L’esprit de démission

 

Dans la gérance d’un pays surgissent deux types de problèmes. Les premiers se résolvent tout seul par routine, usage, coutume : il n’est pas nécessaire de gouverner, il suffit de laisser couler. Les autres problèmes sont insolubles par nature, par le refus du peuple, par l’impuissance du gouvernement, par la cabale des partis : les relations de la Suisse avec l’UE, l’assurance maladie, les pensions, le trafic de drogue, le blanchiment des capitaux douteux, les banques too big to fail, les banquiers too big to jail…

C’est le véritable terrain de la politique, qui est l’art de simuler une fausse solution et de la rendre crédible aux yeux d’une majorité du peuple. A cette fin tous les moyens sont bons : le mensonge effronté, l’embrouille par la complication des textes, la dissolution des données dans le flou, la rétention d’information, l’abandon des valeurs prétendument sacrées, la violation de la constitution, le déni grossier de droit.

Cette dernière astuce devient la plus commune. Ainsi le droit de la mer impose à tout navire de sauver des naufragés en les recueillant et en les conduisant au port le plus proche. Ce droit imprescriptible est allègrement violé en Méditerranée, si les naufragés sont Africains. Les bâtiments des humanitaires qui pallient les marines militaires sont accusés de trafic et interdits d’accoster. Il y a dans cette violation du droit un aspect énorme : si ce déni juridique est possible, tout peut finir par arriver : séparation des enfants de leur famille, internement administratif, organisation de camps de concentration, discrimination fondée sur la religion, la couleur de la peau, le sexe, la nature du passeport. La Seconde Guerre mondiale a fourni un répertoire sans limite.

Quand les autorités constituées abandonnent les règles impératives du droit parce qu’elles sont débordées par la situation, on peut parler d’un esprit de démission. L’élu baisse les bras, tolère le pire ou même l’encourage. A la modeste échelle de la ville de Lausanne et de la vente de drogues en rue, toutes les suggestions vont dans le sens de la démission : local d’injection, contrôle de qualité du produit, légalisation de la drogue, prétendue impossibilité de réprimer le trafic, minimisation des conséquences sanitaires. Le problème devient un non-problème, les plaignants sont ridiculisés, les trafiquants sont excusés, la police est soupçonnée d’excès de pouvoir, les accusateurs sont soupçonnés de racisme.

La suggestion la plus sensationnelle, portée au parlement fédéral, propose d’interdire à la police de réprimer le trafic dans certains quartiers, pour y cantonner vendeurs et acheteurs. Ce libre marché du délit correspondrait à un abandon des règles du droit, à une entrave à la police et à la justice, à une libéralisation de la drogue. Il signifie que l’esprit de démission l’emporte même au législatif fédéral.

L’espace du non-droit

 

Il faut beaucoup d’entregent pour édicter une loi qui ne soit ni laxiste, ni rigide. Mais il en faut encore beaucoup plus pour l’appliquer, c’est-à -dire établir un périmètre au-delà duquel elle ne s’applique pas. Un exemple banal et vulgaire : l’usage de l’avertisseur d’une voiture est restreint à la prévention d’un accident potentiel ; personne ne peut se propulser en cornant à fond, hormis la police, les pompiers et les ambulances pour des raisons tout à fait honorables ; cependant durant deux heures après la victoire d’une équipe de football, ses partisans bénéficient d’une tolérance démagogique ; ils ont le droit de réveiller ceux qui dorment pour leur annoncer une bonne nouvelle.

Un cran au-dessus dans l’échelle de la délinquance, il existe déjà des zones livrées à la prostitution de rue qui font l’objet de publication explicite dans la presse avec plans à la clé. On imagine des négociations pittoresques entre une municipalité et quelques souteneurs en chef. Ce genre de zone de non-droit repose lourdement sur le postulat selon lequel il n’est pas possible de lutter contre la prostitution. Dès lors il faut que les clients soient orientés afin de ne pas perdre leur temps en vaines recherches. Parmi eux se trouvent des gens tout à fait importants qui soutiennent ce concept pittoresque.

Sur ce prototype, on propose maintenant, jusque dans les chambres fédérales, de créer des zones de non-droit pour le trafic de drogue. La police serait priée de ne pas y intervenir pour que vendeurs et acheteurs de cocaïne puissent commercer en toute tranquillité et ne se répandent pas dans des zones sensibles. Cet intéressant concept juridique repose aussi sur la formule, mainte fois ressassée, qu’il n’est pas possible d’éradiquer la drogue. Dès lors la municipalité baisse les bras. Il semble que des gens importants, élus, médecins, magistrats, chefs d’entreprise ne puissent fonctionner (pour le bien de tous) sans leur dose de cocaïne. Nécessité fait loi ! Au Pays-Bas le trafic de cannabis est illégal mais sa vente dans certains magasins est légale.

Dans cet esprit créatif on pourrait étendre le concept. Afin que les femmes ne soient pas harcelées un peu partout, pourquoi ne pas délimiter un quartier où les violeurs auraient carte blanche? Il serait interdit de publier son périmètre pour que les chasseurs ne soient pas privés totalement de gibier. Ils ont tout de même aussi des besoins semblables à ceux des drogués. Réservons quelques lignes droites des autoroutes aux excès de vitesse non sanctionnés pour défouler la légitime impatience des fous de vélocité.

Poussons la logique jusqu’au bout : pourquoi ne pas cantonner plutôt la police dans quelques quartiers réservés et laisser le reste du territoire comme espace de liberté total à toute les pulsions ; pourquoi ne pas prévoir des périodes de licence, durant lesquelles l’ivrognerie publique, l’exhibitionnisme et les violences conjugales seraient tolérées ? Et une amnistie générale pour la Nouvel An qui remette tous les compteurs à zéro et tous les prisonniers en circulation.

Cela s’appelle l’innovation, qui manque tellement à notre pays si pusillanime. Merci au parlement fédéral de s’engager dans cette voie créatrice. Car au-dessus du droit, concept chagrin et réducteur, il y a cette prescription constitutionnelle de la liberté du commerce. Même de la drogue.

Les murs de l’impuissance

On connaît les plus célèbres : le mur entre Israël et la Cisjordanie, 463 km contre le terrorisme ; ceux de  Ceuta et Melilla avec  le Maroc, doublés d’un mur sur le territoire marocain, d’un fossé entre les deux et de projection automatique de gaz lacrymogène ; le plus long est entre les Etats-Unis et le Mexique soit 1 100 km que Trump se propose de compléter ; celui de 155 km entre la Hongrie et la Serbie. On ignore en revanche l’étendue planétaire du phénomène : il n’y a pas moins de 70 murs s’étendant sur 40 000 kilomètres, soit l’équivalent de la circonférence de la Terre.

Lorsque le Mur de Berlin s’est effondré en 1989, on a estimé trop vite que c’était la dernière verrue politique. Comme ce symbole du communisme a déconsidéré celui-ci et a entraîné sa chute, on a pensé que la construction d’une frontière fermée constituait un aveu d’impuissance, auquel aucun gouvernement ne succomberait. En fait ce mur-là avait pour objectif inavouable d’empêcher les bienheureux habitants d’Allemagne de l’Est de fuir leur prétendu bonheur. C’était l’équivalent de l’enceinte d’une prison. Il n’en reste plus qu’un seul de l’espèce, la zone démilitarisée entre les deux Corée, infranchissable par la pose de mines. C’est la dernière frontière de type idéologique, qui empêche les gens de sortir.

Les murs construits depuis ont une autre fonction, empêcher d’entrer. Ce sont les remparts que les pays riches érigent contre l’immigration provenant des pays pauvres. Le plus long de ces remparts est le fossé constitué par la Méditerranée. Les migrants qui n’ont pas accès à un passage régulier sont obligés de risquer leur vie sur des embarcations précaires. Mais tous les autres remparts construits orientés vers le Sud jouent le même rôle. L’attrait de l’Europe pour les Africains et des Etats-Unis pour les Latinos est déterminé par l’écart gigantesque entre les revenus de part et d’autre.

Il y a de lointains précédents historiques. L’empire Romain a construit le mur d’Hadrien pour se protéger de l’Ecosse. La Chine a construit la Grande Muraille de 6 259 km, la plus grande construction jamais entreprise par les hommes. Cela n’a pas empêché ces deux empires de s’effondrer, tout comme le régime communiste. Construire un mur est un aveu d’impuissance politique, d’incapacité d’entretenir une relation pragmatique avec le pays voisin. C’est une manifestation de peur et de faiblesse. Cela empêche le franchissement physique de la frontière, cela dramatise sa signification politique.

Ceci ne signifie pas qu’il existe des solutions alternatives. La mauvaise volonté réciproque entre Israéliens et Palestiniens  empêche la résolution du conflit qui les divisera probablement très longtemps. De même un milliard d’Africains sont bien incapables de construire des Etats de droit, stables, sans corruption généralisée, sans guerres civiles. Même si ce continent regorge de ressources, le peuplement actuel est et sera pour longtemps incapable de les exploiter. L’attrait de l’Europe est irrésistible, non seulement pour des réfugiés politiques fuyant la violence, mais aussi et surtout pour des migrants économiques. Il s’agit d’une énorme bombe à retardement, celle d’une invasion massive, contre laquelle aucun mur ni aucune loi ne peut protéger.

Non à une multinationale des sports

 

 

Les Valaisans n’ont pas voulu des jeux olympiques à Sion parce qu’ils refusent de débourser 100 millions, afin de permettre au CIO d’encaisser cinq milliards. D’autres villes ont refusé : Budapest, Rome, Hambourg, Boston et Toronto. Plus grand monde n’a envie de se ruiner et de contracter des dettes, d’amorcer avec l’argent des contribuables la gigantesque pompe à fric d’une multinationale.

Mais, plus profondément qu’une question d’argent, c’est l’idéal olympique qui s’est essoufflé. Trop d’argent et de corruption, menace du terrorisme, dopage, népotisme, manipulation des votes. Et surtout le détournement radical d’un idéal de paix et d’égalité par des dictatures qui croient s’acheter une conduite en se dissimulant sous un prétendu amour du sport. Dès 1936, Adolf Hitler utilisa cette manifestation à des fins de propagande et réussit admirablement à se doter d’une honorabilité factice. Ce fut également le cas à Moscou en 1980. Au fil des années les Jeux connaîtront une guerre des médailles entre les États-Unis et l’URSS. En dopant ses athlètes, en ruinant leur santé, en les transformant en gladiateurs, le communisme s’efforçait stupidement de dissimuler la faillite de son système économique.

Avec une certaine ingénuité, le baron de Coubertin réinventa les Jeux olympiques dans l’espoir de remplacer les guerres par de pacifiques compétition d’athlètes. Mais les deux guerres mondiales éclatèrent néanmoins. Les Jeux de 1916 furent annulés pendant la Première Guerre Mondiale, et ceux de 1940 et 1944 pendant la Seconde Guerre mondiale. Il ne suffit pas d’organiser des compétitions sportives pour promouvoir automatiquement l’esprit de paix. L’esprit originel de l’olympisme n’avait rien à voir avec sa dégradation actuelle en compétition des nationalismes. On décompte les médailles par pays pour calculer celui qui l’a emporté. Emporté sur quoi ?

Lorsque les Grecs inventèrent le jeux Olympiques voici 28 siècles, ils le concevaient comme une célébration à connotation religieuse de l’unité de la nation grecque. Plus tard ce fut étendu à tout l’empire romain. Lorsque Théodose installa le christianisme comme religion d’Etat, il mit logiquement fin aux Jeux Olympiques, manifestation païenne. Il y a un abîme entre cette modeste conception initiale et l’entreprise multinationale créée par Juan Antonio Samaranch. La votation du Valais a signifié que le peuple n’est plus dupe.

On pourrait rénover les jeux en les célébrant uniquement à Olympie, en ne jouant plus d’hymnes nationaux, en ne recrutant plus des équipes nationales, mais des individus qualifiés, et en les honorant comme citoyens du monde, comme éminents représentants de l’unique espèce humaine. Ce serait revenir à l’intuition géniale des Grecs de l’Antiquité.

 

 

L’anarchie n’est pas un droit

 

 

Fernand Melgar et la députée PDC Sandra Pernet se sont engagés publiquement lors d’une réunion à Chauderon et puis à Infrarouge contre le trafic de drogues illicites sur la voie publique de Lausanne par des « dealers ». En passant, notons l’utilisation d’un terme anglais pour éviter de recourir au français, qui les qualifierait carrément de trafiquants. Le choix des mots est rarement innocent : en appelant les prostituées travailleuses du sexe on ennoblit leur métier considéré comme une tâche économique, parmi d’autres.

Or, les trafiquants de drogue infestent les rues de Lausanne au point de déranger les habitants. À la suite de la démarche des deux initiateurs, le mouvement public s’est accentué et la municipalité de Lausanne a mis hâtivement en circulation vingt policiers en uniforme pour dissiper ce malaise visuel, en précisant bien qu’ils ne feraient pas de répression. D’où une première question : que faisaient de si important ces vingt policiers subitement disponibles, pour qu’ils n’aient pas auparavant déjà entrepris cette œuvre de salut public ? Pourquoi avoir attendu que la situation se détériore ?

En revanche les milieux culturels ont réagi en sens opposé, stigmatisants l’attitude de Fernand Melgar, au point qu’il renonce à son enseignement à la Haute Ecole d’Art et de Design de Genève, apparemment incompatible avec son refus de la drogue. Dans le débat, des arguments étranges ont été formulés : le trafic de rue ne fait de mal à personne ; la population réagit par racisme antinoir; sa peur de la drogue est sans fondement ; comme le trafic existe partout, il est vain de vouloir l’éradiquer ; la répression aura des effets négatifs.

Bien entendu sous-jacents cheminent des avis encore plus radicaux : il faudrait réserver certains quartiers à un trafic légal ; il faudrait dépénaliser la drogue, au minimum le cannabis ; la moindre des choses est d’organiser des locaux d’injection avec seringues propres et produits de qualité. On ne peut s’empêcher de penser que cette plaidoirie multiforme pour la drogue provient de gens qui en ont besoin.

Etrangement les pouvoirs publics ont adopté un profil bas. La municipalité de Lausanne est à majorité de gauche et celle-ci n’est pas sans complaisance pour la consommation de drogue. Cela s’inscrit dans une longue tradition libertaire et anarchiste. Foin de la morale bourgeoise. Les exploités, les pauvres, les paumés ont droit à ces compensations, le tabac, l’alcool, le jeu, la drogue, l’amour libre. De même les artistes ne peuvent créer que par un dérèglement volontaire des sens

Ce qui est en jeu, c’est le respect de la loi qui vise à protéger la santé mentale et physique des citoyens. La complaisance pour sa violation mine les institutions, le droit et le vivre ensemble.

 

 

 

 

Un Eglise enfin responsable

La démission spectaculaire et collective des évêques chiliens marque une étape dans la lutte contre la pédophilie. Comme l’a souligné le pape François, ce n’est plus l’affaire de quelques individus ayant fauté, mais de l’Eglise toute entière, à commencer par le pape lui-même. A juste titre, il a pointé le sentiment de supériorité instillé au clergé lors de sa formation, qui peut dévier en permissivité générale, en refus de la loi civile, en conspiration du silence. Une certaine identification du prêtre avec la figure du Christ est sous-jacente à ce sentiment, de même qu’elle l’est dans le refus d’ordonner des femmes incapables de s’identifier à un homme. Mais il est une explication beaucoup plus banale, qui n’est jamais évoquée. Quelle est la relation entre le célibat ecclésiastique et la tentation de pédophilie ?

Il suffit de formuler cette question pour qu’elle soit aussitôt écartée par l’affirmation indignée, qu’il n’y a évidemment aucun rapport et que l’on est hors sujet. Certes, la pédophilie est une perversion qui affecte toutes les couches de la population, à commencer par les familles mais aussi toutes les organisations mettant en contact adultes et enfants, par exemple les clubs sportifs ou les écoles. Cette débauche n’est ni une exclusivité de l’Eglise catholique, ni le péché de la grande majorité du clergé. Néanmoins la multiplication des cas de prêtres impliqués soulève la question de la fréquence des cas, d’autant plus que l’on ne peut prêcher une morale sexuelle tellement intransigeante qu’elle en devient irréaliste et puis y manquer soi-même gravement. Ce n’est pas une question d’individus mais d’institution.

Dès lors, il serait instructif de comparer des choses comparables, en scrutant la situation des Eglises réformées, orthodoxes et anglicanes là où elles coexistent. Quelle est la fréquence respective des cas dans les pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse, les Etats-Unis ? On éprouve le sentiment vague qu’une telle comparaison serait peut-être défavorable aux Eglises catholiques. C’est une raison pour l’investiguer et non pour l’éviter. Or cela n’a jamais été fait et publié.

On pourrait continuer la recherche par des enquêtes plus poussées sur le déroulement de ce drame dans des cas particuliers. Le célibat ecclésiastique constitue un obstacle à toute relation affective entre une femme adulte et un prêtre. Or, celui-ci peut très normalement éprouver le besoin d’une affectivité. Or, cet interdit ne pèse pas sur la relation entre un prêtre et un enfant. Est-ce par cet interstice que la tentation, puis la faute se glisse ? Comme il est impossible de répondre à cette interrogation, il est d’autant plus urgent de l’investiguer.

Si une enquête sérieuse révélait que les cas de pédophilie dans le clergé catholique, de rite occidental, sont proportionnellement plus nombreux que dans le clergé réformé ou anglican, s’il était établi que le célibat ecclésiastique constitue une mise en tentation, même pour des hommes qui ne sont au départ pas soumis à cette attirance, alors un grand pas serait fait. Car ni le célibat obligatoire des hommes, ni le refus d’ordonner des femmes par l’Eglise catholique ne seraient plus tolérables. Le courage qui manque pour corriger ces anomalies serait remplacé par une évidence, qui dicterait une réforme inévitable.

Cela résoudrait aussi une autre contradiction : les cantons suisses subventionnent avec l’argent public les Eglises chrétiennes. L’une d’entre elles écarte les femmes de certains postes réservés à des hommes non mariés. Est-ce bien cohérent avec la législation sur l’emploi ?

Une question à ne pas poser

La démission spectaculaire et collective des évêques chiliens marque une étape dans la lutte contre la pédophilie. Comme l’a souligné le pape François, ce n’est plus l’affaire de quelques individus ayant fauté, mais de l’Eglise toute entière, à commencer par le pape lui-même. A juste titre, il a pointé le sentiment de supériorité instillé au clergé lors de sa formation, qui peut dévier en permissivité générale, en refus de la loi civile, en conspiration du silence. Une certaine identification du prêtre avec la figure du Christ est sous-jacente à ce sentiment, de même qu’elle l’est dans le refus d’ordonner des femmes incapables de s’identifier à un homme. Mais il est une explication beaucoup plus banale, qui n’est jamais évoquée. Quelle est la relation entre le célibat ecclésiastique et la tentation de pédophilie ?

Il suffit de formuler cette question pour qu’elle soit aussitôt écartée par l’affirmation indignée, qu’il n’y a évidemment aucun rapport et que l’on est hors sujet. Certes, la pédophilie est une perversion qui affecte toutes les couches de la population, à commencer par les familles mais aussi toutes les organisations mettant en contact adultes et enfants, par exemple les clubs sportifs ou les écoles. Cette débauche n’est ni une exclusivité de l’Eglise catholique, ni le péché de la grande majorité du clergé.

Cependant, il serait instructif de comparer des choses comparables, en scrutant la situation des Eglises réformées, orthodoxes et anglicanes là où elles coexistent. Quelle est la fréquence respective des cas dans les pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse, les Etats-Unis ? On éprouve le sentiment vague qu’une telle comparaison serait peut-être défavorable aux Eglises catholiques. C’est une raison pour l’investiguer et non pour l’éviter.

On pourrait continuer la recherche par des enquêtes plus poussées sur le déroulement de ce drame dans des cas particuliers. Le célibat ecclésiastique constitue un obstacle à toute relation affective entre une femme adulte et un prêtre. Or, celui-ci peut très normalement éprouver le besoin d’une affectivité. Or, cet interdit ne pèse pas sur la relation entre un prêtre et un enfant. Est-ce par cet interstice que la tentation, puis la faute se glisse ? Comme il est impossible de répondre à cette interrogation, il est d’autant plus urgent de l’investiguer.

Si une enquête sérieuse révélait que les cas de pédophilie dans le clergé catholique, de rite occidental, sont proportionnellement plus nombreux que dans le clergé réformé ou anglican, s’il était établi que le célibat ecclésiastique constitue une mise en tentation, même pour des hommes qui ne sont au départ pas soumis à cette attirance, alors un grand pas serait fait. Car ni le célibat obligatoire des hommes, ni le refus d’ordonner des femmes par l’Eglise catholique ne seraient plus tolérables. Le courage qui manque pour corriger ces anomalies serait remplacé par une évidence, qui dicterait une réforme inévitable.

Cela résoudrait aussi une autre contradiction : les cantons suisses subventionnent avec l’argent public les Eglises chrétiennes. L’une d’entre elles écarte les femmes de certains postes réservés à des hommes non mariés. Est-ce bien cohérent avec le reste de la législation ?

Le jeu en ligne comme monopole suisse

 

 

 

Nous voterons en juin la nouvelle loi sur les jeux d’argent prévoyant que les casinos suisses pourront proposer des jeux d’argent en ligne, alors que les sites étrangers seront bloqués. Le but est de favoriser les exploitants légaux basés en Suisse. De quand date leur légitimité ? En 1928, il n’y avait plus de maisons de jeu en Suisse. Il fallut attendre 1992 pour que les chambres fédérales reviennent sur la question des maisons de jeu et décident de les rouvrir. La Confédération y voyait là une opportunité financière importante. C’est pour l’augmenter encore que nous allons voter.

Le but du pouvoir politique est d’abord de prélever des impôts et puis d’en disposer au mieux. Mais les besoins sont sans limites et il faut trouver des ressources. La seule limite au prélèvement est le mécontentement des citoyens. Les impôts doivent être aussi indolores que possible et la répartition de leur fruit satisfaire le maximum d’appétits.

 

On pourrait lire toute démarche politique à travers cette grille réductrice sans se tromper beaucoup sur le fonctionnement de la machinerie politique. On y verrait en tous cas plus clair qu’à prendre au sérieux le discours bien-pensant qui camoufle cette opération : il faut que l’argent d’une addiction serve à soutenir de justes causes comme l’AVS. En réalité, la vertu sert de paravent au vice. Voici 20 ans, toutes affaires cessantes, il a fallu des casinos. On s’en était passé trop longtemps. Aujourd’hui il faut que le chiffre d’affaire des casinos suisses augmente,

 

Le but d’un casino est de gagner de l’argent. Le but d’un joueur est aussi de gagner de l’argent. Mais il y a une différence. Les jeux sont organisés de façon que, en fin de compte, le casino gagne et que les joueurs perdent. Et cependant les joueurs continuent de miser. Il faut donc qu’ils se trompent sur leurs chances de gagner. Le casino les maintient dans cette illusion en ne s’assurant qu’une marge statistique faible. Durant une partie, les gains fluctuent. Tantôt le joueur est dans le noir, tantôt dans le rouge. Il peut donc croire que le résultat final de la partie résulte d’une substance impalpable qui s’appelle la chance. Ou, pire, il peut s’imaginer qu’il a développé une martingale, qui lui assure un gain à coup sûr. En fin de partie, si le joueur a joué longtemps, s’il n’a pas eu la lucidité de se retirer à temps, il perd.

 

Tout ce mécanisme a été amplement décrit. On en a fait des romans et des films. Personne ne peut plus s’imaginer qu’un casino soit un lieu pour faire fortune ou pour se distraire. Tout au plus un casino peut-il être réhabilité comme passetemps débile pour quelques personnes tellement fortunées, qu’elles ne savent plus que faire de leur argent. Malheureusement, on ne filtre pas les joueurs en leur demandant le montant de leur compte en banque. Parmi ceux qui se faufilent vers les tables de jeu ou les jeux en ligne, il y a des paumés, des névrosés, des pauvres, de petits commerçants au bord de la faillite, des caissiers indélicats qui ont puisé dans la caisse.

 

C’est à ceux-là qu’il faudrait penser lorsque des élus ont l’inconscience de proposer que les casinos suisses aient le monopole des jeux en ligne. Le désordre social qui résulte d’un casino reste limité si l’établissement est suffisamment éloigné. Les Américains l’ont bien compris en allant jusqu’à Las Vegas et Reno, au milieu du désert, pour y organiser un formidable défouloir à base de jeux, d’alcool, de drogue, de sexe et de maffia. Cela s’appelle faire la part du feu. Le jeu en ligne annule cette distance.

 

La volonté populaire a obligé la Confédération à légaliser le jeu. Et dès lors la complicité des deux illusions, de la politique et des jeux, devient écrasante. On va autoriser les jeux en ligne pour les casinos suisses tout en bloquant les organisateurs étrangers. Qu’est ce qui empêchait d’interdire tous les jeux en ligne sinon l’appât du gain sur les jeux en Suisse ?

 

En acceptant l’installation de casinos sur son territoire par la loi de 1998, la Suisse témoigna d’une dégradation de la moralité ambiante. Cette initiative rejoignit les tentatives plus ou moins ouvertes de légaliser la drogue, dans le même mouvement qui refuse d’abaisser les limites de vitesse sur les routes ou de diminuer le taux d’alcool admissible lorsque l’on conduit. C’est le stigmate d’une société anomique.

 

Le jeu d’argent ne devient pas moral parce qu’il verse des taxes à l’Etat. Certes on comprend que les hommes politiques soient fascinés par cette façon d’alimenter le budget sans opérer de douloureuses ponctions fiscales. C’est oublier que les dégâts sociaux des jeux coûtent plus cher à la collectivité que ce qu’ils rapporteront. Mais là n’est pas l’essentiel. Des impôts cachés et des charges invisibles, c’est une bonne méthode pour rester populaire et se faire donc réélire. Cela s’appelle la démagogie. C’est l’aboutissement de l’illusion en politique, l’art de ne plus jamais dire que de fausses vérités qui font plaisir au peuple et d’autoriser n’importe quoi parce que rien n’a d’importance dans une société sans objectifs.

 

 

 

 

 

 

Pour ne pas recommencer octobre 2008.

 

 

En juin nous nous prononcerons sur l’initiative « Monnaie pleine » qui restreint à la seule BNS la création de monnaie et prive les banques de leur capacité de créer de la monnaie scripturale. Le citoyen moyen n’y comprendra rien et suivra les mots d’ordre des autorités, conseillant de la rejeter. C’est oublier ce qui s’est passé.

En octobre 2008, le Conseil fédéral s’est porté au secours d’UBS. Car, ce qui se jouait dès le dimanche 21 septembre au siège de la Banque nationale suisse (BNS), c’était l’avenir du pays. Le président de l’UBS Peter Kurer et le directeur général Marcel Rohner avouent que leur banque a besoin de l’aide de l’Etat. Les pertes de l’UBS sur le marché des crédits hypothécaires à risque aux Etats-Unis s’élèvent à plus de 40 milliards. Le mercredi 8 octobre l’UBS frôle la cessation de paiement. La banque ne parvient plus à emprunter sur le marché interbancaire et la BNS atteint ses limites pour s’y substituer.

Mercredi 15 octobre, le Conseil fédéral siège à partir de 9 heures.  A 18 heures 30, les six membres de la délégation des Finances du parlement, convoqués, décident d’octroyer un prêt de 6 milliards à l’UBS. Une société de portage créée par la BNS recueillera les placements douteux de l’UBS jusqu’à hauteur de 60 milliards. Le parlement a été placé devant le fait accompli : il était plus sûr de chambrer six parlementaires, choisis avec soin.

Si l’on essaie de comprendre comment une telle gabegie a pu se produire, il faut recourir à plusieurs explications : l’ambition démesurée d’un seul homme; l’incompétence du conseil d’administration; la faiblesse des organes de l’Etat ; le financement des partis politiques par l’économie. Mais aussi le fait que la faillite d’UBS aurait paralysé le trafic des paiements puisque les avoirs des comptes tombent dans la masse en faillite.

 

Certes, suite à la recapitalisation d’UBS par la Confédération à hauteur de 6 milliards de francs, les autorités ont pu sortir de l’opération en août 2009, bénéficiaires de 1,2 milliards d’intérêts.

Mais le principal volet du sauvetage, celui auquel UBS doit sa survie, c’est la création en octobre 2008 par la BNS du fonds de défaisance des actifs toxiques. Il a recueilli 38,7 milliards de dollars de titres subprimes défaillants qui plombaient le bilan d’UBS. Or, l’opération s’est soldée, cinq ans plus tard, par un gain de 5,2 milliards de dollars pour la Banque nationale, ayant pu écouler avec profit les titres subprimes qui, extraordinairement, ont recouvré de la valeur. Mais qui donc a acheté ces actifs sans valeurs à la BNS ? Son président a prétendu que l’opération aurait  été «favorisée par le redressement des marchés». En réalité, c’est la Réserve fédérale américaine qui a racheté plus de 2000 milliards de dette immobilière pourrie pour nettoyer l’ensemble du système financier américain. Sinon la BNS aurait perdu de l’ordre de 40 milliards, soit l’équivalent de 60% du budget de l’Etat fédéral.

En sortant du bilan des banques les comptes de paiements, le trafic de ceux-ci ne serait plus affecté par la faillite d’une banque, qu’il ne faudrait plus sauver aux risques des citoyens. Or, pour l’instant nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle crise dans le domaine immobilier où la Suisse bat des records d’endettement. Au moment de se prononcer sur l’initiative Monnaie Pleine, il faut s’en souvenir.

 

 

 

Bulle hypothécaire et initiative Monnaie Pleine

Les Suisses sont les champions mondiaux de l’endettement hypothécaire, avec 98 340 francs par habitant. Deux fois plus qu’un Américain et quatre fois plus qu’un Allemand. Le montant total des crédits hypothécaires atteignait l’an dernier le niveau jamais atteint de 614,244 milliards de francs, ce qui représente 103,6% du Produit Intérieur Brut annuel. Il s’agit d’une bulle qui peut éclater si le taux d’intérêt ne reste pas à son niveau très bas. Tel est l’avis du Département fédéral des finances :

« Un taux d’endettement élevé expose fortement les ménages à certains risques, comme celui d’une hausse marquée des taux d’intérêt. La baisse de la valeur vénale en cas d’accroissement des taux pourrait déstabiliser le marché immobilier si la capacité de nombreux ménages à supporter les dettes était dépassée. Il faut donc éviter toute incitation de politique financière qui encouragerait un endettement excessif des ménages.»

Cette montagne de dettes est en partie artificielle. En contrepartie de l’imposition de la valeur locative, le propriétaire peut déduire de sa déclaration fiscale les intérêts qu’il débourse sur sa dette hypothécaire et les frais d’entretiens de son immeuble. Du coup, d’un point de vue fiscal, il a donc intérêt à maintenir une dette et à payer des intérêts, afin de compenser l’imposition de la valeur locative. C’est une spécificité suisse qu’aucun autre pays ne connaît.

D’où vient cette masse monétaire ? Elle a été créée par les banques qui consentent les prêts, c’est-à-dire de la monnaie scripturale, ce qui nous amène à l’actualité de la votation du 10 juin sur l’initiative Monnaie Pleine. Celle-ci restreint à la seule BNS la création de monnaie et prive les banques de leur capacité de créer de la monnaie scripturale. Si elle passe en votation, ce genre de bulle ne pourra plus se créer.

Le pronostic est favorable. Selon un sondage, 57% des Suisses voteraient pour une initiative qui n’autoriserait que la BNS à produire de l’argent, et l’interdirait aux banques. Or les citoyens ne savent pas comment l’argent en circulation est créé. Seuls 13% des Suisses savent que les banques commerciales créent la plus grande partie (90%) de la monnaie en circulation. Toutefois, 78% de la population suisse veut que l’argent ne soit produit et distribué que par une unique institution publique d’intérêt général comme la Banque nationale.

Néanmoins, toutes les autorités constituées s’opposent à cette initiative. Au parlement les majorités rejetantes ont été impressionnantes. Le Conseil des Etats a refusé le texte par 42 voix contre zéro et une abstention ; le Conseil national par 169 voix contre 9 et 12 abstentions. Il est rare d’assister à une telle unanimité de tous les groupes politiques contre une initiative populaire.

On sait aussi que certains partis dépendent fortement pour leurs budgets électoraux du soutien de l’économie en général. C’est ce biais qui explique sans doute qu’il y ait une telle contradiction entre la volonté du peuple et la position du parlement fédéral. Les citoyens ont gardé le pénible souvenir de cet automne 2008 où la Confédération a dû prêter dans l’urgence six milliards à l’UBS et où la BNS a dû se charger de près de 40 milliards de fonds subprimes qui correspondaient à des prêts hypothécaires inconsidérés aux Etats-Unis. Si l’initiative Monnaie Pleine passe, la Confédération ne sera plus obligée de sauver une banque de la faillite puisque les comptes des déposants ne seront pas impliqués dans la faillite et que trafic des paiements pourra se poursuivre.