Cannes 2014: Les chiens sont lâchés

Ce n'est pas une métaphore. Les chiens étaient littéralement lâchés sur l'écran du festival dans le film du hongrois Kornél Mundruczó White God (Dieu blanc), présenté à Un certain regard, où une meute de chiens bâtards échappés du chenil sème la terreur dans la ville, désertée de toute figure humaine. Dans cette cité qui pourrait être Budapest, il ne fait pas bon être bâtard. Seuls les chiens de race y ont droit d’exister. Et quand la fille du professeur revient à la maison avec un chien sans pedigree, il l’oblige à l’abandonner. Mais leur lien est trop fort. Elle part à sa recherche. Et pendant ce temps son chien, battu, méprisé, condamné, va littéralement provoquer la révolte des siens…

On l’a compris, White Dog parle des chiens pour mieux parler des hommes. De leur violence. De leur cruauté. De leur fascisme. Il parle aussi, bien sûr, de la Hongrie d’aujourd’hui. Mais évoque bien des réalités d’ailleurs. C’est un des premiers films que j’aie vu, cette année, au Festival. Mais il reste en mémoire. Les scènes de poursuite avec des centaines de bêtes lancées dans la ville sont parmi les plus beaux moments de cinéma vu sur la Croisette.

C'est encore un chien gris qui sert de guide à l'étrange voyage initiatique de l’Argentin Lisandro Alonso, Jauja, lui aussi présenté aussi à Un certain regard. Apparu de nulle part, dans les paysages lunaires de la Patagonie, ce chien emmène un colonel danois qui a perdu sa fille dans la nature. Il attend patiemment que le colonel le suive et l’accompagne jusqu’aux fantômes qu’il devait sans doute rencontrer. A la fois contemplatif et parfaitement allumé, le film de Lisandro Alonso joue sur la confrontation entre l’espace et son acteur, Viggo Mortensen, qui a accepté pour le coup de s’investir (et de coproduire) un vrai film d’auteur. Même si le résultat s’avère un peu trop posé, mis à distance du spectateur, il reste lui aussi un des plus beaux moments de cinéma vu à Cannes ces derniers jours.

Des chiens, toujours, il y en avait l’autre soir sur la rue d'Antibes, les (modestes) Champs Elysées cannois. C’était un autre type de meute. Devant l'entrée du cinéma Star, Un attroupement inouï de journalistes, photographes et badauds en tous genre se poussaient des coudes pour attendre la sortie du film Welcome to New York, le film sulfureux de Abel Ferrara sur l'affaire DSK. Exclu de la sélection officielle, le film a été projeté dans le cadre du marché, simultanément dans deux salles parallèles.

Mais les stars du film (et notamment l’interprète principal Gérard Depardieu) sont sortis par derrière, à côté du Petit Majestic, un bistrot très prisé par les festivaliers en fin de soirée. La meute a alors débarqué, bruyante, hurlante, coincée entre les limousines venues embarquer la troupe. Personne ne se souciait de Ferrara, rigolant du foutoir ainsi créé.

Le film n’était pas en sélection officielle. Mais tout le monde a parlé de lui. Moi compris.

Frédéric Maire

Frédéric Maire est directeur de la Cinémathèque suisse. Journaliste et réalisateur, il a co-fondé le club de cinéma pour enfants La Lanterne Magique en 1992 et dirigé le Festival international du Film de Locarno de 2005 à 2009.