I have a dream version post-14 juin

J’ai été heureuse de me joindre aux centaines de milliers de femmes et d’hommes à ce que l’histoire appellera une des plus grandes manifestations pour l’égalité dans les annales de notre nation.

Il y a près d’un demi-siècle, les hommes suisses octroyèrent le droit de vote et d’éligibilité pour l’autre moitié de la population en âge de voter. Ce vote est venu comme une aube joyeuse terminer la longue nuit de l’exclusion des femmes des sphères du pouvoir. Leur entrée dans l’espace politique et le partage des responsabilités qui incombent aux femmes et hommes de pouvoir ont favorisé la mise à l’agenda de la question de l’égalité.

Le 14 juin n’est pas une fin, mais le commencement

Mais, près d’un demi-siècle plus tard, les femmes et les hommes ne vivent toujours pas sur un pied d’égalité et sont encore terriblement handicapé·e·s par les menottes de la discrimination.

Nous sommes descendu·e·s dans la rue le 14 juin pour rappeler les exigences urgentes de l’heure présente. Ce n’est pas le moment de s’offrir le luxe de laisser tiédir notre ardeur ou de prendre les tranquillisants des demi-mesures. C’est l’heure d’arracher notre nation des sables mouvants de l’injustice sociale et de l’établir sur les rocs de la sororité et de la fraternité.

Le 14 juin n’est pas une fin, c’est un commencement. Ceux qui espèrent que les femmes et les hommes qui réclament l’égalité avaient seulement besoin de se défouler et que ces personnes se montreront désormais satisfaites auront un rude réveil si la nation retourne à son train-train habituel. Il n’y aura ni repos ni tranquillité en Suisse jusqu’à ce qu’on ait accordé à l’ensemble de la population une égalité de faits.

La merveilleuse force collective qui a saisi les femmes pendant la préparation du 14 juin ne doit pas nous entraîner vers la méfiance de tous les hommes, car beaucoup de nos frères – leur présence dans les rues le 14 juin en est la preuve – ont compris que leur destinée est liée à la nôtre. Nous ne pouvons marcher toutes seules sur le chemin de l’égalité. Et au cours de notre progression, il faut nous engager à continuer d’aller de l’avant ensemble.

Nous ne pouvons pas revenir en arrière. Il y a des gens qui demandent aux activistes de l’égalité : « Quand serez-vous enfin satisfait·e·s ? ». Nous ne serons jamais satisfait·e·s aussi longtemps que viols, agressions physiques et violences psychologiques viendront entacher d’une abjecte brutalité les rapports femmes/hommes. Nous ne pourrons être satisfait·e·s aussi longtemps que nos enfants, mêmes devenus grand·e·s, verront leur dignité bafouée par les inégalités de revenus, de représentativité dans l’espace public et de partage des responsabilités et privilèges autant professionnels que familiaux.

Je rêve qu’un jour la Suisse vive pleinement la réalité de sa Constitution

Bien que nous ayons à faire face à des difficultés aujourd’hui et demain, je fais toujours ce rêve : c’est un rêve profondément ancré dans l’idéal démocratique. Je rêve qu’un jour, notre pays se lèvera et vivra pleinement la véritable réalité de sa Constitution : « Tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son sexe (…). L’homme et la femme sont égaux en droit. La loi pourvoit à l’égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. L’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale. ».

Je rêve qu’un jour nos enfants vivent dans une nation où elles et ils ne soient pas jugé·e·s sur leur genre ni leur sexe mais sur la valeur de leur caractère et de leurs compétences. Je rêve qu’un jour nos fils puissent pleurer sans être traité de sales mauviettes et que nos filles puissent se mettre en colère sans qu’on leur demande si elles ont leurs règles. Je rêve qu’un jour nos fils et nos filles jouent ensemble au foot et à la poupée. Je rêve qu’un jour nos filles aspirent à devenir policières ou infirmières, et nos fils pompiers ou aides-soignants. Je rêve que nos adolescentes puissent danser sans devoir subir des mains baladeuses et que nos adolescents puissent sortir sans être pris dans des bagarres d’ego.

Je rêve qu’un jour les femmes puissent porter la longueur de jupe qui leur chante et que les hommes ne soient pas réduits à de vulgaires mateurs frustrés. Je rêve qu’un jour les femmes ne demandent plus d’aide pour percer un trou dans un mur et que les hommes prennent l’initiative de la vaisselle. Je rêve qu’un jour hommes et femmes vivent une sexualité épanouie dans le respect de l’être humain qui partage leur lit. Je rêve qu’un jour les hommes soient dégagés de leurs obligations militaires et que les femmes puissent aspirer à intégrer une armée professionnelle.

Je rêve qu’un jour femmes et hommes partagent un congé parental pour accueillir leur bébé dans toute la dignité que mérite un nouvel être humain. Je rêve qu’un jour les femmes puissent avorter sans devoir se justifier et que les hommes puissent dormir à la maternité après la naissance de leur enfant. Je rêve que les femmes aient des places de travail adaptées quand elles portent la vie et que les hommes puissent profiter d’un temps partiel pour profiter de leur progéniture. Je rêve qu’un jour les femmes n’aient pas à motiver leur souhait de ne pas avoir d’enfant et que les hommes n’aient pas à expliquer leur volonté d’être père au foyer.

Je rêve qu’un jour les femmes puissent être en haut de l’échelle sans avoir à devenir des Queen Bees et que les hommes soient libérés de l’injonction à être des breadwinners.  Je rêve qu’un jour on ne dise plus que les femmes, ça se crêpe le chignon et que les hommes, ça fait des combats de coqs. Je rêve qu’un jour hommes et femmes partagent le plaisir d’être en famille et le travail nécessaire à la tenue d’un foyer où il fait bon vivre. Je rêve qu’un jour les femmes osent prendre le pouvoir ainsi que les privilèges et responsabilités qui vont avec, et que les hommes partagent le pouvoir et aient un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie familiale.

Avec cette espérance, nous serons capables de transformer les discordes criardes de notre nation en une superbe symphonie de sororité et de fraternité. Avec cette espérance, nous serons capables de travailler ensemble, de se réjouir ensemble et de défendre ensemble la cause de l’égalité dans le respect des besoins et des aspirations de toutes et tous.

Si la Suisse doit être une grande nation, que ce rêve devienne réalité !

 

Article écrit sur la base du discours I have a dream de Martin Luther King qui appelait à la fin du racisme lors de la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté du 28 août 1963.