Tibet : de la commémoration de la déclaration d’indépendance au réveil de l’ONU

Deux dates marquantes pour le Tibet ce mois de février: le 13 février, commémoration de la déclaration d’indépendance de 1913. Et le 6 février, dénonciation par l’ONU de l’ethnocide perpétré par le pouvoir chinois contre le peuple tibétain.

Un accident de l’histoire lourd de conséquences

Voici 110 ans le chef spirituel et politique d’alors du Tibet, le 13e Dalaï-Lama, proclamait l’indépendance de droit de son pays, à partir de son indépendance de fait. En effet, pendant des siècles, les empereurs chinois avaient bien d’autres choses à faire que de venir imposer leur loi au Tibet, lointaine marche de l’empire. Si bien qu’au début du 20e siècle, au Népal, au Bhoutan, au Tibet et dans d’autres pays en marge des grandes puissances de l’époque, on vivait depuis des siècles en paix, selon un mode de vie traditionnel, loin des turbulences du monde, accroché à ses montagnes et porté par sa spiritualité vécue au quotidien. On s’intéressait, certes, aux évolutions se passant ailleurs – mais de loin et sans obligations quelconques.

Mais un accident de l’histoire plombe depuis 110 ans la destinée de tout un peuple, du peuple tibétain. Un accident de l’histoire ? Oui, la formalisation par les autorités légitimes du Tibet de la situation politique de leur pays par la déclaration d’indépendance de 1913 n’a pas été reconnue par les grandes puissances d’alors, rapidement appelés par le déclenchement de la Première guerre mondiale à d’autres préoccupations. Personne n’était vraiment opposé, mais la demande s’est enlisée sous la pile face aux soucis de l’époque.

La suite est connue : en 1950, ce fut l’invasion du Tibet par l’Armée rouge, puis l’année d’après, l’imposition d’un « Accord en 17 points » dicté par la Chine mais dont au final aucun article n’a été respecté. Pas plus que des décennies plus tard, la Chine ne respectera l’accord signé avec la Grande-Bretagne sur la restitution de Hong-Kong. Le parallèle entre les deux situations est d’ailleurs frappant, puisque dans les deux cas le maintien d’une autonomie politique avait été assurée, mais aucunement réalisée.

Une vague coexistence entre les autorités traditionnelles du Tibet et l’occupant a perduré jusqu’en 1959, et le Dalaï-Lama relate dans son autobiographie Mon pays et mon peuple son combat incessant contre la duplicité du pouvoir chinois. En 1959, la population de Lhassa, sachant son chef spirituel et politique en visite dans le camp militaire chinois implanté dans la capitale, prit peur pour sa liberté de mouvement, et las de l’étreinte croissante de l’occupant, se révolta. Comme 30 ans plus tard sur la place Tien-An-Men, la révolte fut écrasée dans le sang et le Dalaï-Lama n’eut d’autre issue que de fuir son pays, suivi depuis par des dizaines de milliers de ses compatriotes.

Depuis plus de 60 ans, le Pays des Neiges est sous une chape de plomb

Depuis une chape de plomb s’est abattue sur le Pays des Neiges. La création, en 1965, de la soi-disante Région autonome du Tibet, aucunement autonome et ne regroupant qu’une partie de la population tibétaine, n’était qu’une triste mascarade, suivie par la révolution culturelle durant laquelle près de 90% des trésors culturels du Tibet, précieux éléments du patrimoine mondial, ont été détruits.

Les années 1980 furent marquées par un léger mieux, une accalmie durant laquelle certains de ces monuments ont pu être reconstruits et où la Chine semblait développer quelques égards pour les peuples non chinois vivant sous son contrôle. Diverses missions de dialogue entre le gouvernement chinois et des émissaires du Dalaï-Lama permettaient d’imaginer un avenir plus serein. Mais dès 1989 le régime se durcissait à nouveau.

La répression politique débuche sur un ethnocide planifié

Il a fallu rapidement déchanter et à la négation de tout droit humain au Tibet (comme d’ailleurs partout en Chine) s’ajoute désormais une politique d’ethnocide, de destruction planifiée, systématique, de l’identité tibétaine. Des cellules du parti communiste sont implantées dans les monastères, empêchant toute pratique religieuse sereine et obligeant les moines à vilipender ce qui leur est le plus précieux, le Dalaï-Lama ; on ne peut quasiment plus s’y rendre pour y recevoir des enseignements ; les nomades sont sédentarisés de force ; la langue tibétaine est de plus en plus marginalisée et ses défenseurs poursuivis. Même les drapeaux de prière constitutifs de l’identité tibétaine sont – pour cette même raison – désormais interdits.

La situation est en tous points comparable à celle faite au peuple Ouïgour, même si les modalités sont différentes. Et au rapport sur ce sujet rendu in extremis par l’ancienne haut-commissaire aux Droits de l’Homme, correspond aujourd’hui le constat fait par 4 rapporteurs spéciaux des Nations Unies quant au sort du peuple tibétain. C’est d’ailleurs la première fois depuis très longtemps que l’ONU se positionne sur le Tibet.

6 février 2023 : le réveil de l’ONU

Le communiqué de presse de l’ONU du 6 février dénonce une nouvelle escalade dans l’ethnocide orchestré par le pouvoir chinois. « Environ un million d’enfants de la minorité tibétaine sont affectés par les politiques du gouvernement chinois visant à assimiler les Tibétains sur les plans culturel, religieux et linguistique par le biais d’un système de pensionnat, ont averti lundi des experts indépendants de l’ONU. Les enfants de la minorité tibétaine sont donc contraints de suivre un programme d’« enseignement obligatoire » en chinois mandarin (putonghua) sans avoir accès à un enseignement traditionnel ou culturellement pertinent.

Les écoles gouvernementales de langue putonghua ne proposent pas d’étude approfondie de la langue, de l’histoire et de la culture de la minorité tibétaine. « En conséquence, les enfants tibétains perdent leur aisance avec leur langue maternelle et leur capacité à communiquer facilement avec leurs parents et grands-parents en langue tibétaine, ce qui contribue à leur assimilation et à l’érosion de leur identité », ont déclaré les experts.

« Nous sommes alarmés par ce qui semble être une politique d’assimilation forcée de l’identité tibétaine à la majorité dominante Han-chinoise, par le biais d’une série d’actions oppressives contre les institutions éducatives, religieuses et linguistiques tibétaines », ont déclaré les experts. Selon eux, ces politiques sont contraires à l’interdiction de la discrimination et aux droits à l’éducation, aux droits linguistiques et culturels, à la liberté de religion ou de croyance et aux autres droits des minorités du peuple tibétain ». Une lettre détaillée avait été adressée en date du 11 novembre dernier par les 4 rapporteurs spéciaux ministre chinois des affaires étrangères, mais aucune réponse n’est jamais parvenue.

Qu’il s’agisse du peuple Ouïgour, des citoyennes et citoyens de Hong-Kong, de la population de Taïwan qui s’inquiète à juste titre de l’agressivité croissante de Pékin, des Tibétaines et Tibétains et du peuple chinois lui-même, la source de leurs malheurs et des maltraitances quotidiennes qu’ils subissent est toujours la même : le pouvoir absolu d’un régime pour qui démocratie, droits de l’homme et libertés publiques sont autant de maux à éradiquer à la source. Espérons que la dénonciation de l’ONU soit de bonne augure pour l’année du lièvre d’eau, qui commence selon le calendrier tibétain ce 21 février.

 

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.

Une réponse à “Tibet : de la commémoration de la déclaration d’indépendance au réveil de l’ONU

  1. Les valeurs de Kabachen, le Pays des Neiges, se perpétuent malgré tout à l’étranger en particulier, que ce soit en Inde ou en Occident. Ce monde étant régi par l’impermanence ainsi que nous l’apprennent les enseignements bouddhistes, il est clair que le pouvoir et la mentalité totalitaire du Parti communiste chinois ne dureront pas éternellement. Un jour viendra où l’ordre des choses changera, quand et comment, nous n’en savons rien pour le moment, mais c’est une certitude.

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