Le dernier volet de notre série de trois articles porte sur les motivations de ces parents à proposer une forme de scolarisation alternative à leurs enfants. En sociologie de l’éducation, trois types de visées sont distinguées : les visées expressives, les visées réflexives et les visées instrumentales. Les visées expressives se définissent « comme la recherche d’une éducation protégée, non standardisée et tournée vers l’intériorité. (…). Les parents qui adhèrent à l’idéal de la singularité souhaitent que l’enfant trouve sa voie » (Proboeuf, 2021, p. 212). Les visées réflexives font référence au développement intellectuel de l’enfant : les parents souhaitent un élargissement de l’horizon culturel, une ouverture sur l’apprentissage d’autres langues. Quant aux visées instrumentales, elles renvoient à l’idée d’une rentabilisation de la carrière enfantine.
Les visées expressives regroupent notamment certains parents qui aspirent à une meilleure reconnaissance des émotions. Pour eux, l’école traditionnelle ne porte pas une réelle attention aux émotions ressenties par leurs enfants. « Il s’agit de préserver l’enfant, d’éviter qu’il soit « déformé » par l’école. En effet, la forme scolaire et ses exercices, notamment par le contrôle du corps, ont été pensés pour limiter la spontanéité corporelle et langagière de l’enfant et ce dès le plus jeune âge (Montmasson-Michel, 2016) » (Proboeuf, 2021, p. 215). Pour ces parents, le cadre spatial a également son importance. Certains privilégient une école dans la nature, en forêt, qui favorise, à leurs yeux, le fait d’être « connecté à la nature ». Souvent, pour ces parents et dans ces contextes, l’affectivité entre l’enseignant.e et l’enfant occupe une place importante. Nous retrouvons ici l’idée d’école comme « seconde famille » pour reprendre les propos de Langouët et Léger. In fine, pour ces parents, il s’agit d’assouplir la forme scolaire pour éviter « du gavage de connaissance » ou encore du « rendement pédagogique » pour reprendre les propos utilisés par certains parents.
Les visées expressives comptent des parents qui craignent l’univers « hostile » de l’école. Pour ces individus, le choix d’une école alternative intervient pour protéger leur enfant face aux harcèlements ou à la violence scolaire par exemple. En définitive, pour ces parents, la motivation de scolariser les enfants hors des murs scolaires réside dans le fait d’offrir un cadre dans lequel l’élève peut grandir à son rythme tout en prêtant une attention particulière à l’expression de ses émotions : qu’il puisse se développer dans un cadre qui l’aide à « se révéler », à « révéler son talent » pour reprendre les propos de parents en somme.
D’autres parents souhaitent allier déplacements et scolarité : de nombreux parents motivés par des visées réflexives choisissent de parcourir le monde avec leurs enfants et se voient, de facto, contraints d’assurer une autre forme de scolarisation que celle traditionnelle. Pour ces individus, le voyage apparait comme un réel apport à l’instruction notamment par les découvertes que l’enfant peut faire. L’ouverture et l’apprentissage d’autres langues vont souvent de pair avec cette contrainte de voyage : mais pour ces parents, l’apprentissage d’une deuxième voire d’une troisième langue correspond aux visées réflexives qu’ils poursuivent. En résumé, « Les parents porteurs de visées réflexives ont à cœur de développer chez leurs enfants une autonomie qui leur permettra de se débrouiller dans leur vie future » (Proboeuf, 2021, p. 252).Une dimension importante pour les parents est d’équiper l’enfant d’un esprit critique ; un individu à même de réfléchir par lui-même, adulte en devenir.
Enfin, dernière visée : celle dite instrumentale. « La plupart des études ayant porté sur l’enseignement privé en France ont montré qu’il était mobilisé par les parents dans une visée instrumentale de maximisation d’un capital scolaire, passant bien souvent par une ségrégation si ce n’est sociale, au moins académique, c’est-à-dire portant sur le niveau scolaire des élèves (Ballion, 1982; Merle, 2012; Felouzis et. al 2015; van Zanten 2015) (Proboeuf, 2021, p. 258) » Pour ces individus, il s’agit d’observer et sélectionner les jeunes et leurs potentiels de façon précoce afin qu’ils puissent les réinvestir une fois adulte. Par ailleurs, pour ces parents, il s’agit d’acquérir des compétences qui ne sont pas uniquement académiques, mais aussi intrapersonnelles, sociales ou encore émotionnelles ; composantes déterminantes dans la réussite future d’un individu. Ces parents mettent un point d’honneur à préparer les enfants à un monde flexible dans lequel ils risquent d’exercer plusieurs métiers. L’école doit donc les préparer à ces nouvelles contraintes. En somme, il s’agit d’une forme de rentabilisation de la carrière enfantine.
L’analyse par ces visées est particulièrement intéressante car, en plus de montrer la diversité des projets éducatifs des parents, elle permet de s’interroger sur la capacité de l’école traditionnelle à intégrer les différentes revendications des parents d’élèves. Car, en creux de ces observations, il y une critique de la forme scolaire telle qu’elle existe actuellement. Dès lors, il s’agit de s’interroger sur « l’agilité » de l’école, cette vieille institution. Dans quelle mesure est-il possible de faire évoluer la forme scolaire pour intégrer certaines revendications ?
Pour approfondir la thématique :
Van Zanten, A. (2009). Choisir son école. Paris : Presses universitaires de France.
Votre conclusion est vraiment admirable en ce sens qu’elle résume bien l’esprit de votre article. Mais vous êtes bien prudent: que proposez-vous pour que l’école intègre certaines revendications ? Oui, il faut d’abord bien poser le problème avant de tenter de le résoudre mais je crains que, vu son ancienneté, cela ne soit jamais tranché. Peut-être des enquêtes du genre quel type de parent êtes-vous? Qu’attendriez vous d’une école idéale? Pourquoi une école idéale est-elle impossible? Et serait-on capable d’adapter l’école pour répondre à leurs désidératas? Je pense qu’apparaîtrait-vite la grande phrase de Célestin Freinet “Nous devons nous organiser dans la diversité”. Pas simple! A vos ordinateurs!
Bonjour,
Je vous remercie pour votre commentaire tout à fait aimable et pertinent.
Votre remarque est intéressante en ce sens qu’elle pose la question du dialogue entre l’institution et les parents d’élèves. Il s’agit là d’une vraie question; de se demander si l’Ecole connait, de facto, les attentes plurielles des parents d’une part et est prête à faire évoluer, le cas-échéant, la forme de l’institution d’autre part.
En effet c’est tout un programme et pas simple ! Par ailleurs, nous pouvons nous interroger quant au fait de savoir si ces éléments sont une priorité dans l’agenda des politiques en charge de l’éducation…Ouvrir ces discussions, c’est sans doute s’exposer à d’immenses défis dans un deuxième temps.
Je ne sais pas si vous avez enseigné à des petits. A cet âge, la pression des parents est maximum parce qu’ils savent leurs enfants fragiles, qu’ils ont comme vous le dites très justement, leur conception de l’éducation et de l’enseignement. Mon ressenti personnel est que l’attitude des parents (la “qualité de l’attitude” dans ce domaine aussi) est une véritable prédiction de ce que sera l’avenir de leur rejeton, si l’on connaît leur position sociale. Mais tenir compte de ce qu’ils veulent peut devenir écrasant d’où la question : comment alléger le travail des enseignants? On peut la poser aux politiques et il le faut. Mais pour eux aussi, ce n’est pas simple: difficile de ressentir les problèmes des autres, leurs “paramètres” et encore plus de trouver des réponses. Le progrès est chose généralement lente. Donc il faut procéder par petits pas. Par exemple, je crois en l’autocorrection pour donner à ce métier un “visage humain”. Moins de fatigue rendrait plus disponible à plus de patience, à plus de conscience, à plus de dynamisme. D’où l’intérêt de l’informatique. Oui, c’est critiquable le dialogue enfants-machine mais c’est déjà là et, selon mon expérience, les enfants même jeunes aiment bien à condition que l’amour des adultes soit toujours aussi présent et intense (“hearts not heads in the school”). On peut rêver d’un système où l’ordinateur apporterait à chaque étudiant l’exercice qu’il lui faut au moment qu’il faut, accompagnant et stimulant ses avancées. Les politiques ne peuvent pas tout, ni l’argent. Ce n’est qu’une question de travail et de motivation des enseignants et surtout des cadres. Javascript excelle pour cela… à condition que les Américains ne changent pas d’avis à tout bout de champ.