Seule une vérité claire prévaut contre un mensonge avéré

Dans la routine politicienne, il existe deux façons de mentir : la plus courante consiste à ne pas dire ce qui est ; la singulière à dire ce qui n’est pas. Exemple : il est impossible d’annoncer clairement que l’allongement de l’espérance de vie impose dès maintenant – et imposera de toute façon tôt ou tard – un ajournement du début de la retraite. Lorsque Pascal Couchepin a énoncé cette vérité élémentaire, le PLR a perdu des sièges. La vérité désagréable est impopulaire. Contrexemple : il est possible de prétendre comme le fit Trump qu’Obama, né prétendument hors des Etats-Unis, serait un président illégitime, alors même que son extrait de naissance, largement publié, prouvait le contraire. Trump a fini par reconnaître que c’était faux sans s’excuser d’avoir menti. Le but est deux fois atteint : dans l’esprit de gens peu ou mal informé, le doute demeure ; pour les autres la confiance en Trump augmente parce que l’aveu tardif l’a encore grandi. Mieux vaut mentir et le reconnaître que de ne rien dire et n’avoir rien à avouer.

La présidence de Donald Trump annonce que le populisme devient une force politique au niveau international. En Europe, des partis populistes existent dans tous les pays hormis l’Espagne et l’Irlande. En plus, ils participent au gouvernement de tous les pays de l’Est, plus la Norvège, la Suède et la Suisse. Si la nostalgie du régime communiste peut l’expliquer dans le premier cas, leur survenue dans les trois derniers pays, démocrates de longue date, est moins explicable et mérite réflexion. La définition du populisme est floue, car certains de ces partis penchent vers le libéralisme, d’autres vers le dirigisme. Les uns ménagent une fibre sociale, d’autre pas. Toutefois il existe un point d’accord unanime : le discours à la population spécule sur et propage la défiance à l’égard de l’étranger, spécialement de l’islam, en attendant que l’on retombe dans la vieille ornière de l’antisémitisme, qui fut la tentation permanente de Jean-Marie Le Pen, nostalgique du pétainisme. Le refus de l’UE, voire de l’Euro, s’inscrit dans cette obsession de se claquemurer dans les frontières nationales, fut-ce en les rehaussant de barbelés. Ainsi, pendant des décennies les Hongrois ont langui derrière des barbelés qui les empêchaient de fuir leur pays sous régime communiste : vingt-cinq ans plus tard, ils érigent eux-mêmes ces barrières pour contenir les « autres ». N’auraient-ils rien appris de l’histoire ? Les « autres » ne seraient-ils pas des êtres humains égaux aux Hongrois ? Apparemment non.

Si la xénophobie constitue un incontournable fonds de commerce, il convient néanmoins de l’envelopper dans un discours attractif, qui voile ce qu’il y a de politiquement incorrect. Cette rhétorique populiste secondaire consiste à répondre très simplement à des problèmes complexes. C’est un non catégorique à tout : les traités internationaux, les juridictions mondiales, l’ouverture des frontières, ce qui va de soi. Mais aussi les OGM, la procréation médicalement assistée, le tri des déchets, la sortie du nucléaire, la réduction des gaz à effet de serre, la biodiversité, l’assurance maladie, les pensions par répartition, les limitations de vitesse, la suppression des chauffages électriques, le remplacement des ampoules à incandescence par des LED, le soutien à la recherche, la formation des imams, le port du foulard islamique, le burkini, les minarets. Ce réflexe de peur universelle s’exerce ainsi non seulement à l’égard de l’étranger, mais aussi de la nouveauté. C’est surtout une réponse simple et claire, là où les autres partis expliquent laborieusement les nuances, les limites, les compromis obligés, les principes du droit, c’est-à-dire le monde tel qu’il est dans toute sa complexité, la politique dans toute sa difficulté.

Tant que les partis populistes ne sont pas obligés de mettre en œuvre leur programme, leur discours obscurantiste semble consistant par sa seule simplicité, même s’il comporte des contradictions perceptibles à un esprit réfléchi. En revanche, la majorité des électeurs apprécie cette image d’une politique claire, audible, compréhensible. Dans ce but, le discours populiste doit forcément dissimuler certains faits qui le contredisent, par exemple la réalité du réchauffement climatique d’origine humaine. Il fabrique alors de toute pièce un monde conforme aux attentes, aux craintes, aux croyances de la frange la moins formée et informée des électeurs. Il s’ensuit que les partis populistes s’en prennent systématiquement aux médias, qu’ils veuillent supprimer la télévision de service public et que les universités soient vues d’un mauvais œil. De même les partis politiques traditionnels sont accusés et convaincus de mentir au peuple dans la mesure où leur discours est embrouillé, empêtré dans des non-dits, obscurci par la langue de bois, inhibé dans l’énoncé de la vérité toute nue.

Qu’on le veuille ou non, dans l’avenir la politique sortira du classique conflit unidimensionnel droite-gauche. Une autre dimension s’ouvre : la tension entre la réalité et la fiction. Lutter contre le populisme ne se fera pas sans inventer un discours aussi simple que possible pour expliquer les défis les plus compliqués. C’est un problème de communication plus que de créativité législative. Cela passe par l’élimination de la langue de bois, maniée par trop de politiciens normaux afin de ne pas répondre clairement à des questions précises d’un journaliste et d’obscurcir maladroitement la complexité du réel dans un discours incompréhensible. Le oui devient un peut-être et la vérité une hypothèse parmi d’autres. En ne disant rien de précis, on ne ment bien évidemment pas. Mais le peuple, muni d’un bon sens certain, flaire la dissimulation de ce discours et suppose qu’il cache tout de même un mensonge.

La vérité n’est simple à dire que si l’on s’y tient scrupuleusement. Elle devient inaudible, lorsque le politique tient simultanément à ménager une pléthore d’intérêts contradictoires, à ne faire de peine à personne, à amadouer les contraires, à constituer une majorité accidentelle autour d’un projet vaporeux, à peindre de la sorte un monde tout aussi irréel que celui des populistes, un clair-obscur où l’opacité domine. Certes les populistes mentent ouvertement, alors que la règle en politique ordinaire est de dissimuler la vérité sous un fatras de défroques rhétoriques, mais comme le peuple est habitué aux mensonges ordinaires par omission, il est agréablement surpris lorsqu’un menteur extraordinaire ne se camoufle pas. Un mensonge clair, avéré, avoué finit par devenir un substitut virtuel de vérité par l’effet de sa provocation.

En reconnaissant un mensonge incontestable, le politicien populiste frappe agréablement l’opinion publique par sa sincérité, même tardive. Le politicien ordinaire ne peut rien avouer, puisqu’il a seulement omis la vérité. A ce jeu, il perd une seconde fois. Au risque d’être temporairement impopulaire, il doit donc dire et redire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, s’il veut devenir crédible à long terme.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.