Ignazio Cassis seul responsable de la dégradation de l’image du DFAE ou le mal est-il plus profond?

Il n’a échappé à personne, en Suisse comme à l’étranger, que la Suisse est de moins en moins la Suisse qu’on connaissait, aimait et respectait! La succession des couacs au cours des douze derniers mois ne manque pas d’inquiéter. Plus préoccupant encore, ils semblent constituer dorénavant le fil rouge de notre politique étrangère. Les revirements et les ruptures ont remplacé la continuité, la cohérence, la fiabilité et la prévisibilité. Inutile de s’appesantir sur les symptômes qui ont ponctué ce qui s’apparente à un démontage: l’UNWRA, l’exportation d’armes vers les pays en guerre et en guerre civile, refus de signer le Traité d’interdiction des armes nucléaires, tentative de ne pas adhérer à la Convention des Nations-Unies sur la migration, rupture des relations avec les syndicats dans le dossier européen, interview extrêmement critique envers l’UE dans un important quotidien italien, remise en cause à peine voilée des budgets de la coopération et de la promotion de la paix. N’en rajoutons plus!

Il serait trop facile d’en faire porter la responsabilité au seul Ignazio Cassis. Certes, chacun constate ses difficultés à se sentir à l’aise dans un costume visiblement trop grand pour lui! Comme de surcroît, son intérêt pour les dossiers est probablement limité et qu’il pense avoir été élu “pour changer le cours des choses”, il est évident qu’il n’est pas étranger à ce qu’il se passe. Il a pourtant hérité d’une équipe qui fut loin de démériter les années précédentes. Les agents du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), dans leur ensemble, sont toujours brillants et compétents. Le système de recrutement unique dans l’administration fédérale assure cette continuité dans la qualité.

Ignazio Cassis n’est pas le premier Chef du Département qui n’a pas, lors de sa prise de fonction, de connaissance particulière dans le domaine des affaires étrangères. C’est en fait la règle. Même pour ceux qui ont eu une expérience exécutive cantonale, il n’y a pas de département cantonal des affaires étrangères. Rares en effet sont les expériences antérieures qui peuvent préparer un futur Chef de la diplomatie suisse à ses nouvelles tâches. Ce n’est qu’une fois aux commandes, et grâce à l’équipe de ses diplomates, qu’il deviendra au fil du temps un bon ministre des affaires étrangères. Cela a marché avec la plupart de ses prédécesseurs alors pourquoi ces ratés cette fois?

Pour reprendre une métaphore footballistique, que le prédécesseur de l’actuel Chef du DFAE appréciait beaucoup, lorsque vous avez d’excellents joueurs dans le contingent et que votre équipe squatte les bas-fonds du classement, il y a un problème. Peut-être ne sont-ils pas bien disposés sur le terrain? C’est peut-être là en effet que le bât blesse! Une seule mauvaise décision peut transformer un “winning team” en “losing team”. Si vous confiez arbitrairement les clefs du jeu à un jeune qui compense son manque d’expérience et de qualité par une fougue impétueuse, une ambition débridée et qui manque de respect à l’égard de ses coéquipiers et que vous placez vos meilleurs techniciens à la périphérie, voire sur le banc de touche, cela ne peut pas marcher. Il n’y a plus d’équipe!

Le DFAE a toujours bénéficié d’une grande stabilité s’agissant de ses structures et de ses cadres. Ce fut la recette de sa réussite et sa force. Traditionnellement le numéro deux du Département (Secrétaire d’Etat) était le gardien de l’héritage face ou, de préférence, au côté d’un Chef venant de l’extérieur. Par conséquent était-il d’autant plus important que le titulaire de ce poste clé vienne de l’intérieur et soit suffisamment sénior pour être reconnu et respecté par ses pairs. Il s’imposait naturellement et pouvait compter sur la collaboration loyale et compétente de ces derniers. Qui a oublié Edouard Brunner, Jakob Kellenberger, Franz von Däniken, Michael Ambühl ou Peter Maurer? Eux n’ont pas été choisis par un consultant en RH mais par le Chef comme il se doit! Toute l’équipe assurait la continuité de notre politique, la défense de nos valeurs et de nos intérêts et parvenait in fine à faire comprendre au nouveau ministre, si besoin était, que telle ou telle de ses idées transgressives n’était pas réalisable.

Cet équilibre a été rompu par le prédécesseur d’Ignazio Cassis, en toute (mauvaise) bonne foi. Probablement a-t-il cru faire preuve d’innovation ou se méfiait-il des diplomates!  Il a nommé à cette fonction d’abord quelqu’un d’extérieur au Département et ensuite, curieusement quelques mois avant sa démission, une successeure certes de l’intérieur mais sans séniorité, expérience de conduite ou compétence particulière pour la fonction. Ces personnes ne se sont pas nommées elles-mêmes et ne portent dès lors aucune responsabilité. Pour autant ces nominations ont bouleversé le fonctionnement intérieur et ont pesé sur les structures du Département. Elles expliquent sans doute en grande partie les dysfonctionnents que l’on observe. Ce n’est pas faire preuve de corporatisme que de rappeler certaines règles des succès passés aujourd’hui bafouées!

Ignazio Cassis a donc hérité de son prédécesseur un véritable cadeau empoisonné. Sa responsabilité en revanche réside dans la méthode utilisée pour corriger ou ne pas corriger la situation. Comme son prédécesseur, il a coupé la poire en deux, en nommant un responsable du dossier européen, auquel il a donné de surcroît l’ensemble des relations bilatérales avec les pays européens, tout en conservant une Secrétaire d’Etat dont les compétences se sont réduites comme peau de chagrin. Cette situation, croit-il peut-être, lui offre toute liberté de mener “une autre politique plus à droite” (comme s’il y avait des politiques étrangères partisanes!), et de tenir en respect à la fois les femmes et la gauche. Elle est surtout responsable de la dégradation de l’image d’un Département qui ne nous avait pas habitué à cela.

Le mal est donc plus profond. Pour redonner à notre politique étrangère sa force, des décisions fortes doivent être prises, dans le but de recomposer des structures hiérarchiques solides et compétentes, seules garantes d’un retour à la fiabilité, à la continuité, à la cohérence et à la prévisibilité qui assurait à notre action à l’étranger sa crédibilité.

Le DFAE a la chance aujourd’hui, ce qui était moins le cas autrefois, de compter dans ses rangs une pléthore de grandes diplomates. Je pense à notre ancienne ambassadrice à Berlin, Christine Schraner Burgener, aujourd’hui Envoyée spéciale pour le Myanmar du SG des Nations-Unies, ou Livia Leu, ambassadrice à Paris et beaucoup d’autres moins connues. Même sans “processus de sélection”, surtout sans “processus de sélection” (maladie de notre temps qui a produit en l’occurrence le résultat que l’on déplore!), leurs grandes qualités sautent aux yeux!

Entouré d’une équipe, forte, déterminée, soudée et intransigeante sur les valeurs, qu’il n’a malheureusement pas héritée de son prédécesseur, Ignazio Cassis n’aurait peut-être pas commis ou pu commettre une partie de ses erreurs. Peut-être… Accordons-lui le bénéfice du doute!

 

 

 

 

 

Succession Leuthard: qu’attend le PDC pour sortir de sa manche son Macron?

La démission d’un Conseiller fédéral et l’élection de son successeur sont une étape rituelle centrale, quasi christique, de la grande messe démocratique de la Suisse. Une sorte de transsubstantiation laïque! L’un décide seul du jour et de l’heure de son départ alors que l’autre “offre sa personne à la patrie”. On a coutume de dire que la décision de démissionner est pratiquement la seule importante que prend un Conseiller fédéral. C’est sans doute largement exagéré, tant cette décision n’a au fond pas grande importance, sinon pour lui. Quand au Parlement, il entre en pré-conclave, avant de pénétrer dans la Chapelle Sixtine. Jamais les parlementaires n’ont autant l’impression d’être au centre du jeu. Durant les quelques semaines que dure le processus, ils sont courtisés par les représentants de la presse plus que pendant le reste de la législature. Les plus transparents d’entre eux, ceux qui n’ont généralement guère d’existence médiatique, se pressent pour être sur la photo alors que les stars se prennent volontiers pour des faiseurs de rois. L’ensemble des médias entre en transe et devient monomaniaque! Les citoyens, le souverain dans notre système, ne l’oublions pas, jouent le rôle de figurants entièrement passifs. Ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes, s’ils en éprouvent de la frustration, puisqu’ils ont refusé l’élection directe du Conseil fédéral. Jusqu’à nouvel avis, ils resteront donc dans la salle, alors que la classe politico-médiatique seule occupera le devant de la scène.

En décembre prochain, deux vacances seront à repourvoir. Si du côté du PLR, les jeux semblent faits en faveur de Madame Keller-Sutter, en revanche le PDC offre un désert de candidats valables traditionnels. Ce sont les partis cantonaux qui proposent des candidats, parmi lesquels le parti national choisira le candidat ou le ticket qu’il proposera au Parlement. Pourquoi ne pas inverser le processus? Après tout dans les grands groupes industriels, et les moins grands d’ailleurs aussi, ne charge-t-on pas des chasseurs de têtes de trouver le candidat idéal? Au sein du PDC, ils n’auraient pas à chercher bien loin. Walter Thurnherr, le Chancelier de la Confédération, cela tombe bien, est membre du PDC. Mais au-delà de cette qualité sine qua non, il est une personnalité suisse hors du commun. Ingénieur de formation, il est aussi un gentilhomme du XXIème siècle. Les racines dans l’histoire, il a les ailes dans l’avenir. Aucun des défis de notre temps ne lui est étranger. Son intelligence stratégique lui permet d’aller toujours à l’essentiel. Il s’est trouvé que je l’ai côtoyé au cours de mon parcours professionnel, sans devenir un proche ni être encarté au PDC, ce qui me donne toute liberté pour en parler en toute honnêteté.

Alors bien sûr la classe politique est certainement d’avis que le poste à repourvoir revient, comme une prébende, à l’un ou l’une d’entre elle, blanchi/e sous le harnais. S’il me consultait je dirais au PDC, auquel un passéisme dépassé colle à la peau comme un sparadrap,  qu’en présentant Walter Thurnherr il reviendrait dans le siècle (n’est-ce pas Raymond Loretan qui a accusé le PDC de revenir 50 ans en arrière?). Je lui dirais aussi que Doris Leuthard elle-même l’a délivré de l’obligation de présenter une femme, comme si elle voulait ouvrir la voie à son ancien collaborateur qu’elle a apprécié. Non décidément, cher PDC, vous avez le choix entre offrir au pays un Conseiller fédéral anormalement qualifié, pour la Suisse, ou simplement une prébende à un de vos membres qui n’aurait pas démérité. La Suisse a plus que jamais besoin d’élus qui soient à la hauteur des défis pour agir et non pas de Conseillers fédéraux qui se promènent dans les allées du pouvoir comme des dandys juste satisfaits d’être là.  

Comparaison n’étant pas raison, je terminerais quand même en disant au PDC qu’il a dans sa manche un Macron suisse. A lui de rendre cette candidature possible. Sinon qu’il se contente d’alimenter les tabloïdes avec les déboires extraconjugaux de ses représentants, qu’il garde son sparadrap, qu’il passe au-dessous des 10 % mais surtout qu’il ne se plaigne pas!        

 

 

Sept raisons pour Alain Berset de reprendre les affaires étrangères

Projeter deux Suisse à l’extérieur est suicidaire

Après la démission de Doris Leuthard et de Johann Schneider-Ammann, la prochaine répartition des Départements en décembre prochain pourrait donner à certains titulaires des envies de rocade. Suivant les rumeurs des  “Pas-perdus », qui, comme le disait l’ancien Président de la Confédération Jean-Pascal Delamuraz, contrairement aux athlètes, transpirent avant de courir, plusieurs ministres auraient envie d’aller voir ailleurs si la pelouse est plus verte! Ce sera aussi l’occasion de corriger les mauvais castings voire de retoquer les déficients. L’actuel ministre des affaires étrangères pourrait être concerné. Après un an à la tête de notre diplomatie, le bilan de santé diplomatique du docteur Cassis n’est pas convaincant. Il est quasi invisible, que ce soit sur le front intérieur (au lieu de parcourir le pays et l’arrière-pays pour « défendre sa politique européenne ( ?) » ou, ce qui est paradoxal, sur le front extérieur. Ne répète-t-il pas à l’envi que « la politique extérieure est de la politique intérieure » ? De là à imaginer qu’il allait appliquer à la lettre, en ce qui concerne l’étranger, le mantra qui lui tient lieu de programme…il n’y avait qu’un pas, franchi allègrement par l’intéressé.

La récente présence concomitante à l’Assemblée Générale des Nations Unies à New-York du président et du ministre de la (même ?) Confédération n’aurait pas pu mieux illustrer la discrépance entre le premier, porteur dans le monde de la tradition humaniste et multilatéraliste de la Suisse et le second, tournant avec le vent du temps, populiste, « trumpiste » et plutôt critique à l’égard du multilatéralisme (« ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent », dixit Edgar Faure). Alors que le premier défend une «politique étrangère visible, stable, fiable et prévisible », on a souvent l’impression que le second s’évertue à la rendre invisible, instable, peu fiable et imprévisible! Il est temps de mettre un terme à cette discrépance, sous peine qu’un petit pays comme le nôtre en paye le prix fort. L’occasion de décembre doit être saisie. La solution s’impose d’elle-même : qu’Alain Berset reprenne le DFAE! Le Parti socialiste doit sacrifier les siens aux intérêts supérieurs du pays. D’autant plus que les candidats dont on parle pour succéder aux démissionnaires n’offrent pas toutes les garanties, tant s’en faut, pour, de manière efficace, reprendre immédiatement notre diplomatie en friche depuis un an.

Au moins sept bonnes raisons pour qu’Alain Berset reprenne le DFAE

1. Il s’inscrirait dans la tradition humaniste et multilatéraliste de la Suisse. Au cours de son année présidentielle, il a eu plusieurs fois l’occasion de recadrer son ministre des affaires étrangères à ce sujet. Encore récemment à New-York.

2. Dans le dossier européen, le plus important pour la Suisse, il pourrait recoller les pots cassés avec la gauche, un des principaux soutiens à l’ouverture, sans lequel il est difficile d’imaginer une percée définitive.

3. Il serait le garant que nos politiques de coopération, de promotion de la paix et de défense des droits de l’homme continueraient de bénéficier des moyens financiers nécessaires. Avec l’actuel chef de notre diplomatie la vieille rengaine de la conditionnalité avec la question migratoire s’est à nouveau faite entendre !

4. Il remettrait sur de bons rails, ou s’assurerait qu’ils y restent, des dossiers aussi importants pour notre crédibilité dans le monde que le Traité d’interdiction des armes nucléaires, la Convention des Nations Unies sur la migration, notre soutien à l’accord sur le nucléaire iranien, notre candidature au Conseil de sécurité, l’aide à l’UNWRA et les autres.

5. Il remettrait de l’ordre dans la gouvernance d’un Département qui pèche de plus en plus en la matière à entendre les uns comme les autres. Même sans tendre l’oreille plus que cela, on perçoit l’insatisfaction qui y règne suite à ce qui est perçu comme de l’arbitraire (transferts ou affectations en fonction des allégeances), de l’autoritarisme qui tend à faire disparaitre la diversité des opinions, qui avait toujours fait la force de ce Département, voire même carrément du mobbing contre ceux qui se verraient accuser de déloyauté, pour simplement s’écarter de la pensée officielle. Les récentes mesures en matière de politique du personnel, imposées aux forceps, dont l’essentiel avait été stoppé par Micheline Calmy-Rey, n’ont pas contribué à détendre les rapports de travail dans un ministère dont les personnels sont pourtant traditionnellement plutôt dociles.

6. Pour qu’elle redevienne visible, stable, fiable et prévisible, pourquoi ne pas confier notre politique étrangère à celui qui en parle si bien en Suisse et à l’étranger ? Pour assurer sa pérennité nationale et éviter que la couleur politique du chef du DFAE ne déteigne par trop sur la politique étrangère du pays, la Constitution fédérale a sagement confié sa gestion à l’ensemble du Conseil fédéral. Aujourd’hui on se rend bien compte que malgré cette précaution il y a risque lorsque le responsable de notre diplomatie provient d’un des extrêmes de l’échiquier politique. Qu’on le veuille ou non l’actuel titulaire est plutôt un troisième Conseiller fédéral UDC in petto qu’un deuxième PLR. C’est bien là où le bât blesse !

7. Last but not least, Alain Berset serait le premier ministre des affaires étrangères suisse qui aurait tenté et réussi le Concours d’entrée au service diplomatique!

Merci Ignazio Cassis

Le ministre suisse des affaires étrangères a bien trompé son monde ! On le croyait favorable au lobby des armes. Après tout ne fut-il pas membre, pendant quelques jours ( !) avant son élection, de PROTELL, qui “s’oppose à toutes restrictions de la possession d’armes par les citoyennes et citoyens responsables” ? N’a-t-il pas fait basculer récemment la majorité au Conseil Fédéral en faveur d’une libéralisation de l’exportation de nos armes vers les pays en guerre et en guerre civile ? Or, derrière cette reprise copiée-collée de la requête du lobby des armes ne se cacherait-il pas un plan diabolique pour faire exploser tout le système? Après tout, le ministre tessinois semble apprécier le rôle de dynamiteur en chef, de “lanceur de débats”, comme il l’a montré en mettant le feu au dialogue avec les syndicats dans le dossier européen ou en remettant en question notre aide à l’UNWRA! Pour l’exportation d’armes accordons-lui le bénéfice du doute!

Le conseiller fédéral Cassis doit être remercié !

En fait, grâce à lui, même si c’est à l’insu de son plein gré, un débat national a été lancé. Un de ces débats sur les valeurs qui honore la démocratie en général et la nôtre en particulier. Les prises de parole au Conseil National ont ramené les échanges au niveau qu’ils n’auraient jamais dû quitter : celui de la réputation de notre pays dans le monde et non pas celui des gains supplémentaires marginaux qu’une augmentation de nos exportations d’armes de guerre aurait assurés. Intéressant à ce propos de noter les arguments des partisans de cette mesure « d’assouplissement ». Comme notre ministre démissionnaire de l’économie l’a dit, dans une tentative désespérée de sauver son projet, la mesure n’aurait in fine pratiquement aucun effet sur nos exportations. L’argument est d’autant plus intéressant qu’il complète un autre selon lequel cette réforme de l’ordonnance est nécessaire pour assurer la survie de notre industrie d’armement. De deux choses l’une, soit l’un est correcte, soit l’autre mais pas les deux. Je pense plutôt que les deux sont faux : La survie de notre industrie de l’armement et donc la sécurité de la Suisse ne dépendent pas de cette modification de l’ordonnance. En revanche, cette modification permettrait dans les faits à nos producteurs d’armes de s’ouvrir des marchés qui leur sont aujourd’hui fermés. La morale de cette histoire : même s’il ne souhaitait certainement pas ce résultat, le Conseiller fédéral Ignazio Cassis, le responsable de notre image à l’étranger par ailleurs, aura permis de “lancer un de ces débats nationaux” qu’il semble apprécier, cette fois sur la mise en route d’un changement fondamental de la procédure d’autorisation d’exportation d’armes de guerre. Si le Conseil des Etats confirme la décision du Conseil National, le ministre des affaires étrangères aura rendu, bien involontairement, un fier service aux garants d’une Suisse humaniste.

Nos institutions fonctionnent

Cette mini-tempête aura aussi illustré la vigueur de notre subtil système de prise de décision. L’équilibre entre le peuple, qui s’occupe de la Constitution, le Parlement, qui veille aux lois, et le Conseil fédéral, qui se concentre sur les ordonnances, aura prouvé sa sagesse. Lorsque le gouvernement perd la tête et risque de mettre sérieusement en danger notre image dans le monde, le Parlement prend le relais. Comme je l’ai signalé dans un blog précédent, notre procédure d’autorisation d’exportation d’armes de guerre n’est pas satisfaisante. Si le SECO défend plutôt les intérêts de l’industrie, le DFAE devrait amener dans la réflexion et la prise de décision des arguments en lien avec nos intérêts de politique étrangère, nos valeurs, notre tradition humanitaire. On a même entendu ces derniers temps que le DFAE aurait un droit de véto ! Dans ces circonstances, ce système ne peut fonctionner que lorsque le DFAE joue son rôle. Lorsqu’il s’aligne systématiquement sur le SECO jusqu’à approuver l’ouverture des marchés de guerre et de guerre civile, le mécanisme se grippe. Parler de droit de véto ne fait plus de sens ! Cela n’a marché qu’avec des Chefs de Département profondément humanistes, comme Micheline Calmy-Rey et Didier Burkhalter, qui ont dépensé beaucoup d’énergie à maintenir cette ligne.

Dès qu’ils ont eu le dos tourné, le lobby des armes est parvenu à convaincre le Conseil fédéral de faire sauter la digue. Une victoire à la Pyrrhus, si le Conseil des Etats suit le Conseil National. Sinon le peuple pourrait s’en charger en faisant remonter le dossier au niveau de la Constitution. Une initiative est en route dans ce but. Le lobby des armes doit se mordre les doigts d’avoir eu les yeux plus gros que le ventre. L’honneur de la Suisse en revanche est sauf ! Et notre démocratie sort renforcée avec la belle histoire de cette petite ordonnance que peu de monde connaissait et qui probablement deviendra un jour une loi et peut-être même un article constitutionnel!

Un coup de fièvre helvético-russe

La plus ancienne activité humaine

On a assisté ces derniers jours à une escalade verbale entre Berne et Moscou. La cause de cette poussée de fièvre est une affaire d’espionnage dont Moscou se serait rendue coupable. L’espionnage est sans doute une des plus anciennes activités humaines. C’est peut-être aussi en s’y adonnant que l’Homo Sapiens a vaincu son voisin Néandertalien ! Qui n’a jamais rêvé d’en savoir un peu plus sur ses voisins ? Ce qui est vrai pour beaucoup d’entre nous l’est encore plus pour les pays. Sans remonter aux deux guerres mondiales, on se rappelle les espions fiscaux de Giscard, qui tentaient de pénétrer dans nos banques, et le nôtre en Allemagne récemment. Snowden, le lanceur d’alertes, nous a aussi révélé l’intérêt de la NSA pour la Suisse. Nos chers voisins ne sont certainement pas en reste. La Suisse est un terrain de jeu prisé par les petits et les grands James Bond, amis ou adversaires. Les bars des hôtels genevois leur offrent le cadre feutré qu’ils apprécient. On fait généralement la distinction entre les opérations qui nous sont hostiles et les autres qui concernent des pays tiers, qui s’espionnent mutuellement depuis les toits de leurs représentations et qui nous intéressent moins. Dans ce domaine aussi il y a le petit sommet et le grand corps de l’iceberg. On ne surprend probablement que les maladroits la main dans le pot de confiture. Dans la famille du renseignement on n’est pas loin de penser que les plus actifs sont probablement les plus nombreux et ceux dont on parle le moins. La normalité en somme c’est l’espionnage, l’exception c’est de surprendre un coupable la main dans le sac.

Crise ou pas crise voilà la question !

Que faire lorsque cela se produit ? J’ai été souvent le témoin, en Suisse et un peu partout dans le monde, d’affaires qui se résolvaient la plupart du temps dans la discrétion. Parfois, des pays décident, pour des raisons qui leur sont propres, d’en faire un événement médiatique. Dans la plupart des cas, des expulsions mutuelles et symétriques de diplomates mettent un terme aux affaires les plus sérieuses. Après quelques mois, les contingents des deux représentations retrouvent leurs dotations habituelles, à l’abri des médias qui ont passé à autre chose. Expulser des diplomates offre à un gouvernement le double avantage d’apparaître dur et déterminé sans rien changer fondamentalement aux relations économiques et politiques avec le pays donné. Du gagnant-gagnant ! Mais cela ne se passe pas toujours ainsi !

Jouer des muscles

Un responsable politique peut être tenté, pour des raisons qui lui sont propres, généralement de politique intérieure, de reprendre la balle au bond et de surmédiatiser l’incident. Dans l’affaire qui nous occupe il est difficile de porter un jugement sur les vraies raisons de l’option de l’escalade verbale qui semble avoir été choisie du côté suisse. L’ennui, lorsque l’on joue les Rambos face à un acteur extérieur, à fortiori s’il s’agit d’une grande puissance, est de donner à l’incident une toute autre dimension. Le pays tiers peut surréagir à son tour et l’on risque d’entrer dans une spirale de crise dont la dynamique peut échapper aux deux acteurs. Concernant la Suisse, le passé, comme dans le cas libyen par exemple, devrait nous rappeler qu’il ne faut pas trop compter sur des amis et des alliés en cas de crises. Cela devrait nous dissuader de trop en rajouter et de trop bander nos petits muscles. Nous n’aurions que quelques adeptes de Bodybuilding à l’intérieur pour nous applaudir et personne à l’extérieur pour nous aider à affronter un adversaire de poids.

La discrétion de la bonne vieille diplomatie reste plus efficace et préférable aux dérisoires coups de menton médiatiques ! Dans la boîte à outils de notre ADN il n’y en a guère pour nous aider à bien gérer une crise internationale. Alors autant que possible évitons-les! 

Suisse du CICR versus Suisse exportatrice d’armes

« Le CICR appelle toutes les parties au conflit à protéger en tout temps les blessés et les malades, les personnels de santé, les travailleurs humanitaires et les infrastructures essentielles à la survie de la population – telles que structures médicales, écoles, systèmes d’approvisionnement en eau, boulangeries et terres agricoles –, dans le respect des dispositions du droit international humanitaire. Les blessés et les malades doivent recevoir les soins médicaux qu’exige leur état, sans aucune distinction fondée sur des critères autres que médicaux. »

Au début des « opérations de reconquête » d’Idlib par les forces du régime syrien et ses alliés, ce simple et traditionnel, en pareilles circonstances, communiqué du CICR est glaçant! Rien n’a-t-il changé dans le monde depuis Henri Dunant? Pas grand chose à vrai dire dans le « dark web » humain. L’homme reste un loup pour l’homme, mais un loup « High Tech ». Aujourd’hui il tue avec des armes sophistiquées et à grande échelle. De quoi rendre jaloux les combattants de Solférino!

Nos marchands de canons ont fait céder la digue!

Curieusement, mais, on le lui accorde volontiers, sans l’avoir cherché, le Conseil Fédéral a choisi ce moment pour décider « d’assouplir » l’ordonnance sur les exportations d’armes de guerre, ouvrant le marché lucratif des guerres civiles à nos exportateurs. Cruel clin d’oeil sémantique lorsque l’on sait que cette «action pour rendre plus malléable» n’aura pas seulement l’effet escompté sur la courbe d’exportation de nos armes mais aussi sur celle des morts «swiss  made». Bien sûr il a été communiqué « qu’en aucun cas des exportations vers la Syrie ne seront autorisées ». Au moins depuis la récente publication de l’audit du Contôle fédéral des finances  sur le sujet plus personne n’ignore que ce genre de promesses n’engage que ceux à qui elles sont adressées. Une fois qu’elles ont quitté la Suisse, les armes disparaissent généralement de nos radars. D’ailleurs, honnêtement, à part les journalistes qui est intéressé à leur traçage?

Si une hirondelle ne fait pas le printemps, le départ de l’une d’entre elles en revanche peut tout changer,  en l’occurrence celui de l’ancien Chef des affaires étrangères: le CF Didier Burkhalter. Son combat pour les valeurs était connu et reconnu. Il s’est chaque fois opposé à un tel « assouplissement », sachant quelles en seraient les conséquences sur notre image. Comme il fallait s’y attendre, à son départ, personne au Conseil fédéral, à commencer par son successeur, n’a remplacé son doigt plaqué sur le petit trou pour colmater la fuite d’eau. Sous la poussée des lobbyistes des armes, la digue a logiquement cédé. Dans le monde politique et au Parlement certains s’opposent à cette décision tandis que d’autres, comme récemment une commission du Conseil des États, jouent les Ponde Pilate et se bouchent le nez, les oreilles et la bouche, rappelant que tout cela est de la compétence du gouvernement.

L’urgence d’une réforme

Il ne faudrait pas seulement corriger cette mauvaise décision mais réformer radicalement un défaut structurel dans notre procédure d’autorisation d’exporter des armes. Le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), qui en a la charge, a surtout pour mission d’aider nos exportations. Pourquoi ferait-il une différence entre un canon et une machine à café? Le Département des affaires étrangères, supposé être le dépositaire de notre politique des droits de l’homme et de notre image, était sensé pondéré les décisions du SECO. On a vu ce qu’il advient lorsqu’il ne le fait plus. Il est donc plus que jamais nécessaire de charger un organe supérieur et transversal de cette tâche.

Exporter des armes c’est aussi de la politique étrangère. C’est pour l’avoir oublié que notre gouvernement doit plus que jamais aujourd’hui se déterminer et choisir entre la Suisse du CICR et une Suisse exportatrice d’armes.

La planète a besoin des jeunes

Le 12 juillet dernier, j’ai eu le plaisir et l’honneur de m’adresser aux étudiants francophones de l’Ecole Hôtelière de Lausanne (EHL) et à leurs familles et amis, à l’occasion de la remise des diplômes. J’avais choisi de leur dire tout le mal que je pense des mœurs politiques actuels et de l’urgence que les nouvelles générations changent la donne! C’est aussi l’occasion de dire tout le bien que je pense de cette institution, qui célèbre cette année 125 ans d’innovation et d’excellence et qui est un grand ambassadeur de la Suisse dans le monde. J’ai pu le constater dans chacun des postes où j’ai servi.

Pour celles et ceux qui en ont la patience (20 minutes!) et qui s’y intéressent, je mets ci-dessous le lien de mon intervention:

https://www.mycloud.ch/s/S003E0739FCB3502B3E9A06BF05F86D0D2F05AFC9D0

La Suisse et la Bombe

La Suisse et la Bombe! Une longue histoire! D’abord, après la guerre, nous en voulions une, bien suisse, bien de chez nous! Nous sommes devenus ensuite militants de la dénucléarisation! Nous avons adhéré au Traité sur la non-prolifération nucléaire. Ensuite, nous nous sommes engagés en faveur d’un monde sans armes nucléaires. Au sein des Nations Unies, nous avons contribué activement à l’élaboration d’un projet de Traité pour l’interdiction des armes nucléaires. Ne sommes-nous pas après tout le pays du Droit humanitaire? Qu’y-a-t-il de plus contraire au Droit Humanitaire que l’arme nucléaire? Or, curieusement, après avoir voté en faveur du Traité, notre gouvernement a refusé de le signer. En juin dernier, le Conseil National, par 99 voix contre 87, a adopté la motion du Conseiller national Carlo Sommaruga exigeant “la prompte adhésion de la Suisse au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires”. Dans les jours qui viennent, il reviendra à la deuxième Chambre, le Conseil des Etats, de se saisir du sujet. S’il suit le Conseil National, le gouvernement serait amené à revoir sa décision.

Voici la note, en réponse aux arguments du Conseil fédéral, que je ferais parvenir à mon Conseiller d’Etat, pour le convaincre que la Suisse doit signer ce Traité, si j’étais son assistant parlementaire:  

 

ARGUMENT 1 : plusieurs Etats, dont ceux possédant l’arme nucléaire, ont indiqué ne pas vouloir signer le Traité

Il n’y a quasiment aucun traité qui ait été signé et ratifié par l’ensemble de la communauté internationale en une seule fois. Cela se fait toujours par étapes, à l’exemple de la Convention d’Ottawa sur les mines. La Suisse a signé et ratifié tous les accords de désarmement, bien qu’aucun de ces traités ne soit ratifié par l’ensemble des Etats de la communauté internationale. Pourquoi réserver dès lors un traitement particulier au nouveau Traité ? En adoptant une telle logique, nous pourrions tout aussi bien dire que la Suisse doit quitter le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), signé en 1968 et entré en vigueur en 1970, car près de la moitié des Etats dotés de l’arme nucléaire n’en font pas partie (Inde, Pakistan, Israël et Corée du Nord). La Suisse ne devrait-elle pas se décider de manière souveraine de son adhésion ou non à un traité sans laisser sa décision dépendre de celle d’autres Etats ?

ARGUMENT 2 : les conséquences du Traité sur le TNP ne sont pas claires

Le nouveau Traité vient tout naturellement renforcer une architecture de sécurité internationale dans laquelle – un demi-siècle après son entrée en vigueur – le TNP n’a toujours pas permis au désarmement nucléaire de se réaliser. En fait, le TNP ne permettra jamais de réaliser cet objectif, puisque son libellé n’est pas assez contraignant. Le TNP permet en effet aux Puissances nucléaires de prolonger indéfiniment le statu quo et nous assistons d’ailleurs aujourd’hui à un accroissement quantitatif et qualitatif des arsenaux nucléaires. Le nouveau Traité envoie donc un signal politique fort indiquant que la communauté internationale veut un changement sous la forme d’un outil plus incitatif. Le nouveau Traité s’inscrit donc en complément et non en concurrence avec le TNP. Ce n’est pas l’un contre l’autre, mais l’un et l’autre, et ceci d’autant plus que le TNP contient deux autres piliers – non-prolifération nucléaire et utilisation pacifique de l’énergie nucléaire – qui ne sont pas l’objet du nouveau Traité.

ARGUMENT 3 : le Traité semble de nature purement symbolique et déclaratoire

Cela n’est pas exact. En effet, une fois entré en vigueur, le nouveau Traité produira une norme légale internationalement reconnue et tout Etat qui ne la respectera pas se mettra en situation de violation de cette norme. C’est précisément cet aspect que craignent les Etats dotés de l’arme nucléaire et qui explique leur nervosité, car une telle norme permettra d’exercer une pression continue sur eux.

ARGUMENT 4 : le Traité mettra les « démocraties nucléaires » en position de faiblesse face aux «non-démocraties nucléaires »

L’histoire démontre qu’il est faux d’estimer que – parce qu’elles ont une opinion publique qui les mettrait sous pression – les « démocraties nucléaires» (USA, GB, FRA) seraient en position de faiblesse face à la Russie et à la Chine, qui ne connaîtraient pas de telles pressions de leur opinion publique et que, par conséquent, cela pourrait avoir des conséquences négatives sur la sécurité de la Suisse. En effet, lorsqu’un Etat nucléaire « démocratique » – les USA en l’occurrence – a décidé de faire un pas substantiel dans le désarmement nucléaire, il a toujours mis la pression sur l’Etat nucléaire «non démocratique », l’URSS puis la Russie en l’occurrence, pour que ce dernier le suive. Cela fut le cas lors des Accords de limitation des armes nucléaires SALT I (Nixon-Brejnev 1972) et SALT II (Carter-Brejnev 1979), lors des Accords de réduction des armes nucléaires START I (Bush-Gorbatchev 1991), START II (Bush-Eltsine 1993) et New START (Obama-Medvedev 2010), ainsi que lors de l’Accord antibalistique ABM (Nixon-Brejnev 1972) – que les USA ont dénoncé en 2001 – et l’Accord contre les missiles nucléaires à courte et moyenne portée INF (Reagan-Gorbatchev 1987).

ARGUMENT 5 : la Suisse ne doit pas provoquer les Etats nucléaires en signant le Traité, mais continuer de soutenir les efforts de désarmement nucléaire dans les forums adéquats, comme le TNP, et jouer le rôle de «bâtisseur de ponts »

Soutenir les efforts de désarmement nucléaire dans les forums adéquats, c’est précisément ce qu’a fait la Suisse depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. C’est en effet dans le cadre de la Conférence de 2010 du TNP que notre pays a initié le mouvement qui a abouti aujourd’hui au nouveau Traité. Les instructions du Conseil Fédéral données à la délégation suisse pour cette Conférence mentionnaient la promotion de la thématique de dé-légitimation des armes nucléaires. C’est en ce sens que la Conseillère Fédérale Micheline Calmy-Rey, alors Cheffe du DFAE, déclarait le 3 mai 2010 à la tribune des Nations Unies :

« L’arme nucléaire est illégale de par sa nature-même au regard du droit international humanitaire. Elle frappe sans distinction aucune et son utilisation viole sans exception les principes et règles fondamentaux du droit international humanitaire. Nous ne voyons pas de cas de figure dans lequel cette arme pourrait être utilisée sans contrevenir au droit international humanitaire. Du fait qu’une éventuelle guerre nucléaire mettrait en péril la survie-même de notre humanité, la réflexion doit être lancée de savoir si son emploi serait légitime, quel que soit le motif de légitime défense invoqué. Il s’agit donc pour la Suisse de ramener la composante humanitaire au cœur du débat sur le désarmement nucléaire. Il s’agit, de se poser la question de savoir à partir de quel moment le droit des Etats doit s’effacer devant les intérêts de l’humanité. Il s’agit en définitive de mettre à terme hors-la-loi l’arme nucléaire, au moyen d’une nouvelle convention ».

Le nouveau Traité découle donc directement de la position du Conseil Fédéral de 2010, suite à laquelle la Suisse a été très active dans le désarmement nucléaire. Le DFAE a ainsi organisé plusieurs études et conférences, bénéficiant à cet effet d’un crédit de 1 mio CHF par an du Parlement pendant plusieurs années. L’organisation ICAN, qui a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2017, a été l’un des bénéficiaires directs de ce soutien financier et n’aurait probablement pas pu développer ses activités sans le soutien politique et financier de la Suisse.

Pourquoi le Conseil Fédéral se refuse-t-il dès lors de cueillir aujourd’hui les fruits obtenus grâce aux dix ans d’efforts initiés par la Suisse dans ce forum adéquat ?
Quant au rôle de « bâtisseur de pont », cela n’est pas possible pour deux raisons. Tout d’abord, en ne signant pas le nouveau Traité, la Suisse perdrait énormément de crédibilité dans le monde multilatéral, que ce soit en terme de prévisibilité, de Droit International Humanitaire ou de défenseur de la place de Genève. Certains Etats pourrait se demander également pourquoi la Suisse veut entrer au Conseil de Sécurité des Nations Unies alors qu’elle refuse d’adhérer à un Traité issu de ce même système onusien. En conséquence, nos « like-minded » (pays politiquement proches) traditionnels pourraient ne plus nous faire confiance. De l’autre côté du pont, il y a les Etats dotés de l’arme nucléaire qui. eux, ne veulent … tout simplement pas de pont !

ARGUMENT 6 : la Suisse ne doit pas signer le Traité car, en cas de risque d’invasion, elle doit finalement pouvoir compter sur le parapluie nucléaire des Alliés, à savoir de l’OTAN

Mis à part le fait qu’il remet fondamentalement en question la neutralité de la Suisse, cet argument ne tient pas pour une simple raison géographique. En effet, tout scénario d’une invasion potentielle de la Suisse par un non-membre de l’OTAN – la Russie en l’occurrence – signifierait que, pour des raisons géographiques évidentes, l’ancienne Europe de l’Est aurait déjà été envahie. Comme la totalité de ces Etats sont aujourd’hui membres de l’OTAN, l’Alliance aurait déjà dû dans un tel cas de figure activer son Article 5 et serait donc déjà entrée en guerre contre la Russie avec une probable utilisation de l’arme nucléaire de part et d’autre. Ce scénario hautement spéculatif rendrait de toute façon caduque tout parapluie nucléaire pour la Suisse, puisque l’Europe serait déjà probablement dévastée par l’arme nucléaire.

L’Autriche – qui bénéficie également du statut de neutralité et qui se trouve dans une même position géographique que la Suisse – a signé et ratifié le nouveau Traité. Le fait que le Conseil Fédéral se refuse de faire de même pourrait être interprété comme s’il y avait différentes lectures possibles de la neutralité. Ce développement est dangereux, car il affaiblit le concept même de la neutralité suisse.

ARGUMENT 7 : la dissuasion nucléaire est un facteur de sécurité nationale et internationale

Cet argument ne résiste ni à l’histoire ni aux perspectives futures. En effet, la dissuasion nucléaire n’a jamais empêché des attaques contre les Etats dotés de l’arme atomique, voire la défaite de ces derniers. Il en va ainsi de la défaite des USA au Vietnam, de celle de l’URSS en Afghanistan, de la guerre sino-vietnamienne de 1979, de celle des Malouines ou du départ de la France d’Algérie. Par ailleurs, le risque de terrorisme nucléaire – à savoir une utilisation ou un lancement provoqué par un acteur non-étatique – s’accroît de manière exponentielle avec l’évolution rapide du domaine cybernétique et de l’intelligence artificielle. Ces progrès techniques rendent aujourd’hui extrêmement dangereuse la poursuite d’une philosophie sécuritaire basée sur le vieux concept de l’«équilibre de la terreur ».
De plus, le principe de l’« équilibre de la terreur » ne fonctionne que pour autant que nous ayons des Chefs d’Etat sages et rationnels. Ceci n’est malheureusement plus le cas, de nombreux leaders aujourd’hui utilisent fréquemment la rhétorique nucléaire dans leurs discours.

Enfin, l’opposition des Etats dotés de l’arme nucléaire au nouveau Traité – ainsi que leurs programmes continus de renforcement quantitatif et qualitatif de leurs arsenaux nucléaires, notamment dans le domaine des « mini-nukes », rendant ainsi plus probable une utilisation « limitée et contrôlée » de l’arme nucléaire – va pousser certains Etats en danger à se dire que, si ce type d’arme est toujours aussi indispensable à la sécurité des Grands, il pourrait aussi se révéler indispensable à la leur. La permanence et l’amélioration des arsenaux nucléaires constituent donc un sérieux facteur de prolifération nucléaire et, par conséquence, d’insécurité internationale.

50 ans après l’entrée en vigueur du TNP, il est donc temps pour la communauté internationale d’envoyer un signal politique fort via le nouveau Traité au libellé plus contraignant que celui du TNP.

ARGUMENT 8 : le Traité n’a pas été rédigé de façon adéquate

Dans son intervention de juin au parlement, le ministre suisse des affaires étrangères déclarait avoir mis des questions sur la table lors de la négociation à New York du nouveau traité. Nous pouvons supposer qu’il a reçu des réponses suffisamment satisfaisantes, puisque la Suisse ne s’est pas opposée au nouveau traité lors de son approbation en juillet 2017 par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Dès lors, pourquoi s’opposer maintenant à sa signature et ratification ? Il aurait fallu le faire au moment du vote si nous n’étions pas satisfaits. N’oublions également pas que, comme tout traité multilatéral, celui-ci aussi sera sujet à un processus d’examen dans les années futures et il sera toujours temps pour les nouvelles générations de diplomates suisses d’y apporter leurs idées en vue de le renforcer.

Jouer au flipper versus renforcer la coopération internationale

A ma retraite, je comptais changer radicalement de film, m’intéresser à toute autre chose que ce à quoi j’avais consacré 35 ans de ma vie professionnelle : la politique étrangère. Non que le sujet ait cessé de m’intéresser. Bien au contraire ! Mais pour autant, j’étais et je reste convaincu qu’il faut savoir sortir de sa zone de confort, tourner la page et se remettre en question. Un acte de « fairness » aussi à l’égard des nouveaux ! D’ailleurs, la surexposition des « ex » sur les plateaux tv, les chaînes radio ou dans les colonnes des journaux qui ont survécu ne m’a jamais beaucoup intéressé. La permaculture d’altitude ou la culture biologique voilà des domaines passionnants et qui me sont encore inconnus ! Or, j’ai moins été rattrapé par le virus de l’international que plongé dans l’inquiétude par certains développements sur la scène internationale et suisse au cours des derniers mois voire années !

L’occasion manquée de l’implosion soviétique

Je fais partie de ceux qui sont convaincus que notre génération a raté le rendez-vous de l’après-guerre froide. A partir des années 90, nous avions l’unique occasion de construire sur un continent européen enfin réuni une nouvelle « maison commune », comme l’avait appelée de ses vœux Gorbatchev, et un monde multipolaire et solidaire. Nous n’avons pas réussi à profiter de l’implosion de l’Empire soviétique pour changer les choses.

Je me souviens encore de toutes ces rencontres que nous organisions en Suisse entre représentants russes et américains au cours de la première décennie du nouveau siècle. Assister à la réconciliation des filles et fils d’Hemingway et Tolstoï avait quelque chose d’excitant. Nous retrouvions l’exaltation de notre jeunesse lorsque nous contemplions, l’espoir chevillé au cœur et au corps, un avenir de tous les possibles. Il est difficile aujourd’hui d’imaginer ces soirées festives qui suivaient les séances de discussions animées en anglo-russe de la journée, quelque part dans les Alpes ou au bord du Léman. Si quelqu’un nous avait dit en 2010 que moins de dix ans plus tard une nouvelle guerre froide s’abattrait sur le continent européen, peu de monde, à part les éternels pisse-froid, ne les aurait crus. Bien sûr, certains d’entre nous se plaisaient à rappeler que les « Kaltkrieger » (les “spécialistes” de la guerre froide) continuaient à occuper de nombreux bureaux à Washington, Moscou ou Bruxelles (OTAN), appelant de leur vœu le retour de ce manichéisme qui les rassurait tant ! Mais nous étions convaincus que l’histoire leur donnerait tort.

Ce n’est pas le moment ni le lieu de nous étendre sur les occasions manquées (absence de plan d’aide à la construction d’une Russie démocratique et libre de ses kleptocrates et oligarques ; intervention de l’OTAN dans les Balkans ; Kosovo ; élargissement de l’OTAN jusque sur les frontières russes contrairement aux promesses ; l’inconsidération voire le mépris occidental à l’égard de la Russie…). J’assume sans complexe le qualificatif de «Putinversteher » que ceux qui pensent ainsi se voient attribuer en Allemagne, si cela signifie refuser d’accuser le président russe de tous les maux du monde actuel. Les responsabilités sont beaucoup plus complexes et partagées. Nous, les Occidentaux, y avons largement notre part ! Un «Putinversteher » je le suis aussi volontiers si cela signifie être convaincu que la vraie sécurité du continent européen passe par une normalisation de nos relations avec la Russie. Je ne pense pas qu’il y ait de gagnants avec la réouverture voire l’élargissement du fossé Est-Ouest, à part les marchands d’armes et ceux qui ont les yeux rivés sur le rétroviseur de l’histoire.

Tout n’est pas à jeter chez Trump

Je ne vais pas en rajouter dans « l’anti-Trumpisme ». Mais, au risque de surprendre plus d’un, j’avoue que certains aspects non pas de sa politique internationale (en-a-t-il une à part faire le contraire de son prédécesseur B. Obama ?) mais de ses initiatives ne m’ont pas déplu. Briser les codes et les tabous, comme lorsqu’il a rencontré Kim le Nord-coréen ou Poutine récemment à Helsinki, dans une atmosphère pourrie de « néo-guerre froide », est bienvenu. Même si cela ne devrait pas aller de pair avec une détérioration de ses relations avec ses alliés occidentaux. D. Trump semble plus à l’aise avec les dictateurs qui dirigent leurs pays comme il dirigeait son entreprise et comme probablement il souhaiterait diriger les USA. Sa volonté affichée pendant la campagne de normaliser les relations avec la Russie n’a pu être concrétisée pour les raisons que l’on sait. Peut-être d’ailleurs que rien n’aurait changé fondamentalement tant l’homme est imprévisible et incohérent. Dommage ! L’occasion était belle pourtant de changer de logiciel après les années de l’Administration Obama qui n’avait rien fait, c’est le moins que l’on puisse dire, pour apaiser les tensions sur le continent que ce soit en Ukraine ou avec la Russie.

La mauvaise pente populiste

Aujourd’hui, dans nos pays, la politique étrangère est de plus en plus conduite par des politiciens à tendance populiste voire carrément des populistes. On nous rappelle sans cesse, fort justement d’ailleurs, que toute politique étrangère est d’abord de la politique intérieure. Or, pour un populiste, au lieu d’impliquer un engagement à rassembler des majorités d’idées, cette formule signifie trop souvent l’instrumentalisation de sujets de politique étrangère à des fins personnelles ou partisanes. L’objectif n’est plus de susciter un large consensus à l’intérieur mais de provoquer des polémiques. Cette «trumpisation » des esprits qui n’épargne pas de nombreux responsables politiques en Europe et ailleurs, y compris des ministres des affaires étrangères, est regrettable. Traditionnellement, la politique étrangère d’un pays devrait transcender les modes, les époques et les partis. En Suisse comme ailleurs on en est loin aujourd’hui. Les questions migratoires ne sont plus des tragédies humaines mais des occasions de faire jouer ses muscles et de (re)monter accessoirement dans les sondages ; l’UNWRA n’est plus une organisation d’aide aux Palestiniens mais un obstacle vers la paix ; exporter des armes vers des pays en guerre ou en guerre civile n’est plus un tabou absolu pour un pays comme la Suisse avec sa tradition humanitaire ; le refus de signer un traité de bannissement des armes nucléaires, qui a longtemps constitué un de nos objectifs de politique étrangère, ne choque plus grand monde !

La principale cohérence sur la scène internationale aujourd’hui est qu’il n’y en a plus. Or, cette situation est d’une extrême gravité. Les défis globaux sont restés : pauvreté, réchauffement climatique, migrations, essoufflement de notre modèle économique créateur de disparités allant croissantes nationalement et globalement. S’y sont ajoutées de nouvelles menaces, suite à l’implosion sous nos yeux du système de coopération multilatérale mise en place au cours de la deuxième partie du 20ème siècle et au grand retour du protectionnisme, du nationalisme et des antagonismes entre nations. Ces vagues de fond semblent tout emporter sur leur passage. Les forteresses réputées les plus imprenables, comme l’UE, les pays les plus acquis au multilatéralisme, comme la Suisse, n’y échappent plus.

Le moment de se ressaisir

Cette nouvelle donne, regrettable et inquiétante, m’incite modestement  à venir partager ici ma part de vérité et ma manière de voir. Chaque politique accédant à des fonctions exécutives est d’abord naturellement un apprenti. C’est l’apprenti-sorcier, qu’il devient parfois par intérêt personnel ou par choix, qui doit nous interpeller ! Lorsque nos leaders, au gré de « tweets et interviews transgressifs », semblent confondre la planète avec un flipper géant, les risques de blocages et d’explosions sont bien réels. C’est qu’au contraire de la coopération internationale le jeu de flipper est individuel et ne laisse au final que des perdants, car la dernière balle, comme toutes les autres, finit toujours par disparaître. En outre, à force de le brusquer et de le maltraiter le monde pourrait aussi « faire tilt » !
Le moment est arrivé de se ressaisir au risque de devoir dire à ses petits-enfants « j’y étais et je n’ai rien fait » !