Le mythe de la notation objective

Depuis longtemps, les évaluations scolaires sont sanctionnées par une notation qui peut prendre différentes formes, ce en fonction de diverses caractéristiques (âge des élèves, lieu dans lequel l’évaluation se tient, pratiques internes au collège, etc.) Système largement répandu qui semble bien ancré, l’évaluation par la note peut sembler fiable, incorruptible et objective. Alors que les chercheurs et chercheuses travaillent depuis des dizaines d’années sur ces thématiques, l’envers du décor est tout autre. Ici, nous venons questionner l’objectivité de la notation scolaire à la lumière des écrits scientifiques et travaillerons à proposer quelques éléments permettant d’atténuer les effets délétères d’une pratique enracinée.

La docimologie est l’étude statistique des notes. Dans ce domaine, les chercheurs et chercheuses ont observé qu’une même copie obtenait une notation variable selon les correcteurs et correctrices. Directeur de l’Unité de recherche pour le pilotage des systèmes pédagogiques, Bruno Suchaut a mené une étude sur la notation des élèves au bac français et il s’avère qu’une même copie peut recueillir un 8 par le correcteur 1 et un 18 par le correcteur 2 (1 étant la moins bonne note, 20 la meilleure). Si l’étude a été menée dans le système français, nous pouvons légitimement penser que les résultats seraient les mêmes en Suisse. Dès lors, une question se pose : comment expliquer de telles différences ?

Nous devons garder à l’esprit qu’une correction se fait « sous influence » comme le dit le sociologue Pierre Merle, avec des biais sociaux de notation. Pour reprendre ses propos, nous définissons cette expression comme « des erreurs systématiques de notation liées aux informations dont disposent les correcteurs sur les auteurs des copies ». Concrètement, nous percevons diverses manifestations que Pierre Merle évoque :

  • « Les élèves redoublants sont notés plus sévèrement que les autres élèves de la même classe. Il en est de même des élèves « en retard » qui ne sont pas redoublants ». Inversement, savoir que l’auteur de la copie est brillant aboutit à une notation plus élevée.
  • Les enfants de cadres supérieurs sont mieux notés en classe que les enfants des autres milieux.

S’il s’agit-là de phénomènes liés aux caractéristiques des élèves et faisant référence aux stéréotypes scolaires et sociaux qui influencent les correcteurs et correctrices, nous mentionnons aussi des biais liés à l’exercice stricto sensu de la correction ; nous pensons par exemple à l’ordre des copies corrigées et au temps de correction. Comme le souligne Bruno Suchaut, « les enseignants n’ont pas la même constance dans leur évaluation en termes d’indulgence ou de sévérité ». La correction d’une copie dépend d’une part de la qualité des précédentes et d’autre part de la fatigue emmagasinée par le correcteur ou la correctrice. Finalement, nous ne devons pas omettre de garder à l’esprit que les personnes correctrices véhiculent une image par la notation. Que penserait la direction d’établissement d’une classe dans laquelle 75% des élèves sont constamment notés insuffisants ? Inversement, comment les autres enseignants d’un établissement percevraient une classe dans laquelle l’ensemble des résultats se situe entre 5.5 et 6 (6 étant la meilleure note) ? Comme le disent Leclercq et ses collègues, « il s’agit souvent pour l’enseignant de présenter une image de sa classe qui satisfasse au mieux ces personnes extérieures ».

Quelles alternatives pour une notation plus objective ?

Des alternatives existent, mais toutes ne sont pas adaptées à tous les milieux. Par exemple, la préservation de l’anonymat scolaire et social de l’élève durant la scolarité obligatoire est une utopie ; mesure tout à fait réalisable dans le contexte universitaire par exemple. Si cette mesure est impossible à mettre en œuvre dans les premiers niveaux, une sensibilisation des biais de notation auprès des enseignants serait une première étape.

Toujours à l’école obligatoire, nous savons que les notes les plus basses peuvent être source de décrochage scolaire. Plutôt que de vouloir viser l’égalité de traitement à tout prix, ne faudrait-il pas abandonner l’usage des notes excessivement basses, source de démotivation et synonyme d’échec pour les élèves ? L’alternative serait d’essayer de percevoir le travail fourni et parier sur ce cercle vertueux : « notes encourageantes – motivation et apprentissages – bonne note ! » Dans cette optique, il s’agit de se rappeler, en tant que correcteur, que « l’élève n’est pas une performance qu’il faut évaluer, mais une intelligence qu’il faut construire » comme le résume Pierre Merle.

Finalement, mentionnons que les correcteurs et correctrices peuvent agir sur la fréquence des contrôles et leur contenu. Préférer de petites évaluations régulières au test occasionnel qui vient vérifier l’apprentissage d’une quantité de matières importante. Plutôt que de procéder uniquement à des évaluations sommatives, proposer des tests formatifs qui permettent à l’élève de se situer dans le processus d’apprentissage. Enfin, nous retenons la possibilité de varier la nature des évaluations : orales, écrites, questions fermées, questions ouvertes, en gardant à l’esprit que le démarrage d’un travail écrit avec des questions dites « faciles » permet d’aider les élèves plus en difficulté.

Osons discuter des formes d’évaluation

Nous nous en sommes aperçus, le sujet est complexe et multidimensionnel en plus d’être polarisant et souvent tabou. Les réformes liées à l’évaluation et la notation se sont souvent soldées par des débats passionnés et parfois irrationnels entre les différents acteurs et actrices de l’éducation. Aujourd’hui, force est de constater que le système présente d’importantes limites et que nous faisons face à un mythe d’une notation objective. Osons rediscuter certains éléments et (ré)ouvrir le débat.

Ce texte prend appui et les citations sont tirées de :

Merle, P. (2012). L’évaluation par les notes : quelle fiabilité et quelles réformes ? La découverte, 12(2). 218-230.

Suchaut, B. (2008). La loterie des notes au bac : un réexamen de l’arbitraire de la notation des élèves. Disponible avec ce lien : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00260958/file/08005.pdf

Leclercq, D., Nicaise, J. et Demeuse, M. (2004). Docimologie critique : des difficultés de noter des copies et d’attribuer des notes aux élèves. Disponible avec ce lien :https://hal.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/844778/filename/P6_chapitre_4_Docimologie.pdf

Kilian Winz

Kilian Winz-Wirth est assistant doctorant et mène une thèse dans le domaine de la sociologie des systèmes éducatifs à l’Université de Genève. Il a été élu comme représentant des doctorants à la Commission de Coordination et de Gestion de la Conférence Universitaire de Suisse Occidentale de 2018 à 2020 avant d’être réélu pour un deuxième mandant en 2020. Il s’engage aussi en politique en reprenant la présidence de la Commission école et formation du PSN.

4 réponses à “Le mythe de la notation objective

  1. Il n’y a rien de plus discriminatoire et blessant que des “notes encourageantes”.

    Si le correcteur a des biais, car il est humain, l’élève a également de son côté conscience de son travail et de son mérite. Et se voir rejeter “positivement” car issue d’une minorité/d’un milieu social pauvre/etc. est d’une violence inouïe (car, oui, discriminer positivement, c’est rejeter).

    Je me rappelle encore de la prof qui a levé ma copie (il était écrit 3) et qui s’est rendu compte que j’en était l’auteur. Entre le moment où je me suis levé pour aller la chercher tête basse, elle avait eu le temps de changer la note et de mettre un 5.3 et de me glisser “on m’a expliqué que ta mère t’élevait seule”. J’ai décroche après cela.

    Alors que je travaillais plus car je voulais avoir de bonnes notes et ne pas vivre ce que ma mère endurait, j’ai cru que ce n’était pas mes efforts qui étaient récompensé par une amélioration de mes notes mais mon misérabilisme.

    C’est ce reportage de France 3 qui m’a fait reprendre le goût au travail:
    https://www.youtube.com/watch?v=SaBqCYzhugA

    Je vous conseille de le regarder attentivement du début à la fin (il y a plusieurs parties sur youtube).

    1. Bonjour,

      Je vous remercie de votre message qui ouvre la discussion et montre que le sujet peut soulever des débats passionnés.

      L’article propose des solutions qui, apportées de manière appropriées, font pleinement sens et permettent sans doute à l’élève d’entrer dans la dynamique suivante : ” notes encourageantes – motivation et apprentissages – bonne note !”. Dans votre récit, je remarque surtout des propos tenus par l’enseignante et rapportés comme tels pouvant laisser songeur.
      Par delà ces considérations, je ne crois cependant pas qu’une situation singulière permettent de démontrer l’inefficace et l’impertinente de cette démarche.

      Bien à vous,

      1. Vous pensez vraiment que si elle s’était tue, j’aurais réagi différemment à la “triche” de faire passer un 3 à un 5.3 ? Et que pensez d’une théorie qui ne fonctionnerait que si le prof cache ses réelles intentions ? Peut-on bâtir un système de notation sur le mensonge ?

        Et je ne pense pas que ma situation est singulière.
        Je pense en revanche que vous ne confrontez pas suffisamment vos hypothèses avec la réalité d’une classe. Avez-vous déjà enseigné dans une classe d’ado ?? C’est cruel et les injustices (quelles soient positives ou négatives) sont immédiatement repérées, discutées et stigmatisées.

  2. Super article, merci !

    Quelques réflexions de mon cru :

    J’ai l’impression qu’une manière plus juste d’évaluer serait de noter le progrès. Un élève qui a systématiquement 20, mais qui ne fait pas d’effort et qui, objectivement, ne progresse plus tant que ça n’a pas plus de mérite qu’un autre qui démarre à 12 pour finir à 15.

    D’autre part, le problème de la notation serait probablement moins grave si on prenait en compte d’autres formes d’intelligence, comme la coopération, par exemple, ou l’empathie. C’est ce que les professionnels du travail tentent de mesurer en développant les tests de Quotient Émotionnel (VS Intellectuel). En entreprise, vous pouvez avoir un type brillant, mais socialement inadapté, les résultats ne seront pas au rendez-vous…

    J’ai l’impression que l’éducation devrait être holistique, et pas uniquement cérébrale. Il n’y a qu’à voir la déliquescence des élites française (pour ne nommer qu’elles) : elles bénéficient d’écoles d’administration parmi les plus poussées, les personnes qui en sortent ont des cerveaux capables d’emmagasiner une quantité phénoménale de savoir, mais le sens pratique, la collaboration, l’entraide, l’empathie, et tout ce qui fait une société harmonieuse semblent avoir été balayés…

    L’homme n’est pas qu’un cerveau…

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