Do you know Henri Langlois?

Connaissez-vous Henri Langlois ? Cette question, je l’ai souvent posée à de jeunes (et parfois moins jeunes) amateurs de cinéma. Suisses, mais aussi français ou italiens. Et très rares étaient ceux qui me répondaient oui. Pour la plupart, c’était un acteur, un écrivain, ou même un parfait inconnu. Et pourtant, sans lui, une bonne partie du cinéma mondial n’existerait tout simplement plus. Henri Langlois, qui aurait eu 100 ans cette année, a été le fondateur de la Cinémathèque française en 1936, avec Georges Franju et Jean Mitry, et son directeur pendant près de 40 ans. Il a aussi activement contribué à la création de la Fédération internationale des Archives du Film (FIAF), en 1938. Et il a «fécondé» des institutions sœurs un peu partout en Europe, à l’image de la Cinémathèque suisse.

En effet, c’est lors d’une exposition intitulée Images du cinéma français au Palais de Rumine, à Lausanne, en 1945, que Freddy Buache rencontre Langlois, et entre en contact grâce à lui avec les animateurs du ciné-club de Lausanne Claude Emery (futur premier directeur de la Cinémathèque suisse) et René Favre (futur président). C’est encore Langlois qui aide les Lausannois à définir les statuts de la nouvelle association. C’est lui qui, en mettant la main sur l’épaule de Buache, de 10 ans son cadet, en l’adoubant en quelque sorte, va l’entraîner de le tourbillon de la conservation et de la mise en valeur du cinéma.

Ce que Langlois a fait à Lausanne, il l’a fait aussi ailleurs. En incitant à la naissance de nombreuses cinémathèques. En favorisant les voyages de copies. En copiant les copies afin d’en avoir des doubles. Sans lui, nombre de films auraient tout simplement disparu.

A Paris, où il montre les films qu’il retrouve dans la salle de la rue d’Ulm, puis au Palais de Chaillot, il forge les yeux de milliers de cinéphiles. Il leur fait découvrir le cinéma muet qu’on avait trop vite enterré avec pertes et profits. Il leur fait rencontrer des vedettes d’hier et d’aujourd’hui (Louise Brooks, Buster Keaton, Orson Welles, Gloria Swanson, Charlie Chaplin, Luis Buñuel, etc.).

Parmi ces cinéphiles, il forme de futurs critiques et de futurs cinéastes. La Nouvelle vague lui est profondément redevable ; et quand, début 68, le Ministre de la Culture André Malraux décide de le virer, les Truffaut, Godard, Chabrol sont au premier rang pour lancer la révolte. C’était avant mai 68, mais cette «Affaire Langlois» signalait les prémices de la prochaine rébellion. Langlois sera finalement réintégré (victoire !) mais avec beaucoup moins de moyens… Et mourra à la tâche, en 1977.

Mine de rien, de son vivant, et par la suite à travers ce qu'il a laissé dans l'âme de la Cinémathèque française (et de tant d'autres cinémathèques), il a fait école de cinéma auprès d'innombrables cinéastes d'aujourd'hui. Wim Wenders, Philippe Garrel ou Bernardo Bertolucci sont de ceux-là. On peut voir d'ailleurs sur le site de la Cinémathèque française quelques jolis hommages rendus par une dizaine de cinéastes contemporains.

Pourquoi parler de Langlois, là, maintenant ? A cause du centenaire, bien sûr, mais aussi en raison de l’exposition qui lui est consacrée par la Cinémathèque française, la nouvelle, à Bercy. Une expo sur son rapport à l’art, son rapport à la vie et à la culture en général, signée par un ancien directeur de l’institution, Dominique Païni. Dans les textes réunis dans le beau catalogue, on retrouve les signatures de Freddy Buache, l’ami fidèle, Rui Nogueira, autre fidèle qui arrive 10 ans plus tard, et François Albéra. Lundi dernier, enfin, la Cinémathèque a organisé une Journée Langlois où plusieurs orateurs sont venus parler de son importance pour la connaissance du cinéma, pour son rôle essentiel de conservateur et de passeur. Universitaires, historiens, cinéastes (comme ci-dessus André S. Labarthe, Benoît Jacquot et Olivier Assayas) ont rappelé sa mémoire. Y compris le soussigné qui, en compagnie de Nicola Mazzanti, directeur de la Cinémathèque royale de Belgique, de Christophe Dupin, administrateur de la FIAF et Laurent Cormier, Directeur du Patrimoine au CNC, a parlé de son importance à l’étranger, de son incroyable rayonnement international.

Tout cela pour dire que si vous avez l’occasion d’aller à Paris, ne manquez pas l’occasion de découvrir ce magnifique et flamboyant inconnu qui fut l’ami le plus extraordinaire que le cinéma ait connu. 

Frédéric Maire

Frédéric Maire est directeur de la Cinémathèque suisse. Journaliste et réalisateur, il a co-fondé le club de cinéma pour enfants La Lanterne Magique en 1992 et dirigé le Festival international du Film de Locarno de 2005 à 2009.