Le retour des empires

 

Partons d’une évidence. Si la Russie entreprenait la conquête de l’Ukraine, l’UE européenne ne la défendrait pas, sinon par des gesticulations économiques inefficaces. Le dessein manifeste de Poutine consiste à rétablir l’empire soviétique. Il a déjà grignoté la Crimée et le Donbass. Il a positionné des troupes en Biélorussie, en Arménie et au Kazakhstan.  Ce n’est pas l’espace qui manque à la Russie avec l’immense Sibérie, mais elle est en manque de fierté nationale. Elle ne représente pour l’instant que le résidu d’un immense empire, qui fait encore rêver.

Après 1945, l’Union Soviétique n’eut de rival que les Etats-Unis. Le monde fut clairement divisé en deux camps pendant trois décennies. A la chute du mur de Berlin, durant une vingtaine d’années il n’en a subsisté qu’un seul, l’empire américain avec ses alliés et ses colonies de fait, d’innombrables républiques bananières, son incompétence, ses maladresses politiques. Il en est arrivé à élire un président bouffon.

Un nouvel équilibre s’impose maintenant avec la montée de la Chine. Par un réflexe symétrique à celui de de la Russie, elle envisage de récupérer Taïwan et colonise subrepticement l’Afrique. Le monde redevient bipolaire par coexistence de deux nouveaux empires, chinois et américain. La Russie s’évertue à en redevenir un. Le seul qui ne se constitue pas est l’Europe.

Or elle a détenu jadis l’empire du monde. En 1914, florissaient les empires  russe, allemand, austro-hongrois, ottoman, anglais et français. En 1919, les quatre premiers disparurent. Or ils étaient bien utiles : les Ottomans maintenaient l’ordre et la paix aux Moyen-Orient, les Autrichiens dans les Balkans. Depuis ces régions sont devenues des foyers perpétuels de conflits.

En 1960, les empires anglais et français disparaissent et ne remplissent plus leurs rôles de pacification. L’armée française s’épuise à empêcher la création d’un Califat islamique dans le Sahel, sans que l’UE l’appuie sérieusement. Sans armée unifiée, ni diplomatie commune l’Europe n’est pas un interlocuteur crédible dans le destin de l’Ukraine. Poutine est l’équivalent d’un loup face à un troupeau de moutons dont le berger (américain) s’est éloigné.

Les historiens du futur pourraient considérer que Vladimir Poutine fut un révélateur de l’UE dans la mesure où il lui fit prendre conscience de sa faiblesse. Pourvu que le défi lancé par la Russie soit décrypté et compris et que le nationalisme archaïque de certains pays de l’UE cède devant une sorte d’authentique patriotisme européen. Avec 446 millions d’habitants, elle dépasse de loin les Etats-Unis (334) et la Russie (146). L’Europe fut la mère des arts et des sciences, les caravelles portugaises et espagnoles ont découvert la planète, les orchestres symphoniques du monde entier jouent les musiques composées par les Allemands et les Autrichiens. Si l’Europe est entrainée dans une future guerre, cette civilisation risque d’être détruite. Même si l’arme nucléaire ne sera pas d’un emploi assuré, on ne peut l’exclure.

Alors que l’UE ne représente pas du tout un empire, la Suisse pour l’instant s’en tient à distance pour de multiples raisons. Malgré son nationalisme, ce pays réussit remarquablement en économie. Sa population en est fière et dénigre la faiblesse de l’UE comparée à sa propre force. En même temps, elle détient la clé d’une mutation de l’UE en un seul pays.

Les pays constituant l’UE ignorent et ne peuvent même pas imaginer les secrets des institutions suisses qui assurent la stabilité d’un pays habité par quatre ethnies pratiquant des langues et des cultures différentes. Le fédéralisme, la concordance, la démocratie directe, la neutralité en constituent les quatre piliers. La plupart des pays européens sont centralisés, gouvernés en alternance par la droite et la gauche, refusant toute idée d’un référendum d’initiative populaire, animés du désir incontrôlable de s’occuper des affaires des autres.

Or, il faut tout faire pour éviter qu’une guerre impromptue n’éclate. Cela arrive parfois par inadvertance comme la première guerre mondiale déclenchée parce qu’un terroriste, par hasard serbe, avait assassiné le grand-duc héritier d’Autriche. Cela arrive parfois parce qu’on a laissé l’agresseur potentiel se réarmer comme pour la seconde guerre mondiale et que l’on n’est pas intervenu à temps. En tergiversant pour aller au secours de l’Ukraine, on risque le pire. Et l’UE ne peut que balancer faute d’une diplomatie et d’une armée commune.

Il faut que l’UE devienne à son tour un empire avec non seulement une monnaie unique, mais aussi une diplomatie crédible, une frontière sauvegardée, un gouvernement fort. Il ne suffit plus de promouvoir la science, la recherche, la formation, l’économie. Il faut assumer les pouvoirs régaliens. Le premier étant d’ouvrir l’appartenance de l’UE à tout pays qui le désire, l’Ukraine par exemple. La Suisse doit donc cesser de se demander ce que l’Europe peut faire pour elle et se demander ce qu’elle peut faire pour l’Europe. Le véritable enjeu reste la paix.

 

 

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

39 réponses à “Le retour des empires

  1. L’armée européenne est un concept un peu creux.
    Dès lors l’empire européen semble une illusion qui vise à palier la perte de pouvoir des USA.
    Personnellement, le retour aux empires ne me semble pas porteur de paix, mais de guerres aux frontières des empires.
    Tout empire doit s’étendre, car l’empire est une puissance hégémonique, de tendance totalitaire – et cela cause des guerres.
    En quoi l’empire européen serait-il plus vertueux que l’URSS?
    Expliquez, svp.

    1. Une dictature peut engager une guerre sans qu’un parlement régulièrement élu marque son accord.
      L’URSS entretenait des camps de concentration que l’UE n’envisage pas.
      Etc

      1. Parce que l’UE n’est pas encore un empire – avec une idéologie impériale.
        Mais rien ne dit que cela n’évolue pas dans une mauvaise direction.
        Bien des pays européens ont connu des dictatures au XXe siècle et je ne vois pas pourquoi vous excluez cette possibilité – qui est bien attestée historiquement dans la majorités de pays européens – pas uniquement en Russie.
        Et actuellement, les exécutifs européens ont des pouvoir très étendus à cause des abus de la crise contre le covid.
        On pourrait très facilement basculer dans un mode de fonctionnement très arbitraire. C’est déjà le cas dans les discours et les bases légales (lois anti-terroristes très élargies, contrôles algorithmiques). Ce sera bientôt catastrophique en actes si cela continue dans la même direction.

        1. En cas de malheur tout peut arriver, la Troisième République est bien devenue l’Etat Français de Vichy. La mutation de l’UE en un seul pays a pour but de prévenir ce malheur.

          1. Une UE forte et unie (pas centralisée) peut seule tenir tête sur tous les plans aux autres empires. Dans l’état actuel elle ne peut rien faire pour intervenir dans l’affaire ukrainienne. Ce pays désire la rejoindre et en est empêché. Il y a de la sorte une immixtion de la Russie dans les décisions propres à l’UE. Si l’Ukraine est engloutie par la Russie, viendront ensuite les revendications sur les pays baltes, etc..Face à un dictateur impérialiste, il faut résister tout de suite. Sinon chacune de ses réussites l’engagera à aller plus loin. C’est ce qui est arrivé lorsque la France et l’Angleterre n’ont pas soutenu la Tchécoslovaquie en 1938. Les Occidentaux croyaient avoir le choix entre le déshonneur et la guerre. Ils ont eu les deux.

          2. Parce qu’il y a moins de risque d’introduire une union fasciste si l’on réunit tous les pouvoirs en un seul homme/femme ?

            Ben voyons…

          3. Là on touche un point que je n’ai jamais réussi à comprendre.

            Quand Hitler dominait l’Europe le traçage policier des personnes n’était pas efficace dans tout le Grand Reich Allemand. Il était possible de se cacher et de se bricoler des faux papiers pour échapper à la Gestapo. Aujourd’hui avec l’Union Européenne il ne serait déjà plus possible d’échapper à la surveillance. Et en plus on a eu grand tort de supprimer les souverainetés nationales. Si une nouvelle forme de totalitarisme d’extrême droite parvenait au pouvoir – et cette hypothèse est loin d’être farfelue étant donnée la crise économique qui nous menace – eh bien le nouvel Hitler aurait dans sa main d’un seul coup les leviers de commande unifiés de tout le continent, tandis qu’avant l’Acte Unique Européen il aurait fallu d’abord une prise du pouvoir dans chaque pays l’un apèrs l’autre et il était improbable que le nouveau nazisme gagne dans tous les pays en même temps. Tandis que là il suffira d’une vague brune aux élections, et d’un seul coup le pouvoir brun s’imposera partout sans restriction.

            Vous dites qu’on a fait l’Union Européenne pour échapper à ça, mais moi je vois les choses de manière exactement opposée. Il est bien évident qu’on a fait cette Europe de manière à faciliter au maximum la Gleichschaltung immédiate de tout le continent par le prochain Hitler, qui n’aura même pas besoin de se fatiguer pour envahir militairement les différents pays.

            Comment se fait-il que personne n’ait jamais pensé à ça ? Personne n’a jamais mis en garde contre ce danger. Ils étaient tellement occupés à sauter sur leurs chaises comme des cabris en criant l’E urope ! l’Europe! ! l’Europe !

      2. Inexact, la déclaration de guerre de la République française à l’Allemagne (3 septembre 1939) n’a pas fait l’objet d’un vote du parlement français. Ca a été une décision du gouvernement. Le parlement s’est contenté de voter des crédits de guerre, il n’a jamais approuvé la déclaration de guerre proprement dite.

  2. Magistrale analyse, très crédible et vraisemblable, bravo. Par contre je crois immensément présomptueux d’imaginer que la petite Suisse, même si elle adhérait (soyons fous, rêvons !) serait capable d’influencer et de faire parler d’une seule voix cette grosse machine européenne, dominée par des lobbys de toutes sortes qui tirent à hue et à dia.

    1. @ Dédé : J’étais en Albanie dans les années 90 et la population s’y inquiétait d’un empire turc qui était déjà en train de renaître. Erdogan ne rêve de rien d’autre sans que ça inquiète le moins du monde les Européens.

  3. 100% d’accord avec vous, je suis un européen convaincu, et l’indépendance stratégique, politique sont une nécessité. L’UE doit en être le moteur.
    Contrairement aux autres puissances, l’Europe traumatisé par la guerre de 39-45, n’aime pas la faire et ne la fera jamais pour l’orgueil ou le nationalisme. La diversité des populations assurerait une entité non agressive dénuée forcément de nationalisme excessifs, mais plutôt fixé sur l’intérêt général.
    Même la Suisse y a intérêt, les US sont trop instable pour assurer une paix en Europe. Ils font de la diplomatie en regardant les sondages.
    Biden a été mauvais, il pense élection. Une Europe forte réduirait les tension à l’est.

    Et 200% d’accord avec vous, la Suisse doit inspirer le futur de l’UE.
    Ce qui se passe en Chine est plus inquiétant que la crise ukrainienne, il n’y a plus de temps à perdre pour créer une puissance européenne.

  4. Le situation est simple. La Russie ne veut pas …. pardon ne peut pas accepter d’avoir l’OTAN à sa frontière. La Russie fait clairement comprendre à l’Ukraine que c’est ainsi. Tous les états concernés l’ont très bien compris. Tout le monde gesticule pour la forme et dans peu de temps tout rentrera dans l’ordre. Donc passons à autre chose….Bonne journée et bonnes vacances de février.

        1. Rostov-Marioupol-Crimée – (Odessa ?)
          Bielorussie-Kiev-Crimée – (Odessa ?)
          Jonction en Crimée (Odessa ?)
          Partition de l’Ukraine (délimitée par le Dniepr ?)
          Quid d’Odessa qui est à l’ouest du Dniepr ? Quid de Kiev ?
          Quid de l’usage des importantes forces russes de Kaliningrad (au sein de l’UE !) ? Diversion par d’importante manoeuvres pour effrayer les pays baltes et la Pologne et y attirer le troupes de l’OTAN.

    1. @Redel : Exact. C’est Cuba 1960 rejoué à l’envers. En 60, les USA n’ont pas cédé à l’URSS et en 2022, il n’y a pas de raison que la Russie cède au NATO.

  5. Les dictateurs ont la fâcheuse tendance d’avoir des discours arrogants pour justifier leur pouvoir, puis de finir par croire à leur propre puissance. Arrive un moment où il est nécessaire de mettre un terme à leur capacité de nuisance. Qu’est-ce que la Russie? En population et en PIB, sur les dix dernières années, c’est moins que le Brésil. Dans les faits, elle a rendu l’Europe dépendante à son gaz, ce qui est inacceptable.
    Les tentatives constante de déstabilisation de l’Ukraine est une occasion d’entrer dans un bras de fer pour remettre les pendules à l’heure. J’espère que les E-U vont réussir leur coup.

  6. La bonne raison pour laquelle je ne crois pas à une guerre en Ukraine, outre que personne n’en veut vraiment est que le puissant allié de la Russie, la Chine, ne suivrait pas Poutine dans une telle aventure parce que ce n’est pas dans son agenda. Il faut calmer les USA et leur amis anglais. Bon je peux me tromper….

    1. Le ministère chinois des affaires étrangères a publié un communiqué disant qu’il approuvait les demandes de sécurité légitimes de la Russie et qu’il ne s’opposerait en rien à l’éventuelle invasion de l’Ukraine par la Russie.

      1. C’est un discours.
        Dans les faits, la Chine laisserait tomber la Russie.
        Les intérêts de la Chine sont les mêmes que ceux de l’Europe: obtenir les matières premières russe en payant le moins possible.

  7. C’est curieux ce plaidoyer pour que l’Europe devienne un véritable Empire. Ca me rappelle un article d’Othon de Habsbourg que j’avais lu, et qui disait exactement la même chose. Et il espérait probablement qu’une fois que ce serait fait, ce seraient ses propres rejetons (malheureusement très bêtes) qui tout naturellement viendraient s’asseoir sur le trône de ce nouvel empire reconstitué… Evidemment tout ça, ce sont des rêveries auxquelles, nous autres Suisses, sommes très peu sensibles. Les Habsbourgs on les connaît, avec leurs idées de grandeur. On s’est déjà occupés de leur cas au XIVe siècle, et on les a chassés définitivement de chez nous en leur infligeant des défaites humiliantes pour leur “archi-ego”, si j’ose dire. Ensuite on a du s’occuper aussi du cas d’un autre gonflé, le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, qui n’était pas un Habsbourg, mais à la suite du mariage de sa fille, il est tout de même devenu l’ancêtre des Habsbourgs d’aujourd’hui. Celui-là, c’était une synthèse. Il avait déjà tous les traits imbuvables, l’arrogance et l’incompétence qui caractérisent actuellemnt les eurocrates. Déjà, il venait de Bruxelles. Il faut toujours se méfier de ce qui vient de Bruxelles : Charles le Téméraire, l’UE, l’OTAN, très mauvais tout ça. On fera une exception pour un certain fils de confiseurs belge naturalisé suisse, qui est très apprécié chez nous car il aime sincèrement notre pays, à sa manière, depuis qu’il écoutait Sottens pendant la guerre sur son poste à galène. Mais on pourrait quand-même lui suggérer de réfléchir à ça: peut-être que dans notre opposition tenace à cette Europe de Bruxelles qui se rêve impériale, il y a l’ADN de la Suisse : un pays qui s’est formé contre les Habsbourgs.

    1. “il y a l’ADN de la Suisse : un pays qui s’est formé contre les Habsbourg”, une maison ayant son origine … en Suisse actuelle!
      “Cette maison (note: celle des Habsbourg) tire son nom du château de Habsbourg en Suisse alémanique, dans le canton d’Argovie dans la commune éponyme de Habsbourg” (Wikipédia)!
      A réécrire l’Histoire, les Vaudois devraient alors rejeter le gouvernement fédéral, qui siège dans la capitale de leurs anciens occupants, bien pire que de dépendre de la lointaine Bruxelles :-)!
      Je suis toujours effaré de voir combien bon nombre de Suisses ont une vision totalement “mythologique” et biaisée de l’histoire de leur pays.

  8. Il convient de rappeler quelques faits: la Russie a une grande armée mais son PIB se situe entre celui de l’Espagne et celui de l’Italie, elle ne peut pas se permettre un conflit à haute intensité pendant longtemps, les russes ont annexé la Crimée en 2014, s’ils étaient intéressés à une annexion de l’Ukraine, ils n’auraient pas attendu 8 ans et le renforcement de l’armée ukrainienne.
    Je pense que l’on sous-estime le problème qu’une Ukraine démocratique et libérale poserait aux institutions russes. Si l’Ukraine avait prospéré (avec ou sans subventions de l’ouest) après le coup d’état de 2014, il serait difficile pour le pouvoir russe de dépeindre la démocratie libérale à l’occidentale comme un système vicié et décadent inapplicable au peuple russe. Poutine et la Russie ont perdu l’Ukraine et ils le savent parfaitement. Ils ont preservé ce qu’ils considéraient comme leurs intérêts vitaux en saisissant la Crimée (et la principale base de la flotte de la mer noire) et ils vont maintenant s’assurer du pourrissement de la situation en Ukraine. L’Ukraine sera peut-être pro occidentale mais surtout faible, pauvre et instable et Moscou fera tout pour que cela reste ainsi. Peut-on exclure une intervention militaire directe? Certainement pas. Cependant, il est improbable que la Russie cherche à occuper le terrain, elle n’en a pas les moyens. Elle pourrait, en revanche, détruire les capacités opérationnelles de l’armée ukrainienne dans les zones frontalières, peut-être même dans toute la zone à l’est du Dniepr et se retirer ensuite.
    Notons encore que même le président ukrainien a, publiquement, demandé aux américains de cesser leur cirque car la dépréciation de la monnaie et l’explosion des taux d’intérêt sont au moins aussi problèmatiques qu’une hypothètique invasion.
    Rappelons-nous, enfin, que depuis la guerre du Vietnam, les USA vivent avec un double déficit (publique et commercial) permanent financé par le reste du monde “libre”, en échange de leur protection militaire. Depuis la chute du communisme, c’est de plus en plus difficile à justifier et un vilain Poutine qui menace d’envahir l’Europe est un épouventail bien pratique.

  9. Monsieur Neirynk,
    Article fort intéressant. Surtout en ce qui concerne la Suisse. Pour une fois ! Mais la frénésie anti-russe et anti-chinoise actuelle me semble totalement disproportionnée. Je ne crois pas que la Russie ait le moindre désir d’envahir l’Ukraine. Ses préoccupations sont la minorité d’origine russe du Dombass et l’impérialisme américain docilement suivi par les européens qui veulent étendre leur territoire et la présence de l’OTAN jusqu’à ses frontières. Pour la Chine, difficile de se faire une opinion. Le problème, s’il y en a un, relèverait plutôt de son immense diaspora partout dans le monde et l’opposition de son gouvernement à ce nomadisme, l’envie de reconstituer l’Empire du Milieu. En ce qui concerne l’Europe, la bien-pensance rêve. Comment transformer une entente économique en une entité politique avec des Etats Membres incapables d’envisager la formation d’un état fédéral impliquant la décentralisation. Quant à la Suisse, vous avez raison. Elle pourrait, de même que l’Indonésie avec leurs devises respectives ‘Un pour tous, tous pour un’ et ‘L’unité dans la diversité’, servir d’exemple mais, comme dit l’adage populaire, ‘On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif !

  10. Il est interessant de prendre position mais il faut savoir s’élever un peu, “sans parti pris” la vision des choses. L’OTAN avait promis a la Russie de ne pas faire intégrer la Pologne et les Pays Baltes a l’organisation… Ce groupement de “defense…” est intervenu en Libye avec “le succès “que l’on sait…

    Comment l’Europe pourrait parler d’une seule voix alors que bien des pays sont pieds et poings lies par les livraisons de gaz russe? Une Union incapable de gérer une arrivée de refugiers, serait a meme de mener une guerre.

    L’Europe qui a adopte l’Euro comme monnaie unique, a donne les pleins pouvoirs a l’Allemagne et a la Hollande, mais qui met le reste du continent dans l’impossibilité d’avoir une politique monétaire nationale. La consequence est d’avoir un chômage, endémique dans les pays du sud, une inflation qui a pris l’ascenseur des l’introduction de la monnaie unique. Les pays européens sont capables de tolérer un dumping salarial entre l’est et l’ouest. D’accepter aussi que des paradis fiscaux se créent en son sein, créant une concurrence déloyale entre pays de l’Union. Un parlement européen gangrené par les lobbies de toutes sortes. On l’a encore vu au moment de la pandémie.
    Une guerre ne se déclenche pas “par inadvertance” comme vous le dites. La premiere comme la deuxième guerre mondiale ont été soutenues par la grande bourgeoisie. Hitler sans le soutien des grands groupes industriels n’aurait rien pu faire.
    Le role “pacificateur” des empires français et britannique… c’est une vaste plaisanterie.
    Penser que l’Europe peut être unie, c’est croire au Père Noel avec un mois de retard.

  11. Les intellectuels européens, comme vous, ont fait du sentiment patriotique une honte abjecte, comparable à du racisme. Comment voulez-vous que des hommes et des femmes de l’UE acceptent de mourir pour défendre une valeur piétinée sans relâche depuis toujours, qui est la protection du territoire. Le focus des européens est de savoir quelles seront les conséquences économiques de l’invasion de l’Ukraine pour pouvoir continuer à faire de l’argent en zigzagant entre les lignes de démarcations!

    1. Cette vision dépréciative des Européens n’est pas réaliste. Beaucoup croient en la démocratie, apprécient d’en pouvoir bénéficier, constatent ses avantages et seraient disposés à accueillir les Ukrainiens dans leur communauté. Tel est le véritable sentiment patriotique qui est fait de l’amour d’un pays commun, d’une culture partagée, des progrès réalisés. Très peu ne pensent qu’en termes d’argent.

  12. “Le véritable enjeu reste la paix.” Bien d’accord. Je crains que les dirigeants actuels agitent le cas Ukraine pour masquer leurs difficultés ou turpitudes immédiates. La Suisse ne serait-elle pas bien inspirée de proposer un statut “neutre” pour l’Ukraine ? Au moins pour une période limitée ?
    Merci pour votre attention.

    1. La neutralité de l’Ukraine est une solution évidente. Celle de l’UE serait une bonne idée. Neutralité ne veut pas dire absence de défense au contraire. La Suisse a pratiqué avec succès la neutralité armée.

      1. “La neutralité de l’Ukraine est une solution évidente.”

        Ce n’est pas l’avis de François Nordmann, chroniqueur du “Temps” qui signe aujourd’hui un article intitulé: “La neutralité de l’Ukraine, une fausse bonne idée” (https://www.letemps.ch/opinions/neutralite-lukraine-une-fausse-bonne-idee).

        Dans son article paru le 26 janvier dernier sur son blog sous le titre “Babi Yar. Contexte”, Nadia Sikorsky, née à Moscou, explique que d’innombrables familles, comme la sienne, ont toujours eu de la parenté tant en Russie qu’en Ukraine, et ceci malgré les épisodes tragiques de l’Histoire, causes de leurs divisions, que l’une et l’autre ont connues.

        De plus, dans son récent reportage le correspondant du “Temps” en Ukraine, en visite près des lignes de front au Donbass, décrit combien les relations familiales sont intimement liées entre Ukrainiens et Russes depuis toujours jusque dans les plus humbles villages proches de la frontière. Selon ce journaliste, pour les habitants ukrainiens pourtant éloignés de quelques kilomètres à peine de la frontière russe, les mouvements de troupes et de chars d’assaut russes, même s’ils les rendent de plus en plus vigilants, n’ont rien d’étonnant à leurs yeux, semble-t-il.

        La manie cartésienne de tout classer par tiroirs, si elle peut se justifier d’un point de vue abstrait, bute en revanche contre les réalités dès lors qu’il s’agit d’appréhender la “logique” et la sensibilité slaves. Les Russes n’ont-ils pas de bonnes raisons de se sentir menacés par l’OTAN qui, au contraire de ses engagements pris après la chute de l’ex-URSS de ne pas s’étendre plus avant sur les territoires autrefois sous régime communiste, les renie à l’évidence en déployant ses troupes et son arsenal mortifère aux portes mêmes de la Russie? Qu’y fait encore l’OTAN, dont on peut et doit même s’interroger sur l’existence trente ans après que le Pacte de Varsovie ait été aboli?

        Mais n’est-il pas bien connu que quand les faits contredisent la théorie, ce sont les faits qui se trompent?

        Bien sûr, Vladimir Poutine est tout sauf un enfant de choeur. Il n’hésitera pas à recourir à la force, comme ses commandos Wagner le font déjà en Afrique et ailleurs. Ni à utiliser l’arme atomique. Et son tempérament imprévisible est peut-être ce qui pose le plus grand problème dans la crise actuelle.

        Comme Mussolini qui rêvait de rétablir l’empire romain, il n’a toujours pas pu digérer la chute de l’URSS et s’accroche à son fantasme de Grande Russie éternelle et de son “destin historique”, qui n’existe même plus dans les fictions hollywoodiennes. Résultat: sa Nouvelle Russie ressemble en tout point à un décor de cinéma, dont il est le tsar de carnaval. Mais ce décor masque mal qu’en Russie aujourd’hui, comme autrefois sous les tsars puis pendant toute la période soviétique, ce sont les services secrets qui gouvernent – autrefois l’Okhrana sous Nicolas Ier, dont Poutine, qui l’admire, garde un portrait dans l’antichambre de son bureau au Kremlin, puis du NKVD et du KGB, aujourd’hui du FSB.

        A l’inverse, incapables de concevoir une Europe qui s’étendrait de Lisbonne à Vladivostok, comme l’a proposé un parlementaire russe, battant du même coup le général de Gaulle question vision politique, et de plus en plus centrés sur leur nombril frileux et chatouilleux, les Occidentaux semblent oublier qui a sauvé l’Europe des invasions barbares dans le passé et mis fin aux dictatures européennes – oui, de cette même Europe qui se targue de sa si riche culture – à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, dont la Russie a payé le prix le plus fort.

        Qui menace vraiment l’Europe? Les tanks russes – même si plus d’un Russe de l’ancienne génération jure que s’il retourne en Europe, ce sera aux commandes d’un tank – ou ceux de l’OTAN et de ses fumeux alliés? Quant à Washington, qui exacerbe les tensions à distance, ses gesticulations verbeuses qui ne trompent personne, au point que même le président ukrainien a dû rappeler les Américains au calme, ne rappellent-elles pas que trop le mensonge, dont la Maison-Blanche n’est pas à un près, sur l’existence d’armes chimiques pour justifier son intervention en Irak? Belle occasion offerte hier au représentant russe au Conseil de Sécurité de le rappeler hier à son homologue américain.

        Quand Vladimir Poutine est venu au pouvoir, son premier geste a été de tendre la main aux Occidentaux, auxquels il proposait que la Russie rejoigne non seulement l’espace économique européen mais aussi l’OTAN. Les Occidentaux ne lui ont répondu que par l’arrogance et le mépris, qui n’ont d’égales que leur ignorance crasse des réalités russes et ne contribuent pas peu à maintenir le climat de méfiance délétère qui persiste entre les deux blocs et redouble même aujourd’hui. trente ans après la fin de la guerre froide.

        Que reste-t-il alors de l’ancien pacte OTAN-Russie? Et que vient faire l’UE à Kiev? N’est-il pas loin le temps où le Dalaï-Lama proposait de déplacer le siège de l’OTAN à Moscou?

        1. @L. Randal. Ce que vous écrivez est vrai, mais le problème actuel en Ukraine est surtout l’étouffement par isolement du Donbass, où comme en Afghanistan les gens n’ont bientôt plus grand-chose à manger… Curieusement, personne ici ne parle de cette vengeance consistant à écraser par les sanctions et le blocus tout ce qui est en mesure (à tort ou à raison) de tenir tête à l’Occident et à son système de pensée ou de valeurs. Le problème est réel, ce qui se passe actuellement en Afghanistan est une forme de génocide et, sans les Russes, le Donbass subirait exactement le même sort. Les gens là-bas veulent des routes et pas de la guerre ni de l’idéologie occidentale et c’est un fait que la région a besoin de se développer, alors qu’elle est instrumentalisée par les Occidentaux et l’OTAN pour encercler et contraindre la Russie. L’OTAN est une alliance militaire atlantique qui n’a rien à faire en Europe orientale, ces pays ont besoin de bien autre chose pour se développer que d’y amener et d’y entretenir des risques permanents de guerre. Les Russes et leurs alliés ne veulent pas de l’OTAN ni de l’armée U.S. à leurs frontières, ce n’est pas difficile à comprendre et à satisfaire, la paix est au prix de cette très petite concession.

  13. Tout empire est voué à disparaître , l’URSS a disparu et la Russie n’a aucune chance de survivre à Poutine puisqu’il a fait le vide autour de lui , symptôme des autocrates mégalomanes paranoïaques . Donc dans 20 ans , elle sera au même point qu’en l’an 2000 !
    Quant à la Chine , je ne voit pas son intérêt d’envahir Taiwan , qui ne fait pas même partie de son histoire !
    Cette île minuscule n’a été province chinoise que pendant quelques décennies .
    La Chine a connu un déclin au XIX ème siècle déjà , tout comme l’empire britannique au XX ème
    L’empire romain a commencé de s’effondrer quand il a atteint les limites du territoire qu’il ne pouvait plus contrôler …
    Beaucoup de souverains européens ont essayé de recréer cet empire disparu , de Charlemagne à Hitler .
    Ce modèle ne fait plus recette , il est définitivement relégué à la poubelle de l’Histoire …
    (…)
    Il faudra attendre l’avènement d’un gouvernement mondialisé pour espérer un peu de stabilité , peut-être à la mode helvétique , une sorte de confédération d’Etats débarrassés de leur armées nationales obsolètes , plutôt tournés vers le souci écologique que du pouvoir absolu ….
    On peut rêver …

    1. “l’avènement d’un gouvernement mondialisé”… ce serait encore pire que les pires des empires illusoires passés.
      L’être humain pourrait vivre très bien sans toutes ces constructions orgueilleuses – qui ne font que de créer des idoles et le détourner d’une vie plus simple et plus épanouie.

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