La présomption de culpabilité

 

Le retrait de la vie politique par Géraldine Savary introduit un intéressant nouveau concept juridique : la présomption de culpabilité. Quoiqu’elle n’ait strictement violé aucune loi, elle a néanmoins, au regard de la sensibilité socialiste, eu trop de contacts avec un personnage peu recommandable, toujours au sens de la sensibilité socialiste.  A savoir Frederik Paulsen, homme d’affaires, président de Ferring, philanthrope et consul de la Russie. Pour aggraver son cas, il est suédois et au bénéfice d’un forfait fiscal. Enfin il a dépassé les bornes du savoir-vivre vaudois en octroyant des dons au PS pour sa campagne électorale. Où va-t-on si les repères sont à ce point brouillés ? Cet étranger n’a même pas compris que ses dons eussent été agréables, s’il les avait réservés au PLR,

 

On doit donc supposer que c’est l’accumulation de ces stigmates sociaux qui le rendent infréquentable : riche, étranger, privilégié fiscal, donateur au PS. Une élue socialiste ne doit pas fréquenter un individu, certes respectueux des lois, mais affligé de tares occultes. En sus des lois de ce pays, il existe donc des règles non écrites qui entraînent condamnation. Géraldine Savary est coupable d’avoir heurté les préjugés des membres de son parti. Car c’est bien de là que sont parties les pressions pour exiger son retrait. Elle libère un siège au Conseil des Etats, convoité par d’autres.

 

Le PS dans cette affaire anticipe très réalistement la réaction de ses électeurs, qui ne supportent ni les riches, ni les privilèges fiscaux, ni même peut-être les étrangers. Si Paulsen avait été par exemple un artiste vaudois raté, drogué, à l’assistance sociale, il eût été plus fréquentable. La réussite sociale est une tare pour la gauche.

 

Mais il est d’autres tares pour la droite. Depuis des mois, la répétition du même phénomène politique appelle maintenant une réflexion de fond sans complaisance. Il s’agit de ces attaques systématiques des politiques les plus compétents, en vue de leur élimination de l’arène du pouvoir :  Broulis, Moret, Maudet, Barazzone.

 

Tous ont été attaqués pour des événements annexes qui n’ont rien à voir avec leur gestion des affaires publiques. On reproche à l’une de ne payer que des acomptes sur ses impôts, alors que l’administration ne fournit pas un décompte définitif. A un autre de faire la navette entre Lausanne et sa circonscription d’origine. A une autre, d’avoir reçu des dons pour la campagne électorale de son parti. Ou encore d’avoir accepté des billets pour un spectacle. Un autre d’avoir trop téléphoné et de s’être déplacé en taxis. Le crime le plus abominable est d’avoir voyagé en dehors de nos frontières, tous frais payés par un tiers.

 

Rien des faits allégués et complaisamment étalés ne viole une loi quelconque. Mais trop c’est trop ! Comment peut-on réussir en politique sans être de ce fait soupçonnable des plus noirs desseins et des plus troubles comportements ! Si quelqu’un réussit, c’est parce qu’il est trop compétent, trop intelligent, trop habile, trop éloquent.

 

La gestion de l’être helvétique requiert plutôt, selon l’attente du peuple et d’une certaine presse, de la modestie, de la retenue, de l’austérité, qualités civiques qui excusent toute incompétence. Ainsi, les débâcles de Swissair et de l’UBS, l’incapacité de gérer les pensions et les soins de santé, les mésaventures de l’aviation militaire et de l’informatique publique, le scandale des cars postaux, la gabegie des négociations avec l’UE constituent des certificats de gouvernance légitime par des acteurs peu doués et donc excusables. Ils ne sont jamais sortis des frontières, ils ne comprennent pas l’anglais, ils sont totalement incultes, ils commettent gaffe sur gaffe. Mais c’est rassurant : ils sont à hauteur humaine. Ils sont pareils aux citoyens les moins doués qui peuvent s’y identifier. Ces médiocres ont mérité d’être réélus.

 

Dans ce procès fait aux meilleurs parce qu’ils sont trop bons, il y a plusieurs mobiles. Le premier, le plus évident est l’élimination d’un concurrent trop bien installé, soit par un autre parti, soit par complot interne dans le propre parti de la victime. Le second, la jalousie du citoyen ordinaire qui envie les élus, affligés d’une présomption de culpabilité généralisée. Le troisième, le souci pour la presse de vendre du papier en exploitant le sentiment précédent.

 

Pour les futurs candidats à l’élection, la consigne est donc claire : il faut obstinément réussir à échouer pour établir la preuve d’une rassurante incompétence. Sinon ils encourent la présomption de la pire culpabilité, celle d’avoir violé des lois qui n’existent pas.

 

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

10 réponses à “La présomption de culpabilité

  1. De même que l’on accorde le droit de vote à un certain âge, il me semble qu’il est temps de le supprimer à un certain âge aussi.

    Il en va de même pour ces politiques zizicoteurs en mal d’audience.
    Si la politique va mal, elle ne peut s’en prendre qu’à elle, comme les médias.
    Le peuple aussi, ne peut s’en prendre qu’à lui d’élire des… branleurs!

    P.S Vous allez voir, grâce à tous ces Tartuffe, le 25, plus de Suisse!

    1. P.S On parle de 3ème pouvoir, mais ces gens vont tous voter pour “contre les juges étrangers”, pour avoir encore plus de pouvoir.

      Quand un notaire gagne les mêmes % sur un immeuble à 3 millions que sur un terrain de 4 m2…, c’est une farce politique.
      Un avocat n’est pas payé au résultat, mais à l’heure. En revanche, le médecin lui, est contrôlé tarmed.

      Ne cherchez pas l’erreur, comme dit KKS, certains donateurs préfèrent être anonymes, CQFD

  2. Depuis que M. Neirynck s’est converti en ecrivain, d’assez bonne plume, il s’est métamorphosé. Soudainement éclairé pour asséner quelques fondamentales vérités à l’endroit d’une gauche non seulement avide de slogans anti-droite et anti- capitaliste mais surtout soucieuse de “sucer” fiscalement les mieux nantis et continuer à vénérer un marxisme totalement dépassé, et, de grâce, à éviter les mauvaises fréquentations de milliardaires trop embarrassants. Poutine en rit, et tous ses copains milliardaires aussi.
    Il n’y a pas que la présomption de culpabilité qui soit d’actualité, mais aussi celle d’imbécillité. La cécité du socialisme borné n’a plus d’avenir dans ce pays, ni dans les autres.
    Reveillez-vous citoyens !

    1. J’ai été écrivain bien avant d’entrer en politique. Dans cette activité j’ai gardé mes distances avec tout le monde, y compris mon propre parti. Il n’y a donc aucune métamorphose. Un chercheur scientifique se plie à la réalité des faits et à la logique des déductions, parce que sinon on se trompe et on trompe les autres.

  3. Je ne suis pas d’accord avec votre présentation de ces affaires. Vous faites une erreur de logique évidente en postulant qu’il y a deux types d’hommes politiques : les uns brillants, intelligents, peu regardant sur le plan éthique, les autres un peu minables et bien gentils, à qui on ne peut rien reprocher mais qu’on ne peut louer non plus. La réalité est un peu plus complexe.
    J’affirme qu’on peut être brillant et intègre.

    Vous soutenez de plus que toutes ces personnes n’ont rien fait d’illégal.
    Je soutiens pour ma part que l’intégrité morale ne signifie pas uniquement le respect des lois.

    1. Effectivement, ce qui est légal n’est pas nécessairement moral. Et même parfois ce qui semble moral n’est pas légal. Il n’existe pas de morale universelle, chacun a la sienne. Les uns se refuseront de boire ou de fumer, de manger de la viande rouge, de commettre un adultère. A d’autres tout cela paraît permis. Et on ne peut pas le leur reprocher, et on ne peut pas demander que la loi le sanctionne. On ne peut pas imposer sa morale aux autres, ni accepter la leur pour soi.
      Si cette distinctions est bien présente à l’esprit, le citoyen attend de l’élu qu’il observe la loi, toute la loi mais rien que la loi. Il ne doit pas attendre que l’élu respecte une morale, même baptisée éthique, dont la définition n’est marquée nulle part. C’est cette confusion qui est en jeu dans le méchant procès que l’on fait à certains élus.
      Je ne prétends pas qu’un élu brillant ne puisse pas observer des lois morales, ni qu’un élu médiocre observe forcément une morale. Je demande que l’on juge les élus sur leur gestion des affaires publiques et sur rien d’autre. Sinon on amorce des procès qui n’ont aucun fondement dans un Etat de droit. Sinon on verse dans une dictature morale dont on a connu de tristes exemples : la persécution des homosexuels en fut et est encore un sinistre exemple, l’interdiction de la consommation d’alcool, le port obligé du voile.

  4. Du grand Neirynck! C’est un de vos meilleurs articles.

    Peut-être fallait-il l’oeil un peu extérieur d’un observateur d’origine belge pour déceler si impitoyablement ce culte de la médiocrité qui est le véritable héritage de 1848 en Suisse. Vous avez d’ailleurs la dent dure et ne reculez pas devant certains stéréotypes à l’occasion, comme dans votre article fameux sur les robinets italiens. Mais bon, là sur le coup on ne va pas vous le reprocher.

    Je ne sous estimerais pas, pour ma part, le risque de poujadisme. On sent très nettement en ce moment dans les réactions des gens une tendance au “tous pourris” et je prends les paris: aux prochaines élections ce sera une grande lessive: “pour en sortir, sortez les sortants!” On va encore parler de populisme mais moi je préfère parler de poujadisme.

    Je verrais pour ma part plusieurs raisons derrière ce phénomène, pas toujours visibles à l’oeil nu: surtout deux: la perte de légitimité due à l’affaire européenne et les effets pervers de la mort du secret bancaire. Je m’explique:

    Depuis une génération, c’est à dire depuis le 6 décembre 1991, l’élite dominante est en conflit larvé avec le peuple dans notre pays. Le peuple se débat, par des votes référendaires et des initiatives successives, pour faire savoir qu’il refuse de se laisser châtrer, mettre sous tutelle, c’est à dire qu’il refuse d’adhérer à l’Union Européenne. Depuis le même temps les dirigeants biaisent, mentent, cherchent des faux-fuyants, pour tenter d’adhérer sans le dire, en cachant la vérité au peuple. Cela crée un malaise profond et même une rupture du lien de confiance qui avait toujours existé entre les dirigeants élus et le peuple. ll ne s’agit pas d’un méchant populisme qui fait des siennes. C’est un fait massif. C’est une réalité incontournable. ll y a une perte de légitimité, car la légitimité c’est la confiance: il n’y a plus de confiance, c’est le consentement: il n’y a plus de consentement à la politique qui est menée, puisque les élites dirigeantes veulent une chose : l’adhésion à l’Union Européenne, que le peuple rejette de plus en plus massivement, et les gens sentent de plus en plus nettement que les dirigeants leur mentent sur leurs véritables intentions. ll n’y a pas d’autre explication au fait que depuis une dizaine d’années une quantité d’inititaives ont été acceptées alors qu’elles étaient diamétralement opposées aux voeux de l’establishment (minarets, renvois des criminels étrangers, quotas d’immigration incompatibles avec la libre circulation, etc.)

    La crise s’est aggravée à cause de l’attitude irresponsable de la majorité du parlement qui a cru pouvoir se permettre de ne tenir aucun compte de l’article 121a de la constitution fédérale (quotas d’immigration), pourtant légitimement adopté en votations populaires par le peuple et les cantons, c’est à dire par le souverain.

    A partir de là il ne peut plus exister aucune espèce de confiance car cela veut dire que les élites s’asseoient sur la démocratie et n’en tiennent plus aucun compte, contrairement aux élites britanniques par exemple qui ont eu l’intelligence de comprendre que “Brexit means Brexit”. Alors forcément cela crée un sentiment de désespoir et de découragement profond dans le peuple, qui se sent littéralement trahi et abandonné par ses dirigeants et pour qui le droit de vote perd de son sens puisqu'”ils” ne respectent plus les décisions du peuple.

    ll ne faut pas ‘étonner si la conséquence en est un profond mécontentement, une profonde frutration et un désir de vengeance sur les seules choses sur lesquelles les petites gens pensent avoir encore prise du moment que leur droit de vote ne vaut plus rien, c’est à dire sur des affaires comme l’affaire Savary.

    S’ajoute à cela la fin du secret bancaire. On n’y penserait pas de prime abord, mais à mon avis cela joue un rôle essentiel dans le climat actuel. Le secret bancaire était une institution excessivement populaire. ll n’était pas réservé aux Marcos et aux Mobutu de ce monde, pas du tout. ll bénéficiait surtout à des millions de sans grades, dont des petits Suisses de base qui pouvaient ainsi cacher leur bas de laine, et se protéger de la curiosité du fisc. Ayant travaillé 25 ans dans ce domaine je peux attester que l’écrasante majorité des comptes “noirs” étaient détenus pas des gens modestes, très modestes même qui avaient mis de côté à la sueur de leur front 100’000 francs, ou plus, parfois beaucoup plus. ll n’y avait pas de statistique, pour des raisons évidentes, mais si on avait mis bout à bout le total des comptes numérotés des banques suisses on se serait aperçu que les petits écureuils y détenaient beaucoup plus d’argent que tous les Marcos et les Mobutu réunis.

    A partir du moment où la classe politique suisse s’est couchée devant les diktats de l’OCDE et a privé les petites gens de ce droit à la discrétion sur leurs économies, qu’elles jugeaient amplement mérité, il n’est pas étonnant que pour se venger les mêmes petites gens deviennent soupçonneuses, mesquines et chipotent sur les pourboires de 5’000 francs qu’un milliardaire anti Brexit a pu donner à une jolie élue socialiste, littéralement une “bonne main” comme on dit dans notre parler romand.

    On a voulu substituer une culture du voyeurisme et de la jalousie à la culture dominante de la discrétion dont le secret bancaire était la pierre angulaire. On a le résultat sous les yeux. ll ne faut pas s’étonner.

  5. Physicien, scientifique et écrivain, je comprends que vous ne «vous payiez pas de mots» (se contenter de paroles vagues). À l’opposé, vous cherchez la finalité des choses afin de satisfaire au besoin de sens et de raison. Entre les deux extrêmes existe une zone de grise, faites de nuances: les choses et les hommes sont ce qu’ils sont…
    Vous faites profession de vous guider, au départ, sur les faits ou les données du réel «sans phrases», tel que le présente une image, un chiffre, une statistique, une formule, qui ne sont que des «signes», comme le sont les «mots». Or, toute représentation du réel par des signes, quels qu’ils soient, est arbitraire, dans la mesure où les moments du réel qui sont entrés dans la texture du signe ont été arbitrairement choisis entre une multiplicité d’autres. Donc, se défendre contre la superstition du mot, c’est accepter aussi la superstition du fait, jugé seul digne de confiance. La superstition du fait est à la science ce que la superstition du mot et de la belle phrase est à l’art littéraire.
    En vérité, seule la «pensée» est capable d’organiser les «faits» et de nourrir les «mots» afin que les faits ne soient plus une poussière d’instantanés et que les mots ne soient plus des souffles de vent. Et la vie circule entre ces trois régions de l’esprit.

    Si la question est d’apprendre à penser – ce qui n’est pas le plus facile! – soyez assuré, monsieur Neyrinck, que vos éditoriaux sont toujours la source d’une saine réflexion, en particulier cet article de fond qui met en exergue le conformisme froid et instrumental des politiciens, bureaucrates, experts et grands capitaines d’industrie qui se maquillent (masque de probité) avec les chiffres statistiques et les algorithmes de leurs rituels respectifs, tout en profitant d’une adaptation très monétarisée à un environnement inadapté. Où sont donc les idées et les convictions?

  6. Cher M. Neirynck,
    Le cas de Mme Savary me navre. En effet, comme vous le soulignez, elle n’a rien fait d’illégal et a probablement été poussée à la démission à l’interne du PS. C’est absolument désolant de voir partir une bonne politicienne, mais je suis obligé de constater que militant pour une réglementation des financements des partis elle n’a pas respecté les règle (certes internes) de financement qui lui était imposées. C’est vraiment regrettable mais il est difficile d’accepter qu’une personne militant pour une cause ne la respecte pas.
    C’est vrai que l’idée que ça se pousse à l’interne pour pouvoir la remplacer et qu’il y en a au PS qui puissent se réjouir de la situation me glace.

    Quant aux politiciens qui se payent des biens et/ou services privés aux frais du contribuable, j’avoue que j’ai de la peine à comprendre pourquoi nous devrions avoir de la clémence. En serait-il de même dans une entreprise privée ? Non. Une personne malhonnête qui abuse de son entreprise sera sanctionnée. Il doit en être de même dans le secteur public. J’ai bien de la peine à accepter qu’il faille choisir entre une personne compétente et une personne honnête. L’honnêteté ne fait pas partie des qualités qu’on liste dans les CV car elle est un acquis. La compétence est évaluée avant ou après l’embauche et dans l’idéal elle sera rétribuée à sa juste value en plus ou en moins.
    Ceci dit, comme dans notre système judiciaire, je pense qu’il faut des peines différentiées et je pense qu’en l’espèce, le minimum est le remboursement des sommes dépensées pour des frais privés.

    Je remarque que le sujet est très polémique car pour ce papier, les lecteurs ont choisi d’utiliser des pseudos ?

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