La thématique de la place des parents dans le milieu scolaire est centrale : le nombre de sociologues ou spécialistes de l’éducation ayant travaillé sur le sujet en est la démonstration. Si, de prime abord, les rapports école-famille semblent aller de soi, les problématiques sous-jacentes sont extrêmement nombreuses avec des enjeux tout à fait complexes. Comme l’observe Francine Best, autrice bien connue dans le champ de l’éducation, l’organisation des familles est dictée par le rythme scolaire. Autrement dit « le rythme quotidien et annuel de toute famille dépend de la structuration des rythmes scolaires : vacances, congés, etc. » Cette temporalité contraignante pose les jalons d’un rapport qui, dans certaines circonstances, peut s’avérer compliqué. Les quelques lignes de cet article prennent largement appui sur un numéro intitulé « Parents « gêneurs » ou « acteurs » : la place difficile des parents dans l’école » de la revue Administration & Education. Nous discuterons ici le rôle et la place attendus des parents dans l’école avant d’observer la composante des devoirs dans le rapport entre ces deux entités. Relevons que divers angles d’analyse sont possibles : ils feront l’objet d’autres articles.
Le rôle et la place des parents
Affirmée plus ou moins explicitement par l’institution, la participation du parent est attendue dans le projet scolaire de l’enfant. A titre d’exemple, les professionnels de l’éducation attendent une présence et une aide des parents lorsque l’enfant fait ses devoirs ou encore une forme de collaboration particulièrement étroite lorsque l’élève est en difficulté scolaire. Nous pourrions aller jusqu’à écrire que, selon certains chercheurs, il y a une attente de coéducation[1]. Ces attentes ont, en creux, la réussite de l’élève. Mais il s’agit de se poser une question : la participation des parents entraine-t-elle forcément la réussite scolaire de leur enfant ?
Les résultats de recherche montrent que les enfants des parents les plus investis dans les diverses associations de parents ou dans le fonctionnement scolaire ont de meilleurs résultats. Or, ce n’est pas tant l’engagement des parents qui a des conséquences sur la scolarité de leur enfant, mais bien l’appartenance socio-économique de ces derniers. Comme l’évoquait Gombert, les parents engagés dans les instances scolaires appartiennent, de manière générale, à la classe moyenne ou supérieure. Dans cette même perspective, les études mettent en exergue que les cadres scolaires ou directions d’établissement ont tendance à s’orienter davantage vers les parents n’appartenant pas aux classes populaires.
Si l’idée est d’intégrer les parents dans le projet éducatif de l’élève, il s’agit de ne pas omettre que tous les parents n’ont pas les mêmes ressources stratégiques et parfois, sous couvert de coéducation, c’est bien davantage un contrôle parental qui se met en place. Une même demande de participation raisonne différemment auprès du parent, ce en fonction de son rapport à l’école, sa façon de percevoir le monde scolaire ou encore l’histoire qui est la sienne. Ici, nous venons questionner l’injonction à la participation du parent lorsqu’elle vise davantage le contrôle parental plutôt que le projet de réussite de l’élève. Dit autrement : s’immiscer dans l’organisation familiale est-il toujours judicieux ? N’y a-t-il pas ici avant tout une trace de contrôle des pratiques familiales ?
Les devoirs, ce lien, parfois le seul, si ambigu
Elément souvent omniprésent dans la scolarité des élèves, les devoirs demeurent une focale intéressante dans l’analyse des rapports école-famille. Bien que les réunions de parents auraient pu faire l’objet ici d’une discussion, nous arrêtons notre choix sur les devoirs, composante scolaire si répandue.
Comme le mentionne Kus, « à travers les devoirs, les parents espèrent ainsi influer sur le destin scolaire de leurs enfants ». Si les devoirs semblent être une pratique ordinaire, d’importants enjeux ont cours pourtant. Loin d’un idéal selon lequel l’enfant travaillerait de façon autonome, les devoirs sont davantage un lieu : d’énervements parentaux, de tensions entre les enfants et les parents, de travail à essayer de comprendre les attentes enseignantes. Les devoirs sont aussi le moment des réinterprétations de la consigne enseignante ; pour preuve, cet extrait issu de la recherche de Kakpo mobilisée par Kus :
« Une élève de 5e qui doit à la maison lire un passage de roman travaillé en classe, avec sans doute pour l’enseignant des objectifs concernant la connaissance et la compréhension de la trame de l’histoire, se voit imposer par sa tante qui l’aide dans ses devoirs, non seulement de lire à voix haute, mais également de prononcer en lisant tous les « e » muets. Dans l’esprit de la tante, il s’agit d’anticiper sur une tâche de dictée où l’enseignant ne va pas prononcer les lettres muettes, en faisant mémoriser l’orthographe des mots à sa nièce. » (p. 77).
En plus d’être un probable lieu de tension entre individus d’une même famille, les devoirs jouent de façon déterminante un rôle dans la production d’inégalités scolaires. Compte tenu de ces éléments, ne faut-il pas percevoir le lien parents-école autrement que par les devoirs ou la traditionnelle séance de parents ?
Des parents sous pression et une relation à dépassionner
Ce partenariat institutionnel n’a rien d’évident ; il est en effet composé de fortes attentes tant chez les parents que du côté scolaire. Comme le mentionnent Mathias Millet et Daniel Thin, « les familles qui, en raison de leurs conditions d’existence ou pour se prémunir des interventions institutionnelles, ne se conforment pas aux attentes institutionnelles, par exemple en ne se rendant pas aux rendez-vous ou en se contentant d’un acquiescement poli non suivi d’effets, font l’objet d’une suspicion institutionnelle qui conduit à leur stigmatisation. »
Aujourd’hui, il faut faire le constat d’un partenariat structurellement asymétrique avec des professionnels détenant une posture d’expert de par leur formation mais aussi par le vocabulaire souvent utilisé. Bien souvent, les professionnels déplorent un manque de transparence ou une opacité des familles et s’étonnent de la réticence des parents à collaborer avec l’institution. Plutôt que d’utiliser ces éléments pour confirmer un jugement – souvent négatif – de l’élève, ne s’agit-il pas d’interroger la posture institutionnelle teintée de violence symbolique ?
Affaire à suivre…
Bibliographie
Bisson-Vaivre, C. & Kherroubi, M. (2017). Parents « gêneurs » ou « acteurs »: La place difficile des parents dans l’école. Administration & Éducation, 1(1), 5-8.
Kus, S. (2017). Les devoirs à la maison, un révélateur des contradictions du système éducatif ?. Administration & Éducation, 1(1), 75-79.
Millet, M. & Thin, D. (2017). Ni gêneurs, ni partenaires, mais sous pression institutionnelle: Les familles d’élèves en ruptures scolaires. Administration & Éducation, 1(1), 81-85.
Pour approfondir le sujet :
Scalambrin, L. & Ogay, T. (2014). “Votre enfant dans ma classe”. Quel partenariat parents-enseignante à l’issue du premier entretien ?. Éducation et sociétés, 2(2), 23-38.
Delay, C. (2014). Classe populaires et devenir scolaire enfantin : un rapport ambivalent ? Le cas de la Suisse romande. Revue française de pédagogie, 188.
Conus, X. (2021). Lorsque l’entrée dans le monde scolaire se heurte aux modèles d’enfant et de parents attendus. Recherche en éducation, 44.
[1] La coéducation est ici entendue comme l’articulation des différentes instances participant à la socialisation des enfants depuis leur naissance (parents, institutions, médias, professionnels, associations etc. selon Neyrand)