Un clivage inédit et révélateur

Chaque votation apporte son enseignement sur la diversité des Suisses. Classiques sont les oppositions entre la droite et la gauche, les Romands et les Alémaniques, les villes et les campagnes, les hommes et les femmes. Ces clivages se sont évidemment manifestés le dimanche 27 novembre au sujet de la sortie du nucléaire. Il s’y est superposé une nuance originale : ce sont les cantons frontaliers de la France qui ont accepté l’initiative tandis que le Valais et Fribourg la refusait. A l’exception du Jura, la division d’établit ainsi entre cantons protestants et catholiques. Il y a donc dans le refus du nucléaire une composante culturelle déterminante : la confiance ou la méfiance à l’égard du pouvoir.

Car tous les autres arguments ont été balayés durant la campagne. Il n’y aurait pas eu de pénurie d’électricité si l’initiative avait été mise en en œuvre ; cela n’aurait pas renchéri le prix du kWh mais plutôt l’inverse ; le courant importé ne devait pas nécessairement être produit par du charbon ou du nucléaire étranger. Le débat se réduisit à l’argument essentiel : nos centrales sont-elles sûres ? Sont-elles à l’abri d’une fusion du cœur ? Un accident majeur est-il exclu ?

A cette question existentielle les opposants à l’initiative avançait le verdict des experts de l’IFSN, qui est notre organe de surveillance nucléaire. Dès qu’un réacteur donnerait de signes de défaillances, cette commission pourrait les mettre à l’arrêt et proclamer leur péremption. Composée de scientifiques et de techniciens suisses, indépendants et compétents par leur appartenance à une race élue, cette institution  garantissait notre sécurité. On pouvait donc s’abstenir d’en débattre. On n’en a donc pas parlé.

Cette affirmation massive a convaincu la droite plutôt que la gauche, les hommes plutôt que les femmes, les Alémaniques plutôt que les Romands, les citadins plutôt que les ruraux, les catholiques plutôt que les protestants.  Ces catégories de convaincus se rejoignent dans une même obéissance à l’autorité. Car bien entendu personne ou presque n’avait de compétence proprement technique pour se décider en connaissance de cause. Si par exemple les femmes se méfient du nucléaire plus que les hommes, cela ne veut pas dire qu’elles évaluent mieux le risque de fusion du cœur mais qu’elles ne supportent pas du tout l’idée d’un accident majeur, tuant ou handicapant des victimes. Leur respect inconditionnel de la vie est instinctif.

Cet exemple est intelligible. D’autres le sont moins. Pourquoi un électeur de droite croit-il en la pérennité des réacteurs plutôt qu’un votant de gauche ? Qu’en sait-il sinon que le pouvoir politique s’est prononcé pour la survie des réacteurs et cela lui suffit.

En réalité les réacteurs suisses présentent une probabilité non nulle d’exploser, mais celle-ci est faible. Dans la tête des opposants à l’initiative, ce qui est peu probable s’assimile à ce qui est impossible. Dès lors on peut élaborer une politique qui n’en tienne plus compte

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.