Cannes 2014: un prix qui lui va à merveille

Elle a remporté le Grand prix spécial du Jury avec son deuxième long métrage. C’est dire si la jeune réalisatrice italienne Alice Rohrwacher, 31 ans, a de l’avenir devant elle. Sœur de l'actrice Alba, véritable star du nouveau cinéma italien, elle donne aussi avec Le meraviglie (Les merveilles) une belle récompense à la Suisse. Car son film est coproduit par Tiziana Soudani et la société tessinoise Amka Films, tout comme l’avait été son premier long métrage, Corpo celeste, présenté il y a deux ans à la Quinzaine des réalisateurs.

Nul doute que Jane Campion, présidente du jury cannois, a su défendre le travail de la jeune réalisatrice. Par solidarité féminine, peut-être (et il y aurait de quoi, les palmarès cannois sont particulièrement misogynes). Mais surtout parce qu’il y a du Sweetie en Alice. Une même façon de créer un univers par petites touches sensibles et rugueuses. Une même manière de diriger les adolescentes. Et, quoi qu’il en soit, je ne peux que lui donner raison. J’espérais secrètement que ce film remporte une médaille. Car depuis que j’ai vu cette merveille, j’ai des étoiles dans les yeux.

De quoi ça parle, Le meraviglie? D’une famille d'apiculteurs travaillant encore à l'ancienne, en Toscane, dans une vieille ferme déglinguée tout comme la famille qui l’habite. Avec le père autoritaire, allemand écolo revenu des années de communautés et de révoltes marxistes. Avec la mère qui essaie tant bien que mal de préserver l'essentiel de son couple et de sa famille. Avec l'amie Cocò qui fait office de maman de substitution, peut-être ancienne relation du père. Et puis avec les quatre filles, emmenées par Gelsomina l'aînée, adolescente presque femme – dont le prénom évoque, évidemment, le personnage de Giulietta Masina dans La strada de Federico Fellini. Ils vivent tous dans une ancienne ferme plus ou moins retapée entre Toscane et Ombrie et survivent tant bien que mal entre les pesticides des voisins qui tuent les abeilles et les nouvelles normes sanitaires eurocompatibles qui imposent des règles plus qu’ésotériques.

Le meraviglie décrit un monde qui, à sa manière, appartient au rêve, une sorte d’Eden presque impossible à réaliser dans les contraintes sociales et économiques du monde moderne. Jusqu’au moment où Gelsomina confronte cet univers à un autre rêve, celui qu’incarne pour elle la télévision et son icône, une présentatrice incarnée (magnifiquement) par Monica Bellucci. La jeune fille inscrit en secret sa famille pour participer à un jeu télévisé censé valoriser les traditions agricoles locales qui proviennent – dit la télé – directement des Etrusques, les mystérieux ancêtres de ces terres de Toscane.

Bien évidemment, à la télé, la famille de Gelsomina fera pâle figure, ne sachant pas se vendre au contraire du fabricant de saucisses… Mais si elle ne gagne pas à ce jeu de dupes, elle affirme une voix discordante qui refuse cet univers de clinquantes apparences et préfère la rudesse de la nature. Comme la piqûre des abeilles qui vous donnent la magie du miel.

Critique d’un monde (l’Italie?) qui a perdu ses repères, ses valeurs, sa culture, au profit d’un mensonge médiatique et politique, le film tient aussi du parcours initiatique: Celui de Gelsomina qui se cherche une identité propre entre sa famille et le monde extérieur, dans le difficile passage à l’âge adulte. Au final, Le meraviglie est un conte tragique, magique et merveilleux; une fable écologique et humaniste sur ce tout ce que nous sommes en train de perdre si nous n’y prenons garde. 

Frédéric Maire

Frédéric Maire est directeur de la Cinémathèque suisse. Journaliste et réalisateur, il a co-fondé le club de cinéma pour enfants La Lanterne Magique en 1992 et dirigé le Festival international du Film de Locarno de 2005 à 2009.