Premières commandes (9) : Centre de vie enfantine

Cet été, je parcours la Romandie par monts et par vaux à la redécouverte des premières œuvres de quelques bureaux d’architectes reconnus de cette région de l’ouest helvétique. Avec un recul de vingt années, ou plus, les réalisations présentées nous interpellent quant à l’évolution de la pensée architecturale contemporaine. Issus de concours ou de commandes privées, ces projets ont marqué les débuts prometteurs de leurs auteurs respectifs.

A la frontière communale lausannoise, aux confins de celle de Prilly, au creux d’une des dernières clairières du parc de Valency, se nichent trois « maison de métal » qui se détachent distinctement de la masse végétale environnante. Le centre de vie enfantine, avec son emballage de métal qui couvre aussi bien les murs des façades que les pans des toitures, revendique sa personnalité par la présence d’éléments saillants colorés : ici une pergola arrondie, là un treillis métallique triangulaire, plus loin encore une passerelle en caillebotis. De cette rencontre étonnante, entre une forme architecturale moderne traditionnelle et une sorte de collages très libres se dégage une envie d’apporter une nouvelle écriture. L’auteur qui revendique un intérêt marqué pour la culture artistique russe post révolution, puise dans cette période les références qu’il emprunte avec retenue, mais dont l’apport le libère d’une certaine austérité qui est dans l’air du temps dans ces années-là.

C’est à cette même époque que le monde de l’architecture découvre avec une certaine stupéfaction le projet lauréat pour le Peak de Hong Kong (1982-1983), dont les planches de sa jeune auteure, Zaha Hadid, enflamment l’imaginaire par leurs connotations picturales et leurs improbables porte-à-faux. C’est le début de l’éphémère période dite de la déconstruction en architecture – ou déconstructivisme – qui verra son apogée lors de la célèbre exposition au MOMA (« Deconstructivism in architecture », sous la direction de Philip Johnson, 1988, New York). A l’origine de cette démarche, une interprétation faite des recherches du philosophe français Jacques Derrida dont l’analyse sur la signification des textes par la notion de différance a marqué un moment de la pensée postmoderne.

A Valency, les prémisses de cette approche sont perceptibles. A la manière des premiers projets de l’architecte américain Peter Eisenmann, la composition de la crèche se prend à altérer les trois volumes que l’orthodoxie moderne aurait figé dans une stricte géométrie que le plan révèle, à savoir cette alternance de rythmes “A-B-A”, et que les années quatre-vingt valorisaient tant.

Curieusement si l’aspect extérieur peut être perçu comme offrant une certaine complexité géométrique, l’espace intérieur est régi par une rigueur conceptuelle où les parties en béton rythment le parcours des bambins, alors qu’une structure légère en acier enjambe les volumes avec sobriété. Les couleurs primaires sont partout présentes et partagent avec le système constructif son envie de démontrer un assemblage très simple, à la manière d’un grand Lego que les petits hommes auraient plaisir à découvrir.

L’auteur revendique l’envie d’offrir un bâtiment-village aux enfants en bas âge, avec sa place – le réfectoire –, ses maisons – les salles d’activités –, ses rues et galeries – les couloirs et mezzanines – et même sa fontaine – la petite pataugeoire à même le sol. La lumière vient de partout : grandes baies vitrées, petites fenêtres cadrées sur le parc, ou hauts-jours. Cette joie de vivre ensemble, prodiguée par l’architecture est merveilleusement révélée dans le documentaire « Limites invisibles » (Fernand Melgar et Janka Rahm, 2006). Dans cet univers très riche en matériaux – béton, acier peint, panneaux en bois, linoleum, la présence du mobilier fixe revêt toute son importance par sa conception à la fois ergonomique et son dessin se référant à la tradition moderne.

La visite de cette institution laisse cependant s’insinuer un questionnement quant au positionnement théorique de l’ouvrage qui est ressenti comme étant situé un peu entre deux approches. Une réponse s’impose : il s’agit d’une première œuvre. Avec le temps, avec les concours primés, l’architecte d’origine zurichoise, démontrera que son intérêt pour les espaces en équilibre, les matières qui s’entrechoquent, le croisement des formes géométriques, les continuités décalées n’étaient pas qu’un effet du moment. Leur présence à Valency, sous forme embryonnaire, était bien la marque initiale d’une recherche en gestation, dont les jeunes – et les moins jeunes – pensionnaires bénéficient depuis plus de vingts ans grâce à cette démarche sociale et à ce caractère ludique qui rendent hommage si justement à cette noble fonction.

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Architecte : Rodolphe Luscher, Lausanne

Lieu : Parc de Valency, Lausanne

Dates : 1983-1989

Acquisition : Concours, premier prix

1983 : L’architecte a 42 ans, le grand prix national d’architecture en France est décerné à Henri Ciriani, Bernard Tschumi remporte le concours du Parc de la Villette à Paris, Hergé décède cette année-là, la première diffusion du clip de Michael Jackson « Thriller » envahit les écrans, Sir Richard Attenborough obtient l’Oscar du meilleur réalisateur pour son film « Gandhi ».

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Premières commandes (8) : Ecole et salle communale

Cet été, je parcours la Romandie par monts et par vaux à la redécouverte des premières œuvres de quelques bureaux d’architectes reconnus de cette région de l’ouest helvétique. Avec un recul de vingt années, ou plus, les réalisations présentées nous interpellent quant à l’évolution de la pensée architecturale contemporaine. Issus de concours ou de commandes privées, ces projets ont marqué les débuts prometteurs de leurs auteurs respectifs.

Dans la plaine du Rhône, les villages traditionnels valaisans sont en général regroupés autour d’un promontoire naturel. Celui de Raron, situé à l’ouest de la ville de Viège, n’échappe pas à la règle. Dominé par l’église du seizième siècle, le noyau historique est constitué de splendides raccards installés à la rupture entre les pentes rocheuses et le replat issu des dépôts alluvionnaires. Le développement urbain de la deuxième moitié du vingtième siècle a confirmé l’occupation progressive de territoires autrefois soumis aux rudes débordements du fleuve. C’est dans ce contexte paysager, en limite d’une zone pavillonnaire éloignée du centre, que la nouvelle école primaire et la salle communale prennent place entre deux bâtiments scolaires pré-existants dont elles opèrent la couture et avec lesquels elles fixent les limites du préau.

Le parti d’implantation, basé sur une géométrie orthogonale induite par lieu, présente une disposition en « L » de deux volumes que l’on peut qualifier de moderne, car l’orientation cardinale et la fonction se conjuguent avec précision : les classes à l’est, la grande salle au nord, les deux entrées principales en lien avec l’espace majeur extérieur. Des années vingt aux années cinquante, ce type de formulation héritée de la vision hygiéniste « Licht, Luft und Sonne », a donné jour à de belles réalisations dont la qualité n’est plus à démontrer. On pense ici à certaines typologies scolaires, que l’on a qualifiées d’articulées, comme les deux écoles dues à l’architecte Willem M. Dudock (Dr Bavinkschool, 1921-1922, et Valeriusschool, 1929-1930), ou encore la célèbre école de Wiedikon (Kellermüller & Hoffmann, 1928-1932). Ce qui différencie l’école de Raron de ces exemples historiques, c’est d’une part l’autonomie que prennent les deux parties programmatiques – pas de liaison entre elles –, et d’autre part la sensibilité particulière qui est mise dans son rapport avec le territoire, par une approche qui n’est pas sans rappeler celle défendue par l’architecte tessinois Luigi Snozzi, dont l’enseignement a été suivi par l’un des deux auteurs. Au cœur de la composition le regard embrasse d’un même mouvement la puissance de la montagnité, la présence tutélaire de l’édifice religieux et les lignes de forces de l’édifice scolaire.

Le projet n’aborde pas seulement les thèmes de la modernité à travers sa démarche territoriale, mais a également la volonté de mettre en scène les parcours. Les escaliers se déroulent, ou s’enroulent avec générosité les doubles hauteurs sont accompagnées de prises de lumière naturelle, les galeries qui entourent la salle des fêtes rappellent certains élans du Mouvement moderne. A cet amour de la promenade architecturale, se cumule une écriture qui reprend à son compte certains postulats de cette période dite de hygiéniste. Il y a tout d’abord l’expression des volumes en béton brut, puis le dessin des ouvertures qui révèlent la fonction qu’elles abritent : de longues fenêtres en bandes devant les couloirs des classes, une césure verticale annonçant la présence de l’escalier, des grandes baies vitrées pour les salles de cours, ou un pan de verre pour illuminer l’espace de gymnastique. Mais là encore, le projet dépasse les codes d’une histoire récente bien assimilée. L’apport des deux jeunes architectes valaisans tient également à leur capacité à jouer avec les thèmes de la construction contemporaine, principalement par une simplicité et une efficacité dans l’agencement des différents éléments constitutifs de la mise en œuvre. En préférant ajouter plutôt qu’intégrer, ils apportent leur touche personnelle à la fabrication de l’espace : les fenêtres sont des pièces standardisées en aluminium éloxé, les éléments acoustiques sont de simples surfaces perforées rapportées – en horizontal ou en vertical –, les luminaires sont sobrement vissés aux différents supports. Dans ce jeu de construction décomplexé, les couleurs prennent une place importante dans la définition du projet avec des tons affirmés qui accompagnent la pédagogie.

Aujourd’hui rompus à l’exercice des concours publics, dont ils remportent un nombre assez impressionnant de premiers prix, les auteurs ont fait de leur approche réaliste de la production d’objets architecturaux une marque de fabrique qui mêlent une capacité à maitriser la fonctionnalité, les règlements de construction, et une facilité à tisser des matières improbables entre elles dans une poétique très personnelle et reconnaissable. L’école de Raron en affiche les prémisses.

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Architectes : Geneviève Bonnard, Denis Woeffray (aujourd’hui : bonnard woeffray architectes), Monthey

Lieu : Raron (Rarogne), Valais 

Dates : 1992-1996

Acquisition : Concours, premier prix

1992 : Les architectes ont respectivement 31 et 33 ans, Alvaro Siza obtient le prix Pritzker, le peintre britannique Francis Bacon décède, le concert à Wembley en hommage à Freddie Mercury décédé l’année précédente rassemble 87 artistes, le film « Le silence des agneaux » de Jonathan Demme obtient l’Oscar du meilleur film.

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Premières commandes (7) : Villa Annaheim

Cet été, je parcours la Romandie par monts et par vaux à la redécouverte des premières œuvres de quelques bureaux d’architectes reconnus de cette région de l’ouest helvétique. Avec un recul de vingt années, ou plus, les réalisations présentées nous interpellent quant à l’évolution de la pensée architecturale contemporaine. Issus de concours ou de commandes privées, ces projets ont marqué les débuts prometteurs de leurs auteurs respectifs.

C’est au lieu dit Les Grands-Champs, à Rossemaison, au pied d’un des derniers contreforts jurassiens, que la maison Annaheim s’inscrit au cœur d’une petite zone de villas dont la densité n’a fait que s’accroitre avec les années. Le projet s’installe entre deux maisons pré-existantes sur une parcelle allongée et étroite. La particularité du site tient au fait que les limites foncières n’ont pas été marquées, comme trop souvent en Suisse, par des haies, clôtures ou autres murets. Ici règne la mémoire d’une qualité de vie domestique que l’on pourrait qualifier d’américaine, tant les espaces extérieurs, communiquant entre eux, résonnent encore des cris d’enfants courant dans un grand pré et offrent aux volumes bâtis un parterre végétal qui les met en valeur.

Il émane de cet ouvrage une étrange fascination, qui n’est pas entièrement due à la nostalgique patine qui s’en dégage. Il y a tout d’abord la dichotomie du traitement des façades avec un côté amont vers la zone rurale et vers le sud, où l’enveloppe se décline en bois, alors que du côté aval, vers la plaine et la silhouette de la ville de Delémont, c’est un mur en crépi blanc, avec une modénature très travaillé qui s’affiche ; il y a ensuite une toiture à deux pans, continue et matérialisée par des plaques ondulées de couleur terre de Sienne qui couvre les deux faces et redonne un sentiment d’unité ; il y a aussi un petit passage sous le volume, un escalier extérieur très vertical qui conduit aux combles et des espaces interstitiels dans ce qui semble être une double façade. Cette complexité laisse penser qu’on se trouve face à un projet qui a été très rigoureusement pensé et écrit pour reprendre à son compte l’idée développée à la Renaissance que la maison est une petite cité et la cité est une grande maison (selon la citation de Leon Baptista Alberti, 1404-1472). Tous les détails de la construction sont dessinés très précisément avec un sens du design et une sophistication aboutie.

Règles et transgressions. La villa a été conçue il y a près quarante ans, à une période où le paradigme moderne, à savoir celui des « grands récits » – terme qui englobe les différents mouvements de cette pensée forte et unique qui a défini le monde dans la première moitié du vingtième siècle –, se fissure alors sous l’égide de cette nouvelle condition postmoderne que le philosophe français Jean-Francois Lyotard verbalise par son essai éponyme. Pour la Suisse romande, cette époque que l’historien de l’architecture Jacques Gubler a qualifiée de « traversée du désert » annonce des temps difficiles pour l’architecture et son positionnement aussi bien en termes théoriques qu’expressifs. Cette année 1979 voit également la démolition à Crans-sur-Sierre d’un ouvrage remarquable, la maison de vacances « Le Framar » due à l’architecte Jacques Favre (1957-1958), avec laquelle la villa à Rossemaison a une lointaine parenté.

Le plan, très précis, confirme la dualité des orientations. Il indique également un attachement à la notion d’espaces servants – les locaux sanitaires, la cuisine, etc. – et d’espaces servis – le séjour, les chambres, etc. Ce principe de composition hérité la pensée théorique de l’architecte américain Louis I. Kahn trouve son corollaire dans le dessin des structures : des murs avec lames de refend pour la partie arrière et des poteaux en bois sur l’avant. Le rythme des éléments porteurs est très mathématique et se décline en deux travées, la plus grande équivalant au triple de la petite selon un module de dimension minimale. A sa livraison la critique architecturale avait déjà noté la qualité des règles structurelles tout en remarquant les transgressions que l’architecte avait prise en introduisant cette double peau en bois qui cherche à exprimer un autre langage que celui de la modularité que le plan aurait naturellement induit. Ici se joue un rapport à la ruralité, une orientation et un cadrage des vues, une acceptation d’un caractère presque « vernaculaire » auquel le lieu – et peut-être les règlements de l’époque – incite. C’est certainement cette ambiguïté –  qui renvoient à l’ouvrage théorique de Robert Venturi « De l’ambiguïté en architecture », 1966 – et cette manière de vouloir contrôler le dessin de chacun des éléments constitutifs du projet global qui sont les caractéristiques du langage que l’architecte commence à mettre en place et qu’il n’aura de cesse de développer dans les années suivantes, à la fois dans ses projets mais également dans le cadre de son enseignement polytechnique.

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Architecte : Vincent Mangeat (aujourd’hui : mangeat-wahlen architectes associés), Nyon

Lieu : Rossemaison, Jura

Dates : 1979-1980

Acquisition : Mandat direct

1979 : L’architecte a 38 ans, Philip Johnson obtient le premier prix Pritzker, l’écrivain et journaliste Josef Kessel ainsi que de l’acteur américain John Wayne disparaissent, le double album mythique de Pink Floyd « The Wall » sort cette année-là, les films « Apocalypse now » de Francis Ford Coppola et « Le Tambour » de Volker Schlöndorff obtiennent conjointement la Palme d’or au Festival de Cannes.

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Premières commandes (6) : Ecole des Acacias

Cet été, je parcours la Romandie par monts et par vaux à la redécouverte des premières œuvres de quelques bureaux d’architectes reconnus de cette région de l’ouest helvétique. Avec un recul de vingt années, ou plus, les réalisations présentées nous interpellent quant à l’évolution de la pensée architecturale contemporaine. Issus de concours ou de commandes privées, ces projets ont marqué les débuts prometteurs de leurs auteurs respectifs.

Au nord-ouest de l’ancien hôpital neuchâtelois des Cadolles, le développement d’une zone de logements sociaux s’est initiée à partir des années septante, pour se matérialiser principalement dans les années nonante prenant la place d’une verte campagne. La forme urbaine est peu dessinée car elle présente à ce paysage splendide aussi bien des barres, des barres pliées ou des plots, selon la terminologie des planificateurs. Au cœur de ce lieu, le petit groupe scolaire devenu nécessaire suite à la densification des habitations se compose de trois volumes distincts en terme de forme, de langage et de matière. Ils forment un tout qui semble avoir été pensé de telle manière qu’en arrivant sur ce site des hauts de la ville, on peine dans un premier temps à distinguer le neuf de l’existant. En effet, l’analyse plus précise permet de comprendre qu’une première petite école, un bâtiment en brique jaune, pré-existait à l’intervention des architectes, dont la mission a été d’ajouter des salles de classes et de créer une salle de gymnastique.

Hétérogénéité assumée. Ici ce ne sont pas les parties de bâtiment qui se déclinent en différentes matières, mais les bâtiments eux-mêmes : la brique pour la partie existante, l’Eternit pour le volume des salles de classes et le béton teinté en rouge dans la masse pour l’espace dédié à la pratique du sport. Le parti pris des auteurs a été d’instiller une forme d’ambiguïté, une espèce de doute quant à la perception de la nature des ouvrages, dans un lieu portant déjà en lui ces thèmes.

L’intégration par la différence est une approche assez particulière, et somme toute assez rare dans l’histoire de l’architecture contemporaine. Un des seuls exemples connus et représentatifs est le pavillon pour les invités de la famille Winton (Frank Gehry, Minnesota, 1982-1987) où chacune des pièces est formalisée par une volumétrie particulière et une matière différente. Si la question du fragment est abordée en référence à l’art moderne pour le modèle américain, la dissolution programmatique du projet neuchâtelois trouve ses sources dans une réponse au contexte urbain. En fin de compte, l’opportunité qui s’est présentée aux Acacias d’imposer comme postulat la diversité est restée une question théorique ouverte, qui n’a pas eu vraiment de suite depuis ces années-là.

Cette question du langage architectural n’élude cependant pas une approche fonctionnelle qui traverse l’ensemble bâti par sa rigueur et son efficacité. L’entrée se glisse entre les deux volumes les plus au sud, au niveau du préau, dans un espace de liaison qui s’effectue en demi sous-sol. De ce point, le regard se tourne vers la grande porte vitrée de la salle de gymnastique ou vers l’escalier qui conduit aux salles de classes. Malgré le caractère semi-enterré, la lumière naturelle réussit à s’immiscer depuis le haut, devenant ainsi un thème majeur du parcours architectural. Son traitement dans l’espace d’exercice sportif est à ce titre révélateur : la toiture semble flotter dans le ciel, suspendue qu’elle est par un système de câbles en acier, dont la courbe naturelle est revêtue d’une surface de bois naturel. L’interstice entre horizontale et verticale se veut être dématérialisé, pour ne révéler que l’apport de lumière qui marque sur les grands murs en béton brut les différents états de la course solaire au fil des saisons.

A l’image de l’enfance. Dans cet ensemble, l’agrégation des composants architecturaux devient un espace de réflexion ludique où les influences se mélangent. Un peu pêle-mêle, on y trouve, comme sortis d’un coffre à trésor où l’imaginaire des auteurs se serait évadé,  un préau couvert constitué de pilotis en métal posés en biais, à la manière d’un grand mikado – dont l’origine remonte peut-être à la médiatisation de la célèbre villa Dall’Ava située à Saint-Cloud (OMA-Rem Koohlaas, 1983-1991) – ; une alternance de pleins et de vides qui scandent les couloirs comme les comptines itératives de l’enfance ; un grand mur en béton rouge, dont le dessin du coffrage très précis est percé d’une unique fenêtre, offrant un regard sur le terrain de jeux ; des couleurs vives installées parcimonieusement pour accompagner les bambins dans leur déambulation sonore.

Ce projet est somme toute assez atypique dans le parcours des architectes neuchâtelois qui conçoivent à la même période le centre scolaire de Marcelin à Morges (1996-2003) possédant quant à lui une très forte unité expressive. Cependant l’école des Acacias est révélatrice d’une pensée sur le matériau dont l’emploi « éclectique » va se manifester au fil des années dans leur pratique : un bâtiment de logements en tuiles, un autre en pierre, une maison individuelle ou une salle de gymnastique triple en bois, un centre commercial en tôle ondulée perforée, une halle industrielle en verre, etc. Une façon de réinterpréter les acquis de cette première commande.

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Architectes : Laurent Geninasca, Bernard Delefortrie (aujourd’hui : gd architectes), avec Robert Monnier, Neuchâtel

Lieu : Neuchâtel

Dates : 1995-1997

Acquisition : Concours, premier prix

1995 : Les architectes ont respectivement 37 et 36 ans, Tadao Ando obtient le prix Pritzker, le prix Goncourt est décerné à Andreï Makine pour « Le testament français », le philosophe Gilles Deleuze disparaît, Cesária Évora sort son sixième album, « Cesária », le film « Underground » d’Emir Kusturica lui permet de décrocher sa deuxième Palme d’or à Cannes.

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