Je ne sais pas si quelqu'un l'a remarqué (peut-être pas d'ailleurs) mais cela faisait un bail que je ne "postait" pas un texte ou une image sur ce blog qui tourne autour du cinéma. Le temps passant, et le travail aidant, j'ai perdu le rythme… et le réflexe d'écrire quelques lignes. Donc me revoilà. De retour de Lyon (ou plutôt du Grand Lyon, dit aussi la Métropole) où se déroulait jusqu’à dimanche la 8ème édition du Festival Lumière, la grande manifestation initiée par le maire Gérard Collomb, le président et le directeur de l'institut Lumière – respectivement le réalisateur Bertrand Tavernier et le patron du Festival de Cannes Thierry Frémaux. Un festival de cinéma dont la particularité est de ne présenter que des films dits "du patrimoine" qui, par leur âge, appartiennent à l'histoire mondiale du cinéma.
Dans la cité des frères Lumière, inventeurs du cinématographe il y a 121 ans, l'événement est presque naturel. Mais sa force est de réunir une semaine durant non seulement des centaines de professionnels, mais aussi des milliers de spectateurs, jeunes et vieux, qui remplisse la quarantaine ( !) de salles du festival quasiment en permanence… Y compris certains grands espaces équipés pour l’occasion et destinés à des événements qui réunissent souvent plus de 4000 personnes !
Pas de compétition, pour ce festival. Forcément, dira-t-on. Comment départager les versions restaurées Lawrence d'Arabie de David Lean avec Quai des brumes de Marcel Carné et Manhattan de Woody Allen? Par contre un prix, le prix Lumière décerné chaque année à une grande figure du cinéma pour sa «contribution exceptionnelle à l’histoire du cinéma». Et pas n’importe lesquelles! Après Clint Eastwood, Milos Forman, Quentin Tarantino, Gérard Depardieu, Ken Loach, Martin Scorsese et Pedro Almodóvar, c'est (enfin) une femme qui a été honorée: la comédienne Catherine Deneuve (j’y reviendrai).
Un festival de passeurs
L’une des grandes idées de Thierry Frémaux est d’avoir demandé à ses amis cinéastes, comédiens, techniciens, producteurs, journalistes et gens de cinémathèques (et dieu sait que son carnet d’adresse est vaste) de venir à Lyon présenter des films qu’ils aiment, voire établir eux-mêmes une ligne de programmation. J’ai par exemple vu le cinéaste Philippe Le Guay (Les femmes du 6ème étage, Alceste à Bicyclette) et la comédienne Laure Marsac présenter avec bonheur un film de Ernst Lubitsch !
On croise dans les salles Vincent Perez, Dominique Blanc, Marisa Paredes, Régis Wargnier, le chanteur Christophe ou le comique Laurent Gerra (venu en voisin). Le réalisateur de Driven Nicholas Winding Refn montre son deuxième film, Bleeder, tout juste restauré. Le Festival rend hommage aux cinéastes Walter Hill, Park Chan-Wook, Jerry Schatzberg ou la comédienne Gong Li. Quentin Tarantino, devenu un habitué du festival depuis son prix en 2013, projette une sélection de films réalisés durant l’année charnière 1970. Et Catherine Deneuve a fait le plein, dimanche, à la halle Tony Garnier, en venant présenter la version restaurée de Indochine de Régis Wargnier.
Il faut aussi mettre chapeau bas face au bondissant Thierry Frémaux qui semble être partout à la fois dans sa ville de Lyon et dans son festival. Plus cordial et accueillant que jamais, il sillonne la ville en vélo (si, si, je l’ai vu !) présentant des films et des invités à tour de bras. N’hésitant jamais à faire la fête jusqu’au bout de la nuit, il entraîne le public à adorer les films Lumière par ses commentaires éclairés (et souvent drôles) et réussit à faire chanter un karaoké géant (Dieu est un fumeur de Havane de Serge Gainsbourg interprété en duo avec Catherine Deneuve dans le film de Claude Berri Je vous aime) à plusieurs milliers de personnes lors de la remise du prix à la grande comédienne. Frémaux n’hésite pas non plus à célébrer les arts de la table lyonnaise, recevant tout le ban et l’arrière ban du cinéma dans un fameux restaurant et en proposant en matinée, à tous les festivaliers, de déguster un fameux «mâchon». Ce qui ne gâte rien.
Catherine Deneuve, ou l’image du cinéma
Dans le cadre du festival, le Prix Lumière 2016 a donc (enfin) été remis à une femme: la comédienne Catherine Deneuve. Et c'est dans un centre des congrès plein à craquer (4000 places !) que le public lui a rendu hommage, debout, standing ovation pour une actrice qui incarne à elle seule plus de 50 ans du cinéma français.
Parmi ceux qui ont parlé d'elle sur la scène, Vincent Lindon lui a destiné un texte d'une vibrante intelligence, alors que Lambert Wilson (actuellement sur les écrans en commandant Cousteau) a chanté en duo avec la soprano Nathalie Dessay la chanson Marins, Amis, Amants ou Maris des Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, et que Roman Polanski – qui l’a dirigée dans Répulsion – lui a juste remis le prix en lui disant «Je vous aime». Bertrand Tavernier, enfin, président de l’Institut Lumière, lui a récité – de mémoire !– un haïku japonais qui lui va comme un gant : "Puissance du vent dans les saules. Poussière dorée dans le crépuscule. L'éclat des fleurs de cerisier. Elle illumine la chambre."
Petit regret toutefois: personne n'a rappelé la mémoire de Anne Germain, récemment disparue, chanteuse qui fut la voix de Deneuve dans Les demoiselles de Rochefort et Peau d’âne. Et j'aurais bien voulu voir apparaître Jacques Perrin qui a incarné par incarnait le marin amoureux des Demoiselles de Rochefort et le prince charmant de Peau d’âne.
La cérémonie fut belle, et impressionnante par la masse de gens présents – et fervents – pour célébrer celle qui est à sa façon (comme l'a rappelé Thierry Frémaux, je crois) une "cinéaste" car son apport sur tous les films qu'elle a tourné joue autant de rôle que celui des réalisateurs qui l'ont fait tourner.
Enfin, pendant que le public a (re)vu Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau, qui était là, j'ai eu l'insigne honneur de dîner dans les impressionnants salons de l'Hôtel de ville où s'exprime tout le passé régalien de la République. Et de voir comment la ville et la métropole s'investissent pour soutenir l'événement, on ne peut qu'être ébahi. Comme si le cinéma, et plus encore son histoire, valaient autant d'or que les autres arts dits "nobles". C’est sans doute évident pour les Français. Ça l’est un peu moins dans le reste du monde où le cinéma est au mieux considéré comme un art mineur, un art forain, un divertissement, voire une opération commerciale. Alors chapeau, Lyon. Et bravo la France.