Comment ne paniquer qu’à bon escient ?

 

Telle est la question posée au Conseil fédéral, dont on n’aimerait pas de faire partie dans les circonstances actuelles. Face à l’épidémie d’une sorte de coronavirus (il y a en a plusieurs), muni d’informations partielles, soucieux de ne pas abîmer le potentiel électoral des partis au pouvoir déjà passablement écorné, il doit informer clairement et factuellement, il doit donner des consignes simples comme d’éternuer dans le pli du coude, il doit interdire les grands rassemblements sans les supprimer tous. Il ne peut pas ne rien faire, mais il ne peut rien faire qui soit cohérent  si c’est dommageable pour l’économie.

Ainsi est tombée l’interdiction des manifestations rassemblant plus de mille personnes. Pourquoi mille ? Parce que c’est un chiffre rond dans le système décimal, facile à retenir. En binaire on aurait pu utiliser 11 111 111 qui code 255. On a utilisé le langage le plus proche de la population. Très bien. Résultat : pour le médiocre opéra de Meyerbeer à Genève, la direction a limité l’entrée à 1000 spectateurs en renvoyant le numéro 1001, très précisément soupçonnable d’être porteur du virus alors que le numéro 1000 ne l’était pas du tout. C’est l’application bouffonne d’une règle arbitraire. En feignant d’y obéir, on en démontre l’absurdité.

Car, en même temps, pas question d’interdire les transports en commun sous le prétexte surréaliste que le danger de contamination y est moindre que dans une salle de spectacle ou dans un carnaval ou dans un stade sportif. Au-delà des éléments de langage convenus pour dissimuler la réalité, la raison est évidente : on ne peut pas bloquer la machine économique de la Suisse en empêchant les gens de se rendre à leur travail. C’est du coup les prendre au sérieux : on court pour travailler des risques qu’il ne faut pas prendre pour s’amuser. Il y aura peut-être des morts mais c’est la règle comme sur un champ de bataille. La vie humaine possède une certaine valeur marchande. Il suffit de faire calculer par l’AVS combien de rentes de veuves on peut payer avec le coût de la paralysie économique totale.

De même, il n’est pas question de fermer les frontières ni les aéroports, sous le beau prétexte que le virus ne connaît pas les frontières. Néanmoins la dictature chinoise n’a pas hésité à mettre en quarantaine stricte tout une province avec le résultat, déjà perceptible, d’un plafonnement de l’épidémie. Ce sont des choses que peut se permettre un pouvoir fort, qui n’est pas soumis à sanction électorale. Ce qui démontre a contrario qu’un pouvoir faible, soumis au souverain populaire, est incapable de prendre des mesures appropriées. Il peut juste apaiser la population d’une part et prendre des mesures soigneusement limitées pour éviter, limiter, amoindrir la panique. Sa devise apparente est : mieux vaut mourir tranquille plutôt que vivre inquiet.

Le meilleur exemple nous a, une fois de plus, été donné par nos pittoresques voisins : la France, d’une part interdit les voyages scolaires en Italie, d’autre part elle autorise 2000 supporters italiens à venir assister à un match à Lyon, sous le beau prétexte qu’ils ne viennent pas des villes en quarantaine. Du reste cette dernière est appliquée avec le pittoresque laisser-aller qui fait tout le charme de l’Italie, où la loi est toujours considérée comme un idéal inatteignable et non comme un impératif. Cela a fait de ce beau pays le lieu d’une propagation majestueuse du virus.

Que se passerait-il si l’épidémie d’Ebola nous était transmise depuis le Congo, avec un taux de mortalité vingt fois supérieur à celui du coronavirus ? Non seulement la Bourse, mais même les institutions helvétiques, si bénignes, si inefficaces, si bienveillantes, si impuissantes n’y résisteraient pas. On nommerait un dictateur. Que ne le fait-on à temps pour la transition climatique qui fera certainement dans vingt ou trente ans bien plus de dégâts qu’un épidémie de coronavirus ?

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

13 réponses à “Comment ne paniquer qu’à bon escient ?

  1. Les institutions helvétiques inefficaces ?
    Une comparaison avec nos voisins, proches ou lointains, devrait nous rassurer !
    Facile de critiquer alors que personne ne connaît de solution.

    1. Ce qui m’agace: depuis 1 1/2 mois, le CF nous dit: je fais distribuer des tracts aux frontières (aéroport) et fais enlever les masques aux chinois… car nous n’empêcherons pas le virus d’arriver et qu’il est bénin. Certains tomberons malades, mais notre système de santé est à la hauteur. Faites-nous confiance.

      Puis, le virus arrive via l’Italie et la France, comme prévu, et Berset p-a-n-i-q-u-e et fait interdire les manifs de plus de 1000 personnes….

      Gouverner, c’est prévoir. Or, là, manifestement, le CF a tout misé sur le travail de prévention des autres… et est incapable de garder son calme dès que le vent se lève ! Nul ! Il suffit de regarder la communication de crise: elle ne vaut que pendant les horaires de bureau…

      J’appelle donc à la mise sur pied d’une CEP pour examiner le travail de Berset (quand a-t-il su pour les premiers cas en Italie? et combien de temps a-t-il tergiversé avant de déconseiller des voyages là-bas??) et à sa démission. Il doit admettre qu’il n’est pas à la hauteur politique de la tâche.

  2. Bravo et merci pour ce commentaire de notre actualité surréaliste. Mais … ce n’est apparemment pas dans 20 ou 30 ans que le réchauffement climatique fera plus de victimes qu’une épidémie de coronavirus, même en Suisse. Au vu de l’accélération observée et, surtout, de l’inaction des autorités, ce pourrait bien être dans 10 ou 15 ans. Et on ne pourra pas simplement attendre que ça passe.

    1. Il semble que le virus en question ne supporte pas la chaleur. Que faut-il choisir, entre Charybde et Scylla ? Il suffira d’attendre quelques semaines pour se débarrasser du premier. Quant à la seconde, ses conséquences sont certes incalculables, mais elle nous épargnera ce virus et d’autres. N’oublions pas que nous sommes dans une courte période interglaciaire, déjà depuis 12’000 ans, par rapport aux très longues glaciations. On sort vite de ces dernières, mais on y entre progressivement, peut-être déjà devant nous après-demain… qui sait ?

      1. Ce doit être un virus induit par le pétrole ou le plastique, non?

        Enfin, peu importe, vous irez vous consoler sur Mars, si l’interglaciation ne vous a pas transformé en hibernatus avant 🙂

        J’aime les “vrais scientifiques” qui sont de vrais poètes!

    1. Ditto. 1023 = dix bits (11 1111 1111 en binaire naturel ou 0x3FF en hexadécimal), ce qui serait bien plus simple à comprendre par le commun des mortels, puisqu’il suffit de savoir compter de 0 à 1, formule du code génétique du plus ancien ordinateur connu, la cellule humaine, qui contient déjà en forme binaire le code nécessaire à la reproduction de l’espèce – avec ou sans virus).

      Autre paradoxe de Zénon: selon les directives officielles, chacun(e) est dès maintenant tenu(e) de respecter un périmètre de deux mètres (0000 0010 en binaire, 0x02 en hexadécimal) de vide sanitaire autour de sa personne, et ceci pendant au moins 15 (0000 1111 en binaire, ou 0x0F en hexadécimal) minutes – sauf dans les transports publics ou dans les gares et supermarchés (par exemple, si l’on pendule, debout, entre Lausanne et Genève, en particulier aux heures de pointe).

      A quand les milices de quartier, comme en Chine, pour empêcher les gens de sortir de chez eux?

  3. Réjouissons-nous… le coronavirus est… BON POUR LA PLANÈTE !
    Remercions les Chinois pour tout ce CO2 économisé qui, déjà, fait parler de “corona-krach” ! Un avant-goût d’une éventuelle transition écologique au pas de charge… ?
    La problématique des mesures à prendre est de l’ordre de ce que j’appelle le “syndrome du vacherin Mont-d’Or” – Vous souvenez-vous ? La listériose en 1987 causa 34 décès et par mesure préventive on passa du lait cru utilisé depuis des siècles au lait thermisé et, surtout, on passa d’un délice gustatif magnifique à un ersatz médiocre et inintéressant.
    Exemple du choix de société qui se posa, se pose et se posera toujours : faut-il sacrifier quelques uns pour que tous les autres vivent au mieux ou les protéger à tout prix quitte à restreindre la qualité de vie de la plupart des gens ? Personnellement, je préfère prendre le risque de la listériose… Eh! oui, la vie, c’est dangereux, n’en déplaise à nos fantasmes…
    “Il y aura peut-être des morts” dites-vous… J’estime à 300.000 le nombre d’humains qui décèdent habituellement chaque jour que Dieu fait… Plus fort qu’un tsunami mais qui en parle ? Qui s’en émeut ? Par contre 34 morts de listériose ou quelques milliers de coronavirus et l’indignation ou l’angoisse font les gros titres ! Pauvres de nous…
    L’enfer est pavé de bonnes intentions, encore et toujours.

    Comme vous parlez de gouvernance, j’aimerais brièvement revenir sur votre idée fétiche d’un gouvernement mondial pour mater les difficultés écologiques. En logique pure vous avez raison mais où trouver les Hommes vertueux indispensables au succès de cette gouvernance ? Ou plutôt comment empêcher les ambitieux, non vertueux de facto sinon il n’y aurait point de problème…, qui occupent tous les gouvernements nationaux actuels, de conquérir les manettes mondiales ?
    Il nous faut un magicien pour faire sortir de sa manche les chevaliers blancs requis… Le seriez-vous ? Non ? Dommage et… l’espoir va me quitter, j’en ai peur.

    1. Je n’ai jamais plaidé pour un gouvernement mondial. Il vaut mieux que le pouvoir soit distribué à tous les échelons, comme il l’est en Suisse. Néanmoins certains objets doivent être traités au niveau mondial. Cela n’a jamais fait de problème pour la poste, les télécommunications, le transport aérien et maritime. L’OMS doit s’occuper de l’état sanitaire, la FAO de l’alimentation etc. Il faudra bien une agence qui règle le problème de la transition climatique. Il faudra aussi davantage de pouvoirs à l’OMS pour tenir tête à des pandémies qui peuvent être beaucoup plus dangereuses que la présente

  4. “Cela a fait de ce beau pays le lieu d’une propagation majestueuse du virus.”
    Pour une fois, M. Neirynck, le pittoresque laisser-aller de l’Italie n’est pas en cause, c’est plutôt le contraire : lorsqu’en Italie on avait effectué 4’000 tests, en France on en était a 400 !… et en Suisse ? et en Allemagne ? on en sait rien… Plus on fait d’examens plus on a la possibilité de trouver des cas, je ne vous apprends rien.

    1. Défendez-vous la thèse que la Suisse est davantage infectée et que c’est elle qui à transmis le virus à l’Italie. On ne fait des tests que si les signes cliniques l’imposent. On en a fait davantage en Italie par ce que les symptômes étaient plus présents.

      1. Non, je ne dis pas qui a transmis le virus à qui, je ne joue pas à ça, et je ne défends aucune cause. Mais en faisant la comparaison entre le tests faits en France et ceux faits en Italie, en étant donné que la population totale est à peu près la même et que la présence de touristes et de résidents asiatiques aussi, je dis seulement que, qui a fait le plus de tests, a eu forcément plus de cas, c’est logique : je pense que, au départ, la situation a été plus ou moins la même en France, Italie et Allemagne. La Suisse est trop petite pour la comparer aux autres et elle est plus facilement contrôlable.

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