Le vin vaudois ne procure pas d’ivresse

Le mardi 16 décembre, le Grand Conseil vaudois a été le lieu d’une séance où toutes les limites de la démocratie représentative furent franchies par une assemblée devenue carrément ludique aux approches des vacances de Noël.

Prenez un objet dérisoire, digne tout juste d’un pastiche lors d’une revue : faut-il interdire la vente d’alcool au détail durant la nuit ? La cible de cette prohibition vise les jeunes de 18 à 25 ans, qui ont une fâcheuse tendance à s’enivrer sur la voie publique plutôt que dans les établissements destinés à cet usage. A cet âge, ils sont désargentés (pas tous) et achètent alors les boissons dans le commerce (à l’emporter selon le langage local), plutôt que de les consommer dans des boites de nuit.

Ah mais ! Les impertinents ! Comme s’il suffisait d’avoir du vague à l’âme, de l’angoisse devant l’avenir, de la déprime après une rupture, des difficultés professionnelles pour s’enivrer à bon compte. Il y faut des ressources financières. D’ailleurs, si les candidats poivrots en disposaient, ils ne s’enivreraient que de façon civilisée, en bonne compagnie, en faisant fructifier nos débits de boisson, qui sont faits pour cela. L’ivresse est réservée à ceux qui en ont les moyens ou à ceux qui, s’ils ne les ont pas, font preuve de prévoyance et achètent ce qu’il faut avant 20 heures.

Et donc pendant trois heures d’horloge 150 députés se sont déchirés sur cet enjeu de civilisation. Les uns à gauche plaidaient sournoisement la cause de la santé publique en prétendant faire le bonheur de la jeunesse dissipée. Les autres à droite défendaient tout simplement la liberté du petit commerce, qui compose leur électorat. En fin de course, un compromis boiteux, insatisfaisant pour les deux parties, a été atteint. De nuit on ne vendra pas d’alcool, sauf le vin pour soutenir nos vignerons menacés par la décrue de l’alcoolisme. Un Vaudois de vieille souche rajouta même une couche, en proposant que seul le vin vaudois soit exclu de la prohibition. La proposition ne fut cependant pas retenue, ce qui plaide pour un reste de discernement du Conseil. Un petit plaisantin demanda s’il serait encore légal de vendre des pralines à la liqueur. L’année prochaine, on recommencera un troisième débat sur le même sujet .J’ai admiré le flegme du Conseiller d’Etat Philippe Leuba, qui parvint à maîtriser une légitime irritation.

A 17 heures, tous partis confondus, le Grand Conseil s’est précipité à la buvette pour une collation bien arrosée. Je n’y ai pas participé. Depuis je bois même de moins en moins. Cela me questionne. Est-ce que, par solidarité avec les jeunes, je m’interdirais tout excès ? Est-ce que je retombe dans ma jeunesse désargentée?

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.