Comment avantager ses enfants en cas de décès dans une famille recomposée ?

Dans une famille recomposée, avec des enfants de lits différents, le décès de l’un des deux époux peut conduire à laisser une part d’héritage plus importante aux enfants de son conjoint qu’aux siens propres issus d’une union précédente ! Cette étrange situation peut s’expliquer facilement si l’on laisse la loi s’appliquer sans profiter de la marge de manœuvre pour permettre d’avantager le ou les héritiers de son choix, en changeant de régime matrimonial et en leur attribuant la quotité disponible. Pour illustrer ces possibilités, prenons l’exemple d’un couple dont chacun des deux époux a eu un fils avant de se marier sous le régime de la participation aux acquêts, qui est de loin le plus courant. Examinons ce qui se passe si le mari décède en ne laissant aucun testament.

Acquêts et biens propres

Dans notre cas pratique, le mari dégageait des revenus sensiblement plus importants que sa femme et il disposait d’un plus grand patrimoine : il avait ainsi accumulé 600’000 francs sous forme d’acquêts et disposait un million de francs de biens propres, tandis que son épouse n’avait que 200’000 francs d’acquêts, comme on le voit ci-dessous :

 

Liquidation du régime en participation aux acquêts

Comme le montant total des acquêts du couple est de 800’000 francs (= CHF 600’000 + CHF 200’000), l’épouse en reçoit la moitié, soit 400’000 francs, l’autre moitié tombant dans la masse successorale, qui s’ajoutera au million de francs de biens propres du défunt. La masse successorale se monte donc à 1’400’000 francs :

Résultat qu’on peut montrer graphiquement :

 

 

Partage successoral

Le partage à parts égales va donc s’exercer sur cette masse successorale de 1’400’000 francs, constituée de la moitié des acquêts, soit 400’000 francs et des biens propres du défunt, soit 1’000’000 francs. Les deux héritiers reçoivent donc chacun 700’000 francs au titre de leur part légale, qui est de la moitié de la succession. Toutefois, la veuve obtient au bout du compte 1’100’000 francs, si l’on tient compte de la moitié des acquêts qu’elle avait obtenue lors de la liquidation du régime matrimonial, soit nettement plus que son beau-fils, comme on le voit ci-dessous,

 

En théorie, si la veuve décédait rapidement après son mari, elle pourrait laisser un héritage plus important à son propre fils qu’à celui de son défunt mari !

Modification du régime matrimonial

On peut heureusement corriger cette « injustice » en passant au régime matrimonial de séparation de biens. Dans notre exemple, cela signifie tout d’abord que la veuve aurait conservé ses biens acquis de 200’000 francs, tandis que le patrimoine du mari, soit ses biens propres ainsi que ses biens acquis durant le mariage, tomberait intégralement dans la masse successorale, pour un montant de 1’600’000 francs (= CHF 1’000’000 + CHF 600’000).

Attribution de la quotité disponible

Pour améliorer plus encore la situation de son fils, le mari devrait faire un testament dans lequel il le favorise au maximum, en lui attribuant la totalité de la quotité disponible, qui est de la moitié de la succession, soit 800’000 francs (= CHF 1’600’000 / 2). Ce montant s’ajoute à sa part réservataire d’un quart, soit 400’000 francs (= CHF 1’600’000 / 4). Le fils du défunt est ainsi assuré de recevoir les trois quarts (= 1/2 + 1/4) des biens de son père à son décès, soit 1’200’000 francs (= CHF 1’600’000 x 3/4) :

De son côté, la veuve conserve les biens qu’elle a acquis au cours du mariage, pour un montant de 200’000 francs, et obtient 400’000 francs au titre de sa part réservataire d’un quart, pour un total de 600’000 francs :

Si l’on récapitule, on peut représenter graphiquement le nouveau partage de la masse successorale, en faisant également figurer les biens acquis par la veuve, qu’elle conserve intégralement, puisqu’il n’y a pas de la liquidation du régime matrimonial en séparation de biens :

 

 

Pacte successoral

Les époux qui jouissent tous deux d’une situation financière confortable peuvent adopter une solution plus radicale, en concluant un pacte successoral de renonciation réciproque, soit complète, soit partielle, à tout héritage mutuel. Cette solution ne convient cependant pas dans tous les cas, car elle présente un grand inconvénient, met en garde Pascal Vorlet, responsable de la planification financière auprès de la Banque Cantonale de Fribourg : « Un pacte successoral ne peut être modifié qu’avec l’accord de tous. Il n’est donc pas possible pour l’instigateur du pacte de demander sa modification ou son annulation de manière unilatérale. »

Assurance vie risque pur

Une autre piste permettant de favoriser le conjoint ou le (ou les) enfant(s) du défunt consisterait à souscrire en sa (ou leur) faveur une assurance risque pur, qui peut être souscrite en 3e pilier lié ou libre. Ce type d’assurance a le grand avantage de ne pas tomber dans la masse successorale puisqu’il n’est porteur d’aucune valeur de rachat. Il n’entre donc pas non plus dans le calcul des parts réservataires. Toutefois, en cas de survenance du décès avant le terme du contrat, le bénéficiaire devrait tout de même verser l’impôt sur les prestations de prévoyance, quel que soit son lien de parenté ou de mariage avec le défunt. « Mais, comme le rappelle, notre interlocuteur, la plupart des compagnies d’assurances n’acceptent la conclusion de telles polices que jusqu’à un âge d’entrée de 65 à 70 ans. Quant à l’âge terme pour la couverture décès, il est généralement limité à 75 ans. Et évidemment, plus la souscription s’effectue à un âge avancé, plus la prime est élevée. ».

Usufruit

Si le patrimoine à transmettre est essentiellement constitué par un bien immobilier, qui serait peu hypothéqué, notre planificateur propose la solution de l’usufruit ou du droit d’habitation en faveur du conjoint survivant, la nue-propriété revenant aux enfants du défunt : « De cette manière, la veuve pourrait continuer à vivre jusqu’à la fin de ses jours, tout en évitant que ce bien ne soit distribué à son propre décès à d’autres personnes que les enfants du premier défunt. » Cette solution n’est pas sans inconvénients, comme je l’avais longuement décrit dans mon billet du 31 octobre dernier, portant sur la manière de protéger son conjoint survivant.

« Divorcez ! »

D’une manière un peu provocante, Pascal Vorlet, fait une dernière recommandation pour les couples mariés dans les familles recomposées : « Divorcez, pour devenir concubins ! » Pourquoi ? Dans l’optique de favoriser ses propres enfants. L’argumentaire repose sur le fait que si vous êtes remariés, « ce sont les enfants du conjoint survivant qui sont favorisés au détriment de celui qui décède en premier. Par ailleurs, il ne faut pas oublier la rente AVS des deux conjoints qui est limitée à 150% de la rente individuelle maximale, pénalisant ainsi les couples mariés par rapport aux couples de concubins. »

Comment protéger son concubin ou sa concubine en cas de décès ?

Le statut de concubin(e) n’est guère enviable dans les successions car il ne donne droit à aucune part réservataire. Sa situation va toutefois s’améliorer dans le cadre de la révision du droit successoral dès le 1er janvier de l’année prochaine dans la mesure où la part réservataire des enfants est réduite et que celle du père ou de la mère est carrément supprimée, comme je l’ai décrit dans mon billet du 11 mai dernier. De cette manière, les concubin(e)s bénéficieront de plus de latitude pour se favoriser mutuellement. Mais le point noir, et qui restera, c’est le poids de l’impôt sur les successions qui peut s’avérer particulièrement lourd selon les cantons.

Partage successoral

 Il n’y a évidemment aucune liquidation du régime matrimonial puisqu’il n’y a pas eu de mariage. Les biens du défunt (hors 2e pilier et 3e pilier lié) tombent ainsi intégralement dans la masse successorale. Dans ce partage, si le défunt ne laisse aucun conjoint mais seulement des descendants, ces derniers ne pourront plus revendiquer dès le 1er janvier prochain qu’une part réservataire de moitié, contre trois quarts encore actuellement. Autrement dit, le futur défunt peut laisser à son ou à sa concubin(e) la totalité de la quotité disponible, soit donc l’autre moitié de la succession, dès l’an prochain, contre un quart jusqu’au 31 décembre.

 Impôts très lourds à Genève et dans le canton de Vaud

Si la révision de la loi s’avère évidemment beaucoup plus favorable pour le concubin ou la concubine survivant(e), cette part d’héritage restera soumise à l’impôt sur les successions, puisque ce type d’héritier est considéré comme n’ayant aucun lien de parenté avec le défunt, alors que le veuf ou la veuve en est complètement exonéré. L’impôt s’avère particulièrement lourd à Genève et dans le canton de Vaud, jusqu’à respectivement 54,6% et 50%. Prenons un exemple. Un homme domicilié à Lausanne a eu deux enfants d’un mariage qui s’est terminé par un divorce. Il s’est remis en couple sans se remarier. À son décès, il possédait un patrimoine d’un million de francs. Il aurait pu prévoir dans son testament de laisser la moitié de sa fortune à sa concubine, soit 500’000 francs, en utilisant toute la quotité disponible. Elle aurait alors dû régler un impôt sur les successions de 50%, soit 250’000 francs.

Durée du concubinage souvent prise en compte

Mais les autres cantons ont la main nettement moins lourde, puisque les taux y sont plus bas. « En outre, comme le rappelle Pascal Vorlet, responsable de la planification financière auprès de la Banque Cantonale de Fribourg, la plupart de ces cantons permettent aux couples de concubin(e)s de bénéficier de taux plus réduits encore s’ils peuvent justifier d’une vie commune d’une certaine durée. À Fribourg, par exemple, le taux de base est d’environ 37,4%, mais recule à 14% si le concubinage avait duré au moins dix ans. » C’est le même laps de temps qui est retenu dans le canton de Berne, avec un taux de base est d’environ 39%, selon le calculateur de la Confédération, mais qui tombe à 14,6% après dix ans de concubinage. De même, dans le canton du Jura, le taux de base est de 35%, mais est ramené à 14% au bout d’une décennie de vie commune. À Neuchâtel, le taux de base est de 37%, mais la durée de concubinage pour bénéficier d’un taux plus favorable de 14% est limitée à cinq ans. Enfin, en Valais, le taux est le plus bas de Suisse romande, à 25%, mais la durée de vie commune n’entre pas en ligne de compte dans le calcul.

Changer de domicile ?

 « Pour des couples de concubin(e)s très sensible à la thématique des droits de succession, la question de l’établissement de leur domicile dans des cantons fiscalement plus cléments peut se poser, ajoute notre interlocuteur. Surtout si l’on est établi Genève ou dans le canton de Vaud. Mais il y a une autre piste liée aux biens immobiliers pour réduire cette charge fiscale future, car ces derniers sont imposés sur le lieu où ils sont situés. Ainsi, en acquérant un objet immobilier dans un de ces cantons moins gourmands, par exemple à Fribourg, le ou la concubin(e) survivant(e) domicilié(e) dans le canton de Vaud, par exemple, verrait le taux d’imposition de la part de son héritage investie dans ce bien passer de 50% à 14%, pour autant que le concubinage ait duré dix ans au moins. » Il existe par ailleurs différentes solutions pour privilégier son (ou sa) concubin(e) afin de réduire sa facture fiscale et/ou d’éviter les actions en réduction dans le cadre de la prévoyance, avec le 2e pilier selon le règlement de sa caisse de pension, par la souscription de produits de 3e pilier lié ou du 3e pilier libre s’il s’agit d’assurance risque pur.

Prévoyance obligatoire

 Si l’on passe en revue les différents outils de la prévoyance, on constate immédiatement que le statut de concubin(e) n’existe pas dans l’AVS. En revanche, dans le cadre du 2e pilier, tout dépend du règlement. En effet, de nombreuses institutions de prévoyance considèrent les concubin(e)s comme des conjoints mariés et leur accordent les mêmes droits en cas de décès, notamment si la vie commune a duré plus de cinq ans. Les caisses de pension exigent souvent que l’assuré leur transmette de son vivant une clause bénéficiaire en faveur de son concubin(e). Cette personne pourrait alors avoir droit à des rentes qui seraient soumises à l’impôt sur le revenu habituel. Il en va de même si ces prestations prennent la forme d’un versement en capital, soumis également à l’impôt sur le revenu, mais à un taux réduit, bien inférieur au taux de l’impôt sur les successions. Et ces versements échapperont à toute action en réduction éventuelle de la part d’héritiers réservataires.

Rachats dans sa caisse de pension ?

On peut se demander si des rachats ne seraient pas particulièrement intéressants si l’on cherche à améliorer la couverture du concubin ou de la concubine en cas de décès. « Ce serait sans doute une mauvaise idée, poursuit Pascal Vorlet, car la grande majorité des caisses de pension recourent à la primauté des prestations pour couvrir le risque, notamment le décès, c’est-à-dire que les prestations qui lui sont liées dépendent uniquement du salaire assuré. Des cotisations supplémentaires, sous forme de rachats, n’auraient ainsi aucun effet sur les prestations versées. De manière générale, on recommandera, avant toute décision, de bien prendre connaissance du règlement de sa caisse de pension. »

 3e pilier lié ou libre

 Par ailleurs, dans le cadre du 3e pilier lié, on peut également privilégier son concubin ou concubin(e), si la vie commune a duré plus de cinq ans, en le ou la désignant comme bénéficiaire. Mais, comme on l’a vu dans mon billet du 18 août dernier, bien que le montant versé en cas de décès ne tombe pas dans la masse successorale, il est pris en compte dans le calcul des réserves (pour les assurances vie mixte, il s’agit de la valeur de rachat), comme cela a été précisé dans la révision qui entre en vigueur au 1er janvier prochain, comme dans le 3e pilier libre. Par ailleurs, dans tous les cantons romands, le bénéficiaire ne sera pas soumis à l’impôt sur les successions, mais à l’impôt sur le revenu, à taux réduit. Alors que dans le 3e pilier libre, le montant versé sera imposé au titre de l’impôt sur les successions. Pour des couples de concubin(e) l’assurance mixte souscrite dans le cadre du 3e pilier libre peut s’avérer peu judicieuse s’il y a un risque de subir une action en réduction, de même que pour des raisons fiscales. Il serait en effet nettement plus avantageux de le faire dans le cadre du 3e pilier lié, si c’est possible.

Cas pratique

 Pour illustrer notre propos, prenons le cas d’un couple de concubins domicilié en ville de Genève, dont l’un des deux décède. Supposons que ce dernier avait conclu une assurance mixte en faveur de sa concubine, d’un montant garanti de 100’000 francs en cas de décès. Cette somme serait soumise à l’impôt de succession à hauteur de 49’896 francs si le contrat avait été signé en 3e pilier libre. Alors qu’en 3e pilier lié, la concubine n’aurait dû s’acquitter que de l’impôt sur le revenu à taux réduit, pour seulement 4’662 francs, comme on peut le voir sur la représentation graphique ci-dessous :

Assurance décès risque pur

 L’assurance décès risque pur constitue une solution idéale pour des couples de concubin(e)s, qu’elle soit souscrite en 3e pilier lié ou libre. Le capital de l’assurance vie est versé en cas de décès au bénéficiaire désigné sans risquer de subir une action en réduction. Car comme il s’agit d’assurances sans valeur de rachat, aucun montant ne peut entrer dans le calcul des parts réservataires. Autre avantage, fiscal celui-ci : le versement est soumis à l’impôt sur le revenu à taux réduit, comme dans le 3e pilier lié, à l’exclusion de tout impôt sur les successions. « Concrètement, poursuit notre expert, dans le cadre d’une succession qui serait lourdement imposée, comme dans le canton de Vaud, et, pour neutraliser cette charge fiscale, il s’agirait de souscrire une assurance risque pur en cas de décès couvrant non seulement le montant de l’impôt successoral à régler, mais également l’impôt sur le revenu à taux réduit qui serait dû sur le versement de la prestation d’assurance. »

Usufruit croisé

 Une autre solution pour éviter tout à la fois les prétentions d’héritiers réservataires et les impôts sur les successions est constituée par l’usufruit croisé pour des couples de concubin(e)s qui acquièrent leur logement sous forme de copropriété. En effet, cela permet qu’en cas de décès de l’un des deux partenaires, l’autre puisse continuer à vivre dans le logement commun puisqu’il va recouvrer son plein droit de propriété sur la moitié dont il était nu-propriétaire – tout en bénéficiant toujours de l’usufruit sur l’autre moitié. En revanche se pose la question d’éventuels impôts de donation, qui sont normalement appliqués en cas d’usufruit simple. En principe l’usufruit croisé est assimilé à un échange de droits, donc neutre sur le plan fiscal. Mais cette exonération n’est accordée qu’à certaines conditions, qui vont dépendre des différentes législations cantonales, comme je l’ai détaillé dans mon billet du 17 novembre 2021. Quant à la reprise d’une éventuelle hypothèque, la problématique est identique à celle qui se présente pour un conjoint survivant, qui devrait faire preuve de sa capacité de financement sur la base de ses revenus, comme je l’avais longuement détaillé dans mon billet du 7 octobre dernier J’y renvoie les lecteurs intéressés.

Donations

 On mentionnera encore la possibilité que le ou la plus riche des deux concubin(e)s fassent des donations à son compagnon ou à sa compagne. Mais ces donations sont en principe soumises à l’impôt sur les donations, qui sont très proches des impôts sur les successions, avec d’éventuelles franchises, selon les cantons, comme on peut les estimer grâce au calculateur de la Confédération. « L’idée, reprend Pascal Vorlet, serait de faire des donations régulières en dessous de la franchise. Mais cela signifie de le faire longtemps et pour des petites sommes, par exemple 10’000 francs par année dans le canton de Vaud et 5’000 francs dans le canton de Fribourg. » On notera qu’à Genève, ce seuil est fixé à 5’000 francs, non renouvelable.

Comment protéger son conjoint en cas de décès ?

Pour les couples qui sont propriétaires de leur logement, l’une des grandes problématiques en cas de décès pour le conjoint survivant est de pouvoir continuer à habiter dans ses murs, surtout si le couple avait eu des enfants réclamant leur part d’héritage. Mais avant même d’envisager ce partage, il faut auparavant s’assurer que le conjoint survivant pourra reprendre également la dette hypothécaire éventuelle, comme on l’a vu dans mon dernier billet du 7 octobre. On ne va donc pas répéter l’exercice, mais prendre pour hypothèse que le veuf ou la veuve dispose de suffisamment de revenus pour satisfaire à la demande du créancier ou qu’il ou elle avait les moyens de réduire la dette pour la ramener à un niveau acceptable aux yeux de son prêteur. Ou encore que le bien n’était grevé d’aucune hypothèque. On précisera que cette présentation s’appuie sur la législation révisée du Code civil (CC) sur les droits de successions qui entrera en vigueur dès le 1er janvier prochain, entraînant des changements dans les parts réservataires notamment.

Parts réservataires des enfants

 Pour simplifier la suite de notre exposé, on va partir de l’hypothèse que le bien était libre de toute hypothèque. Mais, même dans ce cas-là, le conjoint survivant ne pourra pas forcément conserver le logement en raison des parts réservataires que les enfants du défunt peuvent revendiquer, qui s’élèvent à un quart de l’héritage (dès le 1er janvier prochain, contre les trois huitièmes jusqu’au 31 décembre 2022). Mais avant d’essayer de trouver un arrangement avec ses enfants, le couple pourrait favoriser le conjoint survivant dans le cadre du contrat de mariage, qui prendra effet lors de la liquidation du régime matrimonial, ainsi que par testament. Commençons par le contrat de mariage.

Attribution de la totalité des acquêts au conjoint survivant

Pour pouvoir favoriser au maximum son conjoint survivant, il faut privilégier le régime de la participation aux acquêts, qui est d’ailleurs le régime standard. En effet, si ce régime prévoit le partage des acquêts du couple de manière égale, une moitié revenant au conjoint survivant, l’autre moitié tombant dans la masse successorale, à laquelle s’ajouteront les biens propres du défunt. Mais les conjoins peuvent convenir d’une autre répartition, comme le prévoit l’article 216 du CC, en s’attribuant mutuellement la totalité des acquêts, qui reviennent alors dans leur intégralité au conjoint survivant, sans avoir de comptes à rendre aux autres héritiers réservataires, en l’occurrence, les descendants du défunt. Mais cette possibilité n’est ouverte que si les enfants sont communs aux époux, comme je l’ai expliqué en détail dans mon billet publié le 26 juillet dernier. Sinon, le conjoint survivant pourrait devoir indemniser le ou les enfants(s) non commun(s) au titre du respect de sa (ou leur) part réservataire.

Cas pratique

 Pour illustrer notre propos, prenons l’exemple d’un couple dont la maison familiale constitue l’intégralité de leur patrimoine, pour une valeur d’un million de francs, qui est nette puisqu’on suppose qu’il n’y a pas d’hypothèque. Ce logement avait été financé grâce à un héritage du mari, de 800’000 francs, auxquels s’étaient ajoutés les acquêts du couple, à hauteur de 130’000 francs pour le mari, et de 70’000 francs pour son épouse. Cette dernière n’avait aucun bien propre. Au décès du mari, la liquidation du régime matrimonial attribue à la veuve la totalité des acquêts qui est donc de 200’000 francs (= CHF 130’000 + CHF 70’000). Les biens propres du mari de 800’000 francs constituent ainsi l’intégralité de la masse successorale à partager entre la veuve et les enfants. Selon le régime légal, le conjoint survivant a droit à la moitié soit 400’000 francs, et les enfants l’autre moitié. Au terme de la succession, la veuve peut prétendre à 600’000 francs (= CHF 200’000 + CHF 400’000) et ses enfants à 400’000 francs, comme on le voit dans le graphique ci-dessous :

Utiliser la quotité disponible

Dans cette configuration, si les enfants exigent leur part d’héritage, le conjoint survivant ne pourra sans doute pas conserver la maison, à moins qu’il ne parvienne à trouver les 400’000 francs revenant à ses enfants. Le couple aurait cependant pu favoriser plus encore le conjoint survivant lors du partage de la succession, en lui accordant la totalité de la quotité disponible, qui se monte à la moitié de l’héritage dans ce cas de figure (dès le 1er janvier prochain). Ainsi, le conjoint survivant bénéficiera de l’addition de sa part réservataire d’un quart à laquelle s’ajoutera la quotité disponible, de la moitié de la succession, lui donnant ainsi droit aux trois quarts. Il ne restera donc qu’un quart de l’héritage aux enfants, correspondant à leur réserve, qui est de la moitié de leur part légale

Respecter les parts réservataires de ses enfants

Si l’on reprend notre exemple, il ressort que la veuve aurait droit à 600’000 francs (= CHF 800’000 x 3/4) sur la succession contre 200’000 francs (= CHF 800’000 x 1/4) pour les enfants. Si l’on tient compte des acquêts reçus intégralement par la veuve, cette dernière pourrait prétendre à 800’000 francs au terme de la succession, comme on le voit ci-dessous :

Toutefois, pour conserver la maison, d’une valeur d’un million de francs, la veuve devrait tout de même trouver les 200’000 francs à verser à ses enfants pour respecter leurs parts réservataires. Dans cette perspective, il faudrait idéalement que le conjoint survivant ait conclu une assurance vie pour ce montant.

Nouvelle hypothèque ?

Toutefois, même si une telle couverture sous forme d’assurance vie n’existe pas, la veuve aurait une autre possibilité à disposition, à savoir souscrire une nouvelle hypothèque pour un montant de 200’000 francs, comme l’explique Pascal Vorlet, responsable de la planification financière auprès de la Banque Cantonale de Fribourg : « Étant donné que dans ce cas particulier la maison est libre de toute hypothèque, cette veuve devrait pouvoir facilement trouver un établissement bancaire pour lui accorder le prêt nécessaire. Sous réserve qu’elle réponde aux exigences de tenue des charges, qui doit être inférieure au tiers de son revenu. Concrètement, si l’on prend un taux d’intérêt théorique de 5%, cela se traduit par une charge d’intérêt de 10’000 francs (= 5% x CHF 200’000) par an, auxquels il faut rajouter les frais d’entretien, qui s’élèvent à 1% de la valeur du bien, soit 10’000 francs. Au total, ses charges théoriques se montent à 20’000 francs par an. Comme cette somme ne doit pas dépasser le tiers de son revenu, ce dernier doit s’élever à au moins 60’000 francs (= CHF 20’000 x 3) par an. »

Renoncement aux parts réservataires

Supposons que dans notre exemple, la veuve dispose d’un revenu insuffisant pour pouvoir souscrire une hypothèque permettant de respecter les parts de ses enfants. Ces derniers pourraient y renoncer afin de laisser leur mère continuer à vivre dans ses murs jusqu’à la fin de ses jours. Et attendre son décès pour hériter du logement. Cette solution a l’avantage de la simplicité. Mais elle a le défaut de remettre la totalité du patrimoine familial entre les mains du conjoint survivant, avec le risque que son bénéficiaire n’en fasse un usage imprudent et ne le dilapide, au point de n’en rien laisser à ses futurs héritiers. La question se poserait avec d’autant plus d’acuité en cas de remariage. L’entrée éventuelle en EMS constitue également un autre risque de consommation de la plus grande partie de son patrimoine au détriment de ses héritiers.

Legs d’usufruit selon l’article 473 CC

Il existe heureusement un autre moyen pour avantager le conjoint survivant tout en sauvegardant l’héritage : le legs d’usufruit que j’ai déjà longuement décrit dans le cadre de la révision du droit successoral, dans mon billet du 28 juin dernier. On sait que ce type de legs est limité par le respect des parts réservataires des autres héritiers, à moins qu’il ne s’agisse des enfants communs du couple. Dans ce cas, l’usufruit n’est pas contraint par les parts réservataires de ses enfants, comme le prévoit l’article 473 révisé du CC. Cette disposition permet au futur défunt d’attribuer au survivant l’usufruit de toute la part dévolue à leurs descendants communs et ce quel que soit l’usage fait de la quotité disponible, qui est de la moitié de la succession (dès le 1er janvier prochain). En d’autres termes, le futur défunt peut donc attribuer la moitié de la succession en pleine propriété et le reste sous forme d’usufruit sur l’autre moitié au conjoint survivant, laissant la nue-propriété aux descendants.

Charges de l’usufruitier/ère

Si le legs d’usufruit selon l’article 473 du CC s’avère très favorable pour le conjoint survivant, elle ne résout pas forcément le problème du financement, surtout si la maison était hypothéquée. Ce n’était pas notre hypothèse de départ, mais il vaut maintenant la peine de la considérer étant donné que c’est l’usufruitier/ère qui doit reprendre la dette : la capacité de tenue des charges sera donc calculée sur son revenu, comme pour la souscription d’une nouvelle hypothèque. Si le conjoint survivant répond à ces exigences, il devrait en principe être capable de prendre en charge les autres coûts liés au bien immobilier, soit non seulement les frais d’entretien courants, de chauffage et accessoires, ainsi que les assurances. À quoi s’ajouteraient les impôts sur la valeur fiscale du bien immobilier, ainsi que l’impôt sur la valeur locative ou sur les revenus qui en seraient tirés, au titre de l’impôt sur le revenu.

Droit d’habitation plutôt qu’usufruit

Au vu des charges qui sont liées à l’usufruit pour le conjoint survivant, il est possible que son budget, surtout s’il ne dispose que de modestes rentes de vieillesse, se révèle insuffisant pour y faire face. Une autre solution s’avère cependant disponible dans ce cas, sous la forme d’une donation par le conjoint survivant associée à un droit d’habitation en faveur de ses enfants. Ce régime permet de transférer la propriété au donataire – les enfants – et de libérer le donateur – la veuve – de toute charge de propriétaire, à l’exception des frais courants d’entretien, des frais de chauffage ainsi que des frais accessoires, mais en lui garantissant un droit personnel et incessible d’habiter le logement jusqu’à son décès, ainsi que, le cas échéant, des charges hypothécaires, reprises également par le donataire

Fiscalités cantonales

Sur le plan fiscal, la situation dépend des législations cantonales. En principe, les impôts sur la valeur fiscale du bien immobilier doivent être assumés par le donataire, comme le montre une petite enquête que j’ai menée sur ce sujet auprès des différentes administrations fiscales cantonales de Suisse romande. Sur la base des réponses reçues, c’est le cas dans le canton de Vaud, du Jura, de Neuchâtel et de Berne. Et apparemment également dans le canton de Fribourg, ainsi que me l’a indiqué Pascal Vorlet. Pour le Valais, je ne dispose pas de l’information. En revanche, le canton de Genève se distingue en cette matière, ainsi que le rapporte Caroline Michel, notaire à Genève, dans un article publié par Tout L’Immobilier du 31 décembre de l’année dernière : « Depuis un arrêt de la Chambre administrative de la Cour de Justice du 30 octobre 2018 (ATA/1161/2018), la Cour a opté pour l’assimilation du droit d’habitation au droit d’usufruit et confirmé la taxation de la fortune immobilière ainsi que celle de l’impôt immobilier complémentaire auprès du bénéficiaire du droit d’habitation. » Par ailleurs, le détenteur du droit d’habitation devra rajouter le montant de la valeur locative dans sa déclaration pour l’impôt sur le revenu, comme cela semble être le cas dans l’ensemble de la Suisse romande.

Risques particuliers du droit d’habitation

Si le droit d’habitation paraît avantageux pour son détenteur, il peut s’avérer lourd à porter pour les propriétaires dont le bien immobilier est grevé d’une telle servitude, en raison notamment du poids de ses charges, notamment hypothécaires. Quant au détenteur du droit d’habitation, s’il bénéficie d’un allègement substantiel de ses dépenses, il s’expose à un risque particulier. En effet, comme le détaille Pascal Vorlet : « Si les enfants qui sont propriétaires de la maison ont accordé le droit d’habitation à leur parent survivant, et qu’eux-mêmes font faillite, le bien immobilier, avec le droit d’habitation, est saisi et mis aux enchères. Si le bien est vendu, le nouvel acquéreur doit respecter le droit d’habitation. Rien ne change alors pour son bénéficiaire. En revanche, si la maison ne trouve pas preneur, elle est remise en vente, mais cette fois sans le droit d’habitation. Et si le bien est effectivement vendu, le parent survivant, qui se croyait à l’abri, perd son droit d’habitation et doit quitter le logement ! »

Couple sans enfant

Avant de terminer ce billet, il est intéressant de dire encore un mot concernant le décès au sein d’un couple sans enfant. Si la problématique du choix du régime matrimonial est identique, la succession dépend de ce que les parents du défunt sont eux-mêmes encore vivants au moment de son décès. Car le père et la mère sont des héritiers légaux du conjoint défunt lorsque ce dernier n’a pas eu d’enfant, à hauteur d’un quart pour les deux parents et leurs descendants contre trois quarts pour le conjoint survivant. On peut par ailleurs rappeler que dès le 1er janvier prochain, les parents n’auront plus aucune part réservataire à faire valoir, contrairement à la loi actuelle, où cette part s’élève à la moitié de leur part légale, soit un huitième de la succession. Pour se protéger mutuellement, les conjoints sans enfant doivent donc prévoir par testament que le survivant bénéficiera de la totalité de la succession, constituée de sa part réservataire de trois huitièmes (= ¾ x ½), mais également de la quotité disponible de cinq huitièmes (= 1 – 3/8), comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous  :

Legs d’usufruit en faveur du conjoint survivant selon le nouveau droit successoral

Après avoir traité de la modification des parts réservataires dans la révision de la loi sur les successions dans mon billet du 11 mai dernier, et qui entrera en vigueur dès le 1er janvier de l’année prochaine, je vais me pencher sur un point plus technique. En l’occurrence la modification de l’article 473 du Code civil (CC) – le fameux, comme le disent certains professionnels car très controversé –, qui porte sur le legs d’usufruit au conjoint survivant. Le message du Conseil fédéral (CF) du 29 août 2018 indique ainsi : « Le droit actuel permet de laisser au conjoint survivant l’usufruit de toute la part successorale dévolue aux enfants. Cet usufruit tient lieu du droit de succession légal du conjoint survivant en concours avec ces descendants. Ces derniers héritent ainsi de la nue-propriété de leur part successorale, grevée d’un usufruit en faveur du parent. Outre cet usufruit, la quotité disponible est d’un quart de la succession. »

Qu’est-ce qu’un legs ?

Avant d’examiner la version révisée de cet article, il est sans doute nécessaire pour une bonne partie des lecteurs d’éclaircir les notions qui lui sont liées. Tout d’abord, il faut préciser qu’il s’agit d’un legs, le légataire – son bénéficiaire – est restreint à ce droit déterminé, contrairement à l’héritier, dont le droit s’étend à tout ou partie de la succession, y compris les dettes. On précisera qu’on peut être à la fois légataire, c’est-à-dire bénéficiaire du legs, et héritier par ailleurs.

Qu’est-ce qu’un legs d’usufruit ?

Le legs d’usufruit est donc un legs particulier qui consiste à démembrer en quelque sorte le droit de la propriété d’un objet, généralement un bien immobilier au décès du testateur, c’est-à-dire celui qui l’a inscrit dans son testament. Cette opération revient ainsi à partager le droit de propriété en, d’une part, un droit de jouissance et d’usage, qui est le droit pour l’usufruitier (par exemple, le conjoint survivant) d’habiter ou de louer à un tiers, et d’autre part, la nue-propriété qui revient aux nus-propriétaires (par exemple, les descendants). Les nus-propriétaires acquièrent la pleine propriété à la fin de l’usufruit, en principe au décès de l’usufruitier.

Lésion des parts réservataires ?

 Dans le cas où le legs d’usufruit est attribué au conjoint survivant et la nue-propriété aux enfants, ce partage peut s’avérer défavorable à ces derniers, en empiétant sur leurs parts réservataires. Avec la diminution de la part réservataire des enfants inscrite dans la loi révisée d’ici à quelques mois, ce risque va être réduit. Il subsistera toutefois, surtout si l’héritage est essentiellement constitué du logement familial et que le conjoint survivant est encore jeune. Les descendants ne pourront cependant pas intenter d’action en réduction contre leur parent survivant en raison même de l’article 473 du Code civil. Sous réserve qu’il s’agisse bien d’enfants communs et que le conjoint survivant ne se remarie pas. On peut développer ces différents points, qui existent déjà dans le droit actuel, mais il paraît plus judicieux de le faire dans la version révisée de cet article, en se basant notamment sur les exemples fournis dans le message du Conseil fédéral.

Article 473 nouveau

Dans sa nouvelle mouture, valable dès le 1er janvier prochain, l’article 473 du CC, prévoit ainsi que le futur défunt peut, par disposition pour cause de mort, laisser à son conjoint survivant l’usufruit de toute la part dévolue à leurs descendants communs. Et ce quel que soit l’usage de la quotité disponible. En d’autres termes, si le testateur veut favoriser au maximum son conjoint, il peut lui accorder non seulement la totalité de la quotité disponible, soit la moitié de la succession, mais aussi l’usufruit sur l’autre moitié, correspondant à la part de leurs enfants communs. Comme le précise le message du CF, l’article 473 du CC n’affecte cependant pas la réserve du conjoint survivant. Ce dernier conserve donc son droit de faire valoir sa réserve en pleine propriété en lieu et place de l’usufruit selon l’article 473. Toutefois, s’il accepte l’usufruit, il renonce à sa réserve.

Action en réduction contre le conjoint survivant ?

De leur côté, les enfants communs auront chacun droit à une part égale de la nue-propriété du ou des biens en usufruit durant la vie du conjoint survivant. Au décès du conjoint, ils en recevront la pleine propriété, comme le prescrit l’article 749, alinéa 1 du CC. Mais, comme dans la loi actuelle, ces enfants communs seront empêchés de toute possibilité d’intenter une action en réduction contre le légataire, à savoir le conjoint survivant, contrairement à des enfants non communs ou en cas de remariage du conjoint survivant. Pour être concret, je vais prendre des exemples, à commencer par celui qui est présenté dans le message du CF pour un couple dont les enfants sont tous communs.

Enfants communs uniquement

Le CF présente ainsi un couple dont le mari décède et laisse son épouse de 65 ans et leurs deux enfants communs. La succession se monte à 600’000 francs. Le défunt a favorisé son épouse en lui attribuant la moitié de la succession en pleine propriété et le reste en usufruit. L’article 473 du CC peut s’appliquer tel quel : la moitié de la succession, soit 300’000 francs (= CHF 600’000 / 2) revient à la veuve, tandis que les 300’000 francs vont faire l’objet de l’usufruit, dont la valeur capitalisée reviendra à la veuve et la nue-propriété aux enfants, à parts égales pour chacun d’eux.

Dans son message, le CF s’arrête là, sans préciser si les parts réservataires des enfants communs sont lésées ou pas, et de combien. A priori, la réponse ne présente guère d’intérêt puisque les enfants ne peuvent intenter d’action en réduction contre le conjoint survivant. Sauf s’il se remarie. On va donc développer cet exemple pour déterminer tout d’abord s’il y a lésion des parts réservataires des enfants – ce qui est le cas ici –, puis la manière dont une action en réduction pourrait corriger ce phénomène.

Valeur capitalisée de l’usufruit et nue-propriété

Pour déterminer si les parts réservataires des enfants sont éventuellement lésées, il est nécessaire d’établir la valeur de l’usufruit et celle de la nue-propriété. Pour y parvenir, on va tout d’abord calculer la valeur capitalisée de l’usufruit (VCU), qui est la valeur de l’accumulation de l’usufruit jusqu’à son terme. La VCU dépend, d’une part, du rendement annuel net de l’objet de l’usufruit et, d’autre part, de la durée présumable de ce dernier. C’est la raison pour laquelle, cette valeur va être calculée en prenant en compte la valeur du bien soumis à l’usufruit, son rendement annuel, et un coefficient de capitalisation. Ce dernier sera lui-même déterminé par le sexe et l’âge de l’usufruitier ainsi que le taux de rendement du bien faisant l’objet de l’usufruit.

Dans cet exemple, la valeur du bien soumis à usufruit est de 300’000 francs, tandis que le taux de rendement actuel est fixé à 3,5% et le coefficient de capitalisation est de 16,28 pour une femme de 65 ans. La VCU est donc de 170’940 francs :

Cette VCU permet d’obtenir immédiatement la valeur de la nue-propriété, puisque c’est la différence entre la valeur du bien sous usufruit et celle de la VCU. Soit 129’060 francs :

Comme il y a deux enfants, chacun d’eux reçoit la moitié de cette nue-propriété, soit 64’530 francs (= CHF 129’060 / 2). On constate toutefois que leur réserve héréditaire se monte à 75’000 francs (= CHF 600’000 x 1/4 x 1/2) : les enfants sont donc lésés à hauteur de 10’470 francs (= CHF 75’000 – CHF 64’530), comme on peut le représenter graphiquement :

 

 

Mais, en vertu de l’article 473 du CC, les enfants ne pourront pas intenter d’action en réduction contre leur mère, ils devront attendre son décès pour recouvrer la pleine propriété du bien soumis à l’usufruit. Toutefois, la situation changera si la mère se remarie.

Remariage de l’usufruitier

Le message du CF ne contient pas d’exemple de l’effet du remariage de l’usufruitier dans le cadre de l’article 473 du CC. C’est la raison pour laquelle, j’ai dû le créer, en

Florence Guillaume

m’appuyant sur la démarche présentée par Florence Guillaume, professeure ordinaire à la Faculté de droit de l’Université de Neuchâtel et auteure d’un cours sur le droit des successions en ligne et librement accessible, d’une très haute qualité pédagogique. Ce support, composé de tutoriels, sera mis à jour à fin septembre pour tenir compte de la révision du droit des successions. La professeure Guillaume a par ailleurs accepté de valider l’exemple sur le remariage du conjoint survivant usufruitier que je présente ci-dessous.

En cas de remariage du conjoint survivant, la protection de celui-ci contre l’action en réduction des enfants communs tombe. La loi prévoit que le conjoint survivant qui se remarie doit se retrouver dans la situation qui aurait été la sienne si son précédent conjoint n’avait pas porté atteinte aux réserves héréditaires de leurs enfants en le favorisant au moyen d’un usufruit. Les enfants communs récupèrent donc l’entier de leurs droits réservataires. Si ces derniers intentent une action en réduction contre leur parent, il y a deux solutions : soit le conjoint survivant leur verse une indemnité correspondant à la différence entre la part réservataire de chacun des deux enfants, qu’on appelle soulte. Soit, dans notre exemple 10’470 francs :

Comme il y a deux enfants, le conjoint remarié devra verser 20’940 francs (= CHF 10’470 x 2). Mais il y a un autre moyen pour couvrir les parts réservataires des enfants, surtout si le conjoint survivant n’a pas de liquidités disponibles pour verser la soulte à ses enfants. Il s’agit de réduire l’usufruit pour dégager un montant en pleine propriété pour faire l’appoint. Toute la question est de savoir de combien. En d’autres termes, il faut calculer la VCU maximale permettant le respect des parts réservataires des enfants.

Pour déterminer cette valeur, on considère tout d’abord le montant que le conjoint survivant recevra en pleine propriété, en application de l’article 473 du CC, qui est toujours de 300’000 francs dans cet exemple. Ensuite, on déduit sur l’autre moitié la part réservataire des deux enfants, qui sera d’un quart de la succession (composée d’un patrimoine de 600’00 francs), soit 150’000 francs (= CHF 600’000 / 4). La différence de 150’000 francs constituera donc la VCU maximale avant que l’usufruitier n’empiète sur les parts réservataires des enfants :

Cette VCU maximale de 150’000 francs nous permet ensuite d’obtenir la part du bien soumis à l’usufruit selon la formule suivante, soit 263’250 francs :

La réduction de la part du bien soumise à usufruit entraîne l’augmentation de la pleine propriété de la masse successorale, qui passe ainsi de 300’000 francs à 336’750 francs (= CHF 600’000 – CHF 263’250). Par ailleurs, la valeur de la nue-propriété va également reculer, à hauteur de 113’250 francs :

Comme la part réservataire des enfants est de 150’000 francs, ils ont droit, en sus, à une part en copropriété de 36’750 francs :

Donc, au bout du compte, le conjoint survivant bénéficie de l’usufruit pour une VCU de 150’000 francs, à quoi s’ajoute une part en pleine propriété de 300’000 francs. Le montant de 36’750 francs restant en pleine propriété revient aux enfants, soit à hauteur de 18’375 francs (= CHF 36’750 / 2) pour chacun, qui compléteront la moitié de la valeur de nue-propriété réduite, soit 56’625 francs (= CHF 113’250 / 2). Finalement, leur réserve héréditaire sera respectée, à hauteur de 75’000 francs (= CHF 56’625 + CHF18’375), comme on peut le représenter graphiquement.

 

 

Enfants non communs

En présence d’enfants non communs, la règle se complique quelque peu. Le message du CF propose ainsi l’exemple suivant, avec deux enfants communs et un troisième issu d’un précédent mariage du défunt. Chaque enfant a droit à une part réservataire d’une demi de sa part successoralE, soit un quart (= 1/2 x 1/2). Comme la masse successorale est de 600’000 francs, la part réservataire des enfants se monte à  150’000 francs (= CHF 600’000 / 4), soit 50’000 francs par enfant (= CHF 150’000 / 3). Dans ce cas, il faut dissocier le partage successoral des enfants en deux groupes : celui des enfants communs et celui de l’enfant non commun, de manière proportionnelle au nombre d’héritiers. Ainsi, la masse successorale à partager entre la veuve et ses deux enfants sera de 400’000 francs (= CHF 600’000 x 2/3) et de 200’000 francs (= CHF 600’000 x 1/3) entre la veuve et l’enfant de son mari.

Commençons par la répartition entre la veuve et ses enfants, sur laquelle on peut appliquer l’article 473 du CC. Soit la moitié en pleine propriété pour la veuve, soit 200’000 francs (= CHF 400’000 / 2) et la VCU sur l’autre moitié, soit 113’960 francs :

Quant à la nue-propriété des enfants communs, elle s’élève à 86’040 francs :

Soit par enfant, 43’020 francs (= CHF 86’040 / 2). La réserve de 50’000 francs par enfant est lésée, mais ne peut faire l’objet d’une action en réduction en vertu de l’article 473 du CC.

En revanche, l’enfant non commun peut réclamer une indemnisation si sa réserve de 50’000 francs n’est pas respectée. Ce qui est le cas dans cet exemple avec un usufruit portant sur 100’000 francs : la nue-propriété est insuffisante pour couvrir sa réserve, avec un manque de 6’980 francs (= CHF 50’000 – CHF 43’020).

Pour respecter la réserve, il faut donc diminuer la part de l’usufruit de l’enfant non commun pour ramener sa valeur capitalisée à la même valeur, soit 50’000 francs, On peut faire le calcul avec la formule suivante, soit 87’750 francs :

L’usufruit maximal ne peut donc porter que jusqu’à 87’750 francs pour le partage entre la veuve et l’enfant non commun du conjoint décédé. La nue-propriété revenant à l’enfant s’élève ainsi à 37’750 francs :

Au total, la veuve touchera toujours 300’000 francs en pleine propriété, tandis qu’elle aura droit à un usufruit sur 287’750 francs (= CHF 200’000 + CHF 87’750), pour une VCU de 163’960 francs (= CHF 113’960 + CHF 50’000). De son côté, l’héritier non commun aura droit à une nue-propriété sur 87’750 francs, soit une valeur de 37’750 francs, à laquelle s’ajoutera 12’250 francs en pleine propriété, lui permettant d’atteindre sa réserve de 50’000 francs. Pour les deux enfants communs, leur part d’héritage ne change pas, et correspond toujours à une valeur de nue-propriété de 43’020 francs chacun, comme on peut le voir dans le graphique suivant :

Comment se préparer à la révision du droit des successions

Dès le 1er janvier de l’année prochaine entrera en vigueur la première partie de la révision du droit des successions qui va donner plus de liberté pour choisir ses héritiers, parallèlement à d’autres mesures moins fondamentales et à l’éclaircissement d’un certain nombre de points techniques. Dans cette perspective, je vais consacrer une série d’articles pour les décrire dans les grandes lignes au cours de ces prochains mois, en recourant notamment au message du Conseil fédéral, publié le 29 août 2018, qui fournit moult exemples.

Parentèles et conjoint survivant

Dans ce premier billet, on se concentrera sur cette liberté étendue du testateur, c’est-à-dire celui qui s’apprête à coucher ses dernières volontés dans un testament. Mais avant d’aller plus loin, il est nécessaire de procéder au rappel de quelques notions élémentaires sur l’organisation de la succession. Considérons tout d’abord l’ordre légal, c’est-à-dire celui qui intervient si le défunt n’a laissé aucun testament. Pour savoir qui peut hériter du défunt, il faut établir les liens de parenté avec ce dernier. Le Code civil distingue trois niveaux de parentèles, c’est-à-dire de personnes apparentées au défunt : la première englobe tous ses descendants ; la deuxième comprend son père et sa mère et leurs descendants qui n’appartiennent pas à la première parentèle ; la troisième parentèle intègre les grands-parents et leurs descendants qui ne font pas partie des deux autres parentèles. Par ailleurs, il faut considérer le ou la conjoint(e) du défunt ou partenaire enregistré, qui sera toujours héritier(ère).

Arbre généalogique

Pour y voir plus clair, on peut s’aider de l’arbre généalogique ci-dessous, tiré de mon dernier ouvrage, « Comment financer sa retraite », publié en 2020. Pour faciliter la compréhension, on a distingué les parentèles par l’intensité de la couleur qui leur est appliquée : la plus foncée est réservée aux descendants du défunt (1re parentèle) ; la teinte moyenne est attribuée à son père et à sa mère, ainsi qu’à ses frères et sœurs et à leurs descendants (2e parentèle) ; enfin, la coloration la plus claire est assignée aux grands-parents paternels et maternels et à leurs descendants qui ne font pas partie des deux autres parentèles (3e parentèle).

Priorité de la parentèle sur la suivante

Cet ordre légal est soumis à une règle de base, à savoir la priorité de la première parentèle sur la suivante : les descendants ont ainsi toujours préséance sur la parentèle du père et mère du défunt, de même que cette dernière a priorité sur la parentèle des grands-parents. Cette priorité est absolue dans la mesure où il n’y a aucun partage entre la parentèle la plus proche et la suivante. Par exemple, les enfants ont toujours priorité sur les parents du défunt.

Conjoint survivant ou partenaire enregistré et parentèles

Les choses se compliquent quelque peu lorsque le défunt laisse un ou une conjoint(e) ou un partenaire enregistré, qui participe toujours à la succession. Cette participation s’avère croissante au fur et à mesure de l’éloignement des parentèles. Ainsi, il ou elle touche la moitié de la succession en présence d’héritiers de la première parentèle, les trois quarts avec la deuxième parentèle et la totalité lorsqu’il n’y a que des héritiers de la troisième parentèle. Dans ce cas, les grands-parents sont exclus de la succession.

Cas concrets

Pour illustrer notre propos, prenons le cas d’un homme qui décède en laissant une épouse, deux filles et un fils. Dans ce cas, la veuve a droit à la moitié de la succession, tandis que l’autre moitié est transmise à ses deux filles et à son fils, qui constituent la première parentèle, à hauteur d’un sixième (= 1/2 / 3) chacun, comme on le voit dans la représentation graphique ci-dessous :

Comme exemple d’un partage entre le conjoint survivant et des héritiers de la deuxième parentèle, prenons le cas d’un homme marié, qui était fils unique, sans enfant, mais qui avait encore sa mère, qui fait donc partie de la deuxième parentèle. Dans ce cas, les trois quarts de la succession sont attribués à sa veuve et le quart restant revient respectivement à sa mère survivante à hauteur d’un huitième (=1/4 / 2), et à sœur pour l’autre huitième, hérité de la part de son père prédécédé, comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous :

 

Parts réservataires

L’ordre légal n’est toutefois pas figé mais peut être corrigé. En effet, le législateur donne à celui qui prépare sa succession une certaine latitude pour attribuer son héritage selon ses préférences. Mais il est limité par l’existence de parts dites réservataires qui reviennent à certains héritiers légaux. La fraction non couverte par les parts réservataires est appelée quotité disponible. Or, c’est justement l’objet de la révision. Ainsi, jusqu’au 31 décembre de cette année, trois catégories d’héritiers légaux bénéficient de parts réservataires : le conjoint ou le partenaire enregistré survivant a droit à au moins la moitié de sa part légale ; les descendants ont droit aux trois quarts de leur part légale ; les parents du défunt disposent  quant à eux d’une réserve de moitié de leur part légale à condition que leur enfant n’ait pas eu de descendance. Mais dès l’année prochaine, la part réservataire des descendants va être ramenée à la moitié, tandis que celle des parents sera supprimée.

Descendants seuls héritiers légaux

Pour être plus concret, représentons ce changement sous forme graphique, en commençant par visualiser l’état des lieux lorsque les descendants sont les seuls héritiers légaux, avec une part réservataire des trois quarts jusqu’au 31 décembre 2022. Dès le 1er janvier 2023, cette part sera réduite à la moitié, faisant passer la quotité disponible d’un quart à la moitié.

 

Conjoint survivant seul héritier légal

Dans ce cas de figure, le défunt était marié ou en partenariat enregistré, mais n’avait pas de descendants, plus de parents et ni frères ni sœurs. La part légale du conjoint survivant est donc de 100%, sur laquelle s’applique sa part réservataire de 50%, laissant une quotité disponible de 50%. Et rien ne changera en 2023.

 

Père ou mère seuls héritiers légaux

Dans ce cas, le père ou la mère sont seuls héritiers légaux à condition qu’il n’y ait ni conjoint survivant, ni descendants, ni frères et sœurs (si l’un des parents est prédécédé), avec une part légale de 100%. Jusqu’à la fin de l’année 2022, leur réserve héréditaire est de moitié. Mais elle sera supprimée dès le 1er janvier 2023, pour faire passer la quotité disponible de 50% à 100%.

Conjoint survivant avec descendant(s)

Dans la loi actuelle, comme le conjoint survivant a une réserve de moitié et les descendants des trois quarts, leurs parts réservataires sont respectivement d’un quart et de trois huitièmes. Mais, étant donné que la réserve des descendants sera réduite au même niveau que celle du conjoint dès le 1er janvier 2023, les deux catégories auront la même part réservataire d’un quart (= 1/2 x 1/2), faisant passer la quotité disponible de trois huitièmes à la moitié.

Conjoint survivant avec père ou mère survivant(s)

Le conjoint survivant ou partenaire enregistré d’un défunt sans descendance a une part successorale de trois quarts contre un quart pour le père ou la mère survivant(s). Étant donné que le veuf ou la veuve a droit à une part réservataire de moitié, cette dernière se monte donc à trois huitième (= 3/4 x 1/2), tandis que le père ou la mère survivant, qui disposent d’une réserve de moitié dans la loi actuelle, ont droit à une part réservataire d’un huitième, laissant une quotité disponible de moitié. Mais, avec la disparition au 1er janvier 2023 de la réserve des parents, la quotité disponible passera de la moitié à cinq huitièmes (= 1 – 3/8).

Fiscalité sur les concubin(e)s toujours aussi lourde

Si la réforme permet à un couple de concubin(e)s de se favoriser mutuellement en pouvant exploiter au maximum la quotité disponible d’une demie en présence de descendants du défunt, cela ne résout que partiellement le problème. En effet, la révision ne touche pas aux questions fiscales, qui relèvent dans ce domaine exclusivement du canton, voire de la commune du domicile de l’héritier, à l’exception des biens immobiliers dont l’impôt est prélevé par le fisc de leur emplacement.

Cas pratique

On peut le montrer en prenant l’exemple d’un homme domicilié à Lausanne, qui vit en concubinage. Il a eu deux enfants d’une union précédente et possède un patrimoine d’un million de francs, y compris un bien immobilier dans la capitale vaudoise. S’il décède cette année encore, cet homme ne peut transmettre au maximum qu’un quart de ses biens à sa concubine, soit 250’000 francs, en utilisant toute la quotité disponible. Montant sur lequel elle devra régler un impôt sur les successions de 50%, soit 125’000 francs. Si le décès survient l’année prochaine, le testateur pourra utiliser la moitié de la quotité disponible, soit 500’000 francs, au profit de sa concubine, mais cette dernière devra payer proportionnellement toujours autant d’impôt, à un taux de 50%, soit 250’000 francs, comme on le voit dans le graphique ci-dessous :

Durée du concubinage parfois pris en compte

On relèvera que certains cantons en Suisse romande ont non seulement la main moins lourde que le fisc vaudois ou genevois, qui détient la palme en la matière, mais tiennent compte également de la durée du concubinage, pour en réduire l’imposition. C’est le cas à Fribourg, Neuchâtel et le Jura. On pourra estimer immédiatement cette charge fiscale pour n’importe quel lieu en Suisse, grâce au calculateur en ligne de la Confédération.

Comment calculer les parts réservataires d’une succession en quelques clics

Lorsqu’on envisage sa succession, ou que l’on est susceptible d’être bénéficiaire de l’héritage de l’un de ses proches, il n’est pas forcément évident de savoir comment la répartition des biens va s’organiser au décès. D’autant plus qu’outre les règles du partage légal viennent s’ajouter celles qui concernent les parts réservataires, c’est-à-dire celle qui sont incompressibles pour certains des héritiers légaux. Pour avoir un aperçu du processus de la succession, y compris la liquidation du régime matrimonial, on peut consulter l’article que j’avais écrit dans le journal qui héberge ce blog le 19 août 2017.

Calculateur en ligne

Mais cette brève présentation trouve rapidement ses limites pour un néophyte dès que les cas se complexifient quelque peu. Le premier réflexe serait de s’adresser à un notaire. Ce qui est parfaitement justifié dans les situations plus embrouillées ou délicates, par exemple lorsque les héritiers potentiels s’entendent mal, qu’il s’agit de familles recomposées ou en cas de donations. Toutefois, dans un premier temps, pour se familiariser avec les règles de base en matière de partage successoral, on peut recourir au calculateur très efficace et proposé en libre accès par la société Logismata sur le site de Retraites Populaires qui permet d’aller directement au résultat. Trois cas de figure sont considérés : une personne seule, un couple marié, un couple de concubin(e)s, avec pour héritiers les enfants et/ou le père et/ou la mère du défunt, et/ou le partenaire pour les couples.

Couple sans enfant, mais parents survivants

Prenons par exemple le cas d’un couple marié dont l’un des conjoints décède. Le simulateur suppose qu’ils étaient unis sous le régime de la participation aux acquêts, qui est de loin le plus courant. En réalité, comme ce calculateur n’intervient qu’après la liquidation du régime matrimonial, cette précision paraît superflue, puisqu’il s’applique indifféremment aux trois régimes légaux, soit la participation aux acquêts, la séparation de biens ou la communauté de biens. On part de l’hypothèse que la masse successorale s’élève à 500’000 francs, que le défunt n’avait pas eu d’enfant, mais qu’il avait encore son père et sa mère. Qu’adviendrait-il de l’héritage en l’absence de testament ? Il suffit de remplir les cases, soit : couple marié, le montant du patrimoine successoral, les survivants, en l’occurrence le veuf ou la veuve – baptisé un peu maladroitement « partenaire » – ainsi que le père et la mère du défunt. On obtient ainsi automatiquement la réponse : trois quarts pour le conjoint survivant, soit 375’000 francs (= 75% x 400’000) et un huitième pour chacun des deux parents, soit 62’500 francs (= 12,5% x 400’000), comme on le voit ci-dessous.

Parts réservataires

Ce résultat peut surprendre le conjoint survivant de ce couple sans enfant qui imaginait peut-être conserver la totalité de l’héritage. Toutefois, la prétention des parents du défunt peut être réduite par le biais d’un testament. Mais pas complètement. Pour savoir jusqu’à combien, il suffit de cliquer sur « Parts réservataires », pour voir apparaître les parts réservataires respectives des héritiers légaux. Tout d’abord, celle du conjoint survivant, à hauteur de la moitié de sa part légale, soit 187’500 (= 50% x 375’000), puis celle du père et de la mère, qui s’élève à la moitié de leur part légale, soit 31’250 (= 50% x 62’500). Au total, les parts réservataires représentent la moitié de la succession à hauteur de 250’000 francs (= 187’500 + 2 x 31’250), laissant l’autre moitié libre – qu’on appelle quotité disponible – pour favoriser le conjoint survivant, ou qui que ce soit d’autre, comme on le voit dans le graphique ci-dessous.

Finalement, si le défunt avait laissé la totalité de la quotité disponible à son conjoint, ce dernier aurait pu hériter de 437’500 francs (= 187’500 + 250’000), soit, 87,5% de la masse successorale, contre 62’500 francs pour les deux parents, soit 12,5%.

Révision du droit des successions en 2023

On notera que la réserve héréditaire pour les parents survivants disparaîtra dès le 1er janvier 2023, dans le cadre de la révision du droit des successions, parallèlement à la réduction de la part réservataire des enfants. Cette dernière  passera des trois quarts à la moitié. En revanche, celle du conjoint ou du partenaire restera inchangée. L’idée étant de donner plus de latitude à celui ou celle qui rédige un testament pour favoriser l’un ou l’autre de ses héritiers, et en particulier son concubin ou sa concubine.