Le scandale des hélicoptères de Crans Montana

Qui n’a pas ce lundi avalé son petit déjeuner de travers en apprenant, par la lecture matinale de son quotidien préféré, qu’une réunion des officiers généraux a entraîné le déplacement en hélicoptères de 18 de leurs compagnes jusqu’à Crans-Montana pour une réception et une leçon de golf ? Le chef de l’armée a relativisé le scandale en soulignant que les pilotes doivent de toute façon effectuer un certain nombre d’heures de vol chaque année et qu’ils n’ont pas volé davantage pour ce transport des dames. Cela n’a donc rien coûté.

 

Cela n’a rien coûté en essence et en frais de personnel, en francs et en centimes. Cela coûte cependant un discrédit disproportionné à l’armée et à la Confédération en général. Il faut être indifférent à l’opinion publique pour ne pas se rendre compte de l’effet désastreux de telles virées, qui finissent toujours par être connues et qui cumulent tous les stigmates du luxe. Cela devient dans l’exagération populaire des brèves de comptoir: les maîtresses d’officiers supérieurs se font conduire à une leçon de golf à Crans Montana dans des hélicoptères militaires, qui servent essentiellement à cela.

 

Les citoyens sont très chatouilleux sur les frais de représentation. D’autant qu’une autre indiscrétion révélait que le 16 juin 2014 une réunion des chefs de la logistique s’était soldée par 1735.20 CHF de boissons alcoolisées pour 28 personnes, poussées à l’ébriété. On pourrait continuer de la sorte indéfiniment en épluchant toutes les notes de bar et de restaurant, tous les kilomètres parcourus.

 

Mais sont-ce des informations pertinentes ? Cela vaut-il la peine de parler de tout cela, qui est certainement la répétition de fautes contre le bon sens le plus élémentaire, alors que les missions de l’armée font l’objet de bien moins de considération, d’attention, de souci. L’important est la sécurité du pays menacée par le monde dangereux dans lequel nous vivons. Les dangers peuvent prendre des aspects inédits : effraction de systèmes informatiques comme cela est déjà arrivé au niveau le plus élevé ; terrorisme islamiste général sur toute la planète ; catastrophes naturelles dues au changement climatique ; retour à la guerre froide par les Etats-Unis sous la coupe d’un président erratique. Comment les ressources du budget sont-elles affectées à ces diverses menaces ? Comment l’armée se prépare-t-elle à ces nouveaux défis.

 

On ne répond pas à ces questions essentielles en épluchant minutieusement les notes de consommation d’alcool. Tout comme dans les scandales inventés pour démettre des élus, l’accessoire, le négligeable, le dérisoire est l’objet d’un tollé vertueux, qui évite de poser les questions de fond, bien plus embarrassantes. Bien entendu l’armée et les corps constitués vont édicter des mesures pour que de tels abus ne se reproduisent plus. Et après ? Les militaires et les élus ne boiront peut-être plus aux frais de l’Etat, mais seront-ils pour autant mieux capables de faire face aux défis véritables ?

 

Les médias devraient se concentrer sur ce genre d’enquêtes et ne pas épingler sur des pages entières les fautes mineures commises par des officiers, qui sont des hommes comme les autres, faillibles à certains moments.

 

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

7 réponses à “Le scandale des hélicoptères de Crans Montana

  1. Justifier tous les passes-droit, les petits arrangements entre amis, les debuts de corruption, fait monter les extremes. Si c’est ca que l’on veut alors disons le clairement.
    Dire que le thermometre est la cause de la fievre, c’est une bien curieuse analyse. Je parle la du devoir de la presse qui est d’informer.
    Si nos dirigeants, les cadres de notre armee et bien d’autres, se mettent a avoir un comportement un peu moins clienteliste, pas uniquement tourne sur leurs petits interets personnels, ca n’ira que mieux.
    Si on regarde en detail, ce sont dans les pays ou la corruption est combattue ou cadree, la bonne gouvernance est consideree comme un but a atteindre, que les peuples sont les plus heureux, et que la prosperite est la mieux partagee.
    Une presse aux orders n’a jamais engender de bonnes choses.

  2. Et voilà,article après article vous dévoilez votre pensée:
    Ces choses en Suisse (..modèle)ne sont pas de l’ìntêret des citoyens,qui doivent croire aveuglement que son pays n’a que des beaux exemples pour toute l’humanité.Toute cette “racaille”n’existe pas en Suisse,mais en italie,Portugal,etc,etc
    La Suisse,et l’on verra très petit à petit (vu la lenteur de ce Pays Modèle)a,bien sûr des femmes et des hommes qui font de bonnes choses et aussi des escroqueries,mais,ici,c’est tabu les publier (jusqu’à l'”invention” d’internet,malgrè les pouvoirs Suisses)
    Mais,vous savez,ça C’EST FINI!!:désormais,je repète ,on va asister,jour après jour,à des tricheries (anciennes et récentes)autant dans la Suisse Romande,Italienne et aussi la Suisse Allémanique mème s’il sont maîtres de la subtilité
    UBS,CREDIT SUISSE,RAIFFEISEN,pour ne citer que les trois “gross”,UEFA,FIFA,COI,GLENCORE et j’en passe,tous avec son siège dans ce Pays Volonté économique créé de toutes pièces après sept siècles et d’énormes disputes entre citoyens et entre cantons qui se sont mis d’accord(je parle des pouvoirs) pour créer des mytes qui rassemblent ses citoyens,Guillaume Tell y compris et surtout des tabous qui sont en train,grace à la “mondialisation”,de se reduire en miettes

  3. Oui je suis tout à fait d’accord avec le principe, que ces problèmes de notes de frais sont très secondaires par rapport aux décisions et aux responsabilités que ces élus et ces cadres de l’armée doivent prendre.
    Mais comment avoir confiance en les compétences et le discernement de personnes qui n’arrivent pas à s’autogérer avec juste leurs bon sens et qui ont besoin de règles strictes pour régir leurs activités et leur comportements, que ce soit des élus ou des cadres de l’armée.
    La qualité morale et la fonction exercée sont indissociables. Les anciens avaient un dicton pour résumer cette indissociabilité « Droit comme la justice de Berne »

  4. Les journalistes à l’origine de l’article se sont trompés de sujet, une fois de plus. Faire la liste des tiquets de caisse pour condamner une culture c’est facile, mais inutile. Ce qui importe pour l’armée suisse, c’est de savoir si nos gradés ont pris la mesure des défits informatiques qui se profilent, s’ils en ont les capacités et s’ils sont entourés des personnes compétentes et ” up to date” et finalement aussi soutenus par nos politiques. Même les avions et le système de défense antiaérienne seront probablement ultra connectés et le fabricant (USA, EUROPE) sera informé en temps réel de l’activité (échecs et succès). Messieurs les journalistes soyez up to date et méfiez vous du buzz.

  5. Pour juger de l’adéquation des avantages offerts au personnel de l’Etat, un bon étalon est de se baser sur ce qui se fait dans le privé. Sur cette base, un taxi hélicoptère pour amener les compagnes à Crans Montana est inacceptable. Par contre, dépenser 1700 francs pour un apéro de 28 personnes ne me semble pas excessivement dispendieux. Dans le privé c’est en tout cas très commun. 60 francs par personne, c’est généreux, mais loin d’être délirant. Quand on met ça en comparaison des plus de quatre millions de francs que doivent couter les salaires de ces 28 personnes par an, on se rend compte que ce n’est finalement qu’une bagatelle.

  6. Les articles tels que ceux que vous évoquez se rapprochent des faits divers qui dans d’autres journaux ont progressivement remplacé les enquêtes, sujets à thème, ou informations traitées et commentées plutôt qu’un simple copié-collé d’un journal français, partagé entre la majorité des journaux romands qui se veulent populaires et sont effectivement beaucoup lus… Ceux-ci touchent les lecteurs dans leurs préoccupations personnelles directes, offrent une bonne place aux peoples, au sport, et aux « scandales » liés à la vie semi-privée des politiciens. Et également des faits divers « heureux » pour lesquels les commentaires affluent : « Merci de nous apporter de bonnes nouvelles !.. » Nous avons donc aujourd’hui une presse de divertissement avec en parallèle les sujets sérieux traités de manière vague. « Le Temps » me rassure en restant un journal intellectuellement honnête, sérieux et original, mais qui peut-être doit commencer à jongler pour répondre aux besoins d’un lectorat qui désire découvrir de « bonnes surprises » en ouvrant le journal, inclus la sortie en hélicoptère des compagnes d’officiers qui ce jour-là ont rangé le plumeau et ôté les gants de cuisine pour aller jouer au golf. Je regrette qu’aujourd’hui un journal ayant un bon contenu doive néanmoins « se vendre » à la manière de tout autre produit de consommation pour lequel l’emballage doit inciter à en faire connaissance. Je me souviens du « Nouveau Quotidien », de présentation sobre, qui offrait un riche contenu. Aurait-il connu moins de difficultés si sa première page avait à cette époque eu moins l’aspect d’une notice de médicament ? Et ses titres comporté des jeux de mots qui impriment ausitôt dans l’esprit du lecteur une image un peu déroutante pour avoir envie d’en savoir plus ?.. Difficile de répondre dans quelle mesure la presse joue un rôle dans l’évolution du style de communication, ou s’y adapte… Mais l’essentiel est certainement de pouvoir sauvegarder le bon contenu, et c’est là que les lecteurs satisfaits devraient à mon avis faire l’effort de s’abonner. Les journaux J-budget peuvent nous nourrir de temps en temps, mais pas tous les jours !

  7. Merci à tous les commentateurs.
    Ils ajoutent une dimension que je n’avais pas aperçue. Certes les reproches adressés à l’armée portent sur des points secondaires par rapport à sa mission essentielle. Mais il existe un lien entre les deux. Comment faire confiance pour des décisions graves à des personnes qui font preuve de maque de discernement dans de toutes petites choses? Il est très difficile pour le citoyen ordinaire de porter un jugement sur l’achat d’avions ou bien de missiles sol-air. Tout aussi malaisé d’imaginer ce qu’il faudrait comme protection de nos services informatiques ou comme service de renseignement. Encore plus malaisé d’évaluer parmi tous les dangers qui nous menacent ceux qui risquent le plus de se matérialiser.
    Pour porter ces jugements de fond, il faut des personnalités compétentes, bien informées, dotées d’une vaste culture et d’une éthique au dessus de tout soupçon. Cela s’acquiert par l’étude, la réflexion, la communication, l’évaluation des événements que nous vivons. Les réunions épinglées par la presse ont effectivement une pertinence . Elles donnent une idée de la médiocrité des loisirs de ces responsables et sont à ce titre des nouvelles inquiétantes, méritant une certaine couverture médiatique, faite dans un esprit constructif.

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