Parabole du casino

La mondialisation inquiète

On commence à se poser des questions au sujet de la mondialisation. En principe, c’est un système idéal de répartition des tâches : chaque pays, chaque continent produit ce qu’il peut faire de mieux en termes de qualité et de coût. L’élévation continue et spectaculaire du niveau de vie dans maints pays illustre cette théorie. Néanmoins des phénomènes brutaux et imprévus viennent ruiner ce concept de croissance indéfinie et bénéfique.
On se limitera à en évoquer trois : la transition climatique, l’épidémie de coronavirus ; l’afflux des réfugiés. Plus nous produisons, plus nous consommons d’énergie fossile et produisons de gaz à effet de serre. Dans une planète mondialisée, les virus se répandent inexorablement à proportion des voyages facilités par les transports aériens. Les hommes se déplacent tout aussi inévitablement parce qu’ils sont attirés par les régions prospères et paisibles en fuyant la misère et les guerres.
Contre ce double afflux il n’est point de remède sinon la décroissance honnie, le confinement de malades et les barbelés au frontières. Les valeurs les plus fondamentales du vivre ensemble se délitent. Les pires autocrates, Trump, Poutine, Erdogan, Bolsonaro, Johnson accèdent et se maintiennent au pouvoir parce qu’ils prétendent apporter une solution à un problème insoluble par définition, les retombées de la croissance sans limite.

Essayons de le prouver avec la parabole du casino diabolique. Une petite histoire convainc mieux qu’un long discours.

La parabole du casino

A Las Vegas, il existe des casinos où des joueurs acharnés s’efforcent de gagner une fortune en jouant de façon frénétique. Dans les intervalles du jeu, ils discutent interminablement des martingales qui pourraient leur apporter cette fortune, ils comparent les mérites de la roulette, des machines à sous et des jeux de cartes.
Cependant, ils se gardent bien d’évoquer la règle de base du casino, à savoir que les jeux sont organisés de façon à donner une marge de gain certaine au casino et que, plus un joueur joue, plus il est certain de perdre et de perdre de plus en plus. On observe souvent des joueurs qui utilisent simultanément deux machines à sous dans l’illusion qu’ils accroissent ainsi leurs chances. En fait, ils ne font que précipiter l’issue inévitable du jeu selon la règle évidente : plus vite on joue, plus vite on perd tout.

Tout casino est donc le lieu d’une intrigue à la Kafka, où l’essentiel est connu de tous mais n’est jamais dit, parce que l’énoncé de la règle de base du casino ruinerait à coup sûr le plaisir des joueurs et que la prise de conscience des joueurs ruinerait à coup sûr le casino. Il faut ne rien entendre au calcul des probabilités pour jouer de façon frénétique dans un casino. Il faut, pour cela, faire un secret de ce qui est évident.

L’analogie avec le genre humain est claire. Plus il se développe, plus il crée un désordre global qui est la condition d’un ordre local. Cette vérité est inscrite dans tous les livres de thermodynamique et elle est bien connue de tous les ingénieurs. Néanmoins le développement actuel de l’économie globalisée procède d’une course en avant où l’on s’imagine que, plus on industrialise, plus on gagne. Cette illusion technique est donc pareille à la fièvre du jeu. Elle provient du même travers psychologique et elle conduit à une ruine aussi absurde.

La parabole du casino ne veut pas dire qu’il faille bannir ces institutions sous prétexte que ce sont les temples de l’irrationnel. Il faut imaginer le joueur heureux même si son comportement est absurde. S’il aime jouer, on peut cependant lui faire observer et comprendre que, moins importantes sont ses mises, plus longtemps il jouera. Telle est la stratégie qu’il faudrait transposer dans le développement du genre humain.

Nous vivons dans un univers qui ressemble à un gigantesque casino gouverné par trois lois, imaginables seulement par Kafka : il n’est pas possible de gagner ; il est obligatoire de jouer ; à la fin, on perd toujours tout.
La plupart des joueurs préfèrent ignorer les lois du casino pour ne pas désespérer. Nous proposons au contraire de les connaître le mieux possible, afin de ne pas en être dupe et de ne plus y souscrire.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

3 réponses à “Parabole du casino

  1. c’est le sort de l’humanité : on n’explique pas aux hommes qu’ils n’ont aucune chance de s’en sortir, la nature mettra fin à leur misérable petite existence à plus ou moins long terme , mais on leur fait croire à un avenir meilleur de génération en génération , même que la religion leur promet une vie éternelle après la mort !
    Et pourtant , ils s’activent tous les jours en pensant atteindre des objectifs impossibles … comme aller vivre sur Mars en espérant échapper à la pollution terrestre !
    En fait , il faut partir des éléments fondamentaux communs à toutes les espèces qui reposent sur les instincts primaires de conservation et de reproduction , récompensés par les centres de plaisir qui chez l’homme sont juste plus complexes que chez les bactéries !
    Les hommes suivent donc des ordres inscrits dans leurs gènes en pensant qu’ils agissent de leur plein gré !
    Cela n’a rien à voir avec les règles du casino dont les patrons sont tout autant pris dans l’engrenage du jeu .
    La globalisation a commencé quand les humains ont pris le chemin de l’exil voilà 100’000 ans , les virus ou bactéries trouvant toujours le chemin vers leur hôte pour se reproduire et respecter une des lois fondamentales .
    La vie moderne n’est pas si éloignée des modèles historiques ou de nos lointains ancêtres !

  2. Dans votre article vous ne parlez que des joueurs, mais il y a aussi le casino. Les puissants qui gagnent a tous les coups. Les 1%. Souvent soutenu par ceux qui en profite un peu plus que la masse des gens et qui font croire au ruissellement qui ne se produit jamais.
    Les liberaux aiment la liberte, une seule liberte celle de faire de l’argent. Les autres libertes pourront attendre. Depuis la chute du communism, les capitalistes sont devenus encore plus arrogeants qu’ils l’etaient avant. De plus les politiques leurs ont donne les cles du “camion monde”. Ils font ce qu’ils veulent sans que pas grand monde ne bouge.
    Ils nous ont mis dans la panade climatique. Dans le meilleur des cas, ils veulent nous vendre les moyens de s’en sortir, ou dans le pire, disent qu’il faut continuer comme ca, jusqu’a l’arret du vehicule…
    Je ne comprends pas pourquoi on continue a les ecouter. L’homme est bizarrement fait.

  3. Si, in fine, casino et croissance conduisent à la perte, la comparaison n’est pas valable pour la dynamique de ces deux phénomènes. En effet, ma génération par exemple “s’en est mise plein les poches” dans le casino du progrès et de la croissance, de la connaissance et du champ de nos possibles.
    “Plus longtemps il jouera”, voilà bien la perspective et la mise primaire à économiser est la population. La surpopulation est la cause première du désastre à venir, tout le monde semble le constater mais peu de gens en tirent les conséquences. Par exemple, on nous parle sans complexe de la Suisse de 10 millions d’habitants toute proche… 25% d’augmentation… est-ce à rire ou à pleurer ?
    Mais si on limite l’arrivée par la natalité ou l’immigration de forces vives, qui paiera pour entretenir les vieux, mmmh ? Personne donc tout le monde par un appauvrissement du niveau de vie général.
    Les grands perdants au casino du monde seraient-ils déjà nés ? j’en ai peur…

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