Après l’échec en 2017 de Prévoyance 2020, qui prévoyait de réformer simultanément l’AVS et la prévoyance professionnelle, ce sujet va prochainement revenir sous les feux de l’actualité. En effet, notre nouveau parlement devra se pencher sur le projet du Conseil fédéral pour réformer l’AVS, sous le titre AVS 21. Quant au 2e pilier, il n’a pas été oublié. Le Conseil fédéral a ainsi chargé les partenaires sociaux de lui concocter des propositions pour moderniser la prévoyance professionnelle. C’est ainsi qu’en juillet dernier, l’Union patronale suisse, l’Union syndicale suisse et Travail Suisse sont parvenus à un compromis, qu’ils ont présenté à Alain Berset, en l’invitant à élaborer un projet de loi dans ce sens. Le Conseil fédéral ne s’est pour l’instant pas exprimé sur son contenu.
S’adapter à l’évolution de la société
On pourrait d’ores et déjà débattre des chances de ces différents projets d’aboutir, mais on aura encore largement le temps d’y revenir lorsque les enjeux se préciseront. En revanche, il peut être judicieux d’essayer de se projeter dans un avenir plus lointain pour imaginer la forme que pourrait prendre notre système de prévoyance, pour s’adapter à l’évolution de notre société. Dans cette perspective, on pourra écouter avec intérêts les échanges d’un Café scientifique intitulé « Quelles réformes pour nos vieilles retraites », qui s’est tenu en public à l’Université de Neuchâtel le 20 novembre dernier. Manifestation qui a réuni des spécialistes dans différents domaines de la prévoyance, et que j’ai eu le privilège de modérer.
Réformes à court et long terme
Tous les participants à la table ronde s’accordaient sur la nécessité de procéder à des réformes en raison du vieillissement démographique et de la chute des rendements sur les marchés financiers. Mais la discussion a rapidement porté sur la difficulté de notre système de prévoyance à s’adapter à la transformation de l’environnement social et des comportements individuels. Si l’on part de la situation actuelle, et en comparaison internationale, la Suisse semble ainsi faire preuve d’un certain immobilisme, commente Ivan Guidotti, responsable des investissements chez XO Investissements et chargé d’enseignement à l’Université de Neuchâtel : « On a un bon système, mais on tarde à faire les réformes nécessaires, notamment pour s’adapter à l’évolution de la société, par exemple l’accroissement du nombre d’indépendants et d’emplois à temps partiel. »
Législation basée sur le modèle de société des années cinquante
Anne-Sylvie Dupont, professeure en droit de la sécurité sociale à l’Université de Neuchâtel et de Genève, se projette sur la longue durée : « La législation actuelle repose sur le modèle de société des années cinquante, avec quelques postulats de départ comme l’éternelle dépendance économique de la femme à l’égard de l’homme. Ce qui doit évoluer. Il faudrait ainsi qu’on prépare le système de prévoyance des personnes qui prendront leur retraite dans 25 ans, dans la perspective d’un monde différent du nôtre, avec des carrières discontinues, des créations de startups, des faillites, des mariages multiples et des familles recomposées. On réforme toujours le droit de la prévoyance dix ans après les besoins. On pourrait peut-être le faire avec dix ans d’avance ! On devrait par exemple flexibiliser l’âge de départ à la retraite ou encore détacher complètement cette problématique du sexe de la personne. On devrait également réfléchir à individualiser les droits aux prestations de retraite selon son état de santé, selon son parcours de vie, ses difficultés personnelles familiales, etc. »
Modifier la fiscalité pour encourager le travail au-delà de l’âge de la retraite
Allant dans le même sens, Isabelle Amschwand, présidente du Conseil de la Fondation Collective Trianon déplore : « On se focalise sur les paramètres techniques, tel le taux de conversion, même s’ils sont primordiaux, mais sans prendre en compte de l’évolution de notre société. Il est aussi important et urgent pour les générations qui vont nous suivre d’avoir la vision la plus globale de la transformation de la société, que ce soit en regard de l’évolution des carrières professionnelles, avec l’individualisation du travail et la montée du nombre d’indépendants. Sans oublier les changements dans l’organisation des familles, où la vie commune de 20 à 90 ans devient plutôt une exception ! »
Sur l’âge de la retraite, notre spécialiste milite également pour qu’on renonce à associer de manière rigide la retraite à l’âge, car il n’y a pas l’avant et l’après : « On pourrait ainsi encourager les gens à travailler plus longtemps par le biais de la fiscalité, avec la possibilité de différer par exemple la retraite au-delà de 70 ans, pour éviter de cumuler une rente de vieillesse avec un salaire. Sinon, pour des raisons fiscales, les personnes prêtes à prolonger leur activité professionnelle n’y trouvent aucun intérêt. »
Réduire les attentes de prestations ?
Guy Longchamp, avocat et chargé d’enseignement en droit des assurances sociales à l’Université de Neuchâtel, partage sans doute un peu moins cet enthousiasme quant aux grandes réformes à entreprendre pour flexibiliser notre système de prévoyance. Non pas qu’il serait opposé à le mettre en adéquation avec l’évolution de la société, mais en posant une condition : « Il faut abandonner tout a priori en matière de maintien du niveau des rentes. Considérons par exemple la situation d’étudiants qui commencent à travailler à 28 ans, avec des emplois mal rémunérés, impliquant des cotisations sociales minimales. On peut imaginer qu’il sera difficile de leur verser des rentes de vieillesse aussi élevées lorsqu’ils auront 65 ans que celles que touche la génération qui part en retraite aujourd’hui. Car celle-ci n’a jamais connu le chômage et a pu compter sur des augmentations de salaires régulières. »
Incohérence des politiques sociales
Anne-Sylvie Dupont pointe par ailleurs les incohérences des politiques sociales, en tout cas en Suisse romande : « A titre d’exemple, on incite les personnes âgées à rester à la maison pour éviter le plus possible le placement en EMS. Heureusement, une partie des soins à domicile est financée par l’assurance-maladie, mais la prise en charge par les proches n’est pas récompensée. Il existe bien les bonifications pour tâches d’assistance de l’AVS, mais les prestations sont conditionnelles et ridicules. Ce n’est pas donc pas logique si l’on veut maintenir les gens à domicile. »
Un système très cloisonné et aux intérêts divergents
Là encore, Guy Longchamp fait part de son accord sur de tels constats. Mais se montre à nouveau plus que sceptique sur la manière d’améliorer rapidement la situation : « Il faut rappeler le caractère très cloisonné de notre système de protection sociale, puisque l’on ne compte pas moins de dix branches d’assurance, aux intérêts divergents. Par exemple, en cas d’accident d’un salarié, la caisse de pension préférera que l’AI, les prestations complémentaires ou l’assurance accidents règlent l’incapacité de gain. Quant au fisc, pensez-vous vraiment qu’il raisonne dans les mêmes termes que l’institution de prévoyance ? En fait, il se positionne de manière exactement inverse. Idéalement, on devrait tendre à la mise sur pied d’un système de sécurité sociale plus simple, qui soit complet et global. Mais on n’est pas parti dans ce sens ! »
Cher Monsieur,
Je vous lis avec intérêt. Tout le monde est d’accord que le système suisse de la prévoyance retraite est plutôt assez bon mais trop “complexe”, les améliorations ne seraient-elles pas dans la simplification, comme suit:
1. AVS : Le système du 1er pilier solidaire est bon, mais les cotisations AVS devraient seules intégralement financer les rentes AVS comme cela tout est clair (si les cotisations doivent montent c’est qu’il n’y a pas assez de cotisants pour financer le montant des rentes promises, donc on peut pousser à travailler plus longtemps ou plus d’heures journalières…). Faire financer partiellement l’AVS par la TVA (et faire monter la TVA), c’est un mauvais mélange de genre (c’est continuer avec des montres de grande complexité mécanique alors que nous sommes dans l’ère de la digitalisation!).
2. LPP: La loi devrait déterminer une cotisation minimale LPP (le taux minimal et paritaire étant le même de 25 à 70 ans par exemple, ce qui rendrait l’engagement des seniors plus attractifs). Le salarié devrait pouvoir aussi choisir lui-même sa caisse de pension (s’il souhaite mettre son argent LPP dans une allocation plus risquée c’est son choix personnel), tandis que l’entreprise devrait maintenir la possibilité d’offrir des packages salariaux avec caisse de retraite attractive). Par contre il faut exiger des caisses un degré de couverture de 100% (le processus de recapitalisation de caisses publiques via des fonds publics est inéquitable). On peut choisir sa banque…. mais pas sa caisse de pension, allez comprendre ?
Bonne journée
Cher Monsieur,
Merci pour votre commentaire, qui contient de nombreux éléments. Pour ne retenir que le point concernant le choix de la caisse de pension, je crois qu’il faut nuancer quelque peu. S’il est vrai qu’en entrant dans une entreprise, vous ne pourrez pas décider de vous affilier à une autre institution de prévoyance que celle de votre nouvel employeur, Il faut cependant relever que le choix du plan de prévoyance est une décision prise de manière paritaire entre les employés et leur employeur. Evidemment, si vous êtes embauché par une très grande entreprise, votre poids dans ce choix sera très limité !
De manière plus générale, on pourrait considérer la qualité des prestations de sa caisse de pension comme partie intégrante de la rémunération de l’employé, de manière différée, en complément de son salaire. Celui qui veut poser sa candidature pour un emploi devrait donc toujours examiner soigneusement les prestations de prévoyance qui lui sont liées, pour prendre une décision en toute connaissance de cause.
A mon tour de vous souhaiter une belle fin de journée.
Monsieur,
Je me permets de réagir à certains points. Il n’a jamais été prévu que l’AVS ne soit financée que par les cotisations. Depuis le début il était prévu que la confédération participe et que le produit d’impôts particuliers (maison de jeux, alcool,…) soit également versé à l’AVS. Aujourd’hui, environ un quart des recettes provient de la confédération. On peut le regretter mais les cotisations sont très loin de suffire et c’est en partie voulu.
Ensuite, il me semble que l’on parle à tort de rentes promises. Nos cotisations AVS ne donnent droit à rien. Nous n’acquérons aucun droit par celles-ci. On pourrait diviser les (nouvelles) rentes par deux demain. La seule garantie, c’est le prix politique d’une telle mesure.
A méditer: la valeur actuelle des rentes en cours serait facile à calculer, si les rentes futures étaient garanties, il serait également possible d’estimer leurs valeurs actuelles. Le flux des cotisations futures est également estimable et escomptable (mot clé: actif de contribution dans le cadre de système en comptes notionnels), la méthode est reconnue et utilisée dans plusieurs pays (ex: Suède), le montant du fond de compensation AVS est également connu. On pourrait donc calculer un “degré de couverture” pour l’AVS.
Or, à ma connaissance, ce n’a jamais été fait au motif que l’incertitude serait trop grande. Chacun en conclura ce qu’il voudra.
Concernant le libre choix de l’institution de prévoyance, M. Novello a déjà bien souligné des points intéressant. J’ajouterai qu’il ne faut pas confondre choix de l’IP (et définition du plan de prévoyance) et choix de la stratégie de placement. Certains employeurs offrent déjà différentes variantes.
Enfin le taux de couverture des IP publique est un problème qui appelle plus de nuances. On peut légitimement être choqué par les sommes injectées pour maintenir des conditions de retraite parfois déconnectée du marché. Cependant, on ne peut pas oublier que les mesures prises dans un passé récent sont la conséquence directe d’une loi fédéral exigeant justement 100% de couverture (ou 80% et une garantie publique). Alors qu’une nouvelle fois certaines de ces caisses avaient été construites comme des institutions mixtes ( répartition et capitalisation) qui n’avaient pas nécessairement besoin d’un tel degré de couverture. Une loi votée par un parlement à majorité alémanique et de droite et qui concernent majoritairement des collectivités romandes et plutôt de gauche. Ah le hasard!
Ce qui ne doit pas occulter une gestion parfois plus que discutable. Ironiquement, quand on cachait du déficit publique dans les caisses de pension, les contribuables se plaignaient moins.
Bonne soirée.
Chère Voix critique,
Merci pour votre contribution très intéressante à la discussion.
Très bonnejournée.
Cher Monsieur,
Concernant le 2ème pilier est-ce opportun et surtout obligatoire actuellement de transférer le libre passage dans la nouvelle caisse de pension en cas de changement d’employeur ? Avec le taux de conversion qui ne fait que baisser Il existe certainement d’autres alternatives licites pour mieux faire fructifier son libre passage d’un montant de moins de deux cents mille francs que la caisse de pension de mon nouvel employeur ?
Un novice en matière de prévoyance
Bonjour,
Merci pour votre question. La réponse est simple : oui, c’est obligatoire. Toutefois, étant donné les différences de plans existant entre les différentes caisses de pension, il est possible que l’institution de prévoyance du nouvel employeur ne puisse absorber l’entier des fonds de prévoyance du nouvel assuré. Dans ce cas, la différence sera versée, ou restera, dans une institution de libre passage.
Excellente journée.