Comment se préparer à la révision du droit des successions

Dès le 1er janvier de l’année prochaine entrera en vigueur la première partie de la révision du droit des successions qui va donner plus de liberté pour choisir ses héritiers, parallèlement à d’autres mesures moins fondamentales et à l’éclaircissement d’un certain nombre de points techniques. Dans cette perspective, je vais consacrer une série d’articles pour les décrire dans les grandes lignes au cours de ces prochains mois, en recourant notamment au message du Conseil fédéral, publié le 29 août 2018, qui fournit moult exemples.

Parentèles et conjoint survivant

Dans ce premier billet, on se concentrera sur cette liberté étendue du testateur, c’est-à-dire celui qui s’apprête à coucher ses dernières volontés dans un testament. Mais avant d’aller plus loin, il est nécessaire de procéder au rappel de quelques notions élémentaires sur l’organisation de la succession. Considérons tout d’abord l’ordre légal, c’est-à-dire celui qui intervient si le défunt n’a laissé aucun testament. Pour savoir qui peut hériter du défunt, il faut établir les liens de parenté avec ce dernier. Le Code civil distingue trois niveaux de parentèles, c’est-à-dire de personnes apparentées au défunt : la première englobe tous ses descendants ; la deuxième comprend son père et sa mère et leurs descendants qui n’appartiennent pas à la première parentèle ; la troisième parentèle intègre les grands-parents et leurs descendants qui ne font pas partie des deux autres parentèles. Par ailleurs, il faut considérer le ou la conjoint(e) du défunt ou partenaire enregistré, qui sera toujours héritier(ère).

Arbre généalogique

Pour y voir plus clair, on peut s’aider de l’arbre généalogique ci-dessous, tiré de mon dernier ouvrage, « Comment financer sa retraite », publié en 2020. Pour faciliter la compréhension, on a distingué les parentèles par l’intensité de la couleur qui leur est appliquée : la plus foncée est réservée aux descendants du défunt (1re parentèle) ; la teinte moyenne est attribuée à son père et à sa mère, ainsi qu’à ses frères et sœurs et à leurs descendants (2e parentèle) ; enfin, la coloration la plus claire est assignée aux grands-parents paternels et maternels et à leurs descendants qui ne font pas partie des deux autres parentèles (3e parentèle).

Priorité de la parentèle sur la suivante

Cet ordre légal est soumis à une règle de base, à savoir la priorité de la première parentèle sur la suivante : les descendants ont ainsi toujours préséance sur la parentèle du père et mère du défunt, de même que cette dernière a priorité sur la parentèle des grands-parents. Cette priorité est absolue dans la mesure où il n’y a aucun partage entre la parentèle la plus proche et la suivante. Par exemple, les enfants ont toujours priorité sur les parents du défunt.

Conjoint survivant ou partenaire enregistré et parentèles

Les choses se compliquent quelque peu lorsque le défunt laisse un ou une conjoint(e) ou un partenaire enregistré, qui participe toujours à la succession. Cette participation s’avère croissante au fur et à mesure de l’éloignement des parentèles. Ainsi, il ou elle touche la moitié de la succession en présence d’héritiers de la première parentèle, les trois quarts avec la deuxième parentèle et la totalité lorsqu’il n’y a que des héritiers de la troisième parentèle. Dans ce cas, les grands-parents sont exclus de la succession.

Cas concrets

Pour illustrer notre propos, prenons le cas d’un homme qui décède en laissant une épouse, deux filles et un fils. Dans ce cas, la veuve a droit à la moitié de la succession, tandis que l’autre moitié est transmise à ses deux filles et à son fils, qui constituent la première parentèle, à hauteur d’un sixième (= 1/2 / 3) chacun, comme on le voit dans la représentation graphique ci-dessous :

Comme exemple d’un partage entre le conjoint survivant et des héritiers de la deuxième parentèle, prenons le cas d’un homme marié, qui était fils unique, sans enfant, mais qui avait encore sa mère, qui fait donc partie de la deuxième parentèle. Dans ce cas, les trois quarts de la succession sont attribués à sa veuve et le quart restant revient respectivement à sa mère survivante à hauteur d’un huitième (=1/4 / 2), et à sœur pour l’autre huitième, hérité de la part de son père prédécédé, comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous :

 

Parts réservataires

L’ordre légal n’est toutefois pas figé mais peut être corrigé. En effet, le législateur donne à celui qui prépare sa succession une certaine latitude pour attribuer son héritage selon ses préférences. Mais il est limité par l’existence de parts dites réservataires qui reviennent à certains héritiers légaux. La fraction non couverte par les parts réservataires est appelée quotité disponible. Or, c’est justement l’objet de la révision. Ainsi, jusqu’au 31 décembre de cette année, trois catégories d’héritiers légaux bénéficient de parts réservataires : le conjoint ou le partenaire enregistré survivant a droit à au moins la moitié de sa part légale ; les descendants ont droit aux trois quarts de leur part légale ; les parents du défunt disposent  quant à eux d’une réserve de moitié de leur part légale à condition que leur enfant n’ait pas eu de descendance. Mais dès l’année prochaine, la part réservataire des descendants va être ramenée à la moitié, tandis que celle des parents sera supprimée.

Descendants seuls héritiers légaux

Pour être plus concret, représentons ce changement sous forme graphique, en commençant par visualiser l’état des lieux lorsque les descendants sont les seuls héritiers légaux, avec une part réservataire des trois quarts jusqu’au 31 décembre 2022. Dès le 1er janvier 2023, cette part sera réduite à la moitié, faisant passer la quotité disponible d’un quart à la moitié.

 

Conjoint survivant seul héritier légal

Dans ce cas de figure, le défunt était marié ou en partenariat enregistré, mais n’avait pas de descendants, plus de parents et ni frères ni sœurs. La part légale du conjoint survivant est donc de 100%, sur laquelle s’applique sa part réservataire de 50%, laissant une quotité disponible de 50%. Et rien ne changera en 2023.

 

Père ou mère seuls héritiers légaux

Dans ce cas, le père ou la mère sont seuls héritiers légaux à condition qu’il n’y ait ni conjoint survivant, ni descendants, ni frères et sœurs (si l’un des parents est prédécédé), avec une part légale de 100%. Jusqu’à la fin de l’année 2022, leur réserve héréditaire est de moitié. Mais elle sera supprimée dès le 1er janvier 2023, pour faire passer la quotité disponible de 50% à 100%.

Conjoint survivant avec descendant(s)

Dans la loi actuelle, comme le conjoint survivant a une réserve de moitié et les descendants des trois quarts, leurs parts réservataires sont respectivement d’un quart et de trois huitièmes. Mais, étant donné que la réserve des descendants sera réduite au même niveau que celle du conjoint dès le 1er janvier 2023, les deux catégories auront la même part réservataire d’un quart (= 1/2 x 1/2), faisant passer la quotité disponible de trois huitièmes à la moitié.

Conjoint survivant avec père ou mère survivant(s)

Le conjoint survivant ou partenaire enregistré d’un défunt sans descendance a une part successorale de trois quarts contre un quart pour le père ou la mère survivant(s). Étant donné que le veuf ou la veuve a droit à une part réservataire de moitié, cette dernière se monte donc à trois huitième (= 3/4 x 1/2), tandis que le père ou la mère survivant, qui disposent d’une réserve de moitié dans la loi actuelle, ont droit à une part réservataire d’un huitième, laissant une quotité disponible de moitié. Mais, avec la disparition au 1er janvier 2023 de la réserve des parents, la quotité disponible passera de la moitié à cinq huitièmes (= 1 – 3/8).

Fiscalité sur les concubin(e)s toujours aussi lourde

Si la réforme permet à un couple de concubin(e)s de se favoriser mutuellement en pouvant exploiter au maximum la quotité disponible d’une demie en présence de descendants du défunt, cela ne résout que partiellement le problème. En effet, la révision ne touche pas aux questions fiscales, qui relèvent dans ce domaine exclusivement du canton, voire de la commune du domicile de l’héritier, à l’exception des biens immobiliers dont l’impôt est prélevé par le fisc de leur emplacement.

Cas pratique

On peut le montrer en prenant l’exemple d’un homme domicilié à Lausanne, qui vit en concubinage. Il a eu deux enfants d’une union précédente et possède un patrimoine d’un million de francs, y compris un bien immobilier dans la capitale vaudoise. S’il décède cette année encore, cet homme ne peut transmettre au maximum qu’un quart de ses biens à sa concubine, soit 250’000 francs, en utilisant toute la quotité disponible. Montant sur lequel elle devra régler un impôt sur les successions de 50%, soit 125’000 francs. Si le décès survient l’année prochaine, le testateur pourra utiliser la moitié de la quotité disponible, soit 500’000 francs, au profit de sa concubine, mais cette dernière devra payer proportionnellement toujours autant d’impôt, à un taux de 50%, soit 250’000 francs, comme on le voit dans le graphique ci-dessous :

Durée du concubinage parfois pris en compte

On relèvera que certains cantons en Suisse romande ont non seulement la main moins lourde que le fisc vaudois ou genevois, qui détient la palme en la matière, mais tiennent compte également de la durée du concubinage, pour en réduire l’imposition. C’est le cas à Fribourg, Neuchâtel et le Jura. On pourra estimer immédiatement cette charge fiscale pour n’importe quel lieu en Suisse, grâce au calculateur en ligne de la Confédération.

Pierre Novello

Pierre Novello est journaliste économique indépendant et auteur d’ouvrages de vulgarisation dans le domaine de la prévoyance, de l’investissement sur les marchés financiers ou encore pour l’accession à la propriété de son logement. Avant d’embrasser la carrière journalistique en entrant au Journal de Genève et Gazette de Lausanne, il a été formé comme analyste financier pour la gestion de fortune.

4 réponses à “Comment se préparer à la révision du droit des successions

  1. Devoir régler un impôt sur les successions de 50% s’apparente à du vol, car en quoi le canton se prend-il le droit de spolier 50% d’une vie de travail à son concubin ?
    Je pense qu’il y a ici un problème de spoliation des biens du défunt qui n’a aucune justification et s’apparente aux régimes “socialo-communistes”.

    1. Bonjour,
      Merci pour votre commentaire. Il est vrai que les concubin(e)s sont souvent lourdement imposé(e)s au titre de l’impôt sur les successions lorsque leur partenaire de vie décède. Toutefois, il existe des moyens pour se protéger, comme l’usufruit croisé, ainsi que je l’expliquais dans mon billet du 17 novembre 2021.
      Il est aussi possible de se marier… Mais, si l’on franchit le pas, on ne serait pas forcément gagnant sur le plan fiscal, à moins de décéder très peu de temps après la cérémonie. En effet, si les couples mariés ou en partenariat enregistré bénéficient de l’exonération en matière de droit de succession, ils sont généralement pénalisés en termes d’impôt sur le revenu, de même qu’au titre de l’AVS. En effet, les rentes de vieillesse des deux conjoints ou en partenariat enregistré ne peuvent jamais dépasser les 150% de la rente maximale. Pour en savoir plus, je vous renvoie à un autre article publié sur ce blog, le 10 avril 2019.
      Bonne fin de journée.

  2. Quelques questions:

    Je croyais que si on est en séparation de biens, le conjoint ou la conjointe n’a pas droit à une part réservataire. Dans ce cas, le de cujus pourra bien sûr lui léguer quelque chose, mais à bien plaire sur sa quotité disponible. Est-ce que c’est exact?

    Si un père de famille a un héritier qui ne lui semble pas capable de gérer le patrimoine, par exemple s’il s’agit d’une entreprise et si le fils ou la fille du patron veut devenir artiste et ne s’intéresse pas à la fabrication de machines outils, activité de l’entreprise familiale, mais le petit-fils veut devenir ingénieur et rêve de reprendre l’entreprise de son grand-père. Dans ce cas, le grand père peut sauter une génération et choisir la substitution fidéicomissaire. C’est à dire que son fils sera seulement usufruitier de l’entreprise, dont la gestion sera confiée à des spécialistes jusqu’au moment où le petit fils sera en âge de s’en occuper, et le fils en retirera les revenus (dividendes etc.) jusqu’au moment ou le petit fils, appelé nu-propriétaire héritera. Pouvez-vous me dire si cette possibilité très intelligente existe encore dans le nouveau droit des successions?

    Et que se passe-t-il pour l’usufruitier au moment où le nu-propriétaire devient majeur ? Est-ce qu’il conserve un certain usufruit sur le patrimoine, ou rien du tout ? Est-ce qu’il a droit à une certaine portion minimum à titre de part réservataire ?

    Troisièmement, j’aimerais savoir ce qui se passe si l’on adopte un enfant, qu’il soit membre de la famille biologique, par exemple un neveu, une nièce, ou pas. Cet enfant adopté aura-t-il exactement les mêmes droits sur la part réservataires que les propres enfants du de cujus, au risque même que les propres enfants se sentent lésés.

    Enfin si un père, ou une mère, ayant un grand patrimoine, mais désirant éviter que ce patrimoine soit dispersé après quelques générations, peut-il regrouper l’ensemble de ses biens dans une fondation de famille, en stipulant que les bénéficiaires des biens et des revenus seront les personnes qui seraient héritiers selon les règles du droit de succession normal, s’il n’avait pas créé cette fondation de famille? Essentiellement, j’aimerais savoir quelle proportion du patrimoine peut être mise dans une fondation de famille sans que cela ne lèse les droits des héritiers réservataires. Question subsidiaire: est-ce que l’on ne doit mettre dans une fondation de famille que des biens faisant partie de la quotitié disponible?

    J’aimerais aussi savoir au moment ou des éléments de patrimoine sont distraits de la succession pour être mis dans une fondation (de famille ou même une fondation à but idéal) est-ce que le fisc en profite pour prélever un impôt exorbitant, ou est-ce que cela peut être négocié et maintenu dans des proportions raisonnables ? Eventuellement en se domiciliant pour cela dans un canton intelligent, du genre Schwyz.

    J’aimerais bien savoir aussi si avec le nouveau droit un testataire pourra léguer, une partie au moins, de sa quotité disponible à un trust de droit anglo saxon ?

    J’aurais encore quelques autres questions, mais je m’arrête là pour ne pas abuser de votre gentillesse.

    1. Bonjour,

      Merci pour ces nombreuses questions pointues qui dépassent souvent mes maigres connaissances. Je vais quand même essayer de vous donner quelques réponses.
      Pour le premier point, les parts réservataires sont du ressort du droit successoral, et n’ont rien à voir avec le droit matrimonial. Le choix du régime matrimonial n’a d’influence qu’au moment de sa liquidation, donc avant la succession proprement dite. En résumé, le conjoint survivant a toujours droit à sa part réservataire dans le partage successoral.
      Pour le question de la substitution fideocommissaire, je n’ai vu aucune modification légale à ce sujet.
      Pour les questions spécifiques sur l’usufruit à la majorité de l’usufruitier, je ne sais pas.
      Pour les droits successoraux de l’enfant adopté, à ma connaissance, ils sont identiques à ceux des autres enfants légitimes. Je l’ai lu sur différentes sources, mais je n’ai pas réussi à trouver d’articles de loi le précisant.
      Pour les fondations de famille, je suis trop peu familiarisé avec ce sujet pour vous répondre et moins encore sur les trusts anglo-saxons.
      Désolé de vous répondre de manière aussi parcellaire, mais vos questions requièrent sans aucun doute les services d’un notaire.
      Bonne fin de journée.

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