Pour une séance parlementaire d’injures choisies

Lorsque la presse a rapporté les vœux du pape François à la Curie, j’ai d’abord vérifié mentalement que nous n’étions pas le premier avril. Jamais pareil réquisitoire ne fut dressé à destination de cardinaux, qui se font appeler « Eminence » et qui ont rang princier de successeurs au trône pontifical : « Alzheimer spirituel, faces d’enterrement, schizophrènes intellectuels, terroristes du bavardage, pétrifiés mentaux, carriéristes arrogants, hypocrites menant une vie dissolue ». On se serait cru dans un film de Michel Audiard plutôt que lors d’une réunion protocolaire dans le milieu feutré du Vatican. Cela fit un bien immense à une foule de personnes, catholiques ou non, en déclenchant une franche rigolade. Le gendarme moral rossé par un polichinelle en soutane blanche.

On devrait en prendre de la graine en politique suisse. Les languissantes séances du parlement fédéral ne sont jamais interrompues par des échanges divertissants, versant dans l’insulte directe rendue admissible par la forme. Appeler un conservateur « pétrifié mental », lui coupe l’herbe sous les pieds : il ne dispose pas de la culture orale, de l’invention poétique et du sang-froid pour répondre du tac au tac. Tout est dans la manière. On peut tout dire à n'importe qui, mais pas n’importe comment.

J’ai rêvé que Simonetta Sommaruga, présidente en 2015, se livre au même exercice lors de la prochaine session parlementaire. En balayant l’hémicycle de la droite à la gauche, elle pourrait énumérer les vices respectifs des partis : fossoyeurs de la Suisse, apprentis despotes, bouseux; suceurs de sang du peuple, résidus de l’histoire, bas de plafond; grenouilles de bénitier, conçus sans joie, calotins; prometteurs de beaux jours, idéologues attardés, comitards ; écocentristes, arriérés mentaux, exhibitionnistes. D’un seul coup, on se mettrait à mieux respirer en expulsant les non-dits étouffants. "Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément". Après une telle séance de défoulement, on pourrait résoudre des problèmes réputés insolubles : Europe, assurance maladie, pensions, procréation médicalement assistée, immigration.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

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