Premières commandes (8) : Ecole et salle communale

Cet été, je parcours la Romandie par monts et par vaux à la redécouverte des premières œuvres de quelques bureaux d’architectes reconnus de cette région de l’ouest helvétique. Avec un recul de vingt années, ou plus, les réalisations présentées nous interpellent quant à l’évolution de la pensée architecturale contemporaine. Issus de concours ou de commandes privées, ces projets ont marqué les débuts prometteurs de leurs auteurs respectifs.

Dans la plaine du Rhône, les villages traditionnels valaisans sont en général regroupés autour d’un promontoire naturel. Celui de Raron, situé à l’ouest de la ville de Viège, n’échappe pas à la règle. Dominé par l’église du seizième siècle, le noyau historique est constitué de splendides raccards installés à la rupture entre les pentes rocheuses et le replat issu des dépôts alluvionnaires. Le développement urbain de la deuxième moitié du vingtième siècle a confirmé l’occupation progressive de territoires autrefois soumis aux rudes débordements du fleuve. C’est dans ce contexte paysager, en limite d’une zone pavillonnaire éloignée du centre, que la nouvelle école primaire et la salle communale prennent place entre deux bâtiments scolaires pré-existants dont elles opèrent la couture et avec lesquels elles fixent les limites du préau.

Le parti d’implantation, basé sur une géométrie orthogonale induite par lieu, présente une disposition en « L » de deux volumes que l’on peut qualifier de moderne, car l’orientation cardinale et la fonction se conjuguent avec précision : les classes à l’est, la grande salle au nord, les deux entrées principales en lien avec l’espace majeur extérieur. Des années vingt aux années cinquante, ce type de formulation héritée de la vision hygiéniste « Licht, Luft und Sonne », a donné jour à de belles réalisations dont la qualité n’est plus à démontrer. On pense ici à certaines typologies scolaires, que l’on a qualifiées d’articulées, comme les deux écoles dues à l’architecte Willem M. Dudock (Dr Bavinkschool, 1921-1922, et Valeriusschool, 1929-1930), ou encore la célèbre école de Wiedikon (Kellermüller & Hoffmann, 1928-1932). Ce qui différencie l’école de Raron de ces exemples historiques, c’est d’une part l’autonomie que prennent les deux parties programmatiques – pas de liaison entre elles –, et d’autre part la sensibilité particulière qui est mise dans son rapport avec le territoire, par une approche qui n’est pas sans rappeler celle défendue par l’architecte tessinois Luigi Snozzi, dont l’enseignement a été suivi par l’un des deux auteurs. Au cœur de la composition le regard embrasse d’un même mouvement la puissance de la montagnité, la présence tutélaire de l’édifice religieux et les lignes de forces de l’édifice scolaire.

Le projet n’aborde pas seulement les thèmes de la modernité à travers sa démarche territoriale, mais a également la volonté de mettre en scène les parcours. Les escaliers se déroulent, ou s’enroulent avec générosité les doubles hauteurs sont accompagnées de prises de lumière naturelle, les galeries qui entourent la salle des fêtes rappellent certains élans du Mouvement moderne. A cet amour de la promenade architecturale, se cumule une écriture qui reprend à son compte certains postulats de cette période dite de hygiéniste. Il y a tout d’abord l’expression des volumes en béton brut, puis le dessin des ouvertures qui révèlent la fonction qu’elles abritent : de longues fenêtres en bandes devant les couloirs des classes, une césure verticale annonçant la présence de l’escalier, des grandes baies vitrées pour les salles de cours, ou un pan de verre pour illuminer l’espace de gymnastique. Mais là encore, le projet dépasse les codes d’une histoire récente bien assimilée. L’apport des deux jeunes architectes valaisans tient également à leur capacité à jouer avec les thèmes de la construction contemporaine, principalement par une simplicité et une efficacité dans l’agencement des différents éléments constitutifs de la mise en œuvre. En préférant ajouter plutôt qu’intégrer, ils apportent leur touche personnelle à la fabrication de l’espace : les fenêtres sont des pièces standardisées en aluminium éloxé, les éléments acoustiques sont de simples surfaces perforées rapportées – en horizontal ou en vertical –, les luminaires sont sobrement vissés aux différents supports. Dans ce jeu de construction décomplexé, les couleurs prennent une place importante dans la définition du projet avec des tons affirmés qui accompagnent la pédagogie.

Aujourd’hui rompus à l’exercice des concours publics, dont ils remportent un nombre assez impressionnant de premiers prix, les auteurs ont fait de leur approche réaliste de la production d’objets architecturaux une marque de fabrique qui mêlent une capacité à maitriser la fonctionnalité, les règlements de construction, et une facilité à tisser des matières improbables entre elles dans une poétique très personnelle et reconnaissable. L’école de Raron en affiche les prémisses.

+ d’infos

Architectes : Geneviève Bonnard, Denis Woeffray (aujourd’hui : bonnard woeffray architectes), Monthey

Lieu : Raron (Rarogne), Valais 

Dates : 1992-1996

Acquisition : Concours, premier prix

1992 : Les architectes ont respectivement 31 et 33 ans, Alvaro Siza obtient le prix Pritzker, le peintre britannique Francis Bacon décède, le concert à Wembley en hommage à Freddie Mercury décédé l’année précédente rassemble 87 artistes, le film « Le silence des agneaux » de Jonathan Demme obtient l’Oscar du meilleur film.

PS: ce blog a été publié la première fois sur la plateforme de l’hebdo.ch

Philippe Meier

Né à Genève, Philippe Meier est architecte, ancien architecte naval, enseignant, rédacteur et critique. Depuis plus de trente ans, il exerce sa profession à Genève comme indépendant, principalement au sein de l’agence meier + associés architectes. Actuellement professeur de théorie d’architecture à l’Hepia-Genève, il a également enseigné durant de nombreuses années à l’EPFL ainsi que dans plusieurs universités françaises. Ses travaux et ses écrits sont exposés ou publiés en Europe et en Asie.