Qu’évoquent pour vous chacune de ces images?

Si la première suscite l’envie, la seconde l’empathie, et la troisième la crainte de devenir un jour comme ça, alors vous êtes certainement victime d’une des normes sociales les plus puissantes actuellement : l’injonction à la minceur [1].

Pour atteindre cette norme, ce n’est pas sorcier me direz-vous. Il suffit de dépenser autant d’énergie que vous en mangez, ni plus ni moins.

La société nous pousse à admirer celles [2] qui parviennent à ce subtil équilibre et à tolérer celles qui évacuent plus qu’elles n’ingèrent. L’anorexie est en effet le trouble du comportement alimentaire le plus admis socialement puisqu’il représente une exacerbation du contrôle du corps que la société nous enjoint d’avoir.

A contrario, l’obésité est encore souvent perçue comme un état dont la personne, par manque de volonté, est responsable.

“Les très très maigres sont à l’abri. On les insulte rarement. On les plaint plutôt. Les pauvres, à coup sûr elles sont malades.

Mais les très, très grosses, on ne les rate jamais. On ne se retient pas. Comme si les rondeurs et la graisse amortissaient les coups.” [3]

Et les coups pleuvent sur les grosses 

Regards désapprobateurs, critiques ouvertes, blagues dénigrantes, insultes, culpabilisation démesurée ou encore propos tels que “ne te ressers pas”, “fais du sport”, “fais un effort pour t’habiller, déjà que tu es grosse”. Cela peut aller jusqu’au harcèlement et à l’exclusion sociale, en particulier chez les plus jeunes.

Ce phénomène a un nom : la grossophobie.

Il s’agit d’une aversion ou une attitude hostile envers les personnes en surpoids ou obèses [4]. Cela englobe l’ensemble des attitudes de stigmatisation, de discrimination et de violence envers ces personnes.

 

La blogueuse Nabela aux 1,5 millions de followers sur Instagram, s’est maquillée d’insultes dont elle a été victime pour dénoncer la grossophobie.

Certaines grosses sont elles-mêmes auteures de grossophobie quand, ayant intériorisé la norme sociale à la minceur, elles font preuve de détestation de soi et d’autodénigrement.

À l’inverse, si l’on est sympathisant des mouvements de body acceptance, c’est à coup sûr s’entendre dire que l’on incite, de manière irresponsable, à l’obésité, et à tous les problèmes de santé qui vont avec.

Mais depuis quand insulte-t-on les personnes malades ?

Vit-on dans une société complètement schizophrène ? D’un côté de constantes incitations à consommer et de l’autre, une intimation à correspondre aux canons 60-90-60.

Une explication se trouve certainement dans l’apport du marché de la minceur. Tout de même 4 milliards par an en France. Une main vous tend la junk food, l’autre le comprimé brûleur de graisse.

On en vient à oublier que le surpoids et l’obésité sont une maladie chronique reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (voir encadré plus bas). En effet, il s’agit d’une maladie complexe, progressive et récidivante. L’obésité est considérée comme une maladie dans plusieurs pays européens comme le Portugal, l’Italie, Malte et plus récemment l’Allemagne.

Dénigrer une personne souffrant d’obésité revient donc à se moquer de sa maladie. À qui cela viendrait-il à l’idée de rire d’une personne atteinte d’un cancer ? Alors pourquoi se le permettre avec les grosses ? A-t-on seulement une once d’idée de la violence infligée ?

J’ai mal à mes bourlets

Comme toute forme de violence, la grossophobie engendre son lot de souffrances du côté des victimes. Si l’obésité est souvent associée à de nombreux maux physiques (ex. : diabète, ostéoarthrite, syndrome des ovaires polykistiques, etc.), la grossophobie engendre quant à elle de multiples atteintes au fonctionnement psychique : faible estime de soi, dépression, anxiété, phobie sociale, agressivité, etc.

Et la stigmatisation existe également chez les professionnelles de la santé. Or, une patiente souffrant d’obésité et stigmatisée par son médecin risque d’éviter la prochaine consultation et donc de ne pas recevoir de traitement adéquat.

Plus grave, ceci engendre généralement une augmentation des troubles du comportement alimentaire, une diminution de l’activité physique et, par conséquent, une aggravation du degré d’obésité, ainsi qu’une accentuation de la dépression, voire l’apparition d’idées suicidaires et parfois même de tentatives de suicide !

Une étude menée par le Service obésité du CHUV a montré que sur 150 personnes obèses, environ la moitié présente des problèmes d’affirmation de soi et que près de 75% ont un score positif au test d’auto-évaluation de la dépression [5].

Alors bien sûr, quelques-unes ressortiront plus fortes après avoir subi ces violences. Mais ces personnes sont très rares. Chez la plupart, ces violences laisseront des cicatrices, voire des plaies béantes, que la nourriture viendra parfois panser.

Les liens entre excès pondéral, atteintes psychiques et troubles du comportement alimentaire ont été démontrés. Il demeure néanmoins complexe de définir les rapports cause-effet de ces dysfonctionnements et donc de déterminer lequel provoque les autres [6].

 

Considérons la grossophobie comme un délit

Encore aujourd’hui, la grossophobie est une discrimination qui n’a toujours pas atteint le stade du politiquement incorrect :

“Je pense que les gros sont les derniers qu’on peut encore insulter en toute impunité, témoigne une bloggeuse. Si on insulte un Juif, un Noir, un Arabe, il peut potentiellement y avoir des poursuites.” [7]

Des associations germent pour que les choses bougent au niveau des représentations, des médias, du corps médical ou du monde politique. C’est le cas de Perceptio Cibus ou d’Eurobesitas qui soutiennent toute personne atteinte d’obésité par des activités ciblées (groupes de parole, relaxation, activités physiques adaptées, etc.).

Ces associations se battent pour que l’obésité soit reconnue comme une maladie complexe qui nécessite une prise en charge multidisciplinaire car en Suisse, l’obésité n’est toujours pas reconnue comme telle par l’Office fédéral de la santé publique. Seules les comorbidités sont prises en charge par l’assurance de base. Actuellement, deux membres de Perceptio Cibus et Eurobesitas interviennent comme expertes auprès de la section Obésité de l’OFSP.

Dr Durrer, présidente d’Eurobesitas dirige un projet avec l’OFSP et l’Institut des Sciences et du Sport de l’Université de Lausanne qui vise, d’une part, à reconnaître l’obésité comme une maladie et d’autre part, à œuvrer pour que la prise en charge multidisciplinaire des patientes adultes souffrant d’obésité soit enfin remboursée par les caisses maladies.

Une “Alliance obésité” est en train d’être mise sur pied avec l’OFSP où tous les acteurs de la santé s’occupant de cette maladie en Suisse seront représentés. Katja Schläppi, présidente de Perceptio Cibus, et Dr Dominique Durrer y participeront. Ainsi, la place est enfin donnée aux patientes pour qu’on les écoute et tienne compte de leurs vécus, besoins et expertises de leur maladie. Mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour parvenir à ces fins.

Cela sera-t-il suffisant pour qu’un jour la grossophobie soit considérée comme un délit répréhensible ? Au même titre que le racisme, l’homophobie ou l’antisémitisme ? Si le chemin semble encore long, il est indispensable pour assurer la dignité et le bien-être des personnes en situation d’obésité, soit une personne sur dix en Suisse.

 

 

L’obésité, souvent perçue comme un manque de volonté, rarement comme une maladie

Le préjugé que l’obésité résulte d’un manque de volonté est encore largement répandu, y compris dans le corps médical. Mais rappelons, si tant est que cela soit nécessaire, que l’obésité est une maladie chronique et complexe reconnue par l’Organisation mondiale de la santé. Elle est générée par de multiples facteurs (génétique, environnement social, endocrinologie, sédentarité).

En Suisse, 42 % de la population adulte est en surpoids et 11 % est obèse1.

La prévalence de cette maladie, en plus d’être en constante augmentation ces dernières années, est aussi inégalement répartie. Par exemple, être un homme âgé de catégorie sociale populaire augmente fortement le risque d’être en surpoids ou obèse. À l’opposé, très peu de jeunes femmes universitaires sont victimes de cette maladie. Les enfants en surpoids âgés d’une dizaine d’années ayant au moins un parent obèse ont un risque de 80% de devenir obèse à l’âge adulte, contre 10 % si les deux parents sont minces2.

Surpoids et obésité – Population âgée de 15 ans et plus3

 

De plus, de récentes recherches ont confirmé ce que de nombreuses personnes victimes d’hyperphagies relataient : le phénomène d’addiction à la nourriture. Les résultats se basent principalement sur des preuves neurobiologiques qui entraînent des comportements typiques d’une dépendance : signes de manque, tolérance à un ou plusieurs produits, consommation plus élevée que celle planifiée, volonté et tentatives infructueuses de réduire ou stopper la consommation d’un ou plusieurs aliments, etc.

Une preuve de plus que l’obésité n’est pas plus un choix que toute autre maladie.

 

1 Les personnes ayant un indice de masse corporelle (IMC) compris entre 25 et 30 sont considérées comme en surpoids. Pour un individu de 170 cm, cela représente un poids entre 74 et 87 kilos. Au-delà, l’IMC est supérieur à 30. On parle alors d’obésité. Cette dernière est jugée mortelle en-deçà de 115 kilos (IMC supérieur à 40).

2 SanteRomande.ch. Site ayant pour but de faciliter l’accès à une information fiable sur Internet pour les Romandes

3 Enquête suisse sur la santé (2018). Office fédéral de la statistique.

 

Notes

[1] De gauche à droite, les actrices Denise Richards dans le film Le monde ne suffit pas, Lily Collins dans la série To the bone, Rebel Wilson, qualifiée d’apport comique pour le film Pitch Perfect, au côté d’actrices dites “glamour”.

[2] Le féminin est adopté lorsque le neutre n’est pas possible. Ce choix a été fait afin de faciliter la lecture. Cela n’a aucune intention discriminatoire. Pour des raisons d’égalité dans la représentation des deux sexes, le masculin sera adopté dans le prochain article lorsque le neutre ne sera pas possible.

[3] Zamberlan (1994). Coup de gueule contre la grossophobie. Paris : Ramsey

[4] Idem.

[5] Giusti, Panchaud (2007). Profil psychologique du patient obèse. Revue médicale suisse. Disponible en ligne.

[6] Adapté de l’article susmentionné.

[7] Jadoulle (2019). Grossophobie: “Les gros sont les derniers qu’on peut encore insulter en toute impunité”. Site belge d’actualité www.moustique.be.

 

Cachez ce sein que je ne saurais voir

Enfant, la majeure partie de mes vacances estivales se passaient sur les plages de Marseille. Telles des madeleines de Proust reviennent à ma mémoire les odeurs de crème solaire sur nos peaux, les cris du vendeur de chouchous – délicieuses cacahuètes pralinées – et l’horizon azur à perte de vue.

Dans le paysage de mes souvenirs se dessinent également les torses dénudés des femmes qui surveillaient de loin leurs enfants tout en papotant entre elles. La nudité de leur poitrine était assumée.

Mais était-ce si difficile d’assumer ce qui était alors considéré comme la norme de l’époque ?

Dans les années 1970, trois quarts des Français étaient favorables au bronzage seins nus 1. Mai 68 était passé par là. Au milieu des années 1980, 43% des Françaises pratiquaient le topless. Contre une femme sur cinq aujourd’hui.

Et ce chiffre paraît excessif quand on déambule sur les plages romandes. À l’exception bien sûr de l’espace réservé aux femmes aux bains des Pâquis.

Un retour de la pudeur ?

Dans une société où le corps des femmes est exhibé pour vendre tout et n’importe quoi, de la voiture au parfum en passant par le papier à cigarette, il semble pour le moins curieux que les femmes n’optent pas pour le topless sur la plage.

Ceci est toutefois moins incongru qu’il n’y paraît. La première raison avancée par les femmes est celle de la santé. Les rayons du soleil sur des parties plus fines telles que les mamelons peuvent en effet entraîner de graves maladies.

Pourtant, les femmes sont des millions à braver les lois de la probabilité en fumant malgré les contre-indications et à s’étaler quantité de produits chimiques en espérant s’embellir, mincir ou rajeunir. Alors pourquoi renonceraient-elles à au plaisir de la caresse du soleil sur leurs seins ?

La réponse est à chercher dans les regards que les autres porteraient sur leur torse nu, regards qu’elles sont nombreuses à avoir intériorisés. La crainte du regard concupiscent des hommes se mêle à celle de ne pas avoir les seins assez beaux pour les exposer aux yeux de toutes et tous.

À l’heure de l’omniprésence des réseaux sociaux et de la surexposition de corps “parfaits” – mais surtout retouchés –, le sein nu doit correspondre à des canons de beauté très précis : “la définition du “beau sein”, acceptable par tous, est en fait très restrictive. Il faut non seulement qu’il soit haut et ferme, jeune de préférence, mais aussi relativement discret pour ne pas accrocher le regard” 2.

Et si le topless était interdit ?

En faisant des recherches pour cet article, j’ai été stupéfaite d’apprendre qu’à Genève, il était interdit de dénuder ses seins pour la baignade…mais que cela était autorisé sur les rives.

En vertu de ce règlement pour le moins absurde et qui datait de 19273, quelques femmes ont été interpelées par des agents municipaux et ont parfois fait l’objet de propos culpabilisant : “Il y a des enfants dans les parages, vous allez les traumatiser, vous devriez avoir honte”.

La plage : un champ de bataille de plus de l’égalité

Cette honte est partagé par près d’un quart des Françaises qui ont peur d’être jugées comme des femmes indécentes si elles choisissaient le monokini4. Mais la notion d’indécence en la matière n’est que pure construction sociale.

Pour preuve, d’aucun serait surpris de savoir qu’entre la Renaissance et le XIXème siècle, la nudité des jambes, des chevilles ou des épaules était estimée comme plus osée que celle des seins. Inspiré par la redécouverte de l’Antiquité, exposer ses seins était alors considéré par l’aristocratie comme une marque de prestige marquant sa richesse et sa position sociale.

Pour les personnes qui voient aujourd’hui de l’indécence à être torse nue sur la plage, que penser alors de cette mode masculine qui consiste à mouler ses parties génitales pour un effet beach boy do Brazil pour le moins suggestif ? Inégalité, quand tu nous tiens !

Alors que, sur le sable, les hommes restent libres de se vêtir et se dévêtir comme il leur semble – à l’exception, tout comme les femmes, de leurs parties génitales – le corps des femmes est soumis à d’incessantes injonctions. Il doit être épilé et couvert. Mais pas trop non plus. En témoigne le débat public sur le port du burkini.

Et si on se disait que le jour où on passera autant de temps et d’énergie à commenter l’épilation, les maillots et les pectoraux des hommes, alors on pourra rouvrir un débat public sur les pratiques des femmes sur nos plages ?

 

1. Enquête de l’institut d’études opinion et marketing en France et à l’international (Ifop)  pour VieHealthy.com réalisée par questionnaire en 2019 auprès d’un échantillon de 5 000 femmes, représentatif de la population féminine âgée de 18 ans et plus résidant en Italie, en Espagne, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Cette étude n’a pas été reproduite en Suisse mais on peut s’attendre à des chiffres similaires.

2. Corps de femmes regards d’hommes. Sociologie des seins nus par Jean-Claude Kaufmann.

3. Règlement abrogé en 2017.

4. Ifop 2019.

La Suisse ne souffrira pas du réchauffement climatique

La Suisse se réchauffe plus vite qu’elle ne le devrait. C’est un fait scientifique. Depuis lundi, elles [1] sont 440 grévistes venus de 38 nations pour une semaine d’échanges avec des scientifiques qui disent vouloir mettre leurs savoirs au service de l’humanité. En tête de lice, cette chère Greta Thunberg.

Mais, si les faits démontrent que la Suisse se réchauffe, je vous annonce qu’elle ne souffrira pas.

Je demande donc d’arrêter toute action visant à faire dévier notre Titanic humanitaire de sa trajectoire

Je refuse en effet qu’une partie de la population – hier infime, aujourd’hui fourmillante – consacre son temps, son argent et son énergie pour déranger nos consciences en plein été, période de l’année où on peut enfin prendre son pied en Suisse.

De toute façon, au vu de l’inertie des commandantes de notre embarcation, je suis prête à parier beaucoup de cash que notre Titanic n’arrivera pas à éviter l’iceberg du réchauffement.

Et sachez que je n’en ai cure. J’ai travaillé toute ma vie pour être en première classe sur ce Titanic. Mon but ultime est d’avoir les moyens de réserver un bateau assez confortable et sécurisé pour naviguer seule en cas d’impact???.

Ce n’est pas de ma responsabilité ni de ma faute si certaines personnes n’ont pas assez bien géré leur argent de manière à anticiper tous les risques. Y compris celui de l’iceberg qui nous arrive en pleine figure.

De toute façon, quand j’aurai rejoint mon Yacht, je ne verrai plus ces misérables qui tentent de survivre sur leurs planches en bois. J’amarrerai au premier port venu et décollerai pour rejoindre ma chère patrie.

Je suis d’ailleurs très heureuse que la Suisse se réchauffe…

J’ai grandi à Marseille et suis amoureuse du climat méditerranéen. Dans quelques années, plus besoin de voler jusqu’en Croatie en fin de printemps ou début d’automne pour me dorer la pilule. La Croatie sera en Suisse.

Six mois par année, je pourrai me baigner sur des plages où je me sens en sécurité : le pied ! Ah mais zut ! Comment ferai-je pour les semaines de canicule comme je les ai connues enfant ? À l’époque, je venais me réfugier à Moutier chez mes grands-parents histoire de récupérer de nuits raccourcies par une chaleur étouffante et respirer un air moins pollué.

J’oubliais. Je ne compte pas déménager de Suisse. Donc, j’aurai de l’argent. Je ferai comme je l’ai appris aux Etats-Unis. Je mettrai un climatiseur dans ma maison et achèterai une voiture. Ainsi, je n’aurai pas à vivre les volets fermés toute la journée, ni à marcher sous un soleil de plomb pour prendre mon bus, ni à supporter les odeurs de poubelles moisies par la chaleur.

D’ici là, les entreprises se seront adaptées et j’aurais un bureau climatisé bien agréable. J’aurais peut-être même encore assez d’argent pour servir quelques bières et glaces aux personnes qui travaillent à l’extérieur et qui, puisqu’elles viennent pour la plupart de pays chauds, ne devraient pas souffrir autant que moi.

Et quand il fera vraiment trop chaud, je m’achèterai un billet pour le Grand Nord et prendrai une Villa avec piscine afin de reposer mon corps éprouvé par la chaleur.

…D’ici là, j’aurai la clim et un bateau 

Certes, je regretterai le cycle des saisons. Je l’ai tout particulièrement apprécié en arrivant à Genève en octobre 2003. Cet automne-là, j’ai découvert le concept du stratus. Vous savez, ce brouillard où vous ne voyez pas à cinq mètres. Mais au moins, je n’aurai  plus à subir Madame la Bise qui fouettait mon visage en traversant la plaine de Plainpalais et traversait mon manteau provençal extrêmement mal adapté à la violence de cette dame. Le soleil automnal sera plus radieux et le vin meilleur.

On arrivera à Noël sans neige. Pas de souci : j’achèterai un mini canon à neige pour nourrir ma nostalgie. Et pour le ski, ce n’est pas si grave, j’ai eu beau persévérer, il est encore difficile pour moi de trouver du plaisir à faire la queue au télésiège après ma semaine de travail.

Je me mettrai à la peau de phoque et suivrai les traces des personnes qui auront fait le même choix que moi. Mais pour une autre raison : le manque de neige en basse altitude. On sera de plus en plus nombreuses à aller se ressourcer de plus en plus haut.

Certes, les animaux seront perturbés par ces arrivées massives. Mais bon, nos bêtes ont l’habitude de s’adapter aux être humaines que nous sommes. Elles le font depuis la nuit des temps donc pourquoi changer une équipe qui gagne ?

Les pins, qui auront remplacé nos hêtres et chênes, ajouteront une pointe de vert dans notre paysage hivernal. Puis le printemps arrivera.

 

Je l’attendrai avec moins d’impatience et aurai une joie moins intense à voir éclore les premiers bourgeons. Mais cette source d’émerveillement sera remplacée par mon bonheur de naviguer sur le Léman, une bouteille de Rivella ou Coca-Cola bien fraîche à la main, et les montagnes verdoyantes à l’horizon.

Oui, parce que d’ici là, j’aurais mon propre bateau. J’aime la vitesse alors je le veux rapide. En plus, je travaillerai certainement loin de chez moi et aurai subi les embouteillages toute la semaine. Alors le soir et le weekend, je voudrai évacuer ce stress accumulé et appuyer fort sur les gaz pour m’isoler au milieu du lac. J’ai déjà appris à ne pas jeter mes mégots à l’eau et à ramener ma bouteille PET dans la bonne poubelle. Ma conscience sera tranquille!…

 

Merci de ne pas déranger ma conscience quand je prends soin de moi

Enfin, tranquille…Je serai plus âgée et aurai mes petites habitudes : le téléjournal pendant mon repas. J’aurai quelques petits soubresauts de pitié en voyant mes frères et sœurs marseillais souffrir encore plus durement qu’aujourd’hui. Mon cœur se serrera à l’évocation des gens fuyant l’avancée du désert, la montée des eaux ou la perte de leur habitat amazonien. Je mangerai une bonne glace Smarties ou Ben & Jerry’s pour me consoler.

À ce propos, j’espère que j’aurai encore accès à ces géants de l’agroalimentaire pour me préparer des bons petits plats surgelés. Mais surtout que leurs entreprises continuent à nourrir l’économie suisse, ceci afin d’assurer à moi et mes compatriotes assez de moyens financiers pour faire face sans souffrance au réchauffement climatique.

 

Au pire du pire,  je mettrai mon meilleur des pires pull de Noël pour aller à la plage

Certaines vont me dire que je rêve : jamais je ne connaîtrai le climat méditerranéen en Suisse.  D’autres me diront que j’exagère mais que je n’y suis pour rien. Que c’est la faute à Greta Thunberg qui a lavé mon cerveau.  Une pauvre adolescente paumée qui, telle une Pinocchio des temps modernes, se fait actionner les ficelles par Gepetto. Il tire sur ses connexions neuronales, anime sa bouche et actionne son mégaphone. Dans la peau de Gepetto, vous aurez évidemment reconnu le méchant et cruel GIEC & Cie.

À ces mises en garde, je réponds que je suis de nature optimiste : la Suisse arrivera un jour à la hauteur du sud de la France. Et mon côté pragmatique fait que je prévois toujours un worst-case scenario. Dans le cas qui nous occupe, ce serait apprendre, dans quelques décennies, que toutes ces scientifiques, politiciennes, activistes et autres citoyennes se sont trompées dans leurs calculs ou ont été manipulées par Gepetto & Cie, ou ont paniqué trop vite. Voire les trois à la fois.

Dommage collatéral : nous aurons fait trop d’effort pour dévier la trajectoire de notre Titanic. L’iceberg n’était qu’un glaçon. Gepetto a fini mangé par une baleine.

Traduction de la métaphore : la planète ne se réchauffe pas. La Suisse ne devient pas la Croatie. Pas de souci, je suis prête : je mettrai mon pull préféré pour aller à la plage.

 

PS : c’était ironique 😉

J’espère que le lectorat aura compris le ton ironique de cet article. Je serai évidemment présente ce vendredi à 15 :00 pour aller puiser dans la sagesse et l’énergie des jeunes et contribuer à faire dévier le Titanic de sa trajectoire fort dangereuse, voire meurtrière.

Cet article s’inscrit en effet dans le contexte de la Climate Strike qui aura lieu 9 août 2019 à 15 :00, Place de la Gare à Lausanne. Il s’agit d’une manifestation internationale du climat avec des jeunes grévistes venus de 38 pays d’Europe et de toute la Suisse.

 

Notes

[1] Cet article étant auto-biographique (et étant une femme…), le genre féminin est adopté quand je parle de moi. Pour le reste, le genre féminin est également adopté lorsque le neutre n’était pas possible. Ce choix a été fait afin de faciliter la lecture. Cela n’a aucune intention discriminatoire. Pour des raisons d’égalité dans la représentation des deux genres, le genre masculin sera adopté dans le prochain article lorsque le neutre ne sera pas possible.

I have a dream version post-14 juin

J’ai été heureuse de me joindre aux centaines de milliers de femmes et d’hommes à ce que l’histoire appellera une des plus grandes manifestations pour l’égalité dans les annales de notre nation.

Il y a près d’un demi-siècle, les hommes suisses octroyèrent le droit de vote et d’éligibilité pour l’autre moitié de la population en âge de voter. Ce vote est venu comme une aube joyeuse terminer la longue nuit de l’exclusion des femmes des sphères du pouvoir. Leur entrée dans l’espace politique et le partage des responsabilités qui incombent aux femmes et hommes de pouvoir ont favorisé la mise à l’agenda de la question de l’égalité.

Le 14 juin n’est pas une fin, mais le commencement

Mais, près d’un demi-siècle plus tard, les femmes et les hommes ne vivent toujours pas sur un pied d’égalité et sont encore terriblement handicapé·e·s par les menottes de la discrimination.

Nous sommes descendu·e·s dans la rue le 14 juin pour rappeler les exigences urgentes de l’heure présente. Ce n’est pas le moment de s’offrir le luxe de laisser tiédir notre ardeur ou de prendre les tranquillisants des demi-mesures. C’est l’heure d’arracher notre nation des sables mouvants de l’injustice sociale et de l’établir sur les rocs de la sororité et de la fraternité.

Le 14 juin n’est pas une fin, c’est un commencement. Ceux qui espèrent que les femmes et les hommes qui réclament l’égalité avaient seulement besoin de se défouler et que ces personnes se montreront désormais satisfaites auront un rude réveil si la nation retourne à son train-train habituel. Il n’y aura ni repos ni tranquillité en Suisse jusqu’à ce qu’on ait accordé à l’ensemble de la population une égalité de faits.

La merveilleuse force collective qui a saisi les femmes pendant la préparation du 14 juin ne doit pas nous entraîner vers la méfiance de tous les hommes, car beaucoup de nos frères – leur présence dans les rues le 14 juin en est la preuve – ont compris que leur destinée est liée à la nôtre. Nous ne pouvons marcher toutes seules sur le chemin de l’égalité. Et au cours de notre progression, il faut nous engager à continuer d’aller de l’avant ensemble.

Nous ne pouvons pas revenir en arrière. Il y a des gens qui demandent aux activistes de l’égalité : « Quand serez-vous enfin satisfait·e·s ? ». Nous ne serons jamais satisfait·e·s aussi longtemps que viols, agressions physiques et violences psychologiques viendront entacher d’une abjecte brutalité les rapports femmes/hommes. Nous ne pourrons être satisfait·e·s aussi longtemps que nos enfants, mêmes devenus grand·e·s, verront leur dignité bafouée par les inégalités de revenus, de représentativité dans l’espace public et de partage des responsabilités et privilèges autant professionnels que familiaux.

Je rêve qu’un jour la Suisse vive pleinement la réalité de sa Constitution

Bien que nous ayons à faire face à des difficultés aujourd’hui et demain, je fais toujours ce rêve : c’est un rêve profondément ancré dans l’idéal démocratique. Je rêve qu’un jour, notre pays se lèvera et vivra pleinement la véritable réalité de sa Constitution : « Tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son sexe (…). L’homme et la femme sont égaux en droit. La loi pourvoit à l’égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. L’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale. ».

Je rêve qu’un jour nos enfants vivent dans une nation où elles et ils ne soient pas jugé·e·s sur leur genre ni leur sexe mais sur la valeur de leur caractère et de leurs compétences. Je rêve qu’un jour nos fils puissent pleurer sans être traité de sales mauviettes et que nos filles puissent se mettre en colère sans qu’on leur demande si elles ont leurs règles. Je rêve qu’un jour nos fils et nos filles jouent ensemble au foot et à la poupée. Je rêve qu’un jour nos filles aspirent à devenir policières ou infirmières, et nos fils pompiers ou aides-soignants. Je rêve que nos adolescentes puissent danser sans devoir subir des mains baladeuses et que nos adolescents puissent sortir sans être pris dans des bagarres d’ego.

Je rêve qu’un jour les femmes puissent porter la longueur de jupe qui leur chante et que les hommes ne soient pas réduits à de vulgaires mateurs frustrés. Je rêve qu’un jour les femmes ne demandent plus d’aide pour percer un trou dans un mur et que les hommes prennent l’initiative de la vaisselle. Je rêve qu’un jour hommes et femmes vivent une sexualité épanouie dans le respect de l’être humain qui partage leur lit. Je rêve qu’un jour les hommes soient dégagés de leurs obligations militaires et que les femmes puissent aspirer à intégrer une armée professionnelle.

Je rêve qu’un jour femmes et hommes partagent un congé parental pour accueillir leur bébé dans toute la dignité que mérite un nouvel être humain. Je rêve qu’un jour les femmes puissent avorter sans devoir se justifier et que les hommes puissent dormir à la maternité après la naissance de leur enfant. Je rêve que les femmes aient des places de travail adaptées quand elles portent la vie et que les hommes puissent profiter d’un temps partiel pour profiter de leur progéniture. Je rêve qu’un jour les femmes n’aient pas à motiver leur souhait de ne pas avoir d’enfant et que les hommes n’aient pas à expliquer leur volonté d’être père au foyer.

Je rêve qu’un jour les femmes puissent être en haut de l’échelle sans avoir à devenir des Queen Bees et que les hommes soient libérés de l’injonction à être des breadwinners.  Je rêve qu’un jour on ne dise plus que les femmes, ça se crêpe le chignon et que les hommes, ça fait des combats de coqs. Je rêve qu’un jour hommes et femmes partagent le plaisir d’être en famille et le travail nécessaire à la tenue d’un foyer où il fait bon vivre. Je rêve qu’un jour les femmes osent prendre le pouvoir ainsi que les privilèges et responsabilités qui vont avec, et que les hommes partagent le pouvoir et aient un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie familiale.

Avec cette espérance, nous serons capables de transformer les discordes criardes de notre nation en une superbe symphonie de sororité et de fraternité. Avec cette espérance, nous serons capables de travailler ensemble, de se réjouir ensemble et de défendre ensemble la cause de l’égalité dans le respect des besoins et des aspirations de toutes et tous.

Si la Suisse doit être une grande nation, que ce rêve devienne réalité !

 

Article écrit sur la base du discours I have a dream de Martin Luther King qui appelait à la fin du racisme lors de la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté du 28 août 1963.