FEMMEs retraites suisse pauvreté épargne lpp

Mesdames, il n’est pas trop tôt pour penser à votre retraite

En 2020, j’ai eu le sentiment de devenir adulte en ouvrant un 3ème pilier. Jusque-là, j’agissais en mode cigale : mon épargne passait dans mes voyages, mes sorties, mes habits et tout autre type de consommation destiné à me procurer un plaisir facile et immédiat. J’étais victime des discours dominants “on n’a qu’une vie” et “de toute façon, on ne sait même pas si on touchera notre retraite”.

 

Passer du mode cigale au mode fourmi

Quelques discussions avec des amies plus âgées ont réveillé mon côté fourmi. Ça tombait bien : pandémie mondiale et urgence climatique obligent, le temps n’était plus aux voyages et autres plaisirs immédiats. La déduction fiscale perçue grâce au versement sur mon 3ème pilier a fini de me convaincre.

 

En parallèle, cette période a correspondu avec une baisse drastique de mon taux d’activité et donc, sans que j’en prenne vraiment la mesure, de mes cotisations au 2ème pilier. Mais, pour ne rien vous cacher, j’avais d’autres chats à fouetter que de me préoccuper d’une retraite qui n’arriverait pas avant une trentaine d’années.

 

En 2021, j’ai assisté un peu par hasard à une soirée d’information sur la Prévoyance professionnelle donnée par Michèle Mottu Stella, experte LPP agréée, économiste et associée Prevanto SA. Ces soirées sont régulièrement organisées par le Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes de l’Etat de Vaud, en collaboration avec le Rectorat de la HES-SO [1].

 

J’ai alors compris que je jouais un jeu dangereux…et qu’apparemment je n’étais pas la seule. Nombreuses sont les femmes qui manquent d’anticipation financière et en paient le prix fort au moment de la retraite.

 

Désireuse que d’autres femmes bénéficient des conseils de Mme Mottu Stella, je lui ai demandé si elle pouvait revenir sur les principaux éléments de cette soirée d’information.

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, pourquoi réserver ces soirées aux femmes ?

La plupart femmes ne s’intéressent que trop peu aux questions financières en général, et à la prévoyance professionnelle en particulier. C’est une question d’éducation et d’un rapport à l’argent genré [2].  Il faut rappeler que ce n’est qu’en 1988 que les Suissesses ont eu le droit de détenir un compte bancaire ou exercer une activité lucrative sans l’accord de leur époux [3]. La construction sociale de ce désintérêt concerne toutes les catégories de population [4].

 

Ces soirées visent à alerter les femmes sur les risques de délaisser les questions de prévoyance professionnelle et à les outiller pour sécuriser leur situation financière à la retraite. Elles offrent un espace sécure au sein duquel toutes les questions, qu’elles soient basiques ou très techniques, peuvent être posées.

 

Concrètement, quels sont les risques de ne pas s’y intéresser ?

Le plus grand danger est de ne pas disposer d’un avoir suffisant à la retraite. Ce risque est particulièrement élevé pour les femmes qui d’entente avec leur mari, se sont consacrées aux tâches essentielles pour la famille, sans rémunération.

 

Dans notre pays, en 2021, 219’935 personnes à la retraite touchent un complément de revenus de la part des prestations complémentaires, dont 66% de femmes. La pauvreté à la retraite menace clairement plus les mères devenues veuves, les femmes divorcées et les étrangères.

 

 

 

Le système de prévoyance actuel a été conçu pour les carrières sans interruption et à taux plein. Cela correspond peu à la réalité des parcours professionnels et familiaux des femmes en Suisse. La parentalité notamment met un puissant coup de frein à leur carrière (reprise à temps partiel, manque d’opportunité d’accéder à des postes plus élevés, épuisement dû aux inégalités de répartition des tâches, etc.).

 

L’interruption d’activité génère des réactions en chaîne : pas de cotisations pour la prévoyance professionnelle, stagnation du capital épargne, perte d’intérêt sur ce capital, diminution du montant projeté à la retraite, et donc diminution de la rente de retraite.

 

Il faut toutefois saluer certains progrès comme le partage du deuxième pilier lors de divorce qui a nettement amélioré la situation des divorcées.

 

[ndlr] Selon une étude publiée dans la Vie économique [5], les femmes bénéficiaires d’une rente touchent 37% moins que les hommes. Le fait que nombre d’entre elles n’ont pas pu se constituer une prévoyance professionnelle en est la cause principale. Environ la moitié des femmes interrogées n’a pas de rente du 2ème pilier, contre près d’un quart pour les hommes.

 

À quel âge faut-il commencer à se soucier de sa retraite ?

Dès que l’on a une situation professionnelle stable. Au plus tard à 35 ans, afin d’avoir suffisamment de temps devant soit pour planifier et à un rythme pas trop contraignant. Il est ainsi possible de mieux partager les risques lorsque l’on est en couple et surtout lorsque l’on devient mère. Plus on repousse la prise de conscience, plus grand est le risque de devoir se serrer la ceinture violemment par la suite.

 

Comment cotiser pour avoir un revenu suffisant à la retraite ?

Chacun devrait d’abord commencer par se poser la question de la qualité intrinsèque du plan de prévoyance offert par son employeur. S’il est de bonne qualité – car l’employeur assume sa responsabilité sociale – les solutions à disposition pour se permettre une retraite sans souci financier sont alors à porter de main. En revanche, si le plan de prévoyance s’avère de piètre niveau, alors il est judicieux de compléter sa prévoyance avec un 3ème pilier par exemple. Peut-être même, si c’est possible, d’envisager un changement d’employeur.

 

Ensuite, il est important de se pencher sur son certificat de prévoyance professionnelle et de ne pas hésiter de demander une aide à la lecture à sa caisse de prévoyance. Si des lacunes de prévoyance se présentent, deux solutions peuvent être mises en place, mais uniquement par l’intervention de l’assurée (l’employeur ne joue aucun rôle).

 

La première est le rachat volontaire du 2ème pilier dès que les revenus le permettent. Il s’agit de versements ponctuels de l’assurée (CHF 3’000.- minimum). Ses avantages :

  • Augmentation de sa prestation de libre passage
  • Amélioration de sa prévoyance professionnelle à la retraite
  • Diminution de la lacune de prévoyance existante
  • Possibilité de partir en pré-retraite, potentiellement avec la même rente qu’à l’âge de retraite ordinaire
  • Déductibilité fiscale du rachat selon les conditions en vigueur par l’administration des contributions

 

La seconde est celle d’un plan épargne supplémentaire que l’on peut demander à sa caisse de pension si elle en propose. Il s’agit d’un changement de plan de prévoyance dans lequel la cotisation épargne de l’assurée augmente. C’est en quelque sorte un rachat volontaire mensuel. Ses avantages :

  • Pas besoin de sortir un montant important comme pour un rachat volontaire.
  • L’augmentation de la cotisation épargne se fait en douceur par prélèvement direct sur le salaire
  • Déductibilité fiscale 100%
  • Permet de rattraper la lacune de prévoyance qu’un parcours professionnel atypique provoque
  • Grande flexibilité : le choix peut être changé chaque année

 

Plus la décision intervient tôt, plus l’efficacité de ces outils est grande. Selon les scénarios, les gains supplémentaires à la retraite sont significatifs.

Je conseille de travailler à 70% minimum : cela permet généralement de limiter les lacunes et de profiter de périodes plus fastes pour opérer le rattrapage adéquat. Je recommande également de demander un conseil financier indépendant autour des 45 ans pour une planification de la retraite : c’est une dépense qui peut s’avérer finalement judicieuse et économique. Enfin, il est important pour les couples de réfléchir à la répartition des taux d’activité et, lors d’achat immobilier, de ne pas puiser uniquement dans le deuxième pilier de madame, le cas échéant de prévoir le remboursement avant un rachat.

 

L’Etat a-t-il un rôle à jouer pour changer la donne ?

C’est un peu la question de la poule ou de l’œuf. Est-ce que les femmes sont pauvres à cause de leur choix dans un système donné de prévoyance ? Ou est-ce que le système est conçu de sorte à ne pas chercher à offrir une prévoyance égalitaire aux femmes ? Une prévoyance égalitaire signifierait qu’elle soit sans biais de genre, autrement dit qu’elle ne péjorerait pas plus les femmes que les hommes au regard de leur parcours professionnel et familial.

 

[ndlr] Plusieurs études montrent que l’égalité des sexes inscrite dans la Constitution n’est pas réalisée dans la prévoyance professionnelle. Le deuxième pilier en particulier présente des inégalités structurelles entre les sexes. Pour respecter le droit constitutionnel, les mesures sont connues : égalité salariale, mesures pour la conciliation vie professionnelle et vie familiale, valorisation des emplois à temps partiel, révisions du seuil d’entrée et de la déduction de la coordination en cas de multi-activités salariées, et prise en compte du travail non rémunéré [6].

 

Sources  

[1] Ces soirées ont été initié en 2020 par l’Office cantonal de l’égalité et de la famille de l’Etat du Valais. Forte de leurs succès, elles sont régulièrement réitérées dans les cantons de Vaud et du Valais. Désormais, certains employeurs l’organisent également pour leur personnel.

[2] [ndlr] Selon deux études récentes sur la question :

  • “Les garçons associent très tôt qu’obtenir plus ou moins d’argent dépend d’eux ; les filles sont davantage dans l’acceptation qu’autrui décide de l’argent qui leur revient”.
  • Plus tard, les femmes empruntent pour subvenir à leurs besoins et augmenter leur niveau de formation (avec malheureusement un faible retour sur investissement), alors que les hommes le font pour valoriser leur capital ou prendre le risque de l’entreprenariat.

[3] [ndlr] Ce droit est entré en vigueur avec l’abolition de la tutelle masculine sur la famille. Cette disposition du droit matrimonial désignait l’homme comme chef de famille et la femme comme responsable des tâches ménagères. Source : Zünd C., Héron C. L’évolution du droit des femmes en Suisse de 1971 à 2020. Le Temps.

[4] [ndlr] Voir par exemple l’étude UBS Women’s Wealth 2021 qui met en lumière ce paradoxe : “la moitié des femmes interrogées affirment que l’argent joue un rôle important pour compenser les lacunes de prévoyance et pour disposer d’une sécurité en cas de maladie ou de perte d’autonomie. Pourtant, très peu de femmes interrogées s’intéressent activement aux questions financières à long terme. (…) Environ la moitié des femmes fortunées pensent s’y connaître moins bien en placements et en produits financiers”.

[5] Fluder R., Salzberger R. (2017). Une retraitée sur deux n’a pas de deuxième pilier. La vie économique.

[6] Voir par exemple les références et l’avis de droit Perrenoud S., Hürzeler M. (2021). Inégalités dans la prévoyance professionnelle suisse et possibilités d’action. Conférence suisse des délégué·e·s à l’égalité entre femmes et hommes.

Peut-on encore consommer pour le plaisir?

Michaël Foessel est philosophe et homme de gauche. Cela ne l’empêche pas de reprocher à une partie du camp écologiste, et plus largement de gauche, de trop culpabiliser les gens sur leurs comportements. Cette stigmatisation se fait au détriment d’une véritable prise de responsabilité collective qu’exigeraient des problématiques comme l’urgence climatique.

 

Comment en est-on arrivé à culpabiliser les individus ?

Dans un entretien donné à Laura Raim dans l’émission d’Arte Les idées larges [1], Michaël Foessel rappelle que cette tendance résulte de la division de la gauche sur la question du droit au plaisir, mais également de l’échec des politiques de gauche :

 

« L’échec historique de la gauche réformiste, redoublé évidemment de l’échec encore plus dramatique de la gauche communiste, a fait que puisqu’on a renoncé à transformer le monde, il nous reste quand même à changer notre vie. En attendant que cela change vraiment collectivement, il faut modifier nos pratiques, notre conception du plaisir, notre rapport au monde. Mais je dirais que cette manière de vouloir porter sur soi-même le poids de l’injustice du monde me paraît avoir davantage trait à la morale et même à la religion qu’au politique. En somme, faute d’être en mesure de s’en prendre aux causes profondes des inégalités, un certain militantisme s’est rabattu sur la stratégie moins ambitieuse de scruter notre éthique personnelle et de politiser tous nos petits gestes quotidiens. »

 

Aujourd’hui, on est loin du slogan « jouir sans entraves » de 68. Les entraves se trouvent désormais dans la nature et dans la contradiction générée par la société de consommation. Celle-ci crée des désirs infinis alors même que nous vivons dans un monde aux ressources limitées. Pire, l’assouvissement de ces désirs détruisent la possibilité de renouveler nombre de ces ressources.

 

Responsabiliser les individus pour se décharger de la responsabilité collective

Toutefois, pour Michaël Foessel, même s’il est nécessaire de repenser nos modes de consommation, la priorité ne devrait pas être de stigmatiser les petits luxes des gens, en particulier ceux des moins riches :

 

« Il est quand même difficile de s’adresser à des gens qui n’ont jamais fait la fête pour leur dire que la fête est finie ».

 

Bien sûr, la culpabilisation est un phénomène qui dépasse largement la gauche ou l’écologie. Mais que cela vienne de gauche ou de droite, responsabiliser les individus, c’est en même temps déresponsabiliser le champ du social et évidemment les politiques [2].

 

Et cela nous entraîne vers de véritables impasses. En Suisse, cela a par exemple été le cas lors du refus par le peuple de la Loi sur la réduction des émissions de gaz à effets de serre [3]. Quant à la France, l’introduction d’une taxe carbone uniforme sans prise en compte des inégalités de pouvoir d’achat a rapidement placé le pays dans une impasse politique.

 

justice sociale écologie kaeser blog

La transition écologique nécessite une responsabilité partagée

Celles et ceux qui s’opposent à de telles mesures ne sont pas nécessairement en désaccord avec l’idée de faire face à l’urgence climatique. Mais ces personnes ne sont pas forcément d’accord sur les moyens proposés par les décideurs, ni que l’on décharge la responsabilité des politiques et des entreprises sur la responsabilité individuelle.

 

Peut-on par exemple décemment culpabiliser des femmes de ménage issues de l’immigration qui prennent l’avion pour rendre visite à leur famille ? Tout en laissant les compagnies aériennes être exemptes de TVA ou de taxe sur le carburant. En Suisse, le Parlement – à majorité de droite – a d’ailleurs récemment refusé que le Conseil fédéral s’engage au niveau international en faveur d’une taxe sur le kérosène [4].

 

Faire reposer le changement climatique uniquement sur les individus ne peut être que vécu comme injuste, en particulier par les plus modestes d’entre nous. Et il est compréhensible que certains s’y opposent fermement. Sans justice sociale, la transition écologique ne peut que faire face à une impasse politique. On ne l’évitera que si la responsabilité d’agir exigée par l’urgence climatique est également assumée par les politiques et les entreprises les plus polluantes [5].

 

🤔 Et vous, qu’en pensez-vous ? Répondre à l’urgence climatique relève-t-il de la responsabilité individuelle ou collective ? Donnez votre avis en commentaire👇

 

 

Sources

[1] Peut-on jouir dans un monde injuste ? Les Idées Larges, Arte, émission du 22 juin 2021. Voir aussi Foessel M. (2022). Quartier rouge. Le plaisir et la gauche. Paris : PUF.

[2] Pour la philosophe et psychanalyste Elsa Godart, le 21ème siècle serait celui de la culpabilité, une culpabilisation sociale qui pèsent avant tout sur les individus. Voir E. Godart (2021). En finir avec la culpabilisation sociale. Paris : Albin Michel.

[3] Le 13 juin 2021 le peuple suisse a voté sur la Loi fédérale du 25 septembre 2020 sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (loi sur le CO2). Elle a été refusée par 51,6% des votant·e·s et 21 cantons.

[4] Contrairement aux autres carburants d’origine fossile, le kérosène est exempté de taxe. Cette décision a été prise après la seconde guerre mondiale. L’aviation a gardé ce statut d’exception tant à Kyoto en 1997 et à Paris en 2015. Le régime actuel CORSIA porté par l’Organisation de l’aviation civile internationale vise à compenser (et non pas à limiter) les émissions et reste sur une base non contraignante jusqu’en 2027. En Suisse, une motion a été déposée par les Vert·e·s au Parlement pour que le Conseil fédéral s’engage en faveur d’une taxe sur le kérosène. Ce dernier a proposé de rejeter cette motion, ce qui a été fait par le Parlement en mai 2022.

[5] Voir par exemple l’article de C. Caddeo Ces 20 firmes responsables d’un tiers des émissions carbone mondiales depuis 1965. Le Temps, article du 10 octobre 2019.

retraite réforme inégalités espérance de vie France Suisse

“Vivre plus longtemps, c’est travailler plus longtemps”

L’argument de base pour légitimer l’augmentation de l’âge de départ à la retraite est celui de l’allongement de l’espérance de vie.

En Suisse, cet argument a largement été utilisé l’an dernier pour motiver le prolongement de la vie active des femmes. Début 2023, c’est au tour d’Emmanuel Macron de l’avancer pour justifier sa réforme des retraites.

Puisque l’espérance de vie augmente, il paraît en effet de “bon sens” [1] de prolonger la vie active. Pourtant, ce raisonnement – logique à première vue et largement ancré dans nos sociétés – élude un peu trop rapidement certaines données de l’équation [2].

 

Pas tout le monde ne vit si longtemps

Ce n’est clairement pas un scoop mais c’est toujours important de le rappeler. Il existe d’importantes inégalités en matière d’espérance de vie.  La catégorie socioprofessionnelle, le niveau d’instruction, le revenu ou encore le lieu de résidence [3] en sont notamment des déterminants puissants.

En France par exemple, les départements ayant une faible longévité et une faible espérance de vie en bonne santé sont ceux que l’on sait les moins favorisés économiquement (départements des Hauts-de-France, Outre-mer) ou très ruraux (Limousin). À l’inverse, les départements qui cumulent forte longévité et meilleure espérance de vie en bonne santé constituent souvent des territoires économiquement aisés avec des populations d’actifs et socialement avantagés (départements de l’Ile‑de‑France, Savoie…) [4].

espérance de vie france inégalités

 

En Suisse, l’écart socio-économique de l’espérance de vie en bonne santé s’est même creusé ces dernières années. En 1990, les diplômés universitaires vivaient 3,3 ans (femmes) et 7,6 ans (hommes) de plus en bonne santé que les personnes sans formation post-obligatoire. Un quart de siècle plus tard, cet écart a augmenté à 5 ans chez les femmes et 8,8 ans chez les hommes [5].

 

Pas tout le monde n’arrive à travailler à un âge avancé

Travailler plus longtemps nécessite d’avoir pu cumuler les ressources nécessaires au maintien de sa santé physique et mentale. Un état de santé dégradé, une faible espérance de vie anticipée, la pénibilité et / ou la charge psychosociale du secteur professionnel – et donc plus ou moins directement le niveau d’étude et la catégorie socioprofessionnelle – sont autant d’explications à un retrait précoce du marché de l’emploi [6].

Une étude suisse montre qu’une majorité des personnes qui ont pris une retraite anticipée l’ont fait en raison de la pénibilité de leur travail (psycho-sociale, maladie ou invalidité), suite à un licenciement, ou encore à la restructuration ou une proposition de leur entreprise. Seule une minorité déclare l’avoir fait pour profiter de la vie [7].

 

Pas tout le monde ne souhaite travailler plus longtemps

En Suisse – mais pas seulement – on entend régulièrement des décideurs politiques dire que celles et ceux qui souhaitent travailler plus longtemps devraient pouvoir le faire, justifiant ainsi la flexibilisation de l’âge à la retraite. Or, cette remise en cause d’un âge fixe au retrait de l’emploi relève de rapports sociaux puissants :

 

“Le rapport à l’âge n’est pas universel et ce sont, bien souvent, une minorité d’individus socialement favorisés qui dénoncent ce critère. (…) La mobilisation contre la discrimination sur l’âge émane de cadres supérieurs, de managers et d’executives, et non de l’ensemble des individus. De surcroît, ce sont également plus souvent des hommes que des femmes, des individus en bonne santé, dotés de diplômes ou de compétences qui leur permettent d’être encore “compétitifs” sur le marché du travail, qui ont connu une carrière professionnelle ascendante et valorisante” [8].

 

Dans une étude menée avec mon collègue Ignacio Madero-Cabib [9], 17% de notre échantillon déclarent avoir travaillé au-delà de l’âge légal de départ à la retraite. Parmi eux, la moitié l’ont fait pour compléter une rente jugée insuffisante. Ce groupe était principalement composé de personnes titulaires d’une formation secondaire ou inférieure, de travailleurs indépendants, d’agriculteurs, de personnes étrangères, ainsi que d’individus divorcés ou veufs.

 

L’autre moitié déclarait avoir prolongé leur vie active pour le plaisir. Ce groupe se distinguait par une surreprésentation d’individus hautement qualifiés. Cela peut s’expliquer par le fait que ces personnes ont également plus tendance à être satisfaites de leur trajectoire professionnelle et  ont rarement des métiers pénibles.

 

Rappelons également que les systèmes de prévoyance vieillesse joue un rôle majeur dans la capacité financière à se retirer du marché de l’emploi et dans les revenus à la retraite. Le type de poste occupé, les secteur et taux d’activité, les périodes de chômage, d’invalidité, de parentalité, etc. sont autant de facteurs influençant la capacité à cotiser et donc l’âge de départ à la retraite[10].

 

Penser les retraites nécessite plus de créativité

Les systèmes de retraite actuels donnent une grande importance au nombre d’années travaillées et/ou à un âge fixe auquel toucher les prestations de retraite. Un tel focus est trop limitant. Il discrimine les individus ayant connu des bas salaires, un métier pénible, une discontinuité de leur trajectoire professionnelle, un travail à temps partiel ou une entrée tardive sur le marché de l’emploi. Typiquement les femmes et les personnes qui travaillent dans des secteurs pénibles.

 

Les politiques de retraite doivent être davantage créatives. Pour cela, il faut s’inscrire dans un débat plus large et inviter autour de la table les politiques d’emploi, de santé, familiale et économique. Il s’agit en particulier d’inclure les questions de pénibilité, d’accès à la santé, de formation continue, du marché du travail pour les personnes en fin de carrière et des mesures en faveur des chômeurs âgés.

 

Autre axe indispensable : introduire des mesures qui valorisent le rôle pris par de nombreuses personnes âgées – notamment les femmes – dans les activités de soins auprès de parents dépendants ou de petits-enfants et qui pallient ainsi les manques de structures dans ces secteurs.

 

Et, last but not least, d’autres mesures économiques que la prolongation de la vie active pour assurer la soutenabilité des régimes de retraite devraient être sérieusement envisagées et discutées. 💡 Des idées? Mettez-les en commentaires 👇

 

 

 

Sources

[1] Cette expression fait référence à la rhétorique de l’inéluctabilité mobilisée par le politique comme outil pour imposer une solution comme impératif technique correspondant à la marche naturelle de l’économie. Pour en savoir plus, voir les travaux en sociologie de l’expertise. Par ex. : Cusso R., Gobin C. 2008. Du discours politique au discours expert : le changement politique mis hors débat ?, Mots. Les langages du politique, n°88.

[2] Ces éléments sont tirés de ma thèse : Kaeser L. 2015. Personnes âgées issues de la migration et vieillissement actif : interroger les normes contemporaines du vieillissement au prisme des parcours de vie. Genève : Thèse de l’Université de Genève.

[3] Forney Y.  2011. Les inégalités devant la mort : longévité différentielle en Suisse selon les catégories socio-professionnelles (1991-2004). Genève : Thèse de l’Université de Genève.

[4] Crouzet M., Carrère A., Laborde C. et al. 2021. Différences d’espérance de vie sans incapacité dans les départements français . Revue Quetelet, n°8.

[5] Remund A., Cullati, S. 2022. Les inégalités d’espérance de vie en bonne santé en Suisse depuis 1990. Social Change in Switzerland, n°31.

[6] Blanchet D., Debrand T. 2007. Souhaiter prendre sa retraite le plus tôt possible : santé, satisfaction au travail et facteurs monétaires. Économie et statistique, n°403-404.

[7] Kaeser L. (2015), cité.

[8] Lefrançois C. 2013. Tensions autour du critère de l’âge. Les chômeurs âgés face aux politiques de l’emploi en France et au Royaume-Uni. Lille : Thèse de l’Université Charles-de-Gaulle Lille 3, p. 403.

[9] Madero-Cabib I., Kaeser L. 2016. Active Ageing in Switzerland: A Study on the Determinants of Extending Occupational Activity and Voluntarism of Late Retirement. European Journal of Ageing, vol. 13, n°1.

[10] Debrand  T., Sirven N. 2009. Les facteurs explicatifs du départ à la retraite en Europe. Retraite et société, vol. 57, n°1.