Trop peu d’accidents nuit

 

Une fois de plus, le parlement fédéral témoigne de sa capacité d’écoute du peuple et d’anticipation des problèmes. Celui qui est ici abordé possède une tournure paradoxale : par suite des mesures exagérées prises auparavant pour assurer la sécurité des usagers de la route, le nombre d’accidents, en particulier mortels, a diminué. On peut ingénument s’en réjouir, mais il faut tout de même aborder avec réalisme les conséquences. La première, la plus évidente, la plus malencontreuse est le mécontentement d’une fraction du peuple qui ne supporte pas les diktats de Berne. Ils furent exaspérés par ceux de la pandémie comme porter obligatoirement un masque. Qu’ils aient tort ou raison n’est pas le débat : le peuple est le souverain et rien ne peut lui être opposé ni la gestion de l’administration, ni la volonté du gouvernement. Le peuple n’a pas à être raisonnable, ni à se justifier. Il est ce qu’il est. Il impose donc les mesures suivantes :

« Les conducteurs fautifs seront moins durement punis à l’avenir. Après le National, le Conseil des Etats a accepté de supprimer la peine plancher d’un an de prison pour les délits de chauffard et de réduire la durée minimale du retrait de permis. Les chauffards pourront à l’avenir aussi être punis d’une simple amende. La réduction de la durée minimale du retrait de permis a été plus discutée. Actuellement, elle est de 24 mois. Le Conseil fédéral propose de l’abaisser à 12 mois. Juges et autorités auront ainsi une plus grande marge de manœuvre”. Il ne s’agit pas d’un affaiblissement de la sécurité, mais d’une application mesurée. Certains conducteurs commettent des délits de chauffard sans le savoir et sont massivement punis. Les courses en circuit seront autorisées aussi bien pour les championnats électriques que pour les compétitions traditionnelles. Les motos et autres deux-roues motorisés n’ont eux rien à faire sur le trottoir. Les sénateurs rejettent aussi cet apport de la Chambre du peuple. Ils la suivent par contre sur le casque à vélo. Pas question de l’imposer aux jeunes jusqu’à 16 ans. »

C’est l’évidence même. Ne dit-on pas que les jeunes ont la tête dure ? Ils risquent donc moins la fracture du crâne. Parmi d’autres excellents arguments invoqués contre le casque, le parlement craint aussi que son obligation détourne de l’usage du vélo et contribue donc à la production de CO2. C’est une autre évidence. Il est écologique de circuler à vélo sur les trottoirs sans casque.

Même s’ils ne sont pas politiquement corrects, il faut tout de même esquisser les considérations économiques. Moins d’excès de vitesse signifie moins de consommation de carburant, moins d’accidents, moins de réparations, moins de traumatisés, moins d’activité hospitalière. L’excès de sécurité routière entraine une chute du produit national, qui est tout de même le marqueur fondamental de la politique.

D’ailleurs l’existence même de prétendus chauffards mérite que l’on s’y arrête. Ces conducteurs ont une relation passionnelle avec leur véhicule. Leur affectivité exige que la vitesse compense leurs insuffisances dans d’autres domaines, professionnels, familiaux, sociétaux, amoureux. Dépasser la limite imposée par les pouvoirs publics apaise l’angoisse existentielle. En risquant la mort pour eux-mêmes et les autres usagers, ils la dominent. C’est une liberté constitutionnelle qui s’apparente à celle de culte. D’aucuns vont à l’église, d’autres font ronronner leur moteur. Tous les rites se valent et il serait bien prétentieux de les distinguer.

En conclusion de cette chronique on peut une fois de plus se réjouir du bon fonctionnement de nos institutions marquées par le pouvoir absolu du peuple. Instruit par le courage des Ukrainiens qui risquent leurs vies pour la liberté, les chauffards suisses s’engagent dans cette bataille en risquant la leur et en informant les autres usagers de la route qu’ils doivent suivre cet exemple. Quatre morts par semaine en Suisse, contre cinquante dans le Donbass. Où est le courage, où est la virilité? Où sont les valeurs?

A quand une infraction de respect des limites de vitesse ? En trainant sur les routes, ces légalistes les encombrent et multiplient, eux, les risques d’accidents ! Les lois n’existent que pour donner la satisfaction de les violer. C’est le principe même de la démocratie populiste, la seule vraie.

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

21 réponses à “Trop peu d’accidents nuit

  1. Je ne suis pas sûr que votre humour au second degré soit suffisant pour faire revenir le peuple et ses représentants sur leur décision. Oui le peuple n’a pas toujours raison, mais par quoi le remplacer ? « Que ton règne vienne » prie les chrétiens. En attendant, l’aphorisme de Churchill reste valable : « la démocratie est le pire des régimes, après tous les autres ! » Et après tout, notre pays a le régime qu’il mérite, avec ses lenteurs, ses égoïsmes, ses inconséquences ; il ne s’en tire globalement pas trop mal !

    1. Le but du blog n’est pas faire revenir le peuple sur sa décision mais de la discuter. Nous avons d’excellentes institutions mais elles comportent comme toutes les autres des inconvénients. Le parlement soumis à la pression du peuple prend parfois des initiatives démagogiques dans un pur but électoralistes. C’est inévitable et cela ne veut pas dire qu’il en faille changer. C’est une façon d’affirmer que nous ne sommes pas parfaits, illusion très dangereuse.

        1. Il est courant au parlement qu’un parti menace de lancer un référendum pour peser sur le débat. Cela se fait très souvent et cela agit de façon efficace.

  2. “Les lois n’existent que pour donner la satisfaction de les violer.”

    Cette mentalité, en Suisse ? moi, je ne dors pas pendant des nuits si j’ai le malheur de me faire embarquer par mes amis à traverser en dehors d’un passage piéton.

    La simple idée d’être “connu des services de police”, forme de stigmatisation la plus extrême en Suisse, me donne des boutons ! Pire encore que devoir demander une prestation sociale auquel j’aurais droir, comme une aide pour les primes maladie.

    Ma plus grande satisfaction est de faire au mieux pour respecter la léguslation, aussi bureaucratique qu’elle soit.

    Je croyais être représentatif de la majorité silencieuse. Prendre de la satisfaction à violer la loi? sérieux ?????

  3. Les vrais délits de chauffard comme tout comportement qui fait de vous un danger mortel pour autrui, doivent être punis sévèrement (quoique sur des grandes autoroutes toutes droites, en Allemagne, il n’y a a aucune limitation de vitesse, et je trouve ça assez juste).

    Ce qui est typiquement suisse et ridicule, c’est l’amende que j’ai reçue l’autre jour pour avoir roulé à 31 kmh au lieu de 30 !

  4. Le bon sens s’est perdu et l’exagération est mauvaise conseillère; laisser une marge d’appréciation au juge supposé pondéré et honnête est probablement positif. La suite nous le dira !

  5. Ironie sympathique et bonne plume de M. Neyrinck !

    Malheureusement la rigueur du scientifique cède le pas aux délices des jeux de l’esprit :
    associer nos quelque 200 morts annuels de la route (4 par semaine) aux délits de chauffards est un lourd biais de raisonnement qui pourrait faire échouer un étudiant au poly ! A moins qu’il ne s’agisse de populisme.

    La lutte contre les chauffards est nécessaire. Elle continue. Mais dans les causes d’accidents, il y a majoritairement la distraction (mobile), la fatigue (société productiviste), et la conduite non optimale de certains des plus jeunes comme des plus anciens… A ce propos : aujourd’hui, une attestation d’un médecin traitant fidèle sufit à conserver son permis de circulation à tout âge …. En jusqu’au-boutiste de la sécurité routière, M. Neyrinck va-t-il aussi proposer une analyse plus sérieuse des capacités de conduite des automobilistes âgés ? Ou une recherche d’équilibre entre l’efficacité et la pression normative lui paraît-elle dans ce cas-ci humainement souhaitable ?
    L’application de Via Secura était simplement trop dure. Elle reste ferme.

  6. Une rédaction très bien menée qui dénonce les décisions que vous déplorez, j’ajouterais que celles-ci sont honteuses en songeant aux victimes et aux familles. Bien malheureusement, les décideurs qui sont des personnes instruites, soucieuses d’avoir les pieds sur terre quand elles fondent leurs avis, semblent glisser quand il s’agit de l’alcool au volant, l’origine encore la plus fréquente des drames de route. Il a fallu attendre longtemps pour qu’une nouvelle approche, avec Via Sicura, évalue plus sérieusement les responsabilités en définissant le profil de « chauffard ». Songeons que dans les années soixante un conducteur causant un accident sous l’effet de l’alcool avait des circonstances atténuantes : « l’alcool fausse le jugement… » La crainte de maintenir des lois impopulaires, comme vous le dites, est une explication de cette marche arrière. Je relèverais autre chose encore, le vin bu en trop grande quantité cause l’insouciance autant chez les esprits évolués et intellectuellement forts que chez les plus faibles. Et parmi ces esprits forts les politiciens ne sont certainement pas mieux armés, ils sont « comme tout le monde », les décisions « impopulaires » ne les concernent pas moins. Ceux qui se font remarquer négativement, un soir où ils ont bu trop de verres, ne cachent pas leur désolation en souhaitant que la confiance ne soit pas rompue. D’autres, je l’ai entendu plusieurs fois, réagissent d’une manière assez risible : « J’ai fait une bêtise… » Par contre je ne me souviens pas d’un seul politicien ayant parlé de « bêtise » après s’être trompé de direction sur son parcours politique. Ceux qui se sont trouvés à un moment donné à contresens ou en travers, c’est parce que le paysage avait changé trop vite, ils sont alors repartis plein gaz en sens inverse.

  7. Vous glorifiez le CN, mais vous oubliez de toucher un mot au sujet de ceux qui ont subit l’outrance avant le changement de la loi. Peine plancher d’un an pendant plusieurs années ou décennies. Il n’y a aucun moyen de prouver que le changement de cette loi pour les chauffards a été imposé par Bruxelles, mais c’est fort probablement le cas, dans le cadre de la convergence de nos lois. Nos autorités ont corrigé le tir, c’est tout. Une lecture plus factuelle permettrait d’écrire: que nos autorités se sont rendues compte de leur énorme bêtise, qui a fait beaucoup de tort à des personnes qui ont perdu leurs travail, suite à une faute et une seule derrière le volant.

    1. Via Sicura ne concerne pas les conducteurs commettant une faute par distraction, négligence, ni même des écarts volontaires ne représentant pas un sérieux danger pour les autres. Rouler à 100 km/h dans une localité, par exemple, peut amener à se poser des questions sur l’effet favorable d’une peine de prison, la suspension du permis pour une longue durée, l’obligation de suivre un stage de sensibilisation etc. Il y a des imbéciles qui en trois mois réussissent sans problème à passer leur permis de conduire après avoir suivi les leçons de conduite avec un moniteur, potassé leur livret des règles de la circulation, mais pour devenir une personne adulte et responsable il leur faudra dix ans de plus, ou jamais… De lourdes sanctions peuvent au mieux les inciter à se tenir tranquille pour ne pas en faire une deuxième fois les frais, mais de leur comportement nocif ils s’en fichent, à l’image de ceux qui se sentent légers à la fin de leur peine : « J’ai payé à la société, maintenant je ne dois plus rien ». Ils n’ont rien payé pour changer, ils restent des imbéciles et c’est permis, mais à pied.

  8. “Certains conducteurs commettent des délits de chauffard sans le savoir et sont massivement punis.”

    Traduction: certains délinquants commettent des délits sans le savoir. Je me réjouis que l’on applique la même clémence dans tous les domaines. Ceux qui ont perdu un proche à cause du comportement d’un chauffard sur la route apprécieront.

    Quelqu’un qui roule à 110 km/h dans un village et néglige les passages piétons ne sera désormais puni que s’il a tué ou blessé quelqu’un.

    Quand à la démocratie, je fais confiance aux assurances pour corriger le tir en devenant dissuasives pour les petites gens et en modifiant leurs conditions générales pour récupérer leur pertes en cas d’accident dû à un comportement inadapté.

    Peu de gens sont conscients qu’une boite noire deviendra obligatoire sur les nouveaux véhicules en Europe dès juillet 22: tous les paramètres sont enregistrés et consultables en cas d’accident (vitesse, accélération/freinage, port de la ceinture de sécurité, usage du clignotant et autres équipements de signalisation – phares, force de la collision, régime moteur, inclinaison du véhicule, etc).

    Ainsi, un temps de réaction avant freinage sera assimilé à une distraction et donc une faute grave.

    La peine de prison se transformera ainsi en saisie à vie sur le salaire: le civil prend le relais quand le pénal de fonctionne plus.

    Tout cela pourra être complété par des tarifs qui s’adaptent automatiquement aux comportement des conducteurs. Eh oui, les voitures sont maintenant connectées et récoltent plus d’informations que vos smartphones. On parle déjà de contrats d’assurances à prix plus avantageux pour ceux qui acceptent des dispositifs de sécurité (limiteur automatique de vitesse, etc).

    Espérons toutefois que ce changement de paradigme n’incitera pas les plus riches et les plus puissants à s’affranchir des lois tout comme durant la pandémie (jets privés, fêtes privées, etc).

    Finalement, le “peuple” pourrait bien se retrouver avec une belle “gueule de bois” en matière de liberté et de proportionalité des sanctions.

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