Justice pénale : les visioconférences contraires à la CEDH

Le 5 mars 2021, le conseil d’Etat français a jugé que la possibilité d’imposer la visioconférence dans les procédures pénales était contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme.

La plus haute juridiction administrative française s’est ainsi opposée à cette mesure, qui avait été  adoptée en mars 2020 en vue d’adapter les règles de procédure pénale en raison de la pandémie de coronavirus.

Ces dispositions permettaient au juge d’imposer le recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle, ou même téléphonique, devant la quasi-totalité des juridictions pénales, sans soumettre  l’exercice de cette faculté à des conditions légales ni l’encadrer par des critères précis. Pour le Conseil d’État de l’Hexagone, ces dispositions portent une atteinte au droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) eu égard à l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique du justiciable devant la juridiction pénale. Le contexte de lutte contre l’épidémie de covid-19 ne suffit pas à justifier une telle atteinte.

La Suisse également a adopté une ordonnance comparable au printemps dernier. Toutefois, l’Ordonnance du 16 avril 2020 du Conseil fédéral instaurant des mesures en lien avec le coronavirus dans le domaine de la justice et du droit procédural (Ordonnance COVID-19 justice et droit procédural), dont la durée de validité a été prolongée jusqu’au 31 décem­bre 2021, ne concerne pas les juridictions pénales. Seuls les procès civils sont visés (voir mon billet de blog du 22 avril 2020). En Suisse, le consentement des parties est au demeurant requis, à moins de justes motifs.

Mon opinion personnelle

Je ne suis pas surprise que l’on considère contraire aux droits fondamentaux la possibilité d’imposer la vidéoconférence en matière pénale. La justice, tout particulièrement dans ce domaine, ne doit pas se laisser déshumaniser. A cet égard, la présence physique du justiciable devant l’autorité pénale est effectivement et par principe essentielle. La décision du Conseil d’Etat français est ainsi à saluer. Le législateur suisse s’est pour l’instant et à juste titre montré réservé s’agissant des possibilités d’imposer des visioconférence. L’Ordonnance qui règle cette possibilité en matière civile, précise en effet que le consentement des parties est, sauf exceptions, requis. Continuons de garder à l’esprit la nécessité du respect du droit à un procès équitable au moment d’envisager de nouvelles solutions numériques en justice.

Beny Steinmetz : pourquoi son procès a été historique en Suisse

Image par Christophe Schindler de Pixabay

Cinq ans de peine privative de liberté. Telle est la sanction que le Tribunal correctionnel genevois a prononcé vendredi contre Beny Steinmetz. Ce dernier a été reconnu coupable de corruption d’agents publics étrangers et de faux dans les titres en lien avec des faits dont l’accusation a plaidé qu’il s’agissait d’un « cas d’école »de corruption.

Il s’agit là d’un jugement historique parce que l’art. 322 septies du code pénal (CP), qui réprime la corruption d’agents publics étrangers, n’a été que peu appliqué depuis son entrée en vigueur en Suisse il y a 20 ans, et encore moins à une personne physique et au terme d’un procès public.

Entreprises condamnées sans procès public

Un certain nombre d’entreprises ont certes déjà été condamnées, par ordonnance pénale. Cela signifie qu’il n’y a pas eu d’audience publique, et que la sanction a été prononcée directement par le Ministère public.

C’est ainsi que, par exemple, le 22 novembre 2011, le Ministère public de la Confédération a rendu une ordonnance pénale contre Alstom Nework Schweiz AG pour infraction à l’art. 102 al. 2 CP, disposition consacrant la responsabilité pénale de l’entreprise, pour ne pas avoir pris toutes les mesures organisationnelles nécessaires pour empêcher la corruption d’agents publics étrangers en Lettonie, Tunisie et Malaisie.

De même, dans le contexte de l’affaire Petrobras, le Ministère public de la Confédération a, par ordonnance pénale du 21 décembre 2016, reconnu les sociétés Odebrecht SA et CNO coupables d’infraction à l’art. 102 al. 2 CP jugeant là encore qu’elles n’avait pas pris toutes les mesures d’organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher la corruption d‘agents publics étrangers au sens de l’art. 322 septies CP.

Autre exemple plus récent : le 17 octobre 2019, le Ministère public de la Confédération a condamné l’entreprise Gunvor au motif que l’entreprise n’avait pas pris toutes les mesures d’organisation nécessaires visant à empêcher la corruption d’agents publics afin d’accéder aux marchés pétroliers de la République du Congo et de Côte d’Ivoire.

Un crime difficile à prouver

L’art. 322 septies CP, qui réprime la corruption d’agents publics étrangers, est entré en vigueur le 1er mai 2000. Il s’agissait pour la Suisse d’honorer ses engagement internationaux découlant de son adhésion à la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales ainsi que de son adhésion à la Convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe.

L’art. 322 septies al. 1 CP permet de punir d’une peine privative de liberté de 5 ans au plus ou d’une peine pécuniaire « celui qui aura offert, promis ou octroyé un avantage indu à une personne agissant pour un Etat étranger  (…) pour l’exécution ou l’omission d’un acte en relation avec son activité officielle et qui soit contraire à ses devoirs ou dépende de son pouvoir d’appréciation ».

La réalisation des éléments constitutifs de cette infraction n’est généralement pas aisée à établir pour l’accusation. Il est notamment difficile de prouver que la violation des devoirs de l’agent public étranger est bien en lien avec l’avantage indu qui lui a été promis ou octroyé. Cette difficulté a d’ailleurs été mise en évidence par l’OCDE dans son rapport de phase 4 sur la Suisse. Était notamment montré du doigt le fait qu’en 2015, le Tribunal pénal fédéral a acquitté les prévenus dans une enquête pénale lié au volet de l’affaire Alstom en Pologne pour blanchiment d’argent qualifié avec comme infraction sous-jacente la corruption d’agents publics étrangers. Les juges de Bellinzone avaient en effet jugé qu’un rapport effectif entre un acte officiel et le paiement corruptif n’avait pas pu être établi à satisfaction de droit.

A l’inverse, le Tribunal correctionnel de Genève a, dans l’affaire Steinmetz, jugé que tous les éléments constitutifs de l’infraction de corruption d’agents publics étrangers étaient réalisés et prouvés à satisfaction. La défense a quant-à-elle annoncé qu’elle fera appel. Affaire à suivre donc.

Vaccination contre le Covid-19 : guerre des images et droit d’auteur

 

Le vif débat qui anime les personnes qui sont favorable à une large vaccination contre le Covid-19, à celles qui s’y opposent se traduit en ce début d’année par une guerre des images. De fausses affiches reprenant les codes graphiques utilisés par l’OFSP circulent sur les réseaux sociaux.  Celles-ci invitent la population à ne pas se faire vacciner, soit l’inverse du message original.

Il n’existe pas en Suisse de loi sur les « fake news », mais ces affiches pourraient éventuellement tomber sur le coup de la loi sur le droit d’auteur (LDA), pour autant que l’on considère que les affiches de l’OFSP sont des œuvres.  Cela n’est pas impossible, car la notion est large : par œuvre on entend, quelles qu’en soient la valeur ou la destination, toute création de l’esprit, littéraire ou artistique, qui a un caractère individuel (art. 2 al. 1 LDA).

Or la violation du droit d’auteur peut être sanctionnée pénalement. La loi prévoit effet  que, sur plainte du lésé, est puni d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque, intentionnellement et sans droit modifie une œuvre ou utilise une œuvre pour créer une œuvre dérivée (art. 67 al. 1 let. c et d LDA). Si l’auteur d’une telle infraction  agit par métier, il peut être poursuivi d’office. La peine est alors une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou une peine pécuniaire (art. 67 al. 2 LDA).

J’ai eu le plaisir d’être invitée par TV5MONDE à m’exprimer sur cette question.

En Suisse, Facebook bénéficie du privilège des médias, mais «liker» reste punissable

Partager un contenu attentatoire à l’honneur émanant d’un tiers est condamnable

On le sait avec certitude depuis l’arrêt du Tribunal fédéral du 29 janvier 2020 (TF 6B_1114/2018 publié aux ATF 146 IV 23) : partager un contenu diffamatoire ou calomnieux, par exemple un faisant usage de la fonction « like » de Facebook, est condamnable même si le contenu attentatoire à l’honneur émane d’un tiers (voir à ce propos aussi mon billet de blog du 30 mai 2017). Le Tribunal fédéral confirme cette jurisprudence, et la précise aujourd’hui dans un nouvel arrêt de principe (TF 6B_440/2019 du 18 novembre 2020) publié le 15 décembre 2020.

Dans cet arrêt du 18 novembre 2020 (TF 6B_440/2019), les juges de Mon Repos reconnaissent à Facebook le statut de média privilégié au sens de l’article 28 du code pénal (CP). Selon ce statut, lorsqu’une infraction a été commise et consommée sous forme de publication par un média, l’auteur est seul punissable.

Le Tribunal fédéral précise toutefois que le privilège des médias (art. 28 CP) ne s’applique qu’aux personnes qui sont nécessairement actives dans la chaîne de production et de distribution typique du média. En d’autres termes, toute personne qui partage un post publié sur Facebook ne peut pas revendiquer le privilège des médias aux termes duquel l’auteur est seul punissable.

Privilège des médias

Selon l’art. 28 du code pénal (CP), lorsqu’une infraction a été commise et consommée sous forme de publication par un média, l’auteur est en principe seul punissable (sauf exceptions prévues par la loi).

On parle de «privilège» accordé aux médias, car sans cette disposition légale spécifique, et si l’on suivait les règles usuelles du droit pénal, la personne responsable de la publication (journal) contenant un  article attentatoire à l’honneur serait l’auteur de l’infraction de diffamation, alors que la personne ayant rédigé l’article n’en serait que la complice.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 18 novembre 2020 rendu public le 15 décembre 2020, l’utilisateur de Facebook incriminé avait partagé un contenu émanant d’un tiers, dans lequel un protecteur des animaux était décrit comme un «antisémite maintes fois condamné» et l’association dont il assumait la présidence comme une «organisation antisémite » et comme une « association de protection des animaux néonazie». L’utilisateur de Facebook avait rédigé un commentaire intégrant un lien vers le contenu visé. Le texte partagé et le commentaire avaient été lus par quelques 2500 «amis» de l’intéressé.

Le Tribunal cantonal bernois a condamné l’utilisateur de Facebook à une peine pécuniaire avec sursis pour diffamation. L’intéressé a recouru au Tribunal fédéral contre cette condamnation, argumentant notamment qu’il devait être mis au bénéfice du régime de responsabilité privilégié propre au droit pénal des médias.

Facebook est un média privilégié, mais le recourant ne bénéficie pas de ce privilège

Le Tribunal fédéral a admis que le privilège des médias consacré à l’art. 28 CP se fonde sur une conception large de la notion de média. Ainsi, pour les juges de Mon Repos, Facebook doit bien être qualifié de média.

Toutefois, notre Haute Cour précise que le régime de responsabilité privilégié ne concerne que les personnes qui interviennent au sein de la chaîne de production et de diffusion typique du média concerné. Cette question doit être examinée dans chaque cas particulier.

En l’espèce, le Tribunal fédéral a retenu que la contribution de l’intéressé ne s’insérait plus dans la chaîne de production et de diffusion du contenu partagé. L’article incriminé avait été publié par son auteur au travers d’un «post» et celui-ci n’en avait plus la maîtrise. En le partageant ultérieurement, le recourant avait mis en lien un article déjà publié. L’application du régime de responsabilité privilégié du droit pénal des médias n’entrait donc pas en ligne de compte.

Recours admis sur un autre point

Le Tribunal fédéral a par contre admis les arguments du recourant au sujet de sa condamnation pour avoir propagé les propos selon lesquels le protecteur des animaux était un « antisémite maintes fois condamné ». Il a estimé que compte tenu des déclarations récentes du protecteur des animaux, il y avait lieu d’admettre que la preuve d’une attitude antisémite au moment des faits avait été rapportée. L’allégation faisant état de condamnations répétées était certes inexacte d’un point de vue factuel. Le protecteur des animaux avait toutefois lui-même prétendu dans un article de journal en 2014 qu’il avait été condamné à plusieurs reprises. Il était donc permis au recourant de propager les propos en question. La cause est en revanche renvoyée à la Cour cantonale en ce qui concerne les accusations portées à l’encontre de l’association. Il lui appartiendra de déterminer si, et le cas échéant, quels propos du protecteur des animaux sont imputables à l’association.

Mon opinion personnelle

Cet arrêt de principe est à saluer tant dans les principes posés que dans la solution appliquée au cas d’espèce. Les réseaux sociaux ne sont pas une zone de non-droit. Pourtant de nombreuses personnes semblent encore ignorer qu’elles peuvent engager leur responsabilité pénale en partageant du contenu illicite sur les réseaux sociaux ou ailleurs. Cela est valable en matière d’atteinte à l’honneur, mais également s’agissant d’infractions plus graves, comme par exemple la pornographie. Lorsque l’on sait les ravages que peuvent faire des telles publications, ce rappel est bienvenu.

Infractions en lien avec le Covid-19 : vers une harmonisation des sanctions

Image par Rene Staempfli de Pixabay

Le 30 octobre 2020, la Conférence des procureurs de Suisse (CPS) a adopté une recommandation sur les peines pour les infractions Covid-19.

Il faut savoir que le code pénal fixe, de manière générale, le montant maximal d’une amende à 10’000 francs (art. 106 al. 1 CP). La CPS a émis des recommandations concernant les amendes en lien avec le coronavirus. Attention, il ne s’agit que de recommandations : l’autorité pénale peut parfaitement, selon les circonstances du cas d’espèce, décider d’infliger au contrevenant une sanction inférieure ou supérieure aux fourchettes recommandées.

On peut lire dans ces recommandations que le fait de se soustraire à une surveillance médicale devrait être sanctionné d’une amende de 800 à 1000 francs. Que se soustraire à une mesure de quarantaine ou d’isolement devrait être puni d’une amende de 1000 à 1500 francs. Et qu’une personne ne portant pas le masque dans les transports publics devrait être condamnée à une amende de 250 francs.

Barèmes non contraignants

La recommandation sur les peines pour les infractions Covid-19 n’est pas la première recommandations émise par la CPS en matière de fixation de la peine. De telles recommandations sur la fixation de la peine existent déjà en matière de loi sur la circulation routière (LCR), de stupéfiants et de hooliganisme par exemple.

Les barèmes figurant dans ces recommandations ne sont toutefois pas contraignants. Il ne s’agit que d’instruments facultatifs à disposition des autorités de poursuite pénale qui ne confèrent pas de droit aux administrés.

En effet, la sanction pénale doit être individualisée. En d’autres termes, le juge doit fixer la peine d’après la culpabilité de l’auteur. Ce principe est consacré à l’art. 47 du code pénal. Le juge doit prendre en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l’effet de la peine sur son avenir (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité de l’auteur est quant à elle déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP).

Recommandations suivies

Si le juge peut s’aider des recommandations de la CPS pour exercer son pouvoir d’appréciation, celles-ci ne doivent pas l’empêcher de se faire en toute indépendance son propre avis sur la peine qui correspond à la culpabilité du condamné et aux autres circonstances mentionnés à l’art. 47 CP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_379/2009 du 22 septembre 2009).

Ceci dit, en pratique ces recommandations sont généralement suivies par les autorités pénales de sorte qu’un coup d’œil à celles-ci donne une idée assez précise de ce à quoi l’éventuel contrevenant peut s’attendre.

 

 

Cour suprême des Etats-Unis – Tribunal fédéral suisse: le poids des juges

 

Ignorant les appels des démocrates, et notamment du candidat Joe Biden et de l’ancien président Barack Obama, Donald Trump a nommé la juge conservatrice Amy Coney Barrett à la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique pour remplacer la juge progressiste Ruth Bader Ginsburg, décédée le 18 septembre.  C’est ainsi la troisième fois que l’actuel président des Etats-Unis nomme un juge à la Cour suprême.

Cette nomination doit encore être confirmée par le Sénat. Pour autant qu’elle le soit, elle aura une influence importante et durable.

Importante car la Cour suprême – plus haute instance judiciaire américaine – est amenée à trancher des questions sociétales fondamentales. Avortement, port d’armes ou droits des homosexuels sont autant de thèmes sur lesquels les juges de la Cour suprême peuvent avoir une influence décisive.

Dans un pays de «common law», soit un pays qui connaît un système judiciaire dans lequel la jurisprudence est la principale source du droit, la coloration politique des juges qui composent la Cour suprême est déterminante. Dans un tel système, les juges ont en effet un rôle prépondérant dans la création du droit.

Durable car les juges de la Cour suprême américaine sont nommés à vie. La Juge Ruth Bader Ginsburg était encore en poste à l’âge 87 ans.

Influence moins forte en Suisse

En Suisse, pays de droit continental, la marge de manœuvre de notre Haute Cour et son influence sont moins fortes qu’aux Etats-Unis. Le droit est codifié. Les juges appliquent le droit. Certes, ils jouissent dans ce cadre d’un pouvoir d’appréciation, et d’interprétation de la loi. Mais celui-ci est bien moins large qu’aux Etats-Unis.

Quant à la durée du mandat, les juges du Tribunal fédéral sont élus par l’assemblée fédérale pour une durée de 6 ans seulement. Leur mandat est toutefois renouvelable, et en pratique, il n’y a jamais eu de non réélection.

Tout récemment, la réélection du juge fédéral Yves Donzallaz a toutefois fait couler beaucoup d’encre. L’UDC ne souhaitait en effet pas la réelection du juge fédéral précité, pourtant initialement présenté par ce parti, au motif qu’il a rendu plusieurs verdicts allant à l’encontre de la ligne du parti. Sa voix avait notamment été déterminante dans la décision du Tribunal fédéral d’autoriser la livraison des données de milliers de clients d’UBS à la France. Le juge fédéral Yves Donzallaz a cependant finalement été réélu le 23 septembre 2020.

L’initiative populaire «Désignation des juges fédéraux par tirage au sort (initiative sur la justice)» déposée le 26 août 2019 demande quant à elle que les juges du Tribunal fédéral soient désignés par tirage au sort et qu’ils restent ensuite en place jusqu’à leur rentraite (à savoir 5 ans après qu’ils aient atteint l’âge normal de la retraite). Le Conseil fédéral (dans son message du 19 août 2020) s’est positionné en défaveur de cette initiative, préconisant son rejet, sans aucun contre-projet.

Critiques du GRECO

Le GRECO (Groupe d’Etats contre la corruption) recommande depuis 2016 à la Suisse de notamment supprimer la pratique consistant pour les juges à verser une partie fixe ou proportionnelle du montant de leur traitement aux partis politiques et à veiller à ce qu’aucune non-réélection des juges des tribunaux de la Confédération par l’Assemblée fédérale ne soit motivée par les décisions prises par ces juges. Le GRECO a réitéré en 2019 ses critiques à la Suisse s’agissant du risque de non-réélection des juges et en lien avec le maintien des contributions aux partis politiques prélevées sur les traitements des juges. Un risque et une pratique incompatible selon lui avec le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Quand une preuve vidéo obtenue de manière illicite ne peut être utilisée en justice

Dans un arrêt du 14 juillet 2020 (TF 6B_53/2020) , le Tribunal fédéral a annulé une décision genevoise condamnant un agent de police. Ce dernier avait été reconnu coupable d’abus d’autorité sur la base d’une  vidéo retrouvée chez un de ses collègues dans le cadre d’une enquête menée contre lui. Cet enregistrement vidéo, effectué par le collègue en question, montrait l’intéressé tenant des propos menaçants à l’encontre d’un détenu.

La Cour de justice de la République et canton de Genève avait jugé cet enregistrement illicite. Elle avait retenu qu’il avait été effectué en violation de l’art 179 quater CP, soit sans le consentement des personnes intéressées. Et qu’il avait été conservé en violation de la loi fédérale sur la protection des données. La Cour genevoise avait toutefois estimé que cette preuve devait néanmoins pouvoir être utilisée, car il existait un intérêt prépondérant à son exploitabilité.

Le Ministère public n’aurait pas pu obtenir un tel enregistrement

Le Tribunal fédéral a au contraire estimé que l’enregistrement vidéo en question était une preuve illicite qui ne pouvait pas être exploitée à l’encontre du policier incriminé. En effet, selon la jurisprudence, de telles preuves ne sont exploitables que si, d’une part, elles auraient pu être recueillies licitement par les autorités pénales et si, d’autre part, une pesée des intérêts en présence plaide pour une exploitabilité.

La Cour de justice de la République et canton de Genève, quand bien même elle avait considéré que la preuve en question avait été obtenue de manière illicite, avait retenu que si le ministère public avait eu des soupçons s’agissant de la commission d’abus d’autorité par l’intéressé à l’époque des faits, il aurait été en droit d’ordonner la mise en place d’une mesure technique sous la forme d’une vidéosurveillance des salles d’interrogatoires. Il aurait ainsi pu obtenir les images litigieuses.

Le Tribunal fédéral rappelle quant à lui que l’une des conditions pour qu’une preuve recueillie de manière illicite soit exploitable, est que les autorités pénale auraient pu obtenir la preuve litigieuse. Certes, l’infraction d’abus d’autorité figure dans la liste des infractions pouvant donner lieu à une surveillance, mais encore faut-il que de graves soupçons eussent laissé présumer la commission d’une telle infraction. Il est donc impératif que des tels soupçons eussent existé. Or, en l’espèce, il ne ressortait pas de la décision cantonale qu’il existait des soupçons contre ce policier à l’époque à laquelle la vidéo a été réalisée. Ainsi, la preuve n’aurait pas pu être obtenue licitement par les autorités pénales.

Même résultat que pour une dashcam

Ce jugement confirme la jurisprudence de notre haute Cour sur ces questions – qui avait notamment déjà admis un recours contre un jugement fondé sur l’enregistrement vidéo d’une dashcam (caméra fixée dans une voiture), jugé illicite car portant atteinte au droit de la personnalité des autres usagers de la route au motif du non respect du principe de reconnaissabilité (TF 6B_118/2018).

SwissCovid : quelles sanctions en cas de contrainte?

Dès ce jeudi 25 juin, il est possible d’utiliser l’application SwissCovid en Suisse. Le Conseil fédéral vient en effet d’adopter l’ordonnance sur le système de traçage de proximité, permettant le lancement de l’application dédiée.

La loi sur les épidémies (LEp) a été modifiée en conséquence et contient de nouvelles dispositions, en vigueur depuis le 20 juin 2020.

Ces modifications législatives permettront à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) d’exploiter un système de traçage de proximité pour le coronavirus SARS-CoV-2 (système TP) qui enregistrera, grâce à l’application SwissCovid, les rapprochements entre les téléphones portables de personnes qui participent au système et les informera si elles ont été potentiellement exposées au coronavirus.

Aucun désavantage

La participation au système TP est volontaire. La loi mentionne expressément que les autorités, les entreprises et les individus ne peuvent pas favoriser ou désavantager une personne en raison de sa participation ou de sa non-participation au système TP. C’est ainsi que l’art. 60a al. 3 LEp en vigueur depuis le 20 juin 2020 prévoit que la participation au système TP est volontaire pour tous. Il précise que les autorités, les entreprises et les particuliers ne peuvent pas favoriser ou désavantager une personne en raison de sa participation ou de sa non-participation au système TP et que les conventions contraires sont sans effet.

D’après le Message du Conseil fédéral, il est ainsi exclu, par exemple, que les employeurs puissent exiger de leurs collaborateurs la participation au système TP. L’utilisation des transports publics, la fréquentation de restaurants ou de fitness ne peuvent pas non plus dépendre du fait que l’application SwissCovid soit ou non installée ou utilisée sur le téléphone portable de l’usager.

Amendes prévues

L’art. 83, al. 1, let. n LEp entré en vigueur le 20 juin 2020 prévoit même qu’une peine d’amende sera infligée à quiconque refuse intentionnellement une prestation destinée à l’usage public à une personne en raison de sa non-participation au système TP. Mais attention, une telle amende ne pourra être prononcée que s’agissant de la discrimination d’une personne en lien avec le refus d’une prestation destinée à l’usage public. S’agissant des autres situations, aucune disposition pénale spécifique n’est prévue.

Toutefois, selon les cas, et comme le mentionne expressément le Conseil fédéral dans son message, la disposition du code pénal réprimant la contrainte (art. 181 CP), pourrait le cas échéant trouver application.  Se rend en effet coupable de contrainte que celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d’un dommage sérieux, ou en l’entravant de quelque autre manière dans sa liberté d’action, l’aura obligée à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte. La sanction dans un tel cas de figure – et à mon sens peu importe que l’on soit ou non en présence d’une prestation destinée à l’usage public – est plus sévère puisqu’il peut s’agir d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

Le législateur a ainsi voulu, par l’adoption de l’art. 83, al. 1, let. n, garantir une protection spécifique contre la discrimination de personnes selon qu’elles participent ou non au système en punissant spécifiquement tout refus d’une prestation destinée à l’usage public. Restera à savoir quelles prestations pourront être considérées comme  destinées à l’usage public.  A titre de comparaison, en matière de discrimination raciale, une prestation destinée à l’usage public – dont le refus est punissable d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire (art. 261 bis al. 5 CP) – se définit comme une prestation offerte de façon standardisée à un nombre indéterminé de personnes. Il s’agit notamment des moyens de transport, hôtels, restaurants, cafés, parcs, etc.

Le Tribunal fédéral et la justice suisse accélèrent leur numérisation

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Le coronavirus a pour effet d’accélérer les avancées numériques dans de nombreux domaines.

Le Tribunal fédéral n’échappe pas à cette tendance. Son président, Ulrich Meyer, a indiqué dans l’Aargauer Zeitung avoir oeuvré à la nouvelle organisation de la plus haute instance judiciaire suisse durant la période de semi-confinement qui vient de s’écouler. Celle-ci est en effet en train de travailler à la numérisation des dossiers judiciaires. Dans une institution qui travaille actuellement toujours avec des dossiers papier, et qui n’est saisie de recours électroniques, via une plateforme dédiée, que dans un peu moins de 50 cas sur 8000 par an, la tâche est d’envergure.

La justice suisse n’a certes pas attendu la pandémie pour amorcer sa numérisation, mais celle-ci devient maintenant – la situation actuelle en est un exemple – urgente. Le passage au numérique du système judiciaire suisse est l’objet du projet Justitia 4.0. Selon le Président du Tribunal fédéral, ce projet devient aujourd’hui une nécessité. Ce projet, qui sonnera le glas des dossiers papiers, sera mis en œuvre en plusieurs étapes de 2022 à 2026. La législation envisagée imposera en effet de manière générale le recours au dossier judiciaire électronique. De même, la communication par voie électronique entre les parties impliquées dans une procédure sera en principe obligatoire.

Efficacité accrue

Tous les acteurs juridiques gagneront en efficacité. Les avocats et magistrats pourront accéder facilement aux dossiers, qui seront toujours à jour. Plus besoin de se déplacer. Les dizaines de classeurs tapissant les salles d’audiences céderont leur place aux écrans. Et les avocats brandissant des documents en audience appartiendront bientôt au passé.

En matière civile, les procès par vidéo deviennent une réalité en Suisse.

Le 20 avril 2020 à minuit est entrée en vigueur l’Ordonnance du 16 avril 2020 du Conseil fédéral instaurant des mesures en lien avec le coronavirus dans le domaine de la justice et du droit procédural (Ordonnance COVID-19 justice et droit procédural). Ces nouvelles règles, édictées par le Conseil fédéral afin de permettre à la justice de fonctionner durant la crise sanitaire liée au coronavirus que nous connaissons actuellement, doivent à mon sens être saluées.

Nouvelles règles en matière civile, matrimoniale, et de protection de l’enfant et de l’adulte

L’Ordonnance du 16 avril 2020 définit ainsi les conditions auxquelles les audiences civiles par vidéoconférence peuvent désormais, et jusqu’au 30 septembre 2020, être ordonnée par un tribunal civil. Tel sera le cas « lorsque les parties y consentent ou que de justes motifs le commandent, notamment en cas d’urgence » (art. 2 al. 1). Selon le commentaire de ces dispositions édicté par l’OFJ, même des audiences de conciliation peuvent désormais être effectuées par vidéoconférence si les parties y consentent ou que de justes motifs le commandent. L’audition de témoins et la présentation de rapports d’experts peuvent également intervenir par vidéoconférence (art. 2 al. 3), sans qu’il soit nécessaire d’obtenir le consentement des parties ou des témoins (commentaire p. 5). Enfin, l’ordonnance prévoit, en dérogation au principe de publicité des débats, que le public peut être exclu des vidéoconférences – à l’exception des journalistes accrédités (art. 2 al. 3).

En matière matrimoniale, les auditions peuvent désormais être menées par téléconférence ou par vidéoconférence lorsque les parties y consentent, à moins que de justes motifs ne s’y opposent. Ce n’est qu’exceptionnellement et en cas d’urgence qu’elles peuvent être menées selon de telles modalités sans le consentement des parties (art. 3). Par exemple lorsqu’il s’agit d’attribuer le domicile conjugal ou d’adapter les contributions d’entretien, le droit de garde ou le droit de visite (commentaire, p. 6). Le commentaire de cette disposition édicté par l’Office fédéral de la justice (OFJ) précise qu’il n’est toutefois pas question de procéder à l’audition d’un enfant par téléconférence ou vidéoconférence, le risque qu’il soit influencé ou mis en danger étant trop important (commentaire, p. 5). La possibilité de mener des auditions et audiences par vidéoconférence concernera également les procès en matière de protection de l’enfant et de l’adulte (art. 6).

La sécurité des données devra être assurée

S’agissant des aspects pratiques et techniques, les principes suivants sont énoncés par l’Ordonnance COVID-19 justice et droit procédural du 16 avril 2020 (art. 4) :

  • le son et le cas échéant l’image devront parvenir simultanément à tous les participants;
  • l’enregistrement audio et le cas échéant vidéo devra être versé au dossier lors d’auditions de témoins, présentation de rapports d’experts et auditions lors de procédures relevant du droit matrimonial.
  • la protection et la sécurité des données devront être garanties.

Le commentaire OFJ précise que la transmission devra être cryptée d’un bout à l’autre et que le serveur utilisé devra se trouver en Suisse ou dans l’Union européenne. Il s’agira en outre évidemment d’empêcher la transmission involontaire de données à des tiers ainsi que tout accès, toute participation et tout enregistrement sans autorisation.

Pas de procès par vidéo en matière pénale

Le Conseil fédéral n’a pas jugé nécessaire d’édicter des nouvelles dispositions spécifiques en lien avec les procédures administratives et pénales, étant précisé que  les cantons restent compétents pour régler le recours à la téléconférence ou à la vidéoconférence lors des procédures administratives régies par le droit cantonal.

S’agissant des procédures pénales, comme exposé dans mon précédent billet de blog, et comme le rappelle le commentaire édicté par l’OFJ, les ministères publics et les tribunaux peuvent déjà, selon le droit en vigueur, ordonner des auditions par vidéoconférence en vertu de l’article 144 du code de procédure pénale (CPP), étant précisé que le droit de procédure actuel ne permet cependant pas que les débats pénaux dans leur ensemble aient lieu par vidéoconférence. Le Conseil fédéral renonce à légiférer par droit de nécessité dans ce domaine « compte tenu des points délicats qu’il faudrait régler (concernant notamment le principe de la publicité des débats, l’importance de l’immédiateté des débats pour l’administration des preuves, le risque que la présomption d’innocence soit mise à mal par la publication non autorisée d’actes de procédure […], mais aussi en raison de difficultés pratiques […]) » (commentaire OFJ, p. 3).

Mon opinion personnelle

En plus des motifs énoncés par l’OFJ, en raison desquels l’ordonnance du 16 avril ne s’étend pas à la justice pénale, il est difficilement concevable pour l’avocate que je suis de devoir plaider une cause pénale d’une certaine importance – et elles le sont généralement toutes que ce soit pour le prévenu ou pour la partie plaignante – à distance.

La justice pénale, par ses enjeux et dans son essence même, est et doit rester fondamentalement humaine. Le juge pénal jouit généralement d’un pouvoir important, et d’une marge d’appréciation non négligeable. Comment les membre d’un tribunal correctionnel ou criminel parviendraient-ils à fonder leur intime conviction à distance? Réussiraient-ils à évaluer si une partie est sincère ou si elle ment en ne voyant que son visage sur l’écran de leur ordinateur ? Il s’agit pourtant pour eux de répondre à ces questions au moment de décider de la culpabilité ou de l’innocence d’une personne.

Et à l’heure de fixer la sanction, comment les membre d’un tribunal pénal “distant” évalueraient-ils la gravité de la culpabilité de l’auteur, ses motivations et ses buts ? Comment comprendre ce qui anime intimement une femme ou un homme sans jamais avoir eu cette personne en chair et en os devant soi ? Or, ces questions sont déterminantes, même dans les procès pénaux dits “techniques”, par exemple en matière de droit pénal des affaires.

Enfin, quelles émotions passeraient-elles encore à travers le filtre des écrans ? On imagine mal l’effet cathartique du procès pénal se produire par écrans interposés.