateurs » était démenti par les nuances apportées par les articles.
Qu’il y ait des tricheurs, rien de bien nouveau. Dans les grands crus de Bordeaux, certains versaient du bas de gamme dans leurs tonneaux, gageant que ça ne se verrait pas. D’autres manipulent les statistiques, ou, pensant déjouer les contrôles, ne paient pas le bus ou ne déclarent pas tout au fisc.
Ce serait un miracle si la durabilité échappait aux faussaires et aux tricheurs. Il faut vraiment éviter de jeter l’enfant avec l’eau du bain et toujours bien séparer les standards de leur vérification – car si on jette le standard, il n’y a plus rien à vérifier. Les articles cités donnent d’ailleurs la bonne réponse : de meilleurs contrôles, des sanctions, ne pas tout laisser aux standards privés mais inscrire les exigences de la durabilité dans la loi.
Mais une impression de trouble demeure et tombe sur un terrain fertile. Il n’y a que trop de personnes que cela arrange de penser que tout ce discours sur la durabilité est flou, peu suivi d’effets concrets, et que, finalement, puisque rien ne semble vraiment crédible, mieux vaut passer son chemin. Si cela peut réduire un peu sa mauvaise conscience de savoir que d’autres polluent davantage que soi, cela ne fait pas avancer la cause…
La réalité : des nuances de gris
L’utilisation constante du terme lourd de sous-entendus et de morale de greenwashing suggère qu’il n’existerait que deux cas de figure : le méchant pollueur ou la parfaite durabilité, la fange du péché ou le nirvana de la pureté. La réalité, nous le savons tous, est faite de nuances de gris. Nous avons quasi toutes et tous un poids carbone, une empreinte écologique, bien trop importantes. Mais ce n’est pas une raison pour ne rien faire, au contraire. Et en parlant de greenwashing à tort et à travers, on met dans un même panier ceux qui se mettent sincèrement en route, et ceux qui n’y comptent pas mais font semblant.
Beaucoup de consommateurs de base se sentent désormais concernés par la durabilité, et beaucoup modifient leurs attitudes devant les exigences des temps. Pour les uns, ce sera moins prendre leur voiture, pour les autres acheter des produits bio, les 3e économisent l’électricité et les 4e visent « zéro déchets »… Peu font tout à la fois. Est-ce pour autant une raison pour traiter de «greenwashing » tous ceux qui sont pas encore bons sur tout? Ce qui compte est de se mettre en marche, pour peu qu’on le fasse sincèrement et que la direction – et aussi le rythme – soient justes.
Au lieu des discours des pharisiens qui attendent que les autres soient arrivés à bon port avant de se mettre en route, apprenons à distinguer entre greenwishing et greenwashing, entre sincère envie de progresser et sombre dessein de tromper son monde.
Pour greenwasher encore faut-il qu’il y ait du green
Car attention, la partie n’est pas gagnée. Pour qu’on puisse « greenwasher », encore faut-il qu’il existe du « green », et que ce green ait une valeur qui le rende désirable. En réalité ces standards sont encore très fragiles, comme on le voit avec les hésitations de la finance durable. Alors il est bien sûr plus simple, plutôt que d’en prendre soin et de travailler à leur essor, d’écraser les fragiles pousses de la durabilité.
Ainsi aux Etats-Unis se déroule actuellement une vraie croisade contre la finance durable. Non pas qu’elle serait en manque de rendement – elle ne l’est pas. Mais au nom d’une idéologie, celle de l’Ecole de Chicago, dont le grand prêtre Milton Friedman disait que le seul but légitime pour une entreprise était de maximiser la mise de fonds de ses actionnaires et investisseurs. Evoquer ses impacts écologiques et sociaux serait quasiment un péché, se mettre hors du périmètre économique, se mêles de choses qui ne concernent en rien ni les financiers ni les entreprises. Seule compte la monnaie sonnante et trébuchante pour les actionnaires, les investisseurs et les prêteurs, car plus ils en reçoivent, mieux la société se porte, puisque tout s’achète – et que ce qui ne s’achète pas n’a pas de valeur.
Cette doctrine de l’irresponsabilité écologique et sociale est bien une des causes majeures des dérives actuelles. Mais la croisade anti-durabilité gagne en puissance. Plusieurs Etats des Etats-Unis comme le Texas, la Floride et d’autres boycottent et dénoncent la finance durable, coupable de s’éloigner de l’orthodoxie. Et cerise sur le gâteau, le Congrès américain vient d’interdire ce 1er mars aux caisses de pension de passer leurs investissements au crible de la finance durable. Alors oui en effet plus de risque de greenwashing, dès lors que le green est mort et enterré – et nous avec !
Merci René de montrer qu’il existe peut-être beaucoup plus d’initiatives qui permettent de conserver l’espoir d’une évolution des consciences et des actes que celles qui visent à dénigrer et ralentir les évolutions en cours. Notre monde et nos entreprises ne sont pas vertueuses, mais ceux qui l’habitent ou y travaillent sont autant de petites graines qui germeront au profit de la collectivité et de la transition. Pour les sceptiques, allez visionner quelques films du festival du film vert, on en ressort toujours rassuré sur les capacités à inverser la tendance du greenwashing.
Merci pour votre billet, toujours apprécié! La volonté de laisser le temps au temps pour que l’économie dite “verte” le devienne vraiment a son charme, mais le contexte ne s’y prête pas bien pour au moins deux raisons. (1) La sempirternelle “urgence climatique”, qui est malheureusement bien réelle. Et (2) l’échelle industrielle du problème des fraudes “vertes”. En effet, si les efforts même imparfaits des uns et des autres au niveau individuel sont à encourager, le fait d’espérer encore et toujours que des entreprises contraintes par l’impératif d’augmenter leur profitabilité vont faire une contribution majeure aux transformations structurelles nécesssaires pose problème. Dans le cas de la certification du bois, l’enquête du Guardian a tout de même abouti à la conclusion que “Neuf crédits sur dix délivrés par Verra, principal organisme de certification au monde, n’ont pas d’effets bénéfiques pour le climat”. Il faut prendre au sérieux l’ampleur du problème si on veut pouvoir poser des questions un peu dérangeantes, mais pertinentes. Il ne s’agit pas seulement d’un business malhonnête (comme dans le cas des vins bordelais frelatés), c’est une business qui fait persister l’illusion que les réponses apportées par le système (sans changement de structures ni de direction, juste avec un label “volontaire” pour les entreprises et un éco-geste pour les citoyens) sont à la hauteur des défis. Et cette illusion savamment cultivée fait partie du problème. Pour ma part, j’applaudis la publication d’articles qui dénoncent sur la place publique les résultats misérables des solutions “volontaires” qui sont aujourd’hui mise en oeuvre (ou pas… et puisque c’est “volontaire”, personne n’est sanctionné, ou plus exactement, nous payons tous le prix de cette inconséquence) et mises en avant par les acteurs du système.
Cher Monsieur Kohler
Nous sommes bien d’accord et je l’ai expressément écrit en définissant la bonne réponse aux affirmations fallacieuses: “de meilleurs contrôles, des sanctions, ne pas tout laisser aux standards privés mais inscrire les exigences de la durabilité dans la loi.” Ce que je trouve dangereux dans l’utilisation à tort et à travers du terme “greenwashing” est qu’il porte son lot de découragement et de désappointement, d’une part, qu’il est très perfectionniste d’autre part. Pour moi c’est la sincérité de l’intention qui compte. Et vous l’écrivez à juste titre, dans un contexte où la destruction de valeurs écologiques et sociales peut rapporter gros, il faut savoir résister à cette tentation et modifier ses modèles d’affaire. Et souvent, ensuite, le consommateur n’est pas au rendez-vous (cf la faible part de marché des produits du commerce équitable). L’idéal serait de refléter dans les prix les externalités négatives imputées à des tiers par une activité économique, mais pas évident de mettre sur pied une fiscalité écologique efficace économiquement et socialement juste. N’oubliez pas que l’adhésion à la durabilité n’est pas unanime, loin de là. C’est le sens de ma conclusion sur le combat mené par certains aux Etats-Unis contre la finance durable.
” une fiscalité écologique ” : Les verts comme la gauche n’ont que cette solution à tous les maux…