Les bénéfices de la modestie fédérale

La chute de François Hollande met en valeur, par contraste, la stabilité des conseillers fédéraux. La constitution de la Ve République assigne, au président, le rôle d’un monarque élu ; au gouvernement fédéral notre constitution celui d’une simple courroie de transmission entre l’administration et le législatif. A l’un, un palais de l’Elysée desservi par une multitude de domestiques, de fonctionnaires, de gardes ; aux autres, la modestie d’un appartement bernois sans majordome, sans garde républicaine sabre au clair. D’où la chute par l’excès de grandeur et la stabilité par la simplicité. Au niveau du sol, on ne peut pas tomber plus bas.

En France, le président ne peut se contenter d’ordonner une bonne politique, voire la moins mauvaise des politiques par vents contraires : il doit aussi et surtout incarner la Nation avec dignité et prestige. Sa vie personnelle, son caractère, ses penchants, sa physionomie, son ton de voix, tout doit refléter l’assurance du chef. S’il hésite, tergiverse ou atermoie, il est perdu. Il lui faut se hisser au-dessus de sa condition humaine pour remplir son mandat. Il joue un rôle difficile, à improviser au fil des circonstances. Charles de Gaulle et François Mitterand ont tous deux excellé dans cette fonction mythique.

Rien de tel en Suisse. Comment représenter en une seule personne la diversité culturelle de ce carrefour de l’Europe ? Une fois par an, on change donc un (une) président(e) de la Confédération avant que la vanité humaine s’empare de lui ou d’elle. Il ne faut pas que le temps de se hausser le col soit disponible. Ses défauts en revanche n’ont aucune importance. L’individu peut être mou, fantasque, pusillanime, superficiel, inculte ou franchement stupide, cela ne l’empêche pas de remplir une fonction réduite au minimum : présider les séances du gouvernement, recevoir des visites protocolaires et en assurer lui-même. C’est une potiche. L’absence d’idées géniales et de convictions ancrées constitue un avantage décisif. A titre d’exemple, le refus historique d’élire Karin Keller-Sutter comme conseillère fédérale face à un Johann Schneider Amman, notoirement peu doué, illustra cette propension à écarter les personnalités « trop » brillantes. Cette dame parlait avec aisance quatre langues sans aucun accent : cela confinait à la provocation.

Ainsi s’incarne, jusqu’au sommet de l’Etat, un concept hérité du Siècle des Lumières : installer des institutions insensibles à la (mauvaise) qualité des personnes. Rousseau, Montesquieu et Kant ont bien compris que les êtres humains étaient pétris de défauts et qu’il fallait user de ceux-ci pour bâtir un système meilleur que ses composants. Tout comme l’architecte utilise la pesanteur pour stabiliser les voussoirs, les empêcher de tomber par la pression de leurs voisins et réaliser l’arc d’une voûte, ainsi la Confédération helvétique est semblable à une cathédrale construite avec des pierres qui ne demandent qu’à chuter, mais que l’astuce du législateur a utilisées pour monter le plus haut possible.

On a toujours intérêt à prendre l’homme pour ce qu’il est et non pour ce qu’il devrait être, surtout en politique.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.