Se former durant le travail de thèse : indispensable !

Chères lectrices, chers lecteurs,

Je me permets de vous proposer un texte un peu différent des derniers ! Après quatre années passées au sein d’une commission qui a notamment pour tâche d’accorder des budgets pour la formation des doctorantes et doctorants, j’ai adressé un courrier à mes pairs. En réalité, je le publie sur ce blog parce qu’il est le reflet d’une vision et d’un avis sur la formation doctorale.

Je vous laisse donc prendre connaissance de cette brève missive ci-dessous. Vous la retrouver aussi ici.

A très vite !

Mes biens chères collègues doctorantes et chers collègues doctorants,

Vous m’avez élu une première fois en 2018 pour vous représenter à la Commission de coordination et de gestion de la CUSO avant de me réélire en 2020 pour un second mandat. Étant donné que je m’apprête à achever ma thèse cet été, je ne me représenterai pas aux prochaines élections. C’est ici l’occasion de vous laisser un petit mot pour vous témoigner, avant tout, de la reconnaissance qui est la mienne pour ces quatre années à défendre nos intérêts.

Ces quatre années ont été marquées par une pression constante sur les budgets dédiés à la formation doctorale. Cette situation est assez singulière dans la mesure où la demande en formation est inversement proportionnelle aux budgets à disposition. En effet, nous avons été nombreuses et nombreux à marquer notre attachement à nos programmes doctoraux ou au programme transversal; attachement révélé par la quantité importante d’inscriptions récoltées chaque année. Grâce à notre voix consultative au sein de la Commission, nous sommes parvenus à trouver des solutions intéressantes pour maintenir au mieux les standards de formation. L’excellente collaboration avec les vice-recteurs et rectrices, sensibles à la nécessité et l’importance de proposer une formation doctorale de qualité a permis de tracer un joli chemin fait de compromis et de solutions pragmatiques.

Chères doctorantes et chers doctorants, ces quatre années m’ont fait prendre conscience que la formation « tout au long de la thèse » doit, en réalité, être une priorité pour chacune et chacun d’entre nous. Toujours pris par la nécessité de devoir préparer le prochain cours et l’obligation de finir un chapitre d’écriture ou la lecture d’un article avant la semaine prochaine, nous devons sans doute garder à l’esprit que la formation doctorale apparait comme un investissement sur le long terme. Ce n’est un secret pour personne : nous sommes dans une situation de contrat précaire. L’immense majorité d’entre nous ne poursuivra pas dans la voie académique. Se former tout au long de son cursus universitaire permet de réduire la probabilité de rencontrer des difficultés à trouver de l’emploi une fois les applaudissements de la soutenance retombés. De surcroît, pris dans un travail aussi passionnant que solitaire, les journées de formation sont l’occasion d’échanger, de partager ses difficultés et de créer un réseau. En bref, c’est une opportunité de se rendre compte que nous sommes moins seul.es et que les difficultés sont partagées par toutes et tous.

Enfin, je terminerai ces quelques mots en nous rappelant, qu’au sein d’un milieu universitaire ultra-concurrentiel, la solidarité entre doctorants et doctorantes prend pleinement sens. Toutes et tous, autant que nous soyons, traversons de violentes phases d’incertitude. Plutôt que d’alimenter cette concurrence institutionnalisée, nous avons beaucoup à gagner de cultiver un esprit d’entre-aide et de bienveillance. En plus de la formation tout au long du doctorat qui représente le premier bâton du/de la pèlerin, l’entre-aide couplée à la bienveillance est sans doute le deuxième bâton qui nous permet de parvenir à la fin du long chemin qu’est le doctorat.

Avec tout mon courage et ma considération,

Kilian

Kilian Winz

Kilian Winz-Wirth est assistant doctorant et mène une thèse dans le domaine de la sociologie des systèmes éducatifs à l’Université de Genève. Il a été élu comme représentant des doctorants à la Commission de Coordination et de Gestion de la Conférence Universitaire de Suisse Occidentale de 2018 à 2020 avant d’être réélu pour un deuxième mandant en 2020. Il s’engage aussi en politique en reprenant la présidence de la Commission école et formation du PSN.

Une réponse à “Se former durant le travail de thèse : indispensable !

  1. Avec retard, je prends connaissance de votre billet et le regrette. Dans les années soixante, quand j’étais aux études, le doctorat paraissait la panacée, le sommet du Parnasse que seuls les plus intrépides et méritant(e)s étaient dignes d’atteindre. Le diplôme n’avait pas encore été dévalorisé au point que celui d’un mathématicien, d’un physicien ou même d’un philosophe ou d’un historien ne se distingue plus guère de celui d’une coiffeuse, gonflée, elle, aux testostérones de la revalorisante flouze académique sous le label de “cosmetologue”.

    Naïf, à mes débuts d’étudiant en philosophie, je m’y étais laissé prendre et m’étais inscrit audit cours pour coiffeuses, convaincu qu’il s’agissait d’une formation en cosmogonie. Les relents de crème et de shampoing, la vue des perruques planquées sur des piquets comme les têtes des décapités sur la pique des assaillants de la Bastille, et les rangées de bigoudis semblables à des cartouchières de mitrailleuses m’ont vite fait revenir sur Terre.

    En 1964, j’avais alors dix-huit ans et j’étudiais en Californie, l’année même où l’université de Papa, jugée élitiste, autoritaire et normative – leit-motiv que reprendra avec la régularité d’un plan quinquennal et l’automatisme de son psittacisme pavlovien l’école dite en mut(il)ation née de la Charte de Pau d’octobre 1968 sur la réforme scolaire -, avait muté en industrie du savoir, selon les termes même du principal architecte de sa conversion, l’ancien président de l’Université de Californie (UC) Clark Kerr. Ennemi juré de la droite conservatrice, cet économiste de renommée mondiale était à l’origine du plan de réforme, dit “Master Plan”, qui devait rendre après son introduction en 1960 les études supérieures accessibles à toutes et à tous, sans distinction de leurs conditions économiques et sociales. En particulier, il s’agissait pour les autorités universitaires de faire face à la génération des “baby boomers” arrivée en âge d’accéder à l’université. A cet égard, Kerr était l’un des pères, sinon LE père de la démocratisation des études.

    Or, c’est sa réforme qui a provoqué la révolte de ceux-là mêmes qui devaient en être les premiers bénéficiaires, les étudiants. En décembre 1964, devant quelques trois mille d’entre eux réunis au Sproul Hall du campus de Berkeley de l’UC, leur chef charismatique Mario Savio accusait Kerr à titre personnel d’avoir, sous prétexte de démocratiser les études, transformé l’université en “fabrique du savoir” (“knowledge factory”) dont il était devenu le PDG, d’avoir fait du Conseil des Régents, véritable propriétaire de l’Université, son Conseil administratif, des professeurs ses administrés et des étudiants la simple matière première facile à revendre à ses principaux bailleurs de fonds, l’administration, les syndicats et l’industrie – surtout l’industrie militaire avec laquelle Berkeley a toujours entretenu des liens étroits par ses trois laboratoires de recherche rattachés au Département américain de la Défense.

    Kerr reconnaissait d’ailleurs que les grandes perdantes de sa réforme étaient les filières libérales traditionnelles – lettres et sciences humaines -, manière élégante pour lui de se laver les mains du monstre qu’il était le premier à avoir contribué à faire naître et qu’il avait rebaptisé “multiversité”.

    Retraité de la recherche et de l’enseignement depuis plus de dix ans, je constate que l’université, en particulier depuis l’introduction du “New Public Management” au début des années 2000, a poussé jusqu’aux extrêmes les avatars de la réforme de Kerr dans les années soixante. Chaque chercheuse et chaque chercheur est sommé(e) de rendre compte aujourd’hui des subsides qui lui sont alloués et de la rentabilité de ses projets. Certains professeurs se plaignent de consacrer plus de temps à leur recherche… de fonds plutôt qu’à la recherche fondamentale. La solitude du chercheur, que lui garantissait la liberté académique, s’est ainsi muée en solitude du coureur… de fonds.

    Je plains les jeunes qui aspirent à se lancer dans une carrière académique. Notre génération croyait avoir déboulonné les mandarins de leur piédestal, inconscients de la brèche que nous leur avions ainsi ouverte et dans laquelle ils se sont précipités. Après s’être déchargés de leurs responsabilités d’enseignants sur les épaules d’assistants mal formés, maîtrisant souvent peu l’anglais et confrontés à ds auditoires bondés, parfois de plus de mille étudiants, ils ont pu se livrer aux seuls délices de la recherche, dont Berkeley avait le monopole.

    C’était dans les années soixante. Depuis, les mandarins sont incrustés à leurs postes plus que jamais.

    Quant à mes camarades de cette époque, grands perdants de la révolte, ils sont retournés aux études et ont passé leurs examens.

    Mas la “knowledge factory”, elle, tourne à plein régime plus que jamais. A-t-elle d’ailleurs jamais servi à autre chose qu’à faire tourner l’usine capitaliste?

    Cordialement,

    A. Ldn

Les commentaires sont clos.