Les leçons de créativité de Maître Léonard

Même si l’on frise l’overdose de documentaires et autres manifestations culturelles pour célébrer le cinquième centenaire de la mort de Léonard de Vinci, il serait dommage de passer à côté de la brillante et somptueuse biographie (1) que lui a consacré Walter Isaacson. On y retrouve le talent de conteur et la rigueur de l’historien américain, qui fut auparavant un grand patron de presse, qu’il a déployés dans ses livres précédents, notamment ceux qui m’ont ébloui, soit Steve Jobs (2) et plus récemment Les innovateurs : comment un groupe de génies, hackers et geek a fait la révolution numérique (3). Dernier ouvrage à lire absolument si l’on veut comprendre pourquoi et comment la technologie a transformé le monde.

Une créativité sans limite

Pour en revenir à sa dernière œuvre consacrée à la vie intime et publique de Léonard de Vinci, célébrée par la critique, on se concentrera dans ce modeste article de blog, en principe consacré à l’économie, à l’origine de sa créativité plus qu’extraordinaire. Il s’agit d’essayer de déterminer les facteurs qui ont permis à Maître Léonard de développer des compétences dans tellement de domaines et atteindre la perfection dans nombre d’entre eux.

Un autodidacte qui a tracé son chemin vers son propre génie

L’auteur nous facilite grandement la tâche en établissant en fin d’ouvrage la synthèse des traits saillants de la démarche intellectuelle et artistique de Maître Léonard, même s’il s’agit d’un génie : « Il n’est pas doté d’une maestria qui nous soit parfaitement inconcevable. Non, c’est un autodidacte qui par sa volonté a tracé son propre chemin vers son génie. Aussi, même si nous ne serons probablement jamais capables de posséder tous ses talents, nous pouvons apprendre de lui et essayer de lui ressembler davantage. »

Comment s’inspirer de Léonard

Concrètement Isaacson recense pas moins de 19 enseignements en matière de créativité que l’on peut tirer de la vie de Léonard de Vinci, soit :

  • ­Soyez curieux, inlassablement curieux Léonard a une curiosité sans limite : il veut savoir par exemple pourquoi les gens baillent, comment ils peuvent marcher sur la glace en Flandres, comment élaborer des méthodes pour résoudre la quadrature du cercle, comment se ferme la valve aortique, etc.,
  • Soyez avide de connaissances, comme s’il s’agissait d’une fin en soi Pour peindre la Joconde, le Maître n’a pas besoin de savoir comment fonctionne les valves du cœur, mais en se laissant guider par la curiosité la plus pure, il parvient à explorer davantage d’horizons et à observer davantage de connexions que n’importe quel autre peintre.
  • Émerveillez-vous comme un enfant A un certain moment de notre vie, la plupart d’entre nous arrêtent de se poser des questions sur les phénomènes du quotidien. Léonard, à l’instar d’Einstein quelques siècles plus tard, avait su conserver sa curiosité d’enfant.
  • Observez La plus grande faculté de Léonard, c’est sa capacité aiguë d’observer les choses, qui encourage sa curiosité, et vice versa.
  • Commencer par les détails Pour observer plus attentivement, le Maître recommande de procéder par étapes, en commençant par le moindre détail.
  • Imaginez des choses invisibles La première activité de Léonard au cours de ses années de formation est de faire apparaître des acteurs, de mettre en scène des représentations et des pièces de théâtre. Il mêle ingéniosité théâtrale et fantaisie, ce qui lui donne accès à une créativité combinatoire.
  • Creusez chaque sujet, même le plus improbable Il approfondit chaque sujet, comme le ferait de nos jours un geek, par pur plaisir.
  • Laissez-vous distraire La volonté de Léonard d’étudier tout sujet dont l’éclat retient son attention enrichit son esprit et les liens qu’il établit entre les choses.
  • Respectez les faits Le Maître est un précurseur de son époque quant aux expériences liées à l’observation et à la pensée critique. Lorsqu’il a une idée en tête, il conçoit une expérience pour la mettre à l’épreuve. Si son expérience démontre qu’une théorie est erronée, il abandonne son idée et en cherche une nouvelle.
  • Remettez au lendemain Alors qu’il peint la Cène, Léonard s’arrête parfois pour observer son travail pendant une heure, effectue finalement une petite retouche, puis repart. Il déclare au duc Ludovic, son commanditaire, que la créativité requiert du temps pour laisser mariner les idées et permettre aux intuitions de prendre forme. Comme le note malicieusement Isaacson, la plupart d’entre nous n’ont pas besoin de conseils pour remettre les choses au lendemain. En revanche, procrastiner comme le fait Léonard demande du travail.
  • Le mieux est l’ennemi du bien Cet adage doit être interprété dans un sens un peu particulier dans le cas de Léonard, qui préférait abandonner ses œuvres lorsqu’il ne parvenait pas à atteindre la perfection recherchée.
  • Adoptez une pensée visuelle Le Maître n’est malheureusement pas capable de formuler des équations et des concepts mathématiques abstraits. Il doit donc les visualiser. Aujourd’hui, nous n’utilisons plus cette faculté, perdant ainsi notre capacité d’apprécier la beauté sous-jacente aux lois de la nature.
  • Évitez le cloisonnement Léonard sait que l’art est une science et la science est un art : qu’il soit en train de dessiner un fœtus dans l’utérus les tourbillons d’un déluge, il gomme la distinction entre les deux.
  • Ne vous contentez pas de ce que vous savez faire Il a essayé de trouver des solutions à des problèmes aussi complexe que de construire une machine volante actionnée par l’homme ou pour dévier le lit d’une rivière.
  • Satisfaites votre imaginaire De la même manière que Léonard brouille les frontières entre science et art, il estompe celles qui séparent la réalité de la fantaisie.
  • Créez par vous-mêmes, et pas seulement pour vos patrons Il travaille à sa guise, acceptant des commandes selon ses choix comme celle du mari d’une certaine Lisa, dont il continue à travailler le portrait jusqu’à la fin de ses jours, sans jamais l’expédier à son client.
  • Faîtes des listes Celles des tâches à accomplir de Léonard sont parmi les plus précieux témoignages, affirme Isaacson, de curiosité pure que le monde ait jamais connus.
  • Prenez des notes, sur papier Cinq cent ans après sa mort, les carnets de Léonard constituent un extraordinaire témoignage du fourmillement de la pensée de ce génie multiforme. Qu’en serait-il resté si ses supports avaient été de nature numérique ?
  • Restez ouvert au mystère Tout ne doit pas nécessairement être tranché ou précisément défini.

 

(1) Léonard de Vinci – La biographie, par Walter Isaacson, Quanto, 2019

(2) Steve Jobs, par Walter Isaacson, JCLattès, 2011

(3)Les innovateurs, par Walter Isaacson, JCLattès, 2015

 

 

Pierre Novello

Pierre Novello est journaliste économique indépendant et auteur d’ouvrages de vulgarisation dans le domaine de la prévoyance, de l’investissement sur les marchés financiers ou encore pour l’accession à la propriété de son logement. Avant d’embrasser la carrière journalistique en entrant au Journal de Genève et Gazette de Lausanne, il a été formé comme analyste financier pour la gestion de fortune.