Les femmes à la tête de l’extrême droite

En cette époque, où le genre influence de plus en plus les choix politiques, un phénomène est largement passé inaperçu. Longtemps considérée comme un bastion masculin, l’extrême droite s’est largement féminisée. Bien qu’elle ait toujours laissé une place de choix aux femmes, reproductrices attitrées pour assurer le repos du guerrier, elle ne leur a jamais accordé une position dominante et dirigeante. Le temps, où Renaud osa encore chanter que femme je t’aime parce que tu vas pas mourir à la guerre, parce’ que la vue d’une arme à feu fait pas frissonner tes ovaires, paraît bel et bien révolu. Désormais, l’extrémisme de droite se conjugue également au féminin, non par exception à la règle, mais par calcul politique, voire par expression d’une égalité des sexes, à laquelle la droite extrême s’est admirablement conformée.

Même si le vote extrémiste demeure majoritairement masculin, il appartient de nuancer cette affirmation. C’est notamment le cas pour la France, où selon une enquête de l’IFOP, publiée en son temps, pour le magazine Décideurs, les résultats obtenus au premier tour de la présidentielle de 2022 par l’actuel président de la République et par sa rivale du Rassemblement national sont plus élevés chez les femmes que chez les hommes. Dans les deux cas, la différence est de 4 points : 29 % contre 25 % pour Emmanuel Macron et 25 % contre 21 % pour Marine Le Pen. En revanche, Éric Zemmour cartonne beaucoup plus chez les hommes qu’il ne le fait chez les femmes. Alors que ce dernier incarne encore l’idéologie la plus réactionnaire qui soit, la présidente du RN est parfaitement « systemo-compatible ». D’ailleurs, elle sait parfaitement incarner cette image de mère intentionnée, de femme divorcée et libérée et, cerise sur le gâteau, d’amoureuse des chats. Que l’on ne l’aime ou pas, elle a su apporter une touche de glamour à une extrême droite qui, jusqu’à présent, n’avait pas jugé utile de se parer de cet attribut.

Marine Le Pen n’est pas la seule à avoir réussi ce tour de force. Plus encore, Giorgia Meloni a pris les rênes du pouvoir en Italie. Présidente d’un parti auquel personne n’accordait la moindre chance de salut il y a quelques années, elle est à la tête de la coalition la plus à droite depuis la fin du fascisme. Admiratrice autoproclamée de Mussolini, elle a même plus ou moins soudoyé l’hymne national de son pays. Plus connu sous le titre Fratelli d’Italia, à savoir sous le même nom que le parti présidé par Meloni, ce chant a toujours incarné l’esprit démocratique instauré après 1945. Triste et amer constat à la fois :  aujourd’hui, l’extrême droite récupère à son avantage tous les symboles nationaux et républicains qu’elle n’a eu de cesse de piétiner, de salir et de calomnier durant de longues décennies.

Qu’une femme de grande qualité puisse en cacher une autre, ne doit plus rien au hasard. C’est ce qui vient de se passer en Finlande, où l’icône de la social-démocratie Sanna Marin a dû admettre sa défaite aux élections du 2 avril dernier. Battue par le parti conservateur, elle l’a également été par ledit « Parti des Finlandais », à la tête duquel on retrouve Riikka Purra, une diplômée en science politique, âgée de 45 ans. Là aussi, la parole féminine s’est imposée, arguant du danger que les hommes immigrés, originaires du Sud et basanés pour la plupart d’entre eux, représentent pour les femmes scandinaves.

Quoique non directement touchée par l’imminence d’une renaissance extrémiste, l’Allemagne est aussi concernée par la présence de femmes aux postes clés de l’AFD, à savoir de l’Alliance pour l’Allemagne. Propageant à renfort de slogans et de publicité l’image de la femme traditionnelle allemande, elle compte dans ses rangs plusieurs dirigeantes de renom. D’origine noble, Beatrix von Storch met ses connaissances juridiques au service de son parti et de ses activités de lobbying. Ces dernières semblent dorénavant porter leurs fruits dans les Länder de l’Est, à savoir dans une région où les femmes ont été souvent déclassées depuis l’unité du pays en 1990. Pourtant, c’est sur Alice Weigel que se portent tous les regards. Co-présidente du groupe parlementaire de l’AFD au Bundestag, cette ancienne boursière de la Fondation Konrad-Adenauer et docteure en économie de la santé a plusieurs cordes à son arc. Fidèle à l’extrême droite depuis les débuts de sa carrière, revendiquant ouvertement son homosexualité, elle jouit d’une popularité que ses adversaires les plus résolus auraient bel et bien tort de sous-estimer. Sortie d’affaire pour avoir apparemment payer un temps ses impôts en Suisse, elle a gravi tous les échelons de l’AFD et pourrait apparaître, le cas échéant, comme la figure de proue d’un parti en pleine ascension.

Ce ne sont là que des exemples. Et les exemples ne prouvent rien. Ils ne font qu’illustrer certains propos qu’il est néanmoins utile de tenir désormais. Le temps où l’extrême droite n’était représentée que par des hommes à la Giorgio Almirante, Jean-Marie Le Pen, Jörg Haider, voire beaucoup plus récemment Matteo Salvini, sont derrière nous. Aujourd’hui, quelques femmes se sont taillé la part du lion dans un milieu qui leur a été longtemps hostile. C’est là un nouveau défi qui se pose à la démocratie dans son ensemble, mais aussi, et plus précisément, à nombre de mouvements qui, naïvement ou non, croient toujours à la potion magique du féminisme.

 

 

 

Horizon bouché avec la Suisse: l’UE ne s’en laissera pas conter

Certes, la comparaison pourra faire grincer quelques dents. Trop frivole pour le goût des uns, trop osée pour celui des autres, elle suscitera ire ou approbation. Choisie à dessein après la rupture unilatérale de l’accord-cadre avec l’Union européenne, elle décrit l’attitude d’une Suisse qui, telle une femme d’un amour précaire, décide de quitter le lit conjugal. Se plaignant alors que son compagnon ne lui ait pas fait d’enfant, elle se présente comme la victime d’un effroyable stratagème bureaucratique et anti-démocratique. Ne trouvant d’autre porte de sortie que celle d’en appeler à une souveraineté immaculée, elle se réfugie derrière une morale indûment réparatrice qu’elle ne cesse de porter aux nues.

Trop beau pour être vrai, ce conte de fées ne tient pas la route un instant. Discours savamment entretenu par la bien-pensance helvétique, il se meut en appareil idéologique d’État pour se dédouaner d’une responsabilité que les autorités politiques refusent ostensiblement d’assumer. Avec pour principal argument celui d’accuser toujours la partie adverse, celles-ci inversent les rôles et s’attribuent une vérité à laquelle elles sont les seules à prêter allégeance.

Une simple piqure de rappel ne semble toutefois pas faire son effet. Seule une double dose permettrait, à première vue, de remettre les pendules à l’heure. À celles qui sonnent le glas d’une écriture erronée que le Conseil fédéral s’efforce néanmoins d’appliquer à sa guise. Seul maître à bord, il omet de réfléchir au-delà de son propre logiciel cognitif et fait volontairement fi de ce que son vis-à-vis pense de lui. Ne croyant qu’à sa parole, il n’accorde aucune attention à celle des autres, persuadé qu’il n’y a que la sienne qui vaille.

Ce mode de raisonnement n’a pas changé d’un iota depuis des dizaines d’années. Il installe la Suisse dans la durée d’une logique bilatérale à long terme et renforce Berne dans sa conviction qu’il n’existe aucune autre issue dans ses relations avec l’UE.  Avis partagé par une très large majorité de citoyens, souvent en contradiction parfaite avec celui des autres Européens, il s’est établi au fil du temps et ne saurait être remis en cause par une population qui n’a jamais su appréhender la question européenne hors de ses frontières helvético-suisses.

Emmurés dans leur mentalité du réduit, dans leur mythe du Sonderfall, les Suisses ont peine à s’imaginer une Europe qui se forge au gré d’un processus collaboratif auquel ils ont du mal à s’associer. Récusant plus qu’il n’en faut les concessions qui s’imposent, ils se cloîtrent derrière leurs convictions et en appellent à leur sens presque biblique du compromis qui se heurte pourtant au mur des lamentations nationales et cantonales. Apôtre autoproclamé du consensus et de la collégialité sur le plan intérieur, la Suisse s’illustre alors par son comportement anti-consensuel et anti-collégial sur les plans, extérieur et européen.

Fort de ce qu’il pense être son bon droit, le gouvernement bernois n’a pas changé de registre depuis la rupture unilatérale de l’accord-cadre le 26 mai 2021. Ce choix s’inscrit dans une tradition profondément anti-européenne d’un pays qui n’a pas encore compris que les autres ont également leur mot à dire. Dernier exemple en date, la vaine tentative de réintégrer les universités helvétiques dans le programme de recherche « Horizon Europe ». À l’image de son Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation, le Conseil fédéral s’en est directement pris à l’UE et est allé crier famine auprès de la Commission européenne. Malgré quelques pressions, celle-ci ne s’en laissera certainement pas conter. C’est ce que devrait d’ailleurs rappeler son vice-président Maroš Šefčovič à ses interlocuteurs lors de sa prochaine visite qu’il effectuera le 15 mars prochain sur les bords de l’Aar, mais aussi à l’Université de Fribourg.

Non seulement aura-t-il beau jeu de rappeler que le Conseil fédéral porte à lui seul l’entière responsabilité de l’exclusion de la Suisse de ce programme, mais aussi que rien ne s’oppose à sa réintégration dès la signature et l’adoption d’un nouvel accord entre Berne et Bruxelles. Dans sa besace, le Commissaire apportera aussi les conclusions du compromis que viennent d’adopter, le 27 février dernier, l’Union européenne et la Grande-Bretagne, mettant fin au différend qui les opposait à propos de l’Irlande du Nord. S’inspirant presque mot pour mot des propos qu’Ursula von der Leyen a tenus en présence de Rishi Sunak, Maroš Šefčovič aura tout loisir de déclarer devant un auditoire tout ouïe qu’il est « heureux de commencer immédiatement, dès maintenant, le travail sur un accord d’association qui est la condition préalable pour rejoindre Horizon Europe ». Entendons par là que la Suisse fera à nouveau partie “d’Horizon Europe” après, et non avant, ce « préalable » et qu’elle devra par conséquent attendre que son gouvernement signe un nouveau texte avec l’Union européenne. Comprenne qui voudra ! Le Conseil fédéral aussi ? Les paris restent ouverts !

L’indécente promesse d’adhésion de l’Ukraine à l’UE

Personnage habitué aux coups bas ou de force, souvent peu respectueux de la probité politique, le feu Ministre français de l’Intérieur Charles Pasqua avait néanmoins le sens de la formule. L’une d’entre elles a fait mouche et continuera encore longtemps d’alimenter les échanges musclés ou autres controverses plus ou moins légendaires. Déclarant en 1988 que « les promesses des hommes politiques n’engagent que ceux qui les reçoivent », il a touché du doigt une vérité de Lapalisse qui n’est pas prête de s’éteindre.

Dernier exemple en date, celui de l’annonce de l’adhésion rapide de l’Ukraine à l’Union européenne ; si possible d’ici 2025. Pas besoin d’être devin dans son pays pour dire qu’il ne s’agit là que d’un leurre, voire d’une escroquerie intellectuelle sans pareille. Non seulement, l’Ukraine ne remplit pas les critères pour rejoindre les vingt-sept, mais ceux-ci ne sont pas capables de l’accueillir à brève ou moyenne échéance. Quitte à jouer les rabat-joies, elle ne sera pas membre de l’UE avant les années trente de ce siècle.

À vouloir confondre vitesse et précipitation, l’Union européenne ignore à la fois les règles qu’elle a elle-même adoptées et met en jeu sa propre crédibilité. Aujourd’hui, l’Ukraine ne remplit aucun critère, dit de Copenhague, datant de 1993. Kiev n’est ni en mesure de se conformer à l’acquis communautaire, ni ne dispose d’un « marché viable et de la capacité à faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l’intérieur de l’UE ». Moins encore peut-elle se prévaloir « d’institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection ». Quant à la corruption, l’Ukraine ne la combat que depuis quelques semaines, sachant que pour y mettre fin, elle aura encore besoin de longues et nombreuses années pour y parvenir.

Ce n’est pas faire un procès à ce pays que de renvoyer son appartenance à l’espace communautaire au-delà de 2030, voire de 2035. Que la vérité ne soit pas toujours bonne à dire, ne fait certes pas plaisir à tout le monde. Mais qu’elle soit tue au nom d’une diplomatie de salon ou, pire encore, d’un mensonge savamment orchestré, relève d’une flagrante hypocrisie qui nuit en fin de compte à celles et à ceux qui s’en servent à des fins inavouables. Que l’Union européenne se garde alors de tomber dans ces combines qui tôt ou tard se retourneront inévitablement contre elle.

Sa perte sera aussi financière, car personne ne voudra payer l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne. Ni les pays contributeurs, dont plusieurs se définissent d’ores et déjà comme « frugaux », ni les pays receveurs qui devront renoncer aux milliards d’euros qu’ils perçoivent chaque année de Bruxelles. C’est en leur sein que leur contradiction éclatera au grand jour. Irréductibles et bellicistes partisans de la cause ukrainienne, ils s’opposeront de toutes leurs forces à toute diminution de leur dotation européenne. Prêts à soutenir coûte que coûte Kiev, ils n’accepteront en aucun cas de financer à leurs propres dépens l’adhésion d’un pays dont ils ne cessent pourtant de défendre bec et ongles la cause. Première concernée, la Pologne mettra tout son poids dans la balance pour sauvegarder son pactole européen, tout en appelant ses partenaires à venir en aide à son voisin. Que dire alors, si Varsovie, les autres États du Groupe de Visegrád, y compris ou non la Hongrie, la Croatie et la Roumanie,  mais aussi les pays baltes étaient contraints de mettre la main à poche ? Ils ne le feront certainement pas de gaité de cœur, se drapant une nouvelle fois derrière le paravent victimaire d’éternels adversaires de la Russie.

La promesse d’adhésion de l’Ukraine à l’UE est indécente. En premier lieu, pour les Ukrainiens eux-mêmes, forcément déçus de ne pas voir se réaliser leurs vœux d’ici deux ou trois ans. Mais aussi pour l’Union européenne qui, consciente de son offre de Gascon, porte ainsi atteinte à sa réputation internationale. Ne tenant pas parole, c’est la sienne qui fera forcément l’objet de toutes les attaques. Légitimement accusée d’avoir suscité des espérances qu’elle savait pertinemment ne pas pouvoir exaucer, elle aura perdu d’un coup ce qu’elle aura cru gagner auparavant en capital sympathie. Les Ukrainiens ne lui feront plus confiance, se tourneront vers d’autres cieux, américains de préférence, et ne manqueront pas de rappeler à Bruxelles qu’ayant cru momentanément en elles, les promesses de l’UE ne les engagent plus d’aucune façon !

 

 

 

 

 

Qui va gagner la Guerre en Ukraine? : les Etats-Unis!

Qui va gagner la Guerre en Ukraine ? Réponse : les États-Unis d’Amérique ! Ou pour l’écrire autrement, Biden dit merci à Poutine. Formulé de la sorte, ce jugement peut choquer, mais il pourrait bel et bien correspondre à l’issue d’un conflit qui doit trouver une solution.

Si Moscou devait arriver à ses fins, l’Europe serait confrontée à un danger permanent auquel elle ne pourra pas faire face sans l’aide des Américains. En revanche, si Kiev devait l’emporter, les USA ne manqueraient pas d’étendre leur influence sur l’ensemble du vieux-continent. Dernier cas de figure, celui d’un compromis entre les parties belligérantes. Mais celui-ci ne pourra pas être signé sans l’aval des États-Unis qui auront à cœur d’en édicter les règles. Plus que jamais, la Maison Blanche est en position de force, ne pouvant que tirer les marrons du feu d’une guerre qu’elle n’avait ni voulue, ni initiée.

La déclaration conjointe signée à Bruxelles le 10 janvier 2023 entre l’Union européenne et l’OTAN est une excellente nouvelle. Surtout pour l’Alliance atlantique. Un peu moins pour les vingt-sept.  « Déterminés à porter le partenariat entre l’OTAN et l’UE à un niveau supérieur », l’Organisation du traité de l’Atlantique nord et l’Union européenne ont en effet renforcé leurs liens au bénéfice d’une coopération stratégique et militaire dont Washington pourra largement tirer profit. Depuis le 24 février 2022, l’atlantisme a retrouvé ses lettres de noblesse d’antan et peut renouer avec un passé glorieux que beaucoup avaient trop vite enterré.

Quoique bloquée pour l’instant par Ankara, l’adhésion plausible de la Finlande et de la Suède à l’OTAN la consolide sur l’échiquier international. Plus que jamais, celle-ci demeure la seule et unique force militaire crédible en Europe. Son retour en grâce conforte la prédominance américaine et condamne à plus ou moins brève échéance tous les projets d’une défense européenne. Certains feront mine de se consoler, se targuant d’avoir offert du matériel de combat aux Ukrainiens. D’autres s’en accommoderont sans broncher, sachant fort bien que Volodymyr Zelensky adressera d’abord ses plus vifs remerciements à Biden pour la livraison des batteries antiaériennes Patriot made in USA.

À l’aube de 2023, l’Union européenne est confrontée à une contradiction dont elle n’a pas deviné ou feint de deviner l’émergence. Partageant des valeurs communes, et renforcée dans son unité, pour avoir pris fait et cause pour l’Ukraine – à l’exception de la Hongrie -, elle expose en même temps les limites de sa souveraineté politique et stratégique. Incapable de proposer une solution militaire et pacifique à Kiev, elle se rangera vraisemblablement du côté de celle que les USA élaboreront lors de l’arrêt des combats. Persuadée d’appartenir au camp des vainqueurs, elle figurera au mieux sur la dernière marche du podium.

À la lumière des récents événements, plusieurs États membres jouent leur propre partition. Se disputant sur la répartition des armes à livrer aux Ukrainiens, ils affichent leurs divergences au grand jour. Alors que certains plaident encore pour la négociation, espérant toujours compter sur un signe venu de Moscou, d’autres préfèrent la manière forte. Ne prenant pour seul modèle que celui préconisé par Washington, ils sont prêts à déployer les troupes de l’OTAN à la frontière russe. Agissant de la sorte, ils ne tirent visiblement aucune leçon de certaines erreurs passées dont Vladimir Poutine s’est largement servi pour enclencher les hostilités sur le territoire ukrainien.

Aujourd’hui, les vingt-sept n’ont aucun intérêt à mettre de l’huile sur le feu. Ils en seraient les premières victimes, car ils auraient perdu sur tous les tableaux. Sans renier un instant leur soutien presque unanime à Kiev, ils ne peuvent pas oublier l’existence de la Russie. Celle-ci demeure géographiquement et culturellement plus proche de l’Europe qu’elle ne l’est des États-Unis. L’UE est à la fois obligée d’en tenir compte, sans renier toutefois sa condamnation des crimes de guerre perpétrés par les armées du Kremlin. Sa marge de manœuvre est étroite et risque de se rétrécir plus encore si l’occident, USA en tête, devait faire des promesses inconsidérées. L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN serait une grave erreur, comme le serait celle à l’Union européenne. Les Européens en subiraient les conséquences politiques et financières, alors que les États-Unis en récolteraient les fruits.

Aujourd’hui en manque d’inspiration, l’UE doit faire preuve d’imagination. D’abord pour assurer sa sécurité et celle des Ukrainiens. Mais aussi celle des autres peuples placés sous le joug moscovite. Adversaire résolue de Vladimir Poutine, elle n’est pas pour autant l’ennemie de la Fédération de Russie et d’un peuple dont il convient de respecter l’histoire et le besoin de reconnaissance. Ainsi, la démilitarisation, voire la neutralité des espaces biélorusses et ukrainiens pourraient, le cas échéant, constituer une solution à long terme pour laquelle les Européens sont appelés dès maintenant à s’engager hors de toute influence américaine.

 

 

 

Les funestes travers du parlementarisme suisse et européen

Apparemment, les deux événements n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Le premier concerne l’Union européenne, le second la Confédération helvétique. À y regarder de plus près, ils révèlent néanmoins quelques similitudes qu’un observateur aguerri du parlementarisme ne manquera pas de relever. Si les organes législatifs constituent le cœur même de la démocratie, ils ne sauraient s’affranchir de certaines critiques justifiées auxquelles ils sont désormais confrontés.  Se croyant plus vertueux que le reste du politique, ils se drapent d’un costume moral qui leur sied de moins en moins. Donneurs de leçons à tout bout de champ, un sérieux coup de balai devant leur porte leur ferait le plus grand bien.

Cible de la presse internationale de ces dernières semaines, le Parlement européen de Strasbourg traverse sa plus grande crise depuis 1979, soit depuis sa première élection au suffrage universel direct. Terrain de jeu d’une corruption d’une envergure insoupçonnée, il est miné de l’intérieur par une collusion d’intérêts entre des députés non scrupuleux et des États vraisemblablement arabes ou riverains du golfe persique. Au prix de versements en espèces, son enceinte s’est transformée en une bourse occulte de monnaies sonnantes et trébuchantes échangées au service funeste de certains régimes que l’Union européenne a trop longtemps choyés.

Bien que nul ne soit prophète dans son pays, le Parlement européen n’a qu’à s’en prendre à lui-même. Il a laissé faire, se croyant à l’abri des pratiques répréhensibles qu’il a lui-même encouragées depuis près de quarante-cinq ans. Doté d’un exécutif pléthorique, accueillant plus de 700 membres élus selon des modes de scrutin différents dans chaque État membre, pourvu d’un règlement intérieur complexe, présidé, sauf cas rares, par une personnalité sociale- ou chrétienne-démocrate, nommée en préalable à tout vote par un commun accord entre ces deux partis, il n’a jamais su se prémunir contre certaines dérives auxquelles il s’est exposé. Plusieurs voyages à l’étranger ou missions internationales, aux destinations savamment choisies, demeurent opaques, de même que le sont maintes relations personnelles ou institutionnelles dont l’Europe ne tire qu’un bénéfice très limité.

Toujours fidèle à son désir d’accroître son poids politique, le parlement de Strasbourg n’a cessé de se présenter du côté « des gentils » contre « les méchants ». Il voulait incarner la probité, comme il le fit en mars 1999, lorsque la Commission européenne de l’époque, présidée par le Luxembourgeois Jacques Santer, s’est senti obligée de démissionner en cours de mandat. Près de vingt-quatre années après, ce scandale paraît pourtant bien anodin en comparaison avec celui qui agite désormais les instances du cénacle européen. Mais dans le cas présent, exceptée la principale personne mise en cause, aucune sanction institutionnelle ne semble être prévue pour condamner une assemblée qui croule sous l’influence démesurée des lobbies. Qu’ils soient publics ou privés, nationaux, européens ou plus encore dans des mains africaines, américaines ou asiatiques, ceux-ci constituent, ni plus ni moins, la principale menace démocratique qui pèse sur l’organe législatif de l’UE.

Que les europhobes ne se réjouissent pourtant pas trop vite ! La mainmise des lobbies concerne aussi d’autres pays, dont au premier chef la Suisse. En pleine crise pétrolière et gazière, celle-ci vient d’élire un Conseiller fédéral qui, dorénavant en charge de l’approvisionnement énergétique, n’a jamais fait mystère de ses liens financiers avec les multinationales de ce secteur industriel. Dans nombre d’États, cela aurait immédiatement donné lieu à la constitution d’une commission d’enquête parlementaire. Mais, pas à Berne ! En référence à Montesquieu, quelque Usbek et Rica d’aujourd’hui ne bouderaient certainement pas leur plaisir à échanger leurs pensées sur le mode de fonctionnement d’un parlement national qui vient d’écrire l’une des pages les plus controversées de son histoire.

Trente ans et un jour après son « dimanche noir » du 6 décembre 1992, la Confédération vient de prouver que sa formule magique privilégiait, au vrai sens du terme, les tours de passe-passe. En lieu et place d’une démocratie de concordance, c’est celle des conclaves qui s’est imposée.  Ingrédients indigestes en marge d’une séance publique de l’Assemblée fédérale, les conciliabules, les arrangements entre plus ou moins faux-amis, les retours d’ascenseur ou autres magouilles d’arrière-cour, ont constitué la recette d’un menu électoral sciemment concocté dans le secret des alcôves bernoises. Tout n’était que jeu stratégique, que volonté d’éliminer les meilleurs, soit souvent les plus dangereux, au profit d’alliés objectifs qui, trop contents de se trouver au-devant de la scène, seront toutefois toujours privés d’écrire le scénario d’une pièce de série B. Le 7 décembre 2022, la démocratie suisse n’est pas sortie grandie d’un épisode qui restera en sinistre mémoire. Certains y verront la marque d’un régime des partis, d’autres celle de tractations d’arrière-boutique, susceptibles de relancer le débat sur l’élection au suffrage universel direct des « sept sages ». Alors que certains le souhaitent, la majorité des politiques la rejette, craignant qu’elle ne fasse le jeu desdits « populistes ». Ayant raison sur le fond, la plupart des élus refusent néanmoins de s’attaquer à la cause du mal et s’avouer que leur façon de procéder porte atteinte à la forme de démocratie qu’ils croient et espèrent encore promouvoir.

Berne avec son renouvellement du Conseil fédéral et Strasbourg avec son scandale de corruption ne présentent, à première vue, aucun dénominateur commun. Mais, ce regard est bel et bien trompeur. Tant le parlement européen que l’Assemblée fédérale se sont laissé gagner par des pratiques qui, en fin de compte, nuisent non seulement à leur renommée et à leur crédibilité, mais plus encore à celle de la démocratie parlementaire dans son ensemble. Et si cette dernière devait en être la principale victime, le jour de gloire du retour de l’autoritarisme sera définitivement arrivé!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les dérives d’un narratif européen

Nul besoin d’épiloguer sur les bien- et méfaits de la communication politique. Les mots et les gestes reflètent les idées que l’on exprime, voire permettent de transmettre les messages que l’on formule. L’Europe communautaire ne fait pas exception à la règle, tant elle s’est dotée d’un vocabulaire qu’elle n’a cessé de développer depuis qu’elle existe. Mettant dès ses débuts l’accent sur la paix, elle s’est forgée un langage économique, mais aussi politique et culturel qui la caractérise plus que toute autre institution. Marché intérieur, libre concurrence non faussée, principe de l’unanimité, approfondissement, élargissement, programmes Erasmus ou compétences partagées, voilà quelques exemples d’un glossaire que tout Européen connaît sur le bout des doigts.

N’échappant pas à l’évolution de l’actualité, la parole de l’Union européenne s’adapte en toute logique aux défis du temps présent. Il en a toujours été ainsi et cela sera encore longtemps le cas. Toutefois, à ne pas y prendre garde, l’Europe pourrait tomber dans un nouveau narratif, tout aussi dissonant que ne l’est ce mot aux accents purement descriptifs et faussement neutres. Alors que les grands discours d’antan sont passés de mode, l’histoire de l’Europe se raconte désormais au fil des faits et des événements qui l’entourent et l’influencent. En lieu et place de grandes déclarations visionnaires, l’heure est aux récits qui, ni plus ni moins, sous couvert de consensus et « d’objectivité », dissimulent un appauvrissement intellectuel de la pensée européenne.

Aujourd’hui, il faut faire vite, clair, court, trash et si possible avec un minimum de signes. Tel par exemple ce communicant bon chic, bon genre qui, devant un public tout acquis à sa cause grâce à sa dextérité, à son savoir-faire et à sa tchatche, vous explique, sans coup férir, que l’histoire de l’intégration européenne se compose de deux périodes : l’une de 1945 à 2022, l’autre à partir de 2022. Son explication est limpide : jusqu’au 24 février de cette année, l’Europe n’avait jamais connu de guerre sur son territoire, alors qu’elle vient de renouer avec elle en Ukraine. Ça sonne bien, sauf que c’est complètement crétin. C’est d’autant plus grave que de tels propos passent sous silence les victimes du conflit dans les Balkans dont le nombre s’élèverait, selon certaines estimations, à 200 000 morts. À la vaine recherche d’une quelconque circonstance atténuante attribuée à ce vénéré spécialiste en histoire contemporaine, certes adolescent à l’époque et dorénavant âgé de moins de quarante ans, nul argument ne vient à l’esprit pour excuser sa profonde méconnaissance d’un passé qui ne date que de la fin du siècle dernier !

Que ces paroles soient tenues en quelque cercle restreint, n’aurait presque rien d’inquiétant en soi. Mais qu’elles aient été prononcées à l’occasion de la grand-messe suisse allemande de la politique européenne l’est beaucoup plus. Fidèle à la parole pseudo-européenne de Winston Churchill du 19 septembre 1946 dans l’Aula de l’Université de Zurich, let Europe arise!, l’Europa Forum de Lucerne a en effet placé cette année son curseur à l’endroit désiré par la Suisse officielle. Celle qui, plus économique que politique, se veut bien-pensante. Le modèle britannique continue de faire ses ravages, Berne plaide pour des Bilatérales III et se félicite des performances oratoires de certains invités qui, triés sur le volet, nonobstant le contenu même erroné de leur speech – il faut bien parler l’anglais ! -, utilisent à bon escient ce narratif européen qu’il convient de dénoncer, tant qu’il est encore temps.

Cela concerne aussi l’Ukraine. Si la condamnation de l’agression russe doit rester unanime, elle ne saurait servir de prétexte à ceux qui veulent construire une autre Europe. Tel est le cas du président polonais Andrzej Duda qui réinterprète à sa guise les valeurs communes de l’Union européenne. Devant un public partiellement médusé, composé entre autres de quelques-uns de ses compatriotes, il n’a pas manqué de souligner le 25 novembre dernier l’exemplarité morale de son pays. Mettant à profit un excellent symposium, organisé de main de maître, la veille de la clôture du programme de « Kaunas 2022, capitale européenne de la culture », par l’Université lituanienne Vytautas Magnus, il s’est fait l’apôtre d’une Europe dont la seule identité reposerait sur son héritage chrétien. Alors que ce débat polémique avait trouvé une issue lors de l’adoption de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et, plus tard, à l’occasion de la rédaction du traité établissant une constitution pour l’Europe, Varsovie s’approprie une forme de narration, non seulement pour s’en prendre à raison au pouvoir malfaisant de Poutine, mais aussi et surtout à tort pour se dédouaner de toutes les atteintes que la Pologne ne cesse de porter contre la presse, la justice et la cause féminine.

Les dérives de ce nouveau narratif européen atteignent un degré de perversité qu’il ne faudrait pas sous-estimer. Avec pour mots d’ordre la modernité, la flexibilité, l’adaptabilité ou la réactivité, quelques décideurs ou acteurs européens écrivent, voire réécrivent une nouvelle page de l’histoire de la construction européenne qui ne présente que très peu, voire aucun dénominateur commun avec ce qu’elle est et saurait devenir. Qu’il faille s’en émouvoir, n’est plus suffisant en soi. Pour que l’UE se débarrasse de ce mal qui la ronge de l’intérieur, le temps est venu non seulement d’en prendre conscience, mais aussi de renouer avec un discours historique, culturel et humaniste de l’Europe qui a fait, fait et continuera de faire sa raison d’être  !

 

 

Un nouveau sexisme politique

Ce n’est pas un scoop: le prochain Conseiller fédéral homme et socialiste sera un Romand, à la rigueur un Tessinois. Ce n’est pas un scoop: celle qui d’ici une dizaine ou une douzaine d’années succèdera à la Conseillère fédérale socialiste, élue le 7 décembre 2022, sera une Suisse-Allemande. Et ainsi de suite…! En poussant la parité à son paroxysme, le parti socialiste s’est pris à son propre jeu et, volontairement ou non, enfermé dans une logique genrée dont, tôt pu tard, il payera le prix. Au summum du ridicule, tout socialiste masculin originaire de l’Est du Röstigraben ne pourra jamais accéder à la fonction suprême à Berne, pas plus que ne pourra le faire toute socialiste issue de la Suisse latine. Gagné par un mode de répartition entre les sexes, le PS s’est tiré une balle dans le pied et s’est conformé à un schéma idéologique qui, à y regarder de plus près, s’éloigne du principe d’égalité, pourtant historiquement et philosophiquement ancré à gauche.

Quoique la formule puisse choquer, le constat est sans appel : de nos jours, compte parfois moins ce que l’on a dans la tête que ce que l’on a entre les jambes. Alors que la politique a pour vocation même d’administrer et de penser la polis, elle se conjugue de plus en plus au temps d’un ségrégationnisme qui accroît les divisions. Le choix des candidats s’opère alors en fonction de critères, où le sexe l’emporte sur tous les autres. En d’autres termes, dis-moi si tu es une femme ou un homme et je te dirai si tu as la chance d’être élu-e- ou pas!

Bastion masculin durant des siècles, la politique s’est heureusement féminisée depuis plus de quarante ans et a permis aux femmes d’y jouer un rôle de tout premier plan. Toutefois, la présence féminine ne peut pas changer, à elle seule,  les contenus et l’esprit des lois adoptées par le législateur.  Si Indira Gandhi ou Golda Meir ont favorablement marqué de leur empreinte l’histoire de l’Inde et d’Israël, l’image de la Dame de fer restera à tout jamais liée aux paroles de Renaud pour qui aucune femme sur la planète n’s’ra jamais plus con que son frère; ni plus fière ni plus malhonnête; à part peut-être, Madame Thatcher.

Certes, on ne naît pas femme, on le devient ! Mais Simone de Beauvoir n’aurait vraisemblablement jamais vénéré ou plus encore exonéré une politicienne pour la seule raison qu’elle appartient à ce qu’elle nomma elle-même le deuxième sexe. Parce qu’elles sont l’égales de leurs confères masculins, elles méritent d’êtres reconnues, soutenues, appréciées ou critiquées au même titre que le sont les hommes. Alors qu’Angela Merkel n’a pas trouvé en la personne de son successeur un chancelier digne de son niveau, qu’Elisabeth Borne fait preuve d’une réelle ténacité face aux caciques misogynes de la droite française, que l’on se garde bel et bien de préférer Marine Le Pen à Emmanuel Macron ou Giorgia Meloni à Mario Draghi! À ignorer les idéologies, notamment d’extrême droite, à se conformer au discours ambiant ou à vouloir confondre parité et pensée, le risque de se tromper d’adversaire existe bel et bien.

 

Il en est de même chez nous. Oubliée depuis lors, l’élection en 1984 de la première Conseillère fédérale de l’histoire, Elisabeth Kopp, n’a pas servi la cause des femmes. De même, le féminisme ne se résume pas au choix d’une candidate. Sa priorité demeure dans la revalorisation des droits sociaux et salariaux qui, comparés avec ceux existant au sein de l’Union européenne, sont parfois inférieurs en Suisse.   Aujourd’hui, le gouvernement de Berne est en manque d’une nouvelle Ruth Dreifuss, dont le combat héroïque pour le congé maternité s’inspira aussi des dispositions depuis longtemps en vigueur dans les pays voisins de la Confédération.

 

Le débat suscité par la stratégie du parti socialiste suisse n’est pas anodin. Il est largement influencé par une approche communautariste et s’éloigne dangereusement de l’universalisme auquel la gauche omet trop souvent de se référer. Jouant la carte du différentialisme, le PS épouse des formes de raisonnement qui contredisent la notion même de citoyenneté, à savoir celle qui s’inspire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, où toutes et tous « naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Parmi les premiers à avoir revendiqué et réalisé l’égalité des genres, les socialistes sont tombés dans le piège d’un nouveau sexisme politique, où la concurrence, voire l’affrontement entre les hommes et les femmes l’emportent sur toute autre considération. Bien que n’ayant pas toujours été exemplaires en la matière, les socialistes n’ont pas à rougir de leur action au profit des femmes. Précurseurs en la matière, ils se prévalent ici d’un bon bilan. Mais, comme arc-boutés sur leur passé, ils n’ont pas su franchir une nouvelle étape. Car, comme l’écrivait Françoise Giroud la femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. En ayant choisi un ticket exclusivement féminin pour les prochaines élections au Conseil fédéral, et nonobstant la candidate qui sera élue le 7 décembre prochain, le PS n’a pas su mesurer à sa juste valeur la pertinence philosophique de cette parole qui devrait nous donner à réfléchir, que l’on soit homme ou femme!

 

La politique étrangère féministe d’Annalena Baerbock, quèsaco ?

La déclaration est passée quasiment inaperçue. Condensé de paroles ingénues, ne provoquant que quelques haussements d’épaules, ou expression d’une carence intellectuelle, faisant froid dans le dos, elle est indigne de la politique. Qu’elle soit prononcée par un homme ou par une femme, qu’elle soit mal comprise ou non, qu’elle fût mal interprétée ou pas, elle n’a pas lieu d’être et ne mérite aucune excuse. Son contenu traduit une incroyable maladresse culturelle et historique dont les premiers bénéficiaires ne peuvent être que les tyrans et autres sanguinaires de ce bas monde.

Candidate à la chancellerie en 2021, alors objet de moquerie pour ses nombreuses gaffes, l’actuelle Ministre des Affaires Étrangères allemande, Annalena Baerbock vient, une nouvelle fois, d’afficher ses limites. Endossant un costume trop grand pour diriger son ministère, elle ne peut en aucun cas se réclamer de ces chefs de la diplomatie allemande qui ont fait la renommée de la politique extérieure de la République fédérale. N’ayant rien de comparable avec le légendaire Hans-Dietrich Genscher, Frank-Walter Steinmeier ou plus encore avec son ami politique Joschka Fischer, elle accumule les faux-pas et ne peut que susciter quelques inquiétudes, qualifiées en l’occurrence et à juste titre, d’allemandes.

Venons-en au fait. Le 29 septembre dernier, Annalena Baerbock a prononcé devant le Bundestag un discours qui restera en mauvais souvenir. Bien que voulant apporter son entier soutien aux Iraniennes violemment réprimées par le régime des mollahs, elle s’est emmêlé les pinceaux. Oratrice médiocre, elle n’a rien trouvé de mieux que de déclarer que « quand la police, comme cela semble être le cas, bat une femme à mort, car selon l’avis des gardiens de la morale elle n’a pas porté correctement son voile, cela n’a rien, vraiment rien, à voir avec la religion ou la culture. Ce n’est qu’un abominable crime, voilà tout » ! Eh bien, non !  À Téhéran, cela a bel et bien à voir avec la religion !

On a beau chercher des circonstances atténuantes à Annalena Baerbock, on n’en trouve pas. Confondre un délit de droit pénal, si grave soit-il, avec un assassinat politique relève d’une irresponsabilité sans nom. Niant le lien de cause à effet entre la loi islamique et le port obligatoire du voile en Iran, plongée dans le déni intellectuel et religieux, elle déstabilise la lutte des femmes iraniennes et se comporte ipso facto comme l’alliée objective de ceux qui les assassinent. Que sa crédibilité personnelle puisse en pâtir n’a rien de grave en soi;  en revanche que celle de l’Allemagne puisse en être affectée l’est nettement plus.

Désormais, cette même Ministre des Affaires Étrangères allemande préconise l’avènement d’une politique étrangère féministe. À la lecture de ses déclarations sur la répression en Iran, celle-ci ne laisse augurer rien de bon. Sans savoir de quoi il s’agit au juste, on suppose que seules les femmes seraient en mesure de mener une autre politique extérieure. Mais, laquelle ? On en n’a pas la moindre idée ! Devant être au service des femmes, elle n’a pour intention principale que celle de les défendre. Intention plus que louable, nul ne pourrait s’y opposer, à l’exception peut-être de quelques dirigeantes qui, dès qu’elles accèdent au pouvoir, desservent le féminisme. Exemple taillé sur mesure du mainstream des années vingt, la politique étrangère féministe appartient, en réalité, à cet ensemble d’objets politiques non identifiés auxquels il ne faudrait pas succomber trop vite.

Mélange de bonnes intentions, mais aussi de dérives parfois sectaires, elle n’est pas à l’abri des pires contradictions dont ses plus fervents partisans et partisanes ne sont malheureusement pas toujours conscients. Au service d’un combat juste et honorable, la politique étrangère féminine peut aussi s’embourber dans des attitudes qui nuisent à sa cause. C’est le cas en Iran, mais aussi ailleurs. Qu’y a-t-il donc de si féministe dans le soutien gouvernemental apporté par Annalena Baerbock à son collègue écologiste politique Robert Habeck qui, sous les projecteurs de la presse internationale, n’hésite pas à faire une génuflexion devant l’émir du Qatar, dont l’engagement pour l’égalité des sexes laisse très largement à désirer ? S’arrêterait-elle au seuil de cette realpolitik qui, pour garantir les approvisionnements en gaz, se dévoie aujourd’hui de toutes ces belles déclarations de vertu dont les Allemands aiment pourtant se faire les apôtres ?

Épargnons, toutefois, à Annalena Baerbock le rôle de bouc-émissaire. Prise au piège d’une constellation dont elle n’a pas mesuré toute l’étendue, elle n’est que la victime d’une politique étrangère allemande qui a perdu certaines de ses lettres de noblesse. Que la coalition en poste à Berlin ait beau jeu de rejeter la faute sur les autres, cela ne convainc plus personne.  Son argumentation morale et son plaidoyer pour promouvoir la paix, ne résonnent guère aux oreilles de beaucoup de ses partenaires. Et la politique étrangère féministe n’y changera certainement pas grand-chose !

 

 

 

 

 

Les serpillières politiques de l’extrême droite

Il y a plus de vingt-deux ans, un homme de droite montait au créneau. Son nom Jacques Chirac. Aujourd’hui, il n’y a presque plus de chiraquiens à droite ; que des « serpillières politiques » qui, pour arriver à leurs fins, cirent les parquets de celles et ceux que l’on n’ose même plus appeler les néo-fascistes. Entendez par-là des fascistes en complet veston-cravate ou en ensemble tailleur. Beaucoup plus malins et malicieux que leurs aînés des groupuscules ultra-violents des années septante et quatre-vingt, ils ont réussi un exploit : faire passer un passé qui naguère ne passait pas.

Hier l’Autriche, aujourd’hui la Suède et l’Italie. Et plus que jamais, la Hongrie. L’extrême droite s’est installée en Europe. Destin tragique de l’histoire, l’essence même de la construction européenne est bafouée. Bafouée non seulement par les partis nationalistes, mais aussi par des forces politiques que l’on n’ose même plus qualifier de conservatrices, de populaires, voire de libérales. En 2000, le président français avait sonné la charge contre le gouvernement de coalition qui, à Vienne, réunissait les démocrates-chrétiens de Wolfgang Schüssel et les pseudo-libéraux du FPÖ. À l’époque, ce parti était présidé par l’admirateur de la politique sociale d’Adolf Hitler, à savoir le feu, et très peu regretté, Jörg Haider.

Où sont désormais les Chirac d’antan ? On les cherche en vain. Pas à Stockholm et encore moins à Rome. Qu’ils aient pour noms Ulf Kristersson en Suède, Matteo Salvini ou celui de cet éternel vieillard qu’est Silvio Berlusconi en Italie, ils ne méritent ni respect, ni considération. Même si le premier d’entre eux demeure plus estimable que les deux autres, tous préfèrent les partis extrémismes aux formations démocratiques. Fossoyeurs volontaires ou pas de la pluralité politique européenne, ils sont la cheville ouvrière du retour de l’extrême droite aux affaires. Par conséquent, ils n’ont droit à aucune circonstance atténuante et deviennent non seulement les adversaires, mais aussi les ennemis de ce qui a fait la richesse politique de l’Europe. Car, qu’on veuille l’admettre ou non, toute alliance avec les organisations nées du fascisme n’a jamais renforcé, mais au contraire toujours affaibli la démocratie.

Tant la droite que la gauche s’en trouvent fort dépourvues et désemparées. La première est prête à vendre son âme, la seconde à perdre ses électeurs. Croyant encore que les travailleurs seront toujours à leurs côtés, les communistes et autres socialistes ont oublié que le monde a changé de base. L’internationale ne retentit plus au seul chant des forçats de la faim qui, aujourd’hui majoritairement personnifiés par l’image de millions d’immigrés venus d’ailleurs, ne peuvent pas compter sur la solidarité des ouvriers autochtones privés de toute conscience de classe. Tentés par le vote d’extrême droite, ceux-ci s’en prennent plus volontiers aux plus faibles qu’eux, versant dans un nationalisme situé aux antipodes de la pensée marxiste, selon laquelle les prolétaires de tous pays n’auraient qu’à s’unir pour aspirer ensemble au bonheur du genre humain.

Quant aux conservateurs ou libéraux, leur sort n’est guère plus enviable. Victimes de la sécularisation des sociétés modernes et de la logique implacable d’un néolibéralisme glacial et antisocial, ils ont perdu leur assise populaire qui leur a longtemps assuré une majorité électorale et silencieuse. Une partie d’entre elle, munie ou non de gilets jaunes, a rejoint les rangs de l’extrémisme néo-fascisant, persuadée que celui-ci serait dorénavant mieux à même de représenter les valeurs réactionnaires que la droite traditionnelle avait, en partie, su incarner jusqu’à la fin du 20e siècle.

Partiellement mis au placard de l’histoire, les humanistes catholiques, les chrétiens-sociaux ou les esprits éclairés du libéralisme philosophique n’ont presque plus droit au chapitre. Remplacés par des soi-disant « populistes », ils sont obligés de céder leur place à des « vrais de vrais », à des « réacs pur jus », à ceux qui n’ont pas froid aux yeux pour dénoncer, plus ou moins élégamment, une hégémonie de la racaille, toujours originaire d’autre part. À la droite de la droite, ils bénéficient de nouveaux relais médiatiques et d’une légitimité politique insoupçonnée il y a encore dix ans. Autrefois objets de moquerie, ce sont eux qui de nos jours se moquent de la démocratie apaisée qu’ils exècrent. Ils ont enterré leurs aïeux, font fi de leur héritage et ont enseveli toute forme de honte à s’allier avec la droite extrême qui les chérit tant. Hier, ce fut le cas en Autriche, puis en Hongrie, aujourd’hui en Suède et en Italie. Et demain, à qui le tour ?

 

 

 

Munich, le 5 septembre 1972

Au matin du 5 septembre 1972, le monde se réveilla dans l’effroi et la stupeur. Un commando palestinien venait de prendre en otage des athlètes israéliens dans le village olympique de Munich. Quelques heures plus tard, à plusieurs kilomètres de la capitale bavaroise, onze d’entre eux et un policier, tous innocents, trouvèrent la mort sur l’aéroport militaire de Fürstenfeldbruck. Le lendemain, le président du CIO, l’américain Avery Brundage, prononça sa célèbre phrase, selon laquelle « the games must go on ».

Avait-il pris la bonne décision ou non ? Qu’importe, les jeux olympiques reprenaient leurs droits, toutefois sans la présence du moindre sportif israélien. Le lieu de l’attentat ne devait rien au hasard. Savamment choisi, il devait être perpétré sur le sol allemand. Dirigée à l’époque par le social-démocrate Willy Brandt, la RFA avait tout fait pour faire oublier les olympiades nazies de Berlin en 1936. Munich 72 présentait l’image d’un pays ouvert, démocratique qui, pour la première fois depuis la création de la République fédérale en 1949, était soucieux d’entamer cet indispensable travail de mémoire que Konrad Adenauer et ses deux successeurs chrétiens-chrétiens démocrates, Ludwig Erhard et Kurt-Georg Kiesinger, avaient pris soin de ranger aux oubliettes de l’histoire. Munich 1972, c’était aussi le symbole d’un pays en quête de pardon, de celui qui, en la personne de son chancelier, s’était agenouillé le 7 décembre 1970 devant le monument du ghetto de Varsovie.

En ce 5 septembre 1972, le village olympique fut le théâtre d’un attentat antisémite sur le sol allemand. Et comble de l’horreur, il avait atteint ses objectifs. La cause palestinienne avait trouvé dans le terrorisme une arme politique pour frayer le chemin d’une légitimité que nul ne saurait lui discuter aujourd’hui. Revendiquée par « Septembre noir », organisation issue du Fatha de Yasser Arafat, cette prise d’otages restera toujours gravée dans l’histoire tragique de l’olympisme. Mais plus encore, elle le demeure dans celle d’une génération de l’après-guerre traumatisée par la Shoah. En Allemagne, plus que partout ailleurs, celle-ci découvrait les crimes de l’holocauste, ceux de ses parents, de ses pères et mères auxquels, au risque de connaître la plus douloureuse épreuve de sa vie, elle demanda : papa, maman, qu’est-ce que tu as fait pendant la guerre ?

Dotées d’une architecture futuriste, d’un stade recouvert de son toit en plexiglas, les installations du parc olympique de Munich ne ressemblaient en rien au style néoclassique des bâtiments construits durant le nazisme. Érigées sur le terrain d’un ancien aéroport utilisé par la Luftwaffe jusqu’en 1945, elles étaient aux antipodes d’une Allemagne agressive et féroce. Conçues pour rompre avec le passé, elles retrouvaient, l’espace d’une journée, les crimes et la violence de naguère. Havre de paix, elles se sont transformées en quelques heures en terrain de bataille. Mais l’ennemi ne portait plus l’uniforme de la Wehrmacht ou de la Gestapo, mais celui de terroristes qui, comme les Allemands d’antan, avaient pour principal ennemi les juifs.

Le village olympique de Munich n’a jamais été au diapason d’une Bavière de carte postale. Emblème du modernisme ouest-allemand des années 70, il ne ressemble en rien au conservatisme catholique de sa région environnante. Se voulant, dès son origine, ouvert au monde, il accueille encore aujourd’hui des centaines d’étudiants, dans des bungalows réservés en 1972 aux concurrentes féminines, ou dans le gratte-ciel du Helene-Mayer-Ring, du nom donné à la rue qui porte celui de la seule athlète de confession israélite autorisée à concourir à Berlin en 1936.  En face de bâtiments en terrasses, c’est au 31 de la Connollystraβe qu’eut lieu le drame. Endroit resté volontairement inhabité depuis lors, ne servant qu’à héberger des chercheurs invités du Max-Plank-Institut für Physik, il ressemble pourtant à tous les autres immeubles du quartier. Mais, l’histoire a malheureusement voulu qu’il en soit dramatiquement autrement.

De nos jours, aucun groupe terroriste n’envisagerait d’y commettre le moindre attentat. Placée Aux confins d’une artère et d’un garage sous-terrains, d’une rue piétonne accessible à plusieurs niveaux et d’escaliers entrelacés, la résidence des sportifs israéliens aurait pu facilement être prise d’assaut par n’importe quelle unité spéciale d’intervention. Sauf qu’en 1972, celle-ci n’existait pas. En ce 5 septembre, la police et la politique n’étaient pas prêtes. Pour de viles raisons de fierté nationale ou pour éviter une non-ingérence d’une force extérieure sur leur territoire, les autorités allemandes de l’époque avaient refusé la proposition d’intervention d’un commando venu tout droit de Jérusalem. Beaucoup plus entraîné et aguerri au contreterrorisme, celui-ci aurait pourtant sauvé, selon toute vraisemblance, la vie de plus de dix personnes. Mais, les responsables politiques allemands ne l’entendirent pas de cette oreille. Ils s’embourbèrent dans un conflit stérile de compétences, le gouvernement de Bonn se heurtant à celui régional de Bavière. Chacun d’entre eux voulait tirer son épingle du jeu, avant que la police n’ouvrît malencontreusement le feu sur un hélicoptère qui, sous la riposte des preneurs d’otages, s’enflamma et provoqua la mort de ses occupants. Ce drame eut de nombreuses conséquences sur le plan international. Mais beaucoup moins en RFA. Bien qu’ayant certainement pris de fausses décisions en cette sinistre journée, le Ministre fédéral de l’Intérieur en sortit indemne et, chose impensable de nos jours, continua une très brillante carrière. En 1974, il devint Ministre des Affaires étrangères, poste qu’il occupa jusqu’à sa démission en 1992. Homme clé de l’unification des deux Allemagnes en 1990, il demeure sans nul doute l’un des grands personnages de l’Allemagne du 20e siècle. Hans-Dietrich Genscher n’a jamais subi les contrecoups de l’attentat de Munich. Par contre, comme tous ses collègues, dont au premier chef le futur chancelier Helmut Schmidt, il en tira les enseignements, soutenait la création du groupe d’élite GSG 9 qui, à Mogadiscio le 18 octobre 1977, mit fin au détournement du Boeing Landshut de la Lufthansa et sonna le glas de la bande à Baader. Plus de cinq après, la République fédérale d’Allemagne venait ainsi de prendre sa revanche sur l’attentat de Munich du 5 septembre 1972.