Accès au marché européen (4) : ce que vaut l’Accord sur la recherche.

Comment obtenir à peu près tout ce que l’on veut de la part des Suisses ? Bruxelles a bien compris qu’il suffisait de menacer les hautes écoles de ne plus être associées aux financements publics de la recherche scientifique en Europe (programme Horizon 2020 et suivants). Mais de quoi parle-t-on au juste ? Et où sont les solutions pour sortir de ce chantage? Explications, évaluation et récit en huit actes. (L’essentiel en bleu)

Accès « privilégié » de l’économie suisse au marché européen. Une sorte de contrepartie théorique au libre accès des Européens au marché suisse du travail. Et lorsque l’on parle de ce grand arrangement transitoire, négocié quand l’objectif officiel était encore l’adhésion de la Suisse à l’Union Européenne*, on pense surtout au septième volet des Accords bilatéraux I (conclus en 1999) : l’Accord de coopération scientifique et technologique dans le domaine subventionné. Soit l’accès au marché des financements publics de la recherche et de l’innovation en Europe.  

La Suisse est en fait partenaire depuis les années 1980 des programmes-cadres européens de recherche (PCR). Il s’agit du morceau d’intégration le plus consensuel de la Suisse à l’Union. Le plus pragmatique aussi, le plus abouti et le plus médiatique. Il n’est certainement pas vital pour la prospérité du pays, mais personne n’a intérêt à le remettre en cause. Quand les Européens s’y appliquent quand même, c’est seulement pour en faire un levier politique d’intimidation.    

C’est précisément ce qui s’est passé après le vote populaire du 9 février 2014 mettant fin au droit d’accès des Européens à une activité économique en Suisse (libre circulation des personnes). Bruxelles a aussitôt suspendu les négociations sur l’association de la Suisse au huitième programme cadre (Horizon 2020). En se gardant de toucher aux autres Accords bilatéraux I, pourtant tout autant liés entre eux sur le plan juridique (clause guillotine). Tout s’est passé comme si le but, pour la Commission Européenne, était surtout de manifester sa détermination, dissuadant ainsi l’Assemblée fédérale d’appliquer la décision populaire fautive dans le domaine migratoire.

La stratégie s’est avérée efficace. Le Parlement n’a appliqué que très partiellement le nouvel article constitutionnel, de manière que les dispositions puissent être agréées par Bruxelles. Les risques par rapport à la pleine association de la Suisse aux programmes-cadres de recherche se sont ainsi provisoirement dissipés. Ils reviennent aujourd’hui sur le devant de la scène politique.

* Lire précédemment: Généalogie de la libre circulation des personnes (11.09.19) et Généalogie de la voie bilatérale (13.09.19). 

Ce qu’il s’agit de montrer

Le but de cet article est d’évaluer les effets d’un nouveau rejet de la libre circulation sur l’accord d’association de la Suisse aux programmes-cadres de recherche. En vue du scrutin de cette année sur la politique migratoire (deuxième initiative du Parti populaire suisse UDC). D’abord prévu en mai, puis annulé pour cause de crise sanitaire. Le vote sera probablement programmé en septembre prochain.

Il s’agit d’abord d’envisager le scénario du pire, hautement improbable : de quoi la Suisse se priverait au juste si elle ne participait plus du tout à ces programmes de recherche? De pas grand-chose apparemment sur le plan quantitatif. Les subventions européennes obtenues des programmes-cadres en échange de la contribution suisse forfaitaire ne représentent que 1,5% environ des investissements dans la R&D en Suisse.  

Option à peine plus réaliste : la Suisse serait reléguée parmi les « Etats tiers », participant aux programmes-cadres sur la base d’accords particuliers de coopération scientifique (Canada, Australie, Corée, etc).

Avec un sérieux problème politique toutefois : la Suisse se retrouverait ainsi grossièrement discriminée par rapport à treize Etats périphériques de l’UE, relevant pour certains de la “simple” Politique européenne de voisinage (PEV). Ces Etats n’ont-ils pas tous conclu, dans la recherche, les même accords d’association que ceux dont la Suisse bénéficie depuis 2004 ?

La Suisse est en fait déjà défavorisée par rapport à ces Etats voisins (Serbie, Albanie, Israël, Tunisie, Arménie, Géorgie, etc.). Ils n’ont en effet aucun accord de libre circulation avec l’UE. Ni le moindre accord équivalent de ceux que l’on trouve dans les Bilatérales I, en principe considérées comme un ensemble équilibré d’avantages et de contreparties.

Scénario dès lors le plus probable : la Suisse se retrouverait théoriquement sur le même plan que le Royaume-Uni (sans libre circulation des personnes). Les deux Etats négocieraient parallèlement (ou ensemble) un nouvel accord d’association les plaçant eux-mêmes au même niveau de coopération scientifique que ces treize Etats partenaires de l’Union Européenne à l’est et au sud.

Pour faire bonne mesure et donner l’impression d’avancer, une libre circulation des chercheurs serait instaurée entre l’UE et les Etats associés. Cette disposition est explicitement prévue depuis 2000 dans le cadre de l’Espace européen de la recherche (EER), mais elle n’a jamais été vraiment appliquée.  

En tout état de cause, le financement public de la R&D en Suisse n’a aucun intérêt à dépendre plus longtemps de contingences aussi exogènes et imprévisibles que la politique migratoire. Cette subordination ne représente-t-elle pas d’ailleurs un avatar complètement obsolète de la politique européenne de la Suisse au siècle dernier ? Le découplage obtenu avec la fin de la libre circulation des personnes aurait au moins un effet vertueux: stabiliser la participation suisse aux programmes-cadres européens de recherche.

Ce qui revient à formuler l’évidence suivante: le plus sûr moyen pour la Suisse d’assurer durablement son statut d’association aux programmes-cadres de recherche, c’est de ne plus faire partie de la politique européenne d’élargissement, mais de relever de la politique de voisinage (PEV). 

1 – Historique

 Les programmes-cadres européens de recherche remontent à 1984. L’impulsion est venue du président François Mitterrand, soucieux de faire de l’UE le premier pôle mondial de technologies de l’information (IT). Le projet s’était intitulé « Esprit ». Du nom de la prestigieuse revue intellectuelle française, dont l’ambition est encore aujourd’hui « de penser autrement les liens entre l’esprit européen, les valeurs occidentales et le reste du monde ».

Le projet et ses étapes successives de réalisation, jusqu’à aujourd’hui, sont imprégnés d’ouverture sur le monde. La finalité est aussi d’attirer en Europe des chercheurs, des entités et des projets de recherche gravitant tendanciellement autour des Etats-Unis (et d’Asie actuellement). D’où la multiplication d’accords de coopération et d’association (y compris avec les Etats-Unis et la Chine).        

On ne peut pas dire rétrospectivement que cet objectif de leadership ait été atteint. L’industrie européenne, dans le IT en particulier, a même connu un véritable décrochage technologique. Au point de donner l’impression de ne plus pouvoir, ni même vouloir revenir au premier plan.

Lorsqu’un white paper de la Commission Européenne précisait en février dernier les ambitions de l’UE en matière de numérique et d’intelligence artificielle, c’était surtout de suprématie régulatoire, juridique et sécuritaire dont il était question.

Tout se passe en fait aujourd’hui comme si la finalité était en premier lieu de protéger les Européens contre la domination asiatique et américaine dans certains secteurs-clés. Au sens plus prosaïque du protectionnisme économique non tarifaire également, dont l’Europe n’a évidemment pas l’exclusivité.       

Depuis les années 1980, la technostructure européenne de recherche s’est élargie, centralisée et lourdement complexifiée. Dans les domaines des sciences exactes, humaines, sociales ou encore environnementales. La matière couverte par l’institutionnel communautaire s’est développée et approfondie en passant essentiellement par le réseau académique. L’exigence de pureté de la science par rapport aux risques de corruption par des intérêts privés est en effet sensiblement plus élevée en Europe que dans le reste du monde.

L’intégration européenne la plus avancée

La Suisse a très tôt intégré ce vaste dessein géostratégique sur la base d’un accord prévoyant explicitement sa participation aux programmes-cadres européens de recherche (1986). Le traité est toujours en vigueur aujourd’hui. L’Accord sur la recherche de 1999, constitutif des Accords bilatéraux I et appliqué depuis janvier 2004, y ajoute la notion d’association.

La Confédération ne finance plus directement, ni au cas par cas les participations suisses à des projets européens de recherche. Elle verse un forfait dans le budget communautaire, calculé sur la base du produit intérieur brut rapport à celui de l’Union. Les participations suisses sont ensuite financées par cette centrale d’attribution.

Accès, participation, association – On peut dire en ce sens que le financement public de la recherche est la forme la plus aboutie d’intégration suisse dans l’Union Européenne. Ce qui ne manque pas de subtilité institutionnelle lorsque l’on compare avec l’environnement juridique des Accords bilatéraux I.

Avant ces accords sectoriels, comprenant le libre accès aux marchés du travail (libre circulation des personnes), la Suisse accédait partiellement au marché européen. Aujourd’hui, elle y accède toujours partiellement, mais elle y participe aussi. Ce qui signifie en gros qu’elle adopte les règles de circulation des ressources humaines, des capitaux, des biens et des services. Sans être associée toutefois aux décisions législatives et réglementaires, ni être forcément présente en tant qu’observatrice.

Dans le domaine de la recherche en revanche, les Accords bilatéraux I ont fait passer la Suisse de participante à pleinement associée. Avec présence possible d’observateurs à tous les échelons de décision, sauf la conception elle-même des programmes-cadres. Ce qui signifie qu’elle dispose probablement d’un certain pouvoir d’influence.

2 – Sources

A parcourir le web dans tous les sens, on ne peut pas dire que l’association ou non de la Suisse aux programmes-cadres européens de recherche ait suscité jusqu’ici un grand intérêt de la part des analystes et commentateurs en Europe. En Suisse, à la demande du Parlement, ce thème a toutefois fait l’objet de rapports périodiques du Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI). Ces documents sont traduits en français et accessibles sur le site de la Confédération. Ce sont les premières sources d’un champ d’investigation fort peu documenté par ailleurs, se contentant en général d’explications superficielles et lourdement répétitives.

Haut degré de transparence – Un rapport « faits et chiffres » de 100 pages est ainsi paru en 2018. Un rapport d’impact (effets de la participation suisse) a suivi un an plus tard (75 pages). Ces deux textes très techniques permettent de se faire une idée précise et relativement concrète des enjeux.

Des six Accords bilatéraux I hors libre accès aux marchés du travail (libre circulation), le traité sur la recherche est d’ailleurs certainement le plus transparent. C’est aussi, et de loin, le plus équilibré. Il bénéficie à peu près autant à la Suisse qu’à l’UE sur le plan matériel. Les conséquences de son éventuelle abrogation sont aussi les plus faciles à mesurer.

Les rapports du SEFRI regorgent de chiffres et de graphiques. Ils sont surtout destinés à montrer que le traité sur la recherche est équitable sur le plan des contributions suisses et des retours européens. Ils convainquent également avec aisance que la Suisse est une fort bonne compétitrice dans la captation de subventions et de coordinations de projets publics.

Le terrain de jeu s’avère bouillonnant. Tous les mouvements sont traçables et analysables dans le détail. Le propos manque en revanche singulièrement de perspective, ce qui ne surprend pas venant d’un Secrétariat d’Etat soumis à des devoirs de réserve. Les rapports n’entrent pas en matière sur d’autres approches possibles ou nécessaires. En particulier celle consistant à situer la participation aux programmes-cadres européens dans l’investissement global de la R&D en Suisse (lire plus bas).

Ces rapports sont peu explicites également sur les enjeux immédiats ou plus durables des échéances de politique intérieure s’agissant de participation aux programmes-cadres européens. Vouloir s’en faire une idée passe par des recoupements à partir de différentes sections des sites de la Confédération et de l’Union Européenne, des médias, de revues spécialisées et de contacts personnels.

3 – La course aux subventions

Il n’est pas étonnant que le Parlement attende du SEFRI des rapports approfondis et rassurants s’agissant de recherche. Sans rien demander de comparable sur les autres Accords bilatéraux I, sauf peut-être la libre circulation des personnes de manière plus diffuse. Ne s’agit-il pas d’utilisation de fonds publics ? On peut également deviner sur le plan sociologique, avec les précautions d’usage, que l’affinité entre parlementaires, fonctionnaires et microcosme de recherche est relativement élevée. Davantage qu’en matière de transports routiers, de marchés publics dans la construction, ou encore d’agriculture.

Le paradoxe, par rapport à cette transparence, c’est que le public lui-même n’a pas l’air de bien se rendre compte que l’accord menacé sur la recherche porte essentiellement sur les sciences exactes et humaines dans le champ étroit du subventionnement public.

L’opinion a au contraire tendance à penser que c’est l’ensemble des activités de recherche et développement qui est en cause. Dont il connaît intuitivement l’importance vitale pour l’industrie, les services et la prospérité du pays. Il y aurait effectivement de quoi s’inquiéter si c’était le cas.

Le rapport de 2018 décrit une véritable compétition pour la “captation” de subventions. Un peu à la manière de ce qui se passe avec le Fonds national suisse (FNS, anciennement Fonds national de la recherche scientifique). On peut aussi voir l’association aux programmes européens comme une modeste extension européenne des financements publics du FNS.

Le Fonds national suisse a alloué près de 1,2 milliard de francs en 2018 à quelque 3000 dossiers bénéficiaires (sur 6000 requêtes). Fin 2017, la contribution annuelle moyenne de la Suisse au programme-cadre Horizon 2020 s’est élevée de son côté à 180 millions de francs seulement. Le nombre moyen de participations à des projets a été de 500 par année. Dont une centaine coordonnées depuis la Suisse.

Les institutions de loin les plus concernées par Horizon 2020, jusqu’en 2018, ont été les Ecoles polytechniques fédérales et les universités cantonales. A hauteur de 60% environ des fonds rétrocédés à la Suisse projet par projet en moyenne annuelle.

Les hautes écoles spécialisées (HES) captent quant à elles 3,5% seulement de la manne. L’industrie et les associations sans but lucratif s’octroient une part de 35% environ, beaucoup plus élevée dans Horizon 2020 qu’auparavant. Les subsides publics y sont en général complémentaires d’investissements privés (partenariats public-privé, bien que le terme ne soit jamais employé dans les rapports du SEFRI).

Le niveau moyen de financement public par participation de petites ou micro-entreprises privées est de 100 000 francs (start-up comprises), alors qu’il est de près de 590 000 francs toutes catégories confondues (écoles et grandes industries). Les entreprises sont encouragées à concourir, un bon taux de participation de leur part étant considéré par la Confédération et l’UE comme un succès en soi. Ce qui montre aussi que les entreprises ne sont pas attirées spontanément. L’offre d’Horizon 2020 a d’ailleurs développé des programmes spécifiques et attractifs destinés à les convaincre.     

Impact honorable mais sans levier

Le rapport d’impact de 2019 se base sur un sondage de satisfaction auprès de participants suisses aux programmes européens depuis 2003. 4400 questionnaires ont été envoyés, pour quelque 900 répondants.

Les effets sont en général et sans surprise jugés satisfaisants de la part des hautes écoles. Les participations génèrent en moyenne un emploi dans chaque cas (permanent ou temporaire). Comme l’on pouvait également s’y attendre, le secteur privé est plus critique. 30% seulement des entreprises ou indépendants annoncent que leur participation a conduit à des réalisations commerciales.

La proportion descend à 10% s’agissant de grandes entreprises. 10% également des sondés dans l’industrie et les services mentionnent toutefois la création d’une nouvelle entreprise. Près de 50% précisent que leur participation a tout de même favorisé la mise au point de nouveaux produits ou services. 50% des participations du privé ont généré un brevet (dont les éventuelles applications industrielles ne sont pas précisées).

L’impact macro-économique paraît assez décevant en termes de levier: les subventions se “contentent” de financer des emplois, en général sans multiplicateur avéré. Le rapport insiste donc plutôt sur l’importance des programmes-cadres européens dans la constitution et la pérennité de réseaux personnels. Ces maillages se constituent beaucoup autour des consortiums de recherche.

A en croire les questionnaires, ce sont surtout les HES et les entreprises qui y voient un intérêt spécifique. Les écoles polytechniques et les universités ont une plus grande ancienneté à l’international. Obtenir des subventions passe pour elles avant le networking. On peut supposer que les entreprises suisses, qui ne manquent en général pas d’ouverture sur le monde, voient quand même dans les relations suivies avec des partenaires plus étroitement européens l’occasion d’élargir et de diversifier leurs contacts.

A noter, pour mieux se représenter ce dont on parle, que le programme-cadre Horizon 2020 portait en premier lieu sur les « défis sociétaux » : 30 milliards d’euros pour la recherche « fondée sur les priorités politiques de la stratégie» à l’échelle européenne. Dans l’ordre : santé, transports, énergie, alimentation (avec agriculture et recherche aquatique), climat et environnement, sociétés sûres et sociétés inclusives. Vient ensuite la recherche fondamentale dans tous les domaines (25 milliards), infrastructures numériques européennes en premier lieu.

La « primauté industrielle » n’arrive qu’en troisième position (IT, biotechs, nanotechs, matériaux, systèmes de production, chaînes d’innovation dans les défis sociétaux jusqu’à la commercialisation non comprise) : 17 milliards d’euros, dont 600 millions seulement pour l’innovation dans les petites entreprises. La recherche nucléaire mobilise encore 5 milliards, et divers « piliers » secondaires se partagent les 6 milliards restants.  

4 – Ce que représentent les programmes européens dans la R&D en Suisse

 L’hypothèse d’une mise à l’écart de la Suisse des programmes-cadres européens de recherche en cas de « mauvaise » décision populaire sur la politique migratoire de la Confédération n’est absolument pas nécessaire. La fin de la voie bilatérale vers l’intégration signifierait au pire que la Suisse redeviendrait une simple participante aux PCR (Etat tiers). C’est-à-dire que le Secrétariat d’Etat à la recherche financerait directement les diverses participations, au lieu de passer par la hiérarchie européenne d’octroi des subventions et subsides.

Cela dit, il n’est pas inutile de vérifier que ce scénario maximal et invraisemblable d’éviction pure et simple ne plongerait nullement la Suisse dans le néant. Selon divers inventaires, les évaluations globales des différents types d’investissements réalisés en Suisse dans la R&D (privés et publics) tournent autour des 23 milliards de francs par an. C’est le chiffre retenu par le SEFRI dans une note non datée du site de la Confédération. L’investissement annuel dans le pot commun et public européen, avec le retour sur investissement, ne représente donc que 1,5% environ de l’ « effort national » d’innovation.*

A noter à ce sujet que le classement périodique d’août 2017 du réseau international de conseil Ernst & Young plaçait la Suisse en tête dans l’intensité de la R&D dans les entreprises : 6.6% du chiffre d’affaires (devant les Etats-Unis). Par rapport au produit intérieur (PIB), la Suisse vient en quatrième position dans le monde après la Corée, Israël et la Suède (privé et public cumulés). Avec un biais toutefois : l’industrie pharmaceutique pèse à elle seule 35% des investissements privés en Suisse.

* Le chiffre officiel disponible le plus récent de la contribution suisse à Horizon 2020 est celui du rapport de 2018 : 724 millions de francs pour la période 2014-2017. Soit 181 millions en moyenne annuelle, ce qui représente précisément 0,78% des investissements dans la R&D en Suisse. Cette période est toutefois faussée par les deux années d’association partielle (2014-2016), pendant lesquelles la contribution suisse a été plus basse que d’ordinaire (voir point 7 ). Nous avons compté très largement en multipliant 0,78% par deux pour cette raison.

5 – Ce que renoncer au statut d’association voudrait dire

 Sans statut d’association, la Suisse devrait donc financer directement ses participations. Avec des incidences certainement négatives sur les coûts de gestion. Les projets et consortiums ne seraient acceptés que s’ils présentaient un intérêt pour l’UE (pour autant que ce ne soit pas le cas aujourd’hui). Les Suisses n’auraient plus d’observateurs dans les instances dirigeantes ni les comités de pilotage. Leur niveau d’information s’en ressentirait.

Les remarquables performances des partenaires suisses dans la captation de subventions en seraient affectées. Il n’est pas sûr que les chercheurs suisses continueraient de détenir le record des meilleurs taux de succès des projets proposés. (Encore que les chercheurs américains et asiatiques non associés semblent faire légèrement mieux à 17,8%.) Est-ce bien nécessaire toutefois de figurer parmi les légendes européennes de la captation de subventions ? Sachant en plus qu’elles sont indirectement financées par la Suisse ? Ce n’est pas la question en l’occurrence. Nul ne sait d’ailleurs ce qu’en penserait le corps électoral si elle lui était posée de cette manière.

Les chercheurs et entités suisses de recherche pourraient en principe continuer de coordonner la réalisation de programmes, comme ils le font actuellement (une centaine dans Horizon 2020). Avec certainement, comme nous l’avons vu, quelques difficultés supplémentaires. Les hautes écoles ne pourraient plus en revanche envisager de piloter de grands projets européens. Les fameux et très disputés « Flagships », toujours bien présents sur le terrain médiatique. Cette déficience induirait une certaine déperdition en termes de prestige académique.

Il n’est pas inutile cependant de relativiser ce qui serait sans doute ressenti dans le microcosme de la recherche comme une humiliante relégation. Conçus au début des années 2010, les Flagships sont des mégaprojets à plus d’un milliard d’euros de budget sur dix ans. Mais ils sont rares.

Horizon 2020 n’en a connu que trois (initiés quelques années auparavant) : Graphene, Human Brain Project et Quantum. Horizon Europe (2027) a envisagé d’en lancer six autres, dont un suisse (le controversé Time Machine à Lausanne). Mais le concept lui-même a finalement été abandonné : trop grand, trop long, trop lourd. Les consortiums européens de recherche sont souvent des usines à gaz. Ceux-là atteignent des niveaux de complexité démesurés dans la gouvernance et la gestion.  

Comme chacun sait, le programme Human Brain (qui court jusqu’en 2023) est coordonné à Genève par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Cette expérience regroupe 800 chercheurs en Europe et Israël, et plus de 130 grandes institutions partenaires. Elle n’a cessé d’être confrontée à des tensions centrifuges sur le plan des objectifs, des doctrines, des ambitions, des égos, des moyens, des appareils et mentalités administratives. Orientée vers la réplication numérique des fonctionnements cognitifs, la culture d’ingénierie de l’EPFL s’est en particulier heurtée aux critiques et désistements des réseaux de recherche fondamentale en neurosciences.

La localisation en Suisse de Human Brain s’est en plus avérée problématique face aux trois grandes puissances de recherche que sont l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France. En burn out, le directeur Chris Ebell démissionnait en 2018. Son équipe reconnaissait alors qu’il était peut-être temps de partager une coordination devenue ingérable. C’est une des raisons pour lesquelles le prochain et neuvième programme-cadre se contentera de « grands projets » plus modestes et moins centralisés.

L’université de Genève assume déjà une coordination partagée dans le flagship Quantum. Il n’est pas certain qu’un statut d’association durablement partielle rende à l’avenir impossible l’accès de la Suisse à ce genre de méga-gouvernance redimensionnée. D’autant moins que le futur statut de la Grande-Bretagne, qui reste entièrement à établir à quelques mois de la mise en route théorique d’Horizon Europe, est susceptible de faire évoluer la rigidité institutionnelle de l’Union. Dans un domaine qui se prête peu au dogmatisme politique.

6 – La Suisse grossièrement discriminée

Complexe et peu transparent lorsque l’on sort des rapports officiels, le dossier du traité bilatéral de 1999 sur la recherche (constitutif des Accords bilatéraux I) devient surréaliste lorsque l’on examine la question des statuts sous l’angle comparatif.  

 Comme évoqué plus haut, divers Etats dans le monde, jusqu’en Asie et en Amérique (Etats-Unis, Canada, Japon, Corée, Chine, Brésil, Argentine, etc), ont de « simples » accords de partenariat et coopération scientifiques avec l’UE. Ce qui signifie qu’ils n’ont pas accès à tous les grands domaines des programmes-cadres de subventionnement. Ils n’ont pas non plus d’observateurs en principe dans les instances dirigeantes et de pilotage.

La Norvège, l’Islande et la Suisse, relevant depuis les années 1990 de la politique d’élargissement de l’UE, avec objectif d’adhésion abandonné en cours de route, sont au contraire censés avoir le « privilège » d’un accord anticipé de pleine association.

C’est toutefois le cas aujourd’hui de treize autres Etats également, relevant d’une politiques européenne d’élargissement plus tardive, ou d’une simple politique de voisinage (voir Annexe I): Israël, Turquie, Serbie, Arménie, Géorgie, Ukraine, Tunisie, Albanie, Bosnie-Herzégovine, Montenegro, Moldavie, Macédoine du Nord et Iles Féroé.

Selon l’expression consacrée, on peut dire que ces Etats ont obtenu le beurre et l’argent par rapport à la Suisse. L’UE leur a accordé un statut de plein associé sans contrepartie exogène. Alors qu’elle ne l’a concédé à la Suisse qu’en échange du libre accès à son marché du travail dans le cadre des Accords bilatéraux I, liés juridiquement par un principe de parallélisme (clause guillotine).

En cas de résiliation de l’Accord sur la recherche de 1999, pour cause de rejet de la libre circulation et de clause guillotine, la Suisse serait donc menacée d’être moins bien lotie que ces treize Etats périphériques. Comme ce fut le cas après le vote de février 2014, et jusqu’à fin 2016, elle se retrouverait sur le même plan institutionnel que les Etats « tiers » d’Amérique et d’Asie.    

Cette discrimination serait bien entendu complètement absurde (sans même parler d’inéquité). Comme elle l’a d’ailleurs été entre 2014 et 2016. Mais le cas du Royaume-Uni, poids lourd de la R&D en Europe, pourrait là aussi rebattre certaines cartes. Sans libre circulation des personnes, la Grande-Bretagne ne devrait-elle pas relever quand même, et au minimum, de la politique ordinaire de voisinage de l’UE en matière de recherche ? C’est-à-dire au même niveau d’association que, disons… l’Albanie (par ordre alphabétique) ? Et si c’était de toute évidence le cas, on ne verrait pas très bien pourquoi la Suisse ne pourrait pas obtenir d’égalité de traitement.

7 – Le trou de 2014-2016

L’Accord d’association de la Suisse à Horizon 2020 n’était pas encore complètement finalisé lorsque le vote populaire contre la libre circulation des personnes du 9 février 2014 a soudainement déstabilisé les Accords bilatéraux I par effet de parallélisme (clause guillotine).

S’en prendre sur le champ aux cinq autres accords n’a apparemment guère été envisagé du côté de Bruxelles (transports aériens, terrestres, marchés publics, agriculture, reconnaissance des normes techniques). On peut comprendre cette réserve: l’application de ces traités depuis les années 2000 s’est avérée très à l’avantage des Européens. L’occasion de réagir s’est en revanche présentée dans la recherche, beaucoup plus équilibrée, avec en plus des négociations en cours. La procédure fut aussitôt suspendue.

La perspective d’une relégation pure et simple de la Suisse parmi les Etats tiers asiatiques et américains semblait en même temps inconcevable. La Commission européenne n’avait-elle pas conclu, ou n’était-elle pas en train de négocier en parallèle des accords de pleine association avec treize Etats périphériques ? Sans libre accès réciproque aux marchés du travail (libre circulation), ni aucun accord de partenariat comparable à ce qui imbrique la Suisse dans l’Union Européenne ?

Marginaliser ainsi la Suisse, référence en matière de R&D, de manière aussi irrationnelle, eût été difficilement assumable politiquement. Les menaces et rapports de force bruts recèlent parfois des limites lorsqu’il s’agit de passer à l’acte. Le radicalisme d’un tel bannissement eût en plus été clairement dommageable pour la recherche en Europe.

Il était en même temps important pour la Commission européenne que des représailles soient réellement exercées. De manière à tenir parole et à faire prendre conscience aux Suisses égarés qu’ils devaient rapidement revenir à de meilleures dispositions. Il fut donc convenu de négocier une sorte de compromis octroyant à la Suisse un statut singulier, suffisamment vexatoire mais néanmoins provisoire d’Etat « partiellement associé ».

Schématiquement : la pleine participation à la recherche fondamentale était maintenue (peut-être par solidarité académique bien comprise). Les subventions européennes destinées à des projets venant de l’industrie n’étaient en revanche plus garanties, la Confédération s’empressant néanmoins de les compenser au cas par cas.

L’important domaine des « défis sociétaux » était lui aussi précarisé. Il se retrouvait également à la charge d’un Secrétariat d’Etat que les questionnaires du rapport d’impact allaient qualifier plus tard de très performant dans l’octroi de subventions de substitution (santé, alimentation, énergies, climat, environnement, etc). 

Dans la pratique et dans bien des cas, les diverses instances européennes de décision ont certainement sur-réagi. Les conséquences de ne plus pouvoir « participer » aux programmes-cadres européens de recherche avaient été abondamment évoquées lors de la tumultueuse campagne politique qui avait précédé le scrutin de février 2014. Avec une résonnance un peu confuse dans le microcosme académique en Europe. Parfois assez subtiles, les différences entre «participation en tant qu’Etat tiers », «association » et « association partielle » ne furent pas toujours bien comprises dans des milieux scientifiques continentaux peu réceptifs aux brutales finesses de la politique européenne d’élargissement.

Un lourd climat d’incertitude s’est alors installé, doublé d’une certaine méfiance par rapport à des partenaires suisses perçus tout d’un coup comme peu fiables. Le fait de les pénaliser le plus durement possible n’allait-il pas d’ailleurs les obliger à se mobiliser davantage pour faire rentrer l’opinion publique suisse dans le rang ?

Le nombre de participations suisses validées par les instances européennes s’est tout de suite mis à reculer massivement et de manière désordonnée. En particulier dans les coordinations de projets. A en croire le rapport de 2008 du SEFRI, la Commission européenne elle-même a dû parfois intervenir pour soutenir envers et contre tout certaines participations suisses. Ce n’est qu’en 2017 que la situation a commencé de se normaliser. Lorsque le Parlement a décidé de renoncer à la résiliation de la libre circulation malgré la décision populaire. Et que le droit d’accès à une activité économique en Suisse a pu être étendu à la Croatie.

8 – Horizon Europe (2027) et Espace européen de recherche.

Sept ans plus tard, l’histoire donne un peu l’impression de se répéter. Le scrutin sur la deuxième initiative de l’UDC a été reporté au second semestre 2020 pour cause de crise sanitaire. Si le projet d’article constitutionnel était de nouveau accepté, l’ « accident » se produirait avant que les négociations pour l’association de la Suisse à Horizon Europe (2021-2027) aient été finalisées.

Avec le Brexit, c’est d’ailleurs tout le processus de mise en place de ce programme-cadre qui a pris du retard. Nul ne sait encore quel sera le statut du Royaume-Uni, deuxième puissance européenne de R&D derrière l’Allemagne et devant la France. Sa relégation pure et simple parmi les Etats tiers, derrière les treize Etats périphériques associés, semble cependant aussi peu vraisemblable que celle de la Suisse.

Il n’est pas certain que Britanniques et Européens attendent d’avoir conclu un accord de partenariat général avant que des négociations s’engagent en vue d’une éventuelle association dans la recherche. C’est d’ailleurs ce qu’anticipait le SEFRI dans une information du 31 janvier dernier, au moment de l’entrée en vigueur du Brexit : «Comme la Suisse, le Royaume-Uni doit négocier avec l’UE une éventuelle association à Horizon Europe.»

Il n’y a toutefois pas encore de mandat de négociation côté suisse, bien que le background politique à régler semble bien plus léger qu’avec la Grande-Bretagne. Problématique et retardé lui aussi pour cause de crise sanitaire, l’Accord-cadre institutionnel Suisse-UE en suspens n’aurait pas d’effet sur la recherche à en croire certains commentaires plus ou moins officiels à Berne (la recherche n’étant pas considérée comme un marché). La future association dans Horizon Europe ne serait donc déstabilisée que par la fin de la libre circulation des personnes (voir Annexe II).     

S’agissant du Royaume-Uni en revanche, il paraît évident qu’une association ne serait pas conditionnée par un accord de libre circulation des personnes (les Britanniques n’en veulent plus). En cas d’acceptation de la deuxième initiative de l’UDC, la Suisse se retrouverait donc théoriquement dans une situation très comparable à celle de la Grande-Bretagne. Il deviendrait difficile pour les Européens de négocier avec l’un sans se référer à l’autre s’agissant de recherche.

La différence entre l’un et l’autre serait surtout juridique : la Suisse devrait encore s’extraire du parallélisme des Accords bilatéraux I et de la voie bilatérale vers l’intégration. Alors que le Royaume-Uni, après plus de trois ans de contorsions pour y échapper malgré le référendum de 2016, a déjà réalisé formellement son Brexit.

Ces nouvelles circonstances pour la recherche en Europe pourraient être l’occasion de relancer l’Espace européen de la recherche (EER). Initié à Lisbonne en 2000, cet European Research Area (ERA) est un ensemble de principes à cultiver sous une Direction générale de la recherche et de l’innovation.

L’EER a évidemment ajouté une couche institutionnelle à la gestion des programmes-cadres, qui n’en manquait pas. Mais il comprend aussi la double volonté de favoriser davantage l’ouverture vers l’extérieur. Avec mobilité des chercheurs et projets à l’intérieur de l’espace élargi aux partenaires associés.

Appliqué partiellement dans les 6ème, 7ème et 8ème programmes-cadres, l’EER a apparemment négligé cette dimension personnelle de la mobilité. L’occasion semble se présenter pour le Royaume-Uni et la Suisse de proposer une libre circulation des chercheurs en remplacement de la libre circulation générale des ressources humaines sur les marchés nationaux du travail. Couvrant quarante-quatre Etats, cette nouvelle liberté aurait au moins l’avantage de l’unité de matière.    

Annexe I

A propos de Club des Treize

Seize Etats non-membres de l’UE sont (comme la Suisse) pleinement associés aux programmes-cadres européens de recherche :

les deux Etats membres de l’Espace économique européens (EEE) : Norvège et Islande (depuis 1994). Leur association à chaque programme-cadre fait cependant l’objet de négociations particulières   (comme avec la Suisse) ;

– la Suisse depuis 2004, avec son statut général de substitution à l’EEE (voie bilatérale vers l’intégration avec libre circulation des personnes et Accords bilatéraux I) ;

– six Etats candidats à l’adhésion à l’UE, relevant de la Politique européenne d’élargissement : la Turquie (depuis 2003), la Serbie, l’Albanie, la Macédoine, le Montenegro, la Bosnie-Herzégovine (première association dans les années 2000 également) ;

– six Etats non-candidats relevant de la « simple » Politique européenne de voisinage (PEV) : Israël (depuis 1996), Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie (dans le programme-cadre 2007-2013 déjà) et Tunisie (2016) ;

– les Iles Feroë enfin, qui ont un statut général d’association avec l’UE depuis les années 1970.

Treize Etats hors Espace économique EEE ont donc obtenu le même statut que la Suisse, sans le fatras de conditions liées juridiquement dans les Accords bilatéraux I (dont la libre circulation des personnes).

A noter sur le plan chronologique : la Suisse, dans les années 1990, encore considérée à l’époque comme candidate à l’adhésion (jusqu’en juillet 2016), mettait dans la balance des Accords bilatéraux I son futur statut d’associée aux programmes-cadres de recherche (en négociation). Or, Israël avait déjà obtenu ce statut sans aucune des conditions exogènes imposées à la Suisse (exogènes, c’est-à-dire n’ayant rien à voir avec la recherche scientifique et son financement).

Quinze ans plus tard, l’UE retirait à la Suisse son statut d’associée aux programmes-cadres suite au vote populaire de février 2014 sur la libre circulation des personnes. Or, Bruxelles était à ce moment-là en pleine négociation avec les 13 autres Etats non membres pour une association à Horizon 2020, rétroactive au 1er janvier 2014 (2016 dans le cas de l’Arménie, de la Géorgie et de la Tunisie, et août 2015 dans le cas de l’Ukraine). Sans libre circulation des personnes encore une fois.

A noter encore, pour être complet, que ces treize Etats bénéficient vraiment du même statut d’association que la Suisse, sur les mêmes bases de financement : un calcul incluant le PIB du pays par rapport au PIB de l’UE, en fonction de l’importance de la participation prévisible.

Dans le 7ème programme-cadre (2007-2013), les participants turcs avaient obtenu quelque 200 millions d’euros de subventions pour 950 projets. En janvier 2017, Israël célébrait ses vingt ans d’association en annonçant 1,4 milliard d’euros de contributions cumulées pour 1,7 milliard de retours enregistrés.

Les niveaux d’association sont évidemment plus modestes pour des Etats comme la Serbie (53 millions d’euros de retours pour 307 projets dans le 7ème programme-cadre), la Macédoine (12 millions), le Montenegro (4 millions), la Moldavie (4 millions), la Bosnie-Herzégovine (3 millions) ou l’Albanie (2,5 millions).

L’UE accorde parfois des « rabais » de contribution forfaitaire, ou des facilités de paiement dans le cadre de sa politique de développement. Avec l’appui dans certains cas de la Banque européenne d’investissement. L’UE peut aussi exiger des réformes dans la politique de recherche scientifique des nouveaux associés, avec revue périodique des pairs.

 

Annexe II

Clause guillotine et flou juridique

Le traité de coopération scientifique et technique de 1986 entre la Suisse et les Communautés européennes (CE) a une portée élevée et générale qui en fait rétrospectivement une sorte de déclaration d’intention (un peu plus concrète toutefois sur la recherche nucléaire, sujet central à l’époque). Entre autres dispositions, l’accord rendait possible la participation de la Suisse aux futurs programmes-cadres européens de recherche. D’éventuelles associations devaient toutefois faire l’objet d’accords spécifiques portant sur chacun d’eux.

Les cinq premiers programmes-cadres ont intégré les hautes écoles et institutions suisses sous forme de participations projet par projet. Chaque projet étant financé par la Confédération. Dans le cadre des Accords bilatéraux I finalisés en 1999, la Suisse a obtenu dès 2004 le statut d’associée au 6ème programme-cadre (2002-2006) : contribution forfaitaire au budget européen, puis financement européen des projets suisses. Avec observateurs suisses dans les instances européennes de subventionnement.

Ce statut d’associé a été renouvelé dans un autre accord bilatéral de coopération scientifique portant sur le 7ème programme cadre. Et ainsi de suite. Il a fallu un autre accord bilatéral encore pour sceller l’association au 8ème programme (2014-2020). Il en faudra encore un autre pour associer la Suisse au programme Horizon Europe (2021-2027).

Cette contrainte de renouvellement périodique est absente des six autres Accords bilatéraux I. Ce qui fait parfois dire que la recherche n’est pas vraiment soumise au parallélisme de ces accords liés juridiquement (clause guillotine).

Selon cette interprétation : si l’accord sur le droit d’accès des Européens à une activité économique en Suisse était résilié par la Suisse (libre circulation), la clause guillotine ne s’appliquerait pas à la recherche. Temporaires, les accords d’association aux programmes-cadres ne sont-ils pas forcément d’une autre nature ?

C’est bien ce que l’on affirme également par ailleurs en proclamant qu’ils ne sont pas des accords d’accès au marché. Qu’ils ne sont donc pas concernés par le projet d’Accord-cadre institutionnel Suisse-UE en suspens (voir plus haut).

Il n’y a en réalité guère de raisons de penser que le lien juridique, imposé par les Européens pour sanctuariser la libre circulation et sécuriser la voie bilatérale vers l’intégration, n’annulerait pas formellement l’actuel, ni les futurs accords d’association dans la recherche. Rien ne s’y oppose apparemment. Le niveau de détail de ces considérations semble en plus d’une pertinence très relative dans un domaine régi par deux ordres législatifs différents.

Il est vrai cependant que ces accords d’association sur la recherche ont un caractère juridique particulier dans les Bilatérales I. Tant les Suisses que les Européens ont explicitement prévu que leur résiliation par les uns ou les autres n’impliquerait pas automatiquement, ni dans les six mois, une annulation globale du paquet d’accords. Il y aurait bien une sorte de clause guillotine, mais sans automaticité.

Dans son message du 23 juin 1999 relatif à l’approbation des accords sectoriels entre la Suisse et la CE, le Conseil fédéral précisait d’ailleurs que la clause guillotine « ne s’appliquait ni en cas d’expiration ordinaire de l’Accord de coopération scientifique, ni en cas de dénonciation de cet accord par la Suisse à la suite d’une modification par les CE des programmes-cadres auxquels la Suisse est associée. »

Tant les Européens que les Suisses peuvent en revanche décider unilatéralement que la rupture des accords d’association aux programmes-cadres mettrait fin aux Accords bilatéraux I. Ce scénario n’est pourtant guère réaliste : ni la Suisse, ni l’Union Européenne n’ont le moindre intérêt à saborder ces accords d’association dans la recherche. C’est plutôt dans le sens l’inverse que le problème se pose : l’Union européenne a tendance à utiliser la recherche comme objet de chantage et de représailles à propos de libre circulation.      

Dans un avis de droit de 2013, Christine Kaddous, professeure à l’Université de Genève et directrice du Centre d’études juridiques européennes, précisait encore que «l’accord sur la coopération scientifique et technique de 2007 pourrait aussi être concerné, même s’il n’est pas stricto sensu rattaché à la clause guillotine, compte tenu de la décision du Conseil et de la Commission de 2008, laquelle prévoit que cet accord ne serait pas prorogé en cas de non-reconduction ou de dénonciation des accords bilatéraux I. Le risque existe donc également pour cet accord, même s’il ne contient pas formellement une disposition telle que celle de l’article 25, paragraphe 4, de l’Accord sur la libre circulation des personnes. »

Cet avis a parfois été sur-interprété lui aussi, comme s’il suggérait que la clause guillotine ne s’appliquait pas à la recherche. Il fait seulement ressortir en réalité que c’est le délai de résiliation de six mois des Accords bilatéraux I en cas de guillotine qui ne s’appliquerait pas à l’accord d’association en cours (2007-2013 à l’époque). L’association durerait jusqu’à la fin du programme-cadre, mais elle ne serait pas reconduite lors du programme suivant.

Voie bilatérale : les Suisses n’auront jamais la paix

(Paru le 8 mars dans Le Matin Dimanche)

(Deutscher Text: siehe unten) 

Il y a vingt ans, les Suisses acceptaient les Accords bilatéraux I avec l’Union Européenne à plus de 60% des voix. Le libre accès des Européens au marché suisse du travail était le seul des sept accords à ne pas susciter l’unanimité. Pour faire néanmoins passer cette « libre circulation des personnes », les organisations économiques avaient développé trois arguments fort convaincants. Même l’UDC s’y était ralliée.

En premier lieu, l’immigration européenne n’allait de toute manière pas dépasser 10 000 personnes par an. Après l’application complète de la libre circulation en 2007, le solde migratoire moyen a pourtant été de 50 000 ressortissants de l’UE chaque année. Il a atteint 32 000 personnes l’an dernier (+3.5% sur un an).

Ce grand écart n’a rétrospectivement rien d’étonnant. Les phénomènes migratoires sont réputés particulièrement imprévisibles. C’est pour cette raison que la Suisse, très attractive et géo-centrée, n’aurait jamais dû accepter le libre accès des Européens à son marché du travail. D’autant moins qu’elle n’a nullement besoin d’une contrainte de ce genre pour accueillir toutes les compétences et la main d’œuvre qui lui sont nécessaires.

Le deuxième argument portait sur la voie bilatérale vers l’intégration dans l’UE. L’accord de libre circulation inaugurait cette mécanique en mettant le travail sur le même plan que la libre circulation des capitaux, des biens et des services. Mais les Suisses n’avaient aucun de souci à se faire. Ils pourraient par la suite dire souverainement non à toute nouvelle étape d’intégration. « Et si ça ne va pas, nous pourrons toujours faire un pas en arrière et remettre certaines choses en question », précisait Bernard Koechlin, membre genevois du comité d’Economiesuisse.

On se rend pleinement compte aujourd’hui qu’il n’est en réalité plus possible de dire non à l’Union Européenne sur quoi que ce soit. Les rétorsions sont immédiates et les menaces de guerre économique se mettent aussitôt à pleuvoir.

Le troisième argument rappelait sans cesse que l’économie n’aime pas l’incertitude. Avec la voie bilatérale, les entreprises suisses acquéraient la visibilité nécessaire à la conduite des affaires. La Suisse allait ainsi bénéficier de relations stables et apaisées avec l’UE.

On sait ce qu’il est advenu de cette dramatique illusion. Quelques années plus tard, Bruxelles décidait d’avancer dans l’approfondissement de l’intégration en imposant des discussions sur un accord institutionnel. Les mesures d’accompagnement, obtenues par la gauche en échange de son soutien à la libre circulation en 2000, apparaissaient de surcroît comme non conformes à l’esprit et à la lettre de cette libre circulation en Europe.

Aujourd’hui, les organisations économiques continuent néanmoins de considérer la voie bilatérale comme synonyme de stabilité. Elles se trompent lourdement. Tant qu’elle voudra se trouver à la fois dans l’UE et en dehors, « avec le beurre et l’argent du beurre », la Suisse sera considérée en Europe comme une profiteuse et une concurrente déloyale. Elle sera méprisée et maltraitée.

Les pressions et menaces ne cesseront jamais. Et les Suisses continueront de ne plus pouvoir dire non. C’est exactement ce qu’ils ne voulaient pas au départ. Les organisations économiques et les partenaires sociaux non plus d’ailleurs. Et plus on attendra pour rompre avec cette funeste dynamique, plus il sera difficile de s’en extraire.

Bilateraler Weg: Die Schweizer werden nie Frieden bekommen

Vor zwanzig Jahren nahmen die Stimmbürger – mit einer Mehrheit von mehr als 60% der Teilnehmenden – die Bilateralen Verträge I zwischen der Schweiz und der Europäischen Union (EU) an. Die Personenfreizügigkeit, also der freie Zugang der EU-Bürger zum Schweizer Arbeitsmarkt, war der einzige der sieben Verträge, der keinen einhelligen Anklang fand. Um ihn durchzusetzen, hatten die Wirtschaftsverbände drei anscheinend überzeugende Argumente vorgebracht, denen sich sogar die SVP anschloss.

Erstens wurde postuliert, dass die Immigration aus den EU-Ländern in keinem Fall 10’000 Personen pro Jahr übersteigen würde. Doch nach der vollständigen Einführung der Personenfreizügigkeit im Jahr 2007 betrug das jährliche Einwanderungssaldo aus den EU-Ländern im Durchschnitt 50’000 Personen. Letztes Jahr waren es 32’000 (+3,5% in einem Jahr).

Diese enorme Abweichung überrascht nicht. Migrationsphänomene gelten als besonders schwer voraussehbar. Aus diesem Grund hätte die Schweiz mit ihrer attraktiven und zentralen Lage den freien Zugang der EU-Bürger zu ihrem Arbeitsmarkt nie akzeptieren dürfen. Umso mehr, als wir eine solche Zwangsregelung keineswegs brauchen, um die nötigen Kompetenzen und Arbeitskräfte hereinzuholen.

Das zweite Argument betraf den bilateralen Weg zur EU-Integration. Der Vertrag zur Personenfreizügigkeit war der erste Teil dieser Mechanik. Dieser Vertrag behandelte die Arbeit wie die anderen Produktionsfaktoren Kapital, Güter und Dienstleistungen, für die in den Augen der EU auch die Personenfreizügigkeit gilt. Aber die Schweizer müssten sich keine Sorgen machen, hiess es damals, sie könnten in Zukunft souverän «nein» zu weiteren Integrationsschritten sagen. «Wenn die Erfahrungen nicht gut sind, können wir immer noch einen Schritt zurück gehen und gewisse Sachen in Frage stellen», sagte Bernard Koechlin, Genfer Mitglied des Komitees von Economiesuisse.

Heute wird einem jedoch voll bewusst, dass es nicht zulässig ist, der EU in irgendeiner Frage «nein» zu sagen. Tut man es, wird sogleich mit Vergeltungsmassnahmen und mit einem Wirtschaftskrieg gedroht.

Das dritte Argument war die immer wieder aufgestellte Behauptung, dass die Wirtschaft Unsicherheit nicht mag. Dank dem bilateralen Weg bekämen die Schweizer Unternehmen die Sichtbarkeit, die sie für ihre Tätigkeit benötigten, hiess es. Die Schweiz käme in den Genuss von stabilen und befriedeten Beziehungen zur EU.

Man weiss, was aus dieser dramatischen Illusion geworden ist. Einige Jahre später beschloss Brüssel, die vertiefte Integration zu beschleunigen und der Schweiz Verhandlungen über ein Rahmenabkommen aufzuzwingen. Die flankierenden Massnahmen, die die Linke als Belohnung für ihr Ja zur Personenfreizügigkeit im Jahr 2000 bekommen hat, werden überdies als unvereinbar mit dem Buchstaben und dem Geist der Personenfreizügigkeit erklärt.

Dennoch betrachten die Wirtschaftsverbände den bilateralen Weg auch weiterhin als gleichbedeutend mit Stabilität. Sie täuschen sich gewaltig. Solange die Schweiz gleichzeitig in und ausserhalb der EU stehen und angeblich «den Fünfer und das Weggli» haben will, wird die Schweiz in Europa als profitierende Trittbrettfahrerin beargwöhnt, die der EU-Konkurrenz einen unlauteren Wettbewerb liefere. Sie wird weiter verachtet und schlecht behandelt werden.

Die Drohungen und Pressionen werden nicht aufhören. Und die Schweizer werden immer weniger «nein» sagen können. Dies war genau das Gegenteil, was sie ursprünglich anstrebten, und die Wirtschaftsorganisationen übrigens auch. Je länger man zuwartet, um mit dieser unheilvollen Dynamik aufzuräumen, desto schwieriger wird es sein, ihr zu entfliehen.

(Publiziert in Le Matin Dimanche vom 8. März 2020)

25 bonnes raisons de dire OUI le 17 mai prochain

(Deutscher Text: siehe unten)                                                

(English Version: see below)

Pour en finir avec le libre accès des Européens au marché suisse de travail (libre circulation des personnes). Pour dissoudre le parallélisme des Accords bilatéraux I (clause guillotine). Pour quitter la voie bilatérale vers l’intégration. Pour obtenir une normalisation et nouvelle stabilité durable dans les relations avec l’Union Européenne. Sur le plan économique, mais pas seulement.

Par rapport à la libre circulation des personnes elle-même

Sans libre circulation des personnes, la Suisse garderait toute liberté d’accueillir toutes les compétences, main d’oeuvre et talents européens dont elle a besoin. Frontaliers ou futurs résidents. Actifs dans l’économie, la santé, la formation, le social, etc.

La Suisse reprendrait simplement le contrôle de sa politique migratoire.

Elle aurait toute liberté de mettre sur pied un système efficace et peu bureaucratique de régulation de l’immigration européenne en Suisse. Les modèles performants de régulation ne manquent pas dans le monde développé.

Sur les vingt pays les plus compétitifs du monde (WEF), dix ne sont pas européens et ont une politique migratoire autonome. Dont les trois premiers. Avec la Suisse, il y en aurait onze.

Les complications et coûts administratifs supplémentaires seraient dérisoires pour les entreprises et institutions par rapport à leur masse salariale.

La Suisse mettrait fin à la préférence européenne sur son marché du travail par rapport aux ressortissants du reste du monde.

Les non-Européens, réfugiés en Suisse par exemple, cesseraient d’être discriminés sur le marché suisse du travail par rapport aux Européens (alors que la Suisse investit intensément dans leur formation et leur intégration).  

L’immigration globale étant de tout manière limitée en Suisse (comme en Europe et ailleurs), l’économie suisse aurait plus de facilité à recruter des spécialistes et cadres non européens pour accompagner son important commerce dans le monde (plus de 50% des exportations sont extra-européennes). Il en serait de même des hautes écoles et de la recherche.

La diversité des nationalités dans les entreprises et institutions pourrait augmenter. Avec une meilleure réceptivité par rapport à la culture du travail en Suisse.

La réintroduction de l’ancien permis de saisonnier (légitimement honnis par la gauche) ne serait nullement nécessaire. Il existe d’ailleurs un permis de travail de courte durée (permis L) dans le cadre de la libre circulation. Il pourrait être maintenu (ou pas).

Réciprocité :

– Le solde migratoire annuel moyen (immigration nette) est de 48 000 nouveaux Européens en Suisse depuis 2007 (début de la libre circulation). Soit la population cumulée de Nyon, Gland et Morges.

(Immigration moyenne nette extra-européenne : 21 000, soit la population de Vevey. L’immigration nette moyenne totale équivaut à de nouvelles villes de la Chaux-de-Fonds plus Neuchâtel chaque année).

– L’immigration européenne et le travail frontalier resteraient relativement importants sans libre circulation, et avec régulation migratoire autonome.

– En revanche, les Suisses non binationaux ne sont actuellement que quelques centaines à demander et recevoir un permis de travail chaque année en Europe. Pour des raisons évidentes d’écarts salariaux.

– Tenant compte de cet immense déséquilibre, la Suisse pourrait demander des facilités d’accès au marché du travail européen pour ses ressortissants non binationaux (qui souhaitent quand même travailler en Europe).

Le principe de libre circulation des personnes est un archaïsme qui met le marché du travail sur le même plan que les marchés de capitaux, de marchandises et de services. A l’échelle des Etats et de leur politique économique, le travail et les salaires ne sont pas de simples facteurs de production. Ils représentent au contraire la finalité de l’économie.

Par rapport aux Accord bilatéraux I

La Suisse commencerait par demander aux Européens l’annulation de la clause juridique (guillotine) invalidant les six autres Accords bilatéraux I. Pour qu’ils restent au contraire valides individuellement. Argument : trois accords bénéficient presque exclusivement aux Européens, deux sont très déséquilibrés en faveur de l’UE (reconnaissance mutuelle des normes techniques et agriculture). Seul le dernier est plus ou moins équilibré (recherche).

En cas de refus, la Suisse négocierait avec l’UE une période transitoire de validité (comme Bruxelles l’a fait avec Londres), pendant laquelle les deux parties discuteraient de l’avenir des Accords bilatéraux I sans libre circulation ni clause guillotine.

Si l’Union Européenne exerçait des représailles et menaçait d’ouvrir une guerre commerciale contre la Suisse (en invalidant les Accords bilatéraux I ou autres), l’administration fédérale pourrait programmer des obstacles renchérissant les importations de véhicules à moteur européens (valeur 15 milliards de francs en 2019). Les plus polluants en particulier.

Dans le pire des cas, sans accords bilatéraux I, les surcoûts administratifs et manques à gagner pour les entreprises suisses ne représenteraient pas 0.5% des exportations en valeur vers l’Europe (lire les articles précédents). Des allégements administratifs pourraient être consentis en contrepartie par la Confédération et les cantons dans d’autres domaines.

La Suisse continuerait d’être associée aux programmes européens de recherche (comme d’autres Etats tiers). Seule la possibilité de coordonner elle-même de grands projets lui serait refusée.  

Par rapport à la voie bilatérale vers l’intégration

La fin du libre accès des Européens au marché suisse du travail équivaudrait à la fin de la voie bilatérale vers l’intégration. Les fonctionnaires européens l’envisagent d’ailleurs eux-mêmes depuis juin 2016 (Brexit), et le retrait officiel de la demande d’adhésion de la Suisse à l’UE un mois plus tard.

Le dossier suisse à Bruxelles cesserait dès lors de relever de la Politique européenne d’élargissement, et passerait dans la Politique européenne de voisinage (PEV, commissaire Oliver Varhelyi).

Après une période de turbulences (surtout verbales), les relations entre la Suisse, l’Union Européenne et ses Etats-membres seraient clarifiées et apaisées. La Suisse ne pourrait plus être soupçonnée continuellement d’abus et de double jeu (dedans et dehors, « le beurre et l’argent du beurre », etc).

L’économie suisse obtiendrait ce qu’elle recherche : la stabilisation des relations avec l’UE. Il s’agirait de partenariat commercial et de voisinage entre Etats, d’accès partiels et réciproques aux marchés. Et non plus de « participation » progressive au marché unique européen basée sur la libre circulation, incluant en particulier le droit du travail.

En maintenant la libre circulation des personnes, considérée en Europe comme « constitutive de la citoyenneté européenne » (Emmanuel Macron), l’économie suisse n’aura jamais la stabilité, la sécurité ni la visibilité dont elle a besoin. Elle ne l’a plus d’ailleurs depuis quinze ans (début des discussions sur une nouvelle étape institutionnelle).

Sans libre circulation des personnes, la Suisse se retrouverait sur le même plan que le Royaume-Uni, avec les accords de Schengen/Dublin en plus (pas remis en question). Et des accords de voisinage forcément différents (pêche, transports, frontières, etc.)

Les références de la Suisse dans les discussions avec l’UE deviendraient :

1) l’Accord économique et commercial global (AECG) de l’UE avec le Canada, appliqué provisoirement à 90% depuis 2017 (en attendant une ratification complète des 28 Etats membres). Equivalent aux Bilatérales I sur le plan de la reconnaissance mutuelle des normes techniques dans les domaines-clés des machines et technologies médicales (entre autres).

2) le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement avec les Etats-Unis (TTIP). Très innovant, finalisé, mais suspendu pour cause d’oppositions en Europe à la notion de sécurité des investissements et à l’agriculture (en France surtout). Egalement équivalent aux Bilatérales I sur le plan de la reconnaissance mutuelle des normes techniques dans les machines et technologies médicales (entre autres).

Par rapport au timing

Mettre fin au libre accès des Européens au marché suisse du travail (libre circulation) et à la voie bilatérale vers l’intégration ? Saisir cette occasion le 17 mai prochain permettra de simplifier et clarifier rapidement les relations ambiguës, confuses et chroniquement conflictuelles avec l’Union Européenne.

La Suisse n’étant plus candidate à l’adhésion à l’UE, la voie bilatérale n’a d’ailleurs plus aucun sens.

L’économie suisse est pour sa part toujours aussi incapable d’argumenter précisément et concrètement sur les avantages d’une voie bilatérale qui ne lui apporte rien de consistant, et ne cesse de générer des troubles.

Si ce n’est pas le 17 mai prochain, ce sera plus tard. Et plus tard ce sera, plus compliquée et douloureuse s’avérera l’opération de rééquilibrage et de normalisation des relations Suisse-UE.

(English Version: see below)

Zur Abstimmung über die SVP-«Begrenzungsinitiative» vom 17. Mai 2020

25 gute Gründe, am 17. Mai «ja» zu sagen

 Um endlich mit dem freien Zugang der EU-Bürger zum Schweizer Arbeitsmarkt («Personenfreizügigkeit») Schluss zu machen. Um mit dem Parallelismus («Guillotine-Klausel») der bilateralen Verträge aufzuräumen. Um den bilateralen Weg zur Integration zu verlassen. Um eine Normalisierung und eine neue Stabilität in den Beziehungen zur Europäischen Union (EU) herzustellen. Auf wirtschaftlichem Gebiet – aber nicht nur.

Im Hinblick auf die Personenfreizügigkeit

Ohne Personenfreizügigkeit wäre die Schweiz gänzlich frei, die benötigten Kompetenzen, Arbeitskräfte und Talente aus Europa aufzunehmen. Seien dies Grenzgänger, künftige Niedergelassene, Aktive in der Wirtschaft, im Gesundheits- oder Bildungssystem, im sozialen Bereich, usw.

Die Schweiz würde ganz einfach ihre Kontrolle im Migrationsbereich zurückgewinnen.

Sie hätte wieder völlige Freiheit, um ein effizientes und wenig bürokratisches System zur Regulierung der Immigration aus der EU auf die Beine zu stellen. Entsprechende Modelle gibt es in den entwickelten Ländern zur Genüge.

Von den zwanzig wettbewerbstärksten Ländern der Welt liegen aufgrund einer WEF-Studie zehn in Europa und verfügen über eine autonome Migrationspolitik. Mit der Schweiz wären sie elf.

Die Komplikationen und zusätzlichen administrativen Kosten für die Unternehmen und Institutionen wären, gemessen an deren Lohnmasse, sehr bescheiden.

Die Schweiz würde auf ihrem Arbeitsmarkt der Bevorteilung der EU-Bürger gegenüber den Menschen aus anderen Ländern ein Ende bereiten.

Die Nicht-Europäer, beispielsweise die Flüchtlinge, für deren Ausbildung und Integration viel Geld investiert wird, würden auf dem Schweizer Arbeitsmarkt nicht mehr gegenüber den Europäern diskriminiert.

Da die gesamte Immigration in der Schweiz (wie im übrigen Europa und anderswo auch) limitiert ist, hätte es die schweizerische Wirtschaft ohne Personenfreizügigkeit leichter, die benötigten nicht-europäischen Spezialisten und Kaderleute zu rekrutieren, um ihre Exportwirtschaft zu unterstützen (mehr als 50 Prozent der Schweizer Exporte gehen nicht in die EU). Das gleiche gälte für die Hochschulen und Forschungsinstitute.

Die nationale Vielfalt in den Unternehmen und Institutionen könnte zunehmen, was der Schweiz und ihrem Arbeitsmarkt zugutekäme.

Die Wiedereinführung des alten Saisonnierstatuts, das zu Recht von der Linken angeprangert wurde, wäre unnötig. Denn im Rahmen des Personenfreizügigkeitsregimes gibt es Arbeitsbewilligungen für eine kurze Dauer (Bewilligung L). Diese könnten allenfalls beibehalten werden, oder auch nicht.

Zur Gegenseitigkeit:

Das durchschnittliche jährliche Wanderungssaldo (Netto-Immigration) beträgt seit 2007 (Einführung der Personenfreizügigkeit) 48’000 zusätzliche EU-Bürger. Dies entspricht der kumulierten Bevölkerung der Waadtländer Städte Nyon, Gland und Morges.

(Die durchschnittliche Netto-Immigration aus nicht EU-Ländern beläuft sich auf 21’000 Personen, was der Bevölkerung von Vevey entspricht. Die kumulierte Netto-Immigration (EU plus nicht-EU) entspricht pro Jahr der Bevölkerung von La-Chaux-de-Fonds plus Neuenburg.)

Auch ohne Personenfreizügigkeit blieben die Immigration und der Grenzgängerverkehr aus der EU relativ stark.

Die Zahl der Schweizer, die nicht über eine doppelte Staatsbürgerschaft verfügen und in den EU-Ländern eine Arbeitsbewilligung beantragen und bekommen, beschränkt sich auf einige Hunderte. Der Grund liegt natürlich bei den grossen Unterschieden im Lohnniveau.

Angesichts dieses grossen Ungleichgewichts könnte die Schweiz für seine Bürger, die keine doppelte Staatsbürgerschaft haben und dennoch in der EU arbeiten möchten, einen erleichterten Zugang zum EU-Arbeitsmarkt fordern.

Das Prinzip der Personenfreizügigkeit ist archaisch, denn es behandelt den Arbeitsmarkt genau gleich wie den Kapitalmarkt, den Warenverkehr und die Dienstleistungen. Die Arbeit und die Löhne dürfen auf der Ebene der Staaten und ihrer Wirtschaftspolitik nicht einfach als Produktionsfaktoren behandelt werden, sondern sie sind die Finalität der Wirtschaft.

Im Hinblick auf die Bilateralen Verträge I

 Die Schweiz würde zuerst von der EU die Annullierung der juristischen Klausel (Guillotine-Klausel) verlangen, aufgrund derer die sechs Bilateralen Verträge I automatisch ausser Kraft gesetzt werden, damit diese einzeln ihre Gültigkeit behalten. Argument: Drei dieser Verträge nutzen fast ausschliesslich der EU, zwei sind unausgewogen zugunsten der EU (Anerkennung der technischen Normen und Landwirtschaft). Nur der letzte ist mehr oder weniger ausgewogen (Forschung).

Sollte die EU ablehnen, würde die Schweiz mit der EU – wie es Brüssel mit London gemacht hat – eine Übergangsfrist aushandeln. In der Übergangszeit würden die Verträge weiter gelten und gleichzeitig könnte über die Zukunft der Bilateralen Verträge I ohne Personenfreizügigkeit und Guillotine-Klausel verhandelt werden.

Falls die EU Vergeltungsmassnahmen beschliesst und mit einem Handelskrieg gegen die Schweiz droht (etwa indem sie die Bilateralen Verträge I oder andere ausser Kraft setzt), könnte die Bundesverwaltung Massnahmen ausarbeiten, mit denen die EU-Autoimporte, vor allem die für die Umwelt besonders belastenden Modelle, massiv verteuert würden (Gesamtwert 2019: 15 Milliarden Franken).

Im schlimmsten Fall, bei Wegfall der Bilateralen Verträge I, würden die administrativen Zusatzkosten und die Einkommensverluste für die Schweizer Unternehmen nicht einmal 0,5% des gesamten Exporte in die EU-Länder erreichen (vgl. hierzu die früheren Artikel). Die Eidgenossenschaft und die Kantone könnten als Kompensation administrative Erleichterungen in anderen Bereichen gewähren.

Die Schweiz würde auch weiterhin an den europäischen Forschungsprogrammen beteiligt werden, wie andere Drittländer auch. Wegfallen würde allein die Möglichkeit, selbst grosse europäische Programme zu koordinieren.

Bezüglich dem bilateralen Weg zur Integration

 Die Abschaffung des freien Zugangs der EU-Bürger zum Schweizer Arbeitsmarkt würde auch den bilateralen Weg zur Integration beenden. Die EU-Beamten rechnen übrigens seit Juni 2016 (Brexit) damit, und der offizielle Rückzug des Schweizer Beitrittsgesuchs einen Monat später geht ebenfalls in diese Richtung.

Das Schweizer Dossier in Brüssel würde demnach nicht mehr in den Bereich der europäischen Erweiterungspolitik fallen, sondern in jenen der europäischen Nachbarschaftspolitik (EU-Kommissar Oliver Varhelyi).

Nach einer von (verbalen) Turbulenzen gekennzeichneten Periode würden die Beziehungen zwischen der Schweiz und der EU sowie deren Mitgliedländern geklärt und befriedet. Die Schweiz würde nicht mehr permanent verdächtigt werden, ein Doppelspiel zu betreiben und Rosinen zu picken.

Die Schweizer Wirtschaft würde bekommen, was sie braucht: die Stabilisierung der Beziehungen zwischen der Schweiz und der EU. Diese würden zu einer wirtschaftlichen Partnerschaft zwischen Nachbarn, mit teilweise und gegenseitigem Marktzugang. Es wäre Schluss mit der progressiven und auf Freizügigkeit basierenden Beteiligung am einheitlichen EU-Markt inklusive Arbeitsrecht.

Mit dem Festhalten an der Personenfreizügigkeit, die in der EU als «konstituierendes Element der EU-Bürgerschaft» betrachtet wird (Emmanuel Macron), wird die Schweizer Wirtschaft nie die Stabilität, Sicherheit und Sichtbarkeit erreichen, die sie benötigt. Seit fünfzehn Jahren, seit dem Beginn der Diskussionen über eine neue institutionelle Annäherung, hat sie sie nicht mehr.

Ohne Personenfreizügigkeit würde sich die Schweiz in einer ähnlichen Situation befinden wie Grossbritannien; hinzu käme allerdings das Schengen/Dublin-Abkommen, das nicht in Frage gestellt wird. Und natürlich mit unterschiedlichen Nachbarschaftsverträgen (Fischerei, Verkehr, Grenzen usw.).

Der Referenzrahmen für die Diskussionen der Schweiz mit der EU wäre:

(1) Das Umfassende Wirtschafts- und Handelsabkommen der EU-Kanada (CETA), das seit 2017 provisorisch zu 90% zur Anwendung kommt (bis zur Ratifizierung durch alle 28 EU-Länder). Es entspricht den Bilateralen Verträgen I im Bereich der gegenseitigen Anerkennung der technischen Normen, u.a. in den Schlüsselbereichen Maschinenindustrie und Medizinaltechnik.

(2) Das Transatlantische Freihandelsabkommen (offiziell: Handels- und Investitions-Partnerschaft) mit den Vereinigten Staaten (TTIP). Es ist sehr innovativ und ausdiskutiert, aber suspendiert wegen der Widerstände in den EU-Staaten, vor allem in Frankreich, wobei Bedenken bezüglich der Investitionssicherheit und der Landwirtschaft im Vordergrund stehen. Es entspricht ebenfalls den Bilateralen Verträgen I im Bereich der gegenseitigen Anerkennung der technischen Normen, u.a. in den Schlüsselbereichen Maschinenindustrie und Medizinaltechnik.

Hinsichtlich des Timing

Dem freien Zugang der EU-Bürger zum Schweizer Arbeitsmarkt (Personenfreizügigkeit) und dem bilateralen Weg zur Integration ein Ende setzen? Die Abstimmung vom 17. Mai 2020 gibt den Stimmbürgern die Gelegenheit dazu. Eine Annahme der Volksinitiative würde die ambivalenten, konfusen und permanent konfliktträchtigen Beziehungen der Schweiz zur EU rasch vereinfachen und klären.

Nachdem die Schweiz nicht mehr Kandidatin für einen EU-Beitritt ist, hat der bilaterale Weg ohnehin keinen Sinn mehr.

Die Schweizer Wirtschaft ist nach wie vor unfähig, klar zu argumentieren und konkret die Vorteile des bilateralen Wegs zu belegen. Dieser bringt ihr in Wirklichkeit keine realen Vorteile, sondern schafft nur Turbulenzen.

Wenn der bilaterale Weg nicht am 17. Mai 2020 verlassen wird, dann später. Aber je später dies eintritt, desto komplizierter und schmerzhafter wird die Normalisierung der Beziehungen zwischen der Schweiz und der EU und die Herstellung eines neuen Gleichgewichts ausfallen.

 

Popular Initiative Opposing Free Access for Europeans
to the Swiss Labor Market (AFMP)

25 Good Reasons to Say YES on May 17

End the free access for Europeans to the Swiss labor market (the Agreement on the Free Movement of Persons or AFMP). Stop the parallelism of the Bilateral Agreements I (“guillotine clause”). Abandon Switzerland’s “bilateral way” towards integration. Achieve normalization and a new, lasting stability in our relations with the European Union. Economics is important here, but it is not the only factor.

On the Free Movement of Persons

Without the free movement of persons, Switzerland would retain the freedom to welcome workers who have the skills and talent the country needs, whether as residents of border areas, as future residents of Switzerland, or as actors working in finance, health care, education, social services, and so on.

Switzerland would simply take its own immigration policy in hand.

The country would be completely free to set up an effective, bureaucratically streamlined system to regulate European immigration into Switzerland. The developed world has many examples of high-performing regulatory models.

Of the twenty most competitive countries in the world, as identified by the World Economic Forum, ten are not European and have an autonomous immigration policy. This includes the top three. If Switzerland were added, that would become eleven.

For companies and other institutions, the complications and supplementary administrative costs would be negligible in relation to their total payroll.

Switzerland would be able to put an end to the preference in its labor market for Europeans over citizens of the rest of the world.

For example, non-European refugees in Switzerland (whose training and integration are supported by significant investment by the country) would no longer face discrimination in the Swiss labor market in regard to Europeans.  

Since limits have been set on global immigration to Switzerland (as they have been in Europe and elsewhere), the Swiss economy would have less trouble in recruiting non-European specialists and executives to support its substantial business dealings with the world (more than 50% of Swiss exports are not European). This would also apply to universities and to research.

This could lead to a greater diversity of nationalities in companies and institutions, and to a greater openness in the culture of the Swiss workplace.

There would be no need whatsoever to return to the old system of seasonal work permits (which is legitimately despised by the left). Further, the current free movement framework already includes a short-term work permit (the L permit), and this could be maintained (or not).

Reciprocity:

– Since 2007 (when free movement began), there has been an average migration (net immigration) of 48,000 Europeans to Switzerland per year. This is equivalent to the combined populations of Nyon, Gland, and Morges.

(Average net immigration of non-Europeans: 21,000, or the population of Vevey. The total average net immigration equals the population of the cities of La Chaux-de-Fonds plus Neuchâtel each year.)

– European immigration and frontier work would remain relatively significant without free movement and with autonomous regulation of migration.

– By contrast, each year, only a few hundred Swiss citizens without dual nationality request and receive permits to work in Europe, something that can clearly be attributed to wage gaps.

– To respond to this enormous imbalance, Switzerland could request that its citizens without dual nationality (who nevertheless do want to work in Europe) receive facilitated access to the European labor market.

As a principle, the free movement of persons is archaic. It places the labor market on the same level as the capital, commodity, and service markets. For states and their economic policies, labor and salaries are not mere factors of production. Instead, they represent the very purpose of the economy.

On the Bilateral Agreements I

Switzerland could begin by asking the Europeans to annul the legal (guillotine) clause, thereby invalidating the other six Bilateral Agreements I, which would then need to be approved individually. Our case: three of these agreements are almost exclusively beneficial to Europeans, and two others (“Technical obstacles to trade” and “Agriculture”) are highly skewed in favor of the European Union. The remaining agreement (“Research”) is relatively balanced.

If refused, Switzerland could negotiate with the EU (as Brussels did with London) for a transition period during which the Bilateral Agreements I would remain in effect and the two parties could discuss a path forward, one that would not include either free movement or a guillotine clause.

If the European Union were to retaliate and threaten to start a trade war with Switzerland (by nullifying Bilateral I or other agreements), the federal administration could set up obstacles by raising import duties on European motor vehicles (a market worth 15 billion Swiss francs in 2019), targeting, in particular, the least environmentally friendly models.

In the worst-case scenario, without the Bilateral Agreements I, the administrative costs and loss of earnings for Swiss companies would not reach 0.5% of the value of total exports to Europe (see previous articles). In return, the Confederation and the cantons could provide tax or other administrative relief to affected companies.

Switzerland would continue to be associated with European research programs (like other non-member countries). The country would only forfeit the possibility of coordinating major projects itself.  

On Switzerland’s Bilateral Way

Ending the free access for Europeans to the Swiss labor market would amount to ending the country’s bilateral way towards integration in the EU. EU officials have been considering this themselves since the Brexit referendum in June 2016 and Switzerland’s official withdrawal of its application for EU membership one month later.

It would mean that Brussels’ Swiss dossier would no longer fall under the European Enlargement Policy and would instead be handled by the European Neighborhood Policy (ENP, overseen by Commissioner Olivér Várhelyi).

After a turbulent period (particularly of verbal clashes), relations between Switzerland, the European Union, and its member states would be clarified and tensions would be eased. Switzerland could no longer be continually suspected of abuse and double-dealing (being both inside and outside, “having its cake and eating it too,” and so on.).

The Swiss economy would get what it is looking for: stable relations with the EU. In other words, there would be trade partnerships among neighbor countries, with partial and reciprocal access to their respective markets, rather than a progressive “participation” in the EU Single Market; the latter is based on free movement, which includes, notably, employment rights and regulations.

If the free movement of persons, which Europeans hold to be “constitutive of European citizenship” (Emmanuel Macron), is maintained, the Swiss economy will never achieve the stability, security, and visibility that it needs. It has not had these for the last fifteen years (since the beginning of discussions for a new institutional phase).

Once free of the free movement of persons, Switzerland would be on the same level as the United Kingdom, but with the addition of the Schengen and Dublin agreements (which would not be challenged). Its agreements with neighboring countries (concerning fishing, transportation, border management, and so on) would necessarily be different.

Switzerland’s reference points in discussions with the EU would become as follows:

1) the Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) between the EU and Canada, 90% of which has been provisionally applied since 2017 (while waiting for all 28 member states to approve the final text). This is equivalent to the Bilaterals I as regards mutual recognition of technical standards in key areas such as medical devices and technologies (to name just one).

2) the Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) with the United States, an innovative, finalized proposal that has been suspended as a result of European (especially French) opposition to certain investment security and agricultural measures. It too is equivalent to the Bilaterals I as regards mutual recognition of technical standards in key areas such as medical devices and technologies (etc.).

On Timing

Want to put an end to Europeans’ free access to the Swiss labor market (AFMP) and Switzerland’s bilateral way towards integration? Take matters into your own hands on May 17 and vote for a speedy simplification and clarification of our ambiguous, confused, and chronically conflictual relations with the European Union.

Since Switzerland is no longer trying to join the EU, the bilateral way has become a meaningless road to nowhere.

The Swiss economy remains unable to provide a clear and concrete rationale in favor of the bilateral way, which has no substantial benefits and only causes trouble.

If we do not act on May 17, we will have to do so later. The longer we wait, the more complicated and painful it will be for Switzerland to normalize and rebalance our relations with the European Union.

 

Accès au marché européen (3) : les dérisoires privilèges de l’ARM

Accord de reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM). Formellement invalidé si la libre circulation des personnes était rejetée le 17 mai prochain (clause guillotine). Ce traité est au cœur de l’alarmisme des exportateurs suisses. Ce ne sont pourtant pas les exportations qui sont en cause, mais seulement 0,5% à 1% des coûts d’un quart des exportations. Les Européens auraient d’ailleurs tort de laisser tomber cet accord: il leur bénéficie bien davantage qu’aux Suisses. Et ils ont conclu entre-temps des ARM avec d’autres Etats tiers, sans libre circulation ni accord institutionnel en contrepartie.

Les Accords de reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM) permettent aux entreprises d’homologuer dans des offices agréés de leur propre pays une grande diversité de produits d’exportation, selon les normes des Etats de destination (machines, alimentaire, composés biochimiques, etc.). Ces accords conviennent d’un certain nombre d’autres procédures de facilitation des homologations dans le commerce international. Il ne s’agit pas à proprement parler de réduction de la concurrence réglementaire, ni de level playing field.

S’agissant de la Suisse et de l’Union Européenne, la situation de départ est assez particulière. Depuis les années 1990, la quasi-totalité des normes techniques sur le marché suisse sont alignées unilatéralement sur les normes européennes (Loi fédérale sur les entraves techniques au commerce de 1995). En 2010 est venu s’ajouter l’adoption par la Suisse du principe européen dit “du Cassis de Dijon” dans l’alimentaire. Sans réciprocité aucune, ce qui ne favorise donc que les importations. 

Les entreprises suisses exportatrices conçoivent de surcroît, développent et produisent en général à partir de systèmes d’homologation propres aux marchés nationaux de destination (Etats-Unis, Chine, Union Européenne, etc). Il s’agit donc simplement de réduire avec les ARM certains coûts et délais administratifs dans les procédures d’homologation.

L’Union Européenne et la Suisse appliquent depuis 2002 un ARM d’avant garde à l’époque, à large portée relative, couvrant depuis 2007 une vingtaine de segments industriels. Des mises à jours ont ensuite été ajoutées. Seul accord significatif d’accès au marché européen avec l’agriculture, cet ARM est au cœur de la problématique des Bilatérales I. Par effet de parallélisme juridique (clause guillotine), sa validité formelle cesserait le jour où le libre accès des Européens au marché suisse du travail (libre circulation) serait dénoncé par la Suisse.

L’ARM représente donc à lui seul (ou à fort peu de chose près) ce que la Confédération et les organisations économiques appellent en substance ” l’accès privilégié au marché européen dépendant de la libre circulation des personnes et des Accords bilatéraux I ” (qui apparaissent dès lors comme une sorte de contrepartie). L’Accord sur l’agriculture n’a pratiquement jamais été évoqué dans ce contexte. Les marchés publics, les transports terrestres et aériens paraissent quant à eux hors sujet par rapport à cette problématique d’accès au marché européen (lire l’article précédent). Depuis le vote populaire du 9 février 2014, les menaces et chantages de Bruxelles ne portent d’ailleurs que sur l’ARM et la recherche (qui n’est pas un marché).  

Ce que vaut l’ARM 

Dans quelle mesure la fin de l’ARM augmenterait-elle les coûts de commercialisation en Europe et en Suisse dans la vingtaine de compartiments industriels concernés ? Souvent difficiles à isoler dans une comptabilité analytique, ces coûts non récurrents font l’objet d’une fourchette générale d’estimation allant de 0.5% à 1%.

Aucune évaluation empirique plus précise des gains de compétitivité que représentent cet ARM depuis bientôt vingt ans n’a jamais été réalisée à ma connaissance (par questionnaire chiffré dans les entreprises par exemple). Ni par l’Office fédéral de la statistique, ni par le Secrétariat fédéral à l’économie (Seco), ni par les organisations économiques, ni par les grands cabinets de conseil. Une seule estimation intuitive a été formulée, dans La Vie Economique, périodique du Seco : l’ARM permettrait de dégager 250 à 500 millions de francs de réductions de coûts chaque année dans l’industrie d’exportation. C’était en 2008 (*).

Ces 250 à 500 millions de francs de coûts d’homologation

représentent à peine plus de 0.2% à 0.4% de la valeur

des exportations suisses en Europe

Cette évaluation sommaire, à grand écart mais néanmoins réaliste a toujours servi de référence par la suite s’agissant d’illustrer l’importance de l’enjeu (**). 250 à 500 millions ne représentaient pourtant que 0.2% à 0.4% de la valeur des exportations suisses vers l’Europe à l’époque. Et ces exportations n’ont augmenté que d’un petit 3% depuis 2008.

Si l’on prend aujourd’hui les 500 millions de l’évaluation haute des gains estimés de l’ARM, le supplément d’accès au marché européen dû aux Bilatérales I ne représente toujours que 0.37% des exportations suisses en Europe (2018). Alors disons 0.5% pour arrondir. C’est en gros ce dont on parle lorsque l’on évoque « l’accès privilégié au marché européen », dont l’économie serait privée si les citoyens suisses dénonçaient l’Accord de libre circulation des personnes. C’est pour cet Eldorado-là qu’il est devenu inenvisageable que les Suisses reprennent le contrôle de leur politique migratoire.

Perte absorbable de moins de 0.5%

Au-delà de ces chiffres bruts, les effets commerciaux réels d’une décapitation de l’ARM par la clause guillotine sont évidemment difficiles à prévoir. Face à la concurrence européenne, une perte de compétitivité de 0.5% sur les prix peut couler une offre de 30 millions de francs dans l’industrie des machines.

On peut donc imaginer que les entreprises, pour assurer leurs ventes, consentiraient très classiquement à prendre ce 0.5% à 1% sur leurs marges. Ce ne serait pas la première fois. D’autant plus que toute l’industrie suisse s’est concentrée depuis trois décennies sur des spécialités destinées à des marchés de marge (haute valeur ajoutée) plutôt que de masse. Avec le succès que l’on sait.

La Suisse, avec sa micro-démographie, est aujourd’hui la vingtième économie d’exportation de biens dans le monde en chiffres absolus (OMC 2018, et la douzième dans les services). En Europe, elle n’est devancée que par l’Allemagne, les Pays-Bas, la France, l’Italie, le Royaume-Uni, la Belgique et l’Espagne. Hors Espace économique européen, où se dirigent environ 52% de ses exportations (en tenant compte du Brexit), elle ne bénéficie pourtant que de trois ARM (avec le Canada, la Turquie et provisoirement le Royaume-Uni). En cas de dénonciation du traité ARM par l’Union Européenne, un microscope serait nécessaire pour en discerner les effets dans les chiffres de l’économie nationale en Suisse.

Les limites du masochisme européen

La bon questionnement porte ensuite sur l’intérêt que les Européens auraient à lâcher cet ARM sachant qu’ils en sont là encore, et de loin, les premiers bénéficiaires (voir aussi l’article précédent). On peut lire sur le site du Seco que « l’accord couvre plus d’un quart de la valeur de toutes les exportations suisses vers l’Union (125 milliards de francs en 2019, ndlr), et plus du tiers des importations en provenance de l’UE (142 milliards) ».

La réduction des coûts d’homologation induite par l’ARM concerne donc plus de 47 milliards de francs de produits européens, et moins de 32 milliards de produits suisses. La différence est tout de même de 15 milliards en faveur de l’Europe. Au-delà des intimidations, rétorsions épidermiques et menaces de guerre économique, et en admettant que l’ARM ait l’importance que lui accorde ses thuriféraires, il faudrait vraiment que Bruxelles ait perdu tout sens des réalités pour nuire à ce point aux entreprises européennes et à leurs salariés. Au nom d’une politique globale d’intégration et d’alignement dont l’esprit et la lettre remontent aux années 1990.

L’égalité de traitement comme alternative

Cette politique de rupture serait d’autant moins assumable par l’UE que Bruxelles a entre-temps finalisé des accords de reconnaissance mutuelle avec plusieurs Etats développés. Sans libre circulation des personnes, ni parallélisme, ni accord institutionnel. Des ARM de portées plus ou moins comparables à ce qui a été conclu avec la Suisse en 1999. C’est d’abord le cas dans le domaine pharmaceutique (40% environ des exportations suisses en Europe). L’année même où l’Union finalisait ses Accords bilatéraux I avec la Suisse, un ARM pharma entrait en vigueur avec l’Australie. Puis en 2003 avec le Canada, en 2004 avec le Japon, en 2013 avec Israël et en 2017 avec les Etats-Unis.

Des ARM sur les medtechs ont été conclus

entre l’UE et le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

Sans libre circulation des personnes ni accord institutionnel 

Dans les autres domaines, des ARM existent entre l’UE et les mêmes Etats tiers, auxquels l’on peut ajouter la Nouvelle-Zélande. Leur portée est en général moindre qu’avec la Suisse, surtout dans des segments industriels secondaires (genre explosifs à usage civil). Elle est en revanche beaucoup plus similaire dans les compartiments-clés de la croissance, le plus souvent liés à des technologies très recherchées. Dans les machines, des ARM ont été conclus entre l’Union Européenne et l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada. A noter que la Suisse importe autant de machines de l’UE qu’elle en exporte vers l’UE: pour 9 milliards de francs environ (2019) selon la nomenclature de l’Administration fédérale des douanes (AFD).    

Comment dédramatiser les medtechs

C’est le cas également sur le terrain actuellement très sensible en Suisse des équipements médicaux (Australie, Nouvelle-Zélande, Canada). La Commission Européenne ne s’en est-elle pas emparés il y a deux ans pour déstabiliser les Suisses en remettant en cause l’homologation des medtechs si l’Accord institutionnel n’était pas rapidement ratifié (medical devices)? La pénalisation des medtechs se heurterait pourtant très vite à la plus élémentaire égalité de traitement, principe fondamental du droit international. A noter que la Suisse a importé pour 5 milliards de francs de medtechs de l’UE en 2019, et qu’elle en a exporté pour 8.8 milliards (AFD).

Il n’est pas inutile dans ces conditions d’examiner aussi le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Le fameux TTIP avec les Etats-Unis, actuellement en suspens pour cause de désaccords en Europe sur la sécurité des investissements et les produits agricoles. Or il se trouve que ce partenariat ouvre une ère nouvelle dans les ARM. La notion même d’équipement médical, par exemple, a été diluée dans une rubrique plus générale « devices ».

Il n’est plus question d’ailleurs de Mutual Recognition Agreement dans cet accord commercial de nouvelle génération, mais de Regulatory Cooperation. Il n’est plus question non plus de machinery, mais de engineering products, terme sensiblement plus englobant et évolutif (mises à jour automatiques) .

Hyper normative depuis les années 1980, l’Union Européenne cherche à faire évoluer sa politique d’obstacles techniques au commerce de manière à se protéger encore mieux, sans toutefois s’isoler davantage. Ses contre-performances technologiques et industrielles depuis trois décennies par rapport à l’Amérique et à l’Asie l’obligent à revoir une bonne partie de ses dogmes. On l’observe aussi sur le pan des principes de concurrence par exemple (réhabilitation des méga-fusions à portée globale).

En voie d’obsolescence

Plutôt que de s’accrocher à des accords rigides du siècle dernier, la Suisse devrait peut-être mieux tenir compte de ce genre d’évolution et de potentialité dans sa politique européenne. L’ARM de 1999 est probablement obsolète. Il devra certainement être revu en profondeur. En attendant, plutôt que de créer un vide juridique pour cause d’autonomisation volontaire ou forcée des Accords bilatéraux I, l’Union Européenne et la Suisse auraient de toute évidence un grand intérêt politique à leur accorder un sursis sine die pour maintenir la continuité administrative des affaires.

Les négociateurs européens ont d’ailleurs eux-mêmes fait savoir il y a deux ans qu’ils avaient l’intention de rediscuter l’ARM lorsque, et seulement si l’Accord institutionnel était ratifié en Suisse. S’il fallait maintenir le libre accès des Européens au marché suisse du travail, et accepter en plus le carcan institutionnel pour pouvoir bénéficier de cette dérisoire faveur, on peut déjà dire que ce serait encore une fois très, très cher payé.

L’acceptation de la deuxième initiative de l’UDC contre la libre circulation des personnes le 17 mai prochain permettrait de lancer le processus de révision une fois passées les colères de Bruxelles. Au moment où le Royaume-Uni reprend à zéro ses relations avec l’UE, c’est d’ailleurs le statut de l’ensemble des relations économiques avec l’UE qui mériteraient d”être formellement reconsidérées. Pour les faire également évoluer vers un vrai partenariat commercial. Plutôt qu’une intégration-association adossée à une libre circulation mettant les personnes sur le même plan que les capitaux, les marchandises et les services. Une vieille doctrine néo-libérale avant l’heure, euro-nationaliste de surcroît, héritée des années 1950. 

(Article à paraître prochainement: l’Accord sur la recherche)

(*) ANNEXE I

La boîte noire de L’ARM

Nécessité impérative de ne pas toucher à la libre circulation des personnes (et de ratifier plus tard l’Accord institutionnel), pour sauvegarder les Accord bilatéraux I. C’est-à-dire l’accès “privilégié” au marché européen grâce à l’ARM. Ce supplément d’accès sanctuarisé dont la substance semble pourtant s’éloigner au fur et à mesure que l’on tente de s’en rapprocher.

On pourrait se dire que cet axe central de la politique européenne de la Suisse depuis plus de vingt ans aurait dû générer des mesures précises et régulières de ses effets sur les flux commerciaux vers l’UE. Ce n’est pas du tout ce qui s’est produit. La seule tentative allant dans ce sens est à notre connaissance l’article paru dans La Vie Economique (Seco) de novembre 2008 sur « L’Accord relatif à la reconnaissance mutuelle en matière d’évaluation de la conformité ».

Empreint de considérations juridiques et de généralités macro-économiques, ce texte évoque en une seule phrase les effets de l’ARM sur les exportations. En se contentant en fait de renvoyer à un mémoire de master de l’Université de Genève paru peu de temps auparavant : Mathieu Loridan, Les Approches bilatérales de réduction des OTC entre la Suisse et la CE, Département d’économie politique, octobre 2008. « Cette étude montre, écrit le SECO, que la croissance du commerce des marchandises couvert par l’ARM est plus élevée que pour les autres depuis 2002. »

Destinée exceptionnelle

La destinée de cette étude est exceptionnelle pour un mémoire de master. Nous nous la sommes procurée dix ans plus tard auprès de l’auteur, aujourd’hui analyste marché à l’International Trade Center de Genève. Elle met en œuvre des méthodes économétriques sophistiquées à partir de données commerciales dans quinze seulement des vingt segments couverts par l’ARM. Mais il s’agit surtout d’établir des corrélations entre importations en provenance de l’UE et importations issues d’Etats tiers (pays en développement en particulier, principal centre d’intérêt du candidat au master).

Conformément à un choix méthodologique explicité, il n’y a aucune donnée ni analyse portant sur les exportations suisses dans cette étude. L’auteur se contente d’écrire, en une phrase également, intuitivement et humblement: “Il est à penser qu’il y aurait un accroissement des exportations suisses vers les pays de l’UE suite à la facilitation du processus d’évaluation de la conformité des produits” (p. 16).

Instrumentalisation abusive

Nul n’en doute d’ailleurs, mais l’instrumentalisation abusive de cet article à des fins de légitimation scientifique donne une idée des bases factuelles sur lesquelles peuvent reposer les âpres débats sur la politique européenne de la Suisse. Une référence à Mathieu Loridan sera encore mentionnée en 2016 dans l’étude d’Ecoplan sur les gains des Bilatérales I, commandée par le Seco. On le retrouve également, bien interprété cette fois (à propos d’importations), dans les recherches de BAK Basel et du KOF (2015).

Des chiffres permettant d’établir une sensibilité des exportations par rapport à l’ARM existent pourtant sous forme désagrégée. Le KOF a encodé 5000 produits sur 22 ans à partir de données de l’Administration fédérale des douanes. La corrélation positive n’a d’ailleurs jamais fait de doute. C’est l’ampleur de l’accélération des exportations dans les segments concernées qui est plus difficile à quantifier de manière convaincante.

Fétichisme incantatoire

Dans le cadre d’une véritable étude d’impact, il s’agirait au minimum d’établir la courbe des exportations vers l’UE depuis les années 1990 dans les vingt domaines industriels concernés. Objectif: visualiser ce qu’il se passe à partir de juin 2002, lors de l’application de l’accord (la finalité étant de quantifier l’amplification des ventes). De mettre ensuite cette courbe en rapport avec l’évolution des exportations dans les secteurs non concernés. De la mettre également en relation avec les importations européennes concernées en provenance d’Etats non bénéficiaires d’ARM. Puis de corréler les courbes à l’évolution du produit intérieur de l’UE, la croissance des marchés de destination ayant une influence directe sur les exportations. De pondérer enfin avec l’évolution des taux de change. Le résultat final risquerait d’être fort peu significatif.

Cette mise en perspective ne devrait pas oublier non plus les élargissements du périmètre de l’Union après la Guerre froide. Ils ont eu lieu à l’époque où les Bilatérales I étaient appliquées (2002 à 2007), augmentant la démographie du marché européen de plus de 20%. Dix nouveaux Etats, et non des moindres sur le plan industriel, rejoignaient l’UE en janvier 2004. Deux autres en 2007, et le dernier en 2013 (Croatie).

En phase de rattrapage économique accéléré, la plupart de ces nouveaux Etats-membres étaient déjà très demandeurs en matériaux spéciaux et équipements industriels importés (machines, instruments, systèmes, etc.). Dans quelle mesure cet élargissement a-t-il influencé la courbe des exportations suisses, avant et après l’entrée en vigueur de l’ARM ? Avant et après l’application de l’ensemble des bilatérales II d’ailleurs? Voilà le genre de question qui pourrait faire avancer la perception de la  politique européenne de la Suisse au-delà du fétichisme incantatoire sur l’accès “privilégié” au marché européen.

(**) ANNEXE II

BAK Basel et Ecoplan: l’ARM se dégonfle

Avant et après le vote du 9 février 2014 contre la libre circulation des personnes, nous avions déjà publié des articles en français et en allemand sur “l’inconsistance” économique des Bilatérales I. Dans le cadre des longues discussions politiques pour désamorcer cette décision populaire dans sa phase d’application, le Seco a ensuite mandaté les instituts BAK Basel et Ecoplan à Berne pour réaliser deux recherches montrant au contraire l’importance économique vitale (le mot est faible) de ces Accords bilatéraux menacés par le parallélisme avec la libre circulation (clause guillotine). Bien qu’ayant participé à l’élaboration de ces recherches, comme le mentionne Ecoplan dans son impressum, le Seco a lui-même présenté un rapport de synthèse extraordinairement alarmiste en 2016. 

Contrairement à ce que suggérerait le sens commun, ces recherches ne portent pas d’abord sur les effets économiques passés des Accords bilatéraux I pendant treize ans. Pour extrapoler ensuite les conséquences de leurs extinction possible dès 2018 par exemple (date d’extinction envisagée des Bilatérales I). Elles se concentrent sur le long terme, soit l’année… 2035. En multipliant les hypothèses et scénarios intermédiaires en général pessimistes au-delà du possible.

Dans cette fiction économique anxiogène, tous les risques directs et les plus indirects s’accumulent, s’amplifient et se réalisent en même temps. “D’éventuels effets non quantifiables devraient également avoir un impact négatif sur l’économie”, précise Ecoplan pour être sûr de n’avoir rien oublié.   

La possibilité que tout ou partie des accords soient quand même maintenus, ou remplacés par des accords ou arrangements de substitution avec l’UE est exclue. Rien d’autre ne se passe sur le plan économique et politique pendant dix-sept ans. Une éventuelle “réaction” d’ajustement de l’économie et de la politique, comme après le 6 décembre 1992, n’est pas non plus envisagée (ni envisageable dans ce contexte méthodologique d’ailleurs).

A noter que ces deux études recourent à des modèles de simulation macro-économique internationale, bien ésotériques et exclusivement orientés produit intérieur brut. Ils sont alimentés par des données apparemment fournies en grande partie par le Seco. Ecoplan mentionne que les deux répondants de ses modèles mathématiques sont basés à l’Ecole des mines du Colorado et à l’Univserité d’Oldenbourg (D).

L’apocalypse du long terme

Il s’agit donc “simplement” de quantifier à l’horizon 2035 ce qu’une croissance annuelle moyenne de 1,2% du PIB (valeur 2015) avec Accords bilatéraux I donnerait sans Accords bilatéraux I. Le résultat est sans surprise à la hauteur des espérances: effrayant. Le PIB progresserait de 20% en dix-sept ans ans avec les accords, et de 13% à 15% seulement sans accords. Soit une différence en points de base de 5% à 7% (4.9% à 7.1% plus précisément).

L’effet négatif cumulé pendant ces dix-sept ans ans a ensuite été rétro-projeté par interpolation linéaire. Il serait donc globalement progressif et régulier (ce qui est assez difficile à saisir intuitivement), représentant un manque gagner cumulé de 460 à 630 milliards de francs. De l’ordre des PIB annuels de la Suisse en 2007 et 2015.

Les conclusions reviennent donc à dire que si les Suisses rejetaient la libre circulation des personnes, ils perdraient l’équivalent d’un PIB annuel d’ici 2035! “Chaque citoyen perdrait 36 000 francs”, se sont sentis obligés d’ajouter BAK Basel et le Seco. Présentés à Berne avec solennité, ces résultats étaient censés frapper les esprits pendant plusieurs années. Il furent en fait bien trop extravagants pour être retenus par les médias et l’opinion public.  

Où est passé l’ARM?       

Le scénario de BAK Basel (-7%) est plus sévère que celui d’Ecoplan (-5%), parce qu’il tient davantage compte d’effets négatifs “systémiques” en cas d’extinction des Bilatérales I. Se priver de l’ensemble des accords aurait bien davantage d’effets négatifs que la simple somme des accords. Sur le plan de l’innovation en général, de la compétitivité, de la sécurité et de l’attractivité juridique. Ou encore de l’attractivité… géographique. Ces effets systémiques graduels et auto-générateurs de nuisances représenteraient plus de 20% de l’effet dépressif jusqu’en 2035.

Les deux recherches s’accordent toutefois sur un point, que le SECO a semble-t-il préféré ne pas trop thématiser. L’effet négatif de loin le plus important viendrait de la fin de la libre circulation des personnes elle-même: près de 40% de l’effet total sur le PIB (BAK, soit 260 milliards de francs). Pour un recul de l’immigration nette de l’ordre de 25% (ce qui ne correspond soit dit en passant qu’au recul entre l’avant crise de 2008 et l’après crise, changement qui ne donne pas rétrospectivement l’impression d’avoir été synonyme de fin de monde).

Après la libre circulation et les effets systémiques intangibles, objets de tous les fantasmes de prospérité et de déchéance, le troisième impact en importance viendrait des transports aériens (19%). C’est-à-dire des supposées difficultés faites par l’Union Européenne au leader européen Lufthansa et à sa filiale Swiss. Beaucoup moins sujets à spéculations s’agissant de leurs effets négatifs, les quatre autres accords bilatéraux suivent de très loin. Dont l’ARM. Pris séparément, ils sont même de l’ordre de l’insignifiant.

Curieusement, l’ARM et la Recherche, tellement chers à l’industrie d’exportation, à Economiesuisse et aux hautes écoles, ne sont même pas séparés dans l’inventaire du BAK. Comme s’il eût été trop douloureux de faire ressortir leur inconsistance. Ils ne représentent à eux deux que 7% des terribles dégâts économiques supposés en cas d’extinction des Bilatérales I. Soit 44 milliards de francs de PIB cumulés sur dix-sept ans. 2,6 milliards par an, ce qui paraît en plus complètement invraisemblable. Très éloigné en tout cas des estimations pourtant alarmistes du Seco jusque-là.

En d’autres termes, l’ARM et la recherche compteraient relativement peu dans l’ensemble des dommages dus à l’extinction des Bilatérales I, tant ces ravages seraient immenses par ailleurs. Il n’est pas certain que les principaux intéressés aient beaucoup apprécié la démonstration.

Ecoplan (2015): Volkswirtschaftliche Auswirkungen eines Wegfalls der Bilateralen I – Analyse mit einem Mehrländergleichgewichtsmodell. https://cutt.ly/qrY2gH9

BAK Basel Economics (2015): Die mittel- und langfristigen Auswirkungen eines Wegfalls der Bilateralen I auf die Schweizerische Volkswirtschaft. https://cutt.ly/VrYb0OA

KOF Konjunkturforschungsstelle der ETH Zürich (2015): Der bilaterale Weg – eine ökonomische Bestandsaufnahme. KOF Studien Nr. 58 https://cutt.ly/prY2b0O

Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco, 2015): Conséquence économique d’une extinction des Accords bilatéraux. https://cutt.ly/VrUmO2k

La science a dit, les scientifiques ont dit, le Seco a dit…

Il en est un peu de la politique européenne en Suisse comme de la politique climatique: le public et les politiciens sont invités à se laisser guider par la science et les scientifiques. Pour celles et ceux qui se sentent (légitimement) attirés par les modèles mathématiques et l’ésotérisme, le Seco tient à jour une liste de publications savantes sur l’importance économique des bilatérales I: https://cutt.ly/5rUbcCZ .

 

 

 

 

           

 

 

 

               

     

 

 

 

 

         

 

 

 

 

 

Accès au marché européen (2) : quatre accords (très) en faveur de l’UE

Les six accords menacés par la fin de la libre circulation des personnes avec l’Union Européenne fonctionnent tous en faveur des Européens. Parfois lourdement. L’UE accorde en plus des avantages comparables à des Etats tiers. Sans libre circulation ni cadre institutionnel. Ce qui relativise énormément le danger pour la Suisse au- delà des intimidations et rétorsions continuelles de Bruxelles. Commençons par les quatre accords les moins sensibles. Ceux qui n’avaient pas du tout été menacés après le 9 février 2014.  

Reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM).

Marchés publics.

Agriculture.

Transports terrestres.

Transports aériens.

Recherche.

Soit, dans l’ordre officiel, les six Accords bilatéraux I formellement remis en cause par une éventuelle dénonciation du libre accès des Européens au marché suisse du travail (fin de la libre circulation, vote populaire du 17 mai prochain). Ces accords garderaient pourtant tout leur sens s’ils n’étaient pas liés par un principe de parallélisme (clause guillotine). Ils deviendraient, pour autant que les Européens en aient encore envie, de simples accords bilatéraux. Comme il en existe plus de cent (dont les Accords bilatéraux II). Avec, selon les cas, des possibilités d’actualisations à convenir, plus ou moins automatiques.      

Or, au-delà des considérations idéologiques, des menaces et chantages dont l’UE est devenue coutumière (à l’égard du Royaume-Uni également), et après une période de transition, on ne voit guère les raisons pour lesquelles les Européens renonceraient à ces six accords. Depuis vingt ans qu’ils sont appliqués, ils leur sont globalement bien plus favorables qu’aux Suisses.

A noter d’ailleurs qu’il est difficile de comprendre pourquoi ni la Confédération, ni de grandes organisations économiques comme Economiesuisse ou Swissmem, qui ne manquent pas de moyens, n’ont pas pris la peine de chiffrer ni d’étudier dans le détail, en continu, pendant deux décennies, les effets pratiques de ces accords sur la Suisse. Elles n’ont pas cherché non plus à collecter des données disponibles en Europe, ce qui aurait peut-être favorisé de meilleures évaluations des rapports de force économiques et politique réels dans le cadre des Bilatérales I. A défaut, les Suisses se retrouvent transis de peur sur une voie bilatérale devenue instable et sans horizon.

A défaut de savoir ce qu’il y a à gagner et à perdre,

les Suisses se retrouvent transis de peur sur une voie bilatérale

devenue instable et sans horizon.

Un projet de recherche indépendant avait été initié par mes soins en 2017 (Bilatinvestigation). Il avait échoué de justesse à trouver les financements diversifiés nécessaires. On peut s’attendre à ce que l’UDC ait fait entretemps ses propres enquêtes en vue de sa deuxième initiative contre la libre circulation des personnes. Il s’agit de démontrer que le chantage à l’asphyxie économique du pays repose largement sur des évaluations erronées ou biaisées. En vérifiant ou infirmant objectivement, point par point, sur le plan juridique puis factuel, deux hypothèses générales : (1) que les Accords bilatéraux I sont en premier lieu et de loin, sur le plan des faits, des accords d’accès au marché suisse pour les Européens. (2) Que d’importants avantages obtenus par les Suisses ont été accordés entretemps par les Européens à d’autres Etats. Sans libre circulation des personnes ni accord institutionnel.

Il est possible en attendant de s’en faire une idée peut-être superficielle, mais néanmoins significative. Sur les six objets en question, trois sont de simples accords de voisinage. Ils n’auraient certainement jamais été envisagés entre l’UE et la Nouvelle Zélande par exemple. L’hyper-proximité les rend en revanche évidents et nécessaires, tant pour l’UE que pour la Suisse.   

Accord sur les transports terrestres

Il a permis aux 40 tonnes européens d’accéder au réseau routier suisse sans autre contrepartie qu’une taxe également imposée aux camions suisses. Les entreprises suisses de transport ne peuvent pas pratiquer de cabotage en Europe, ce qui les prive de compétitivité sur les grandes distances (risque de retours à vide). Cet accord a réalisé dans les faits l’accès des grands transporteurs européens au marché suisse, et leur transit à travers les Alpes. La réciproque est dérisoire. Les Suisses ont construit d’impressionnantes infrastructures transalpines de ferroutage par leurs propres moyens. Les Européens se sont juste engagés à développer des terminaux performants en Allemagne et en France, ce qui n’est toujours pas fait (la Suisse a même dû participer à des financements en Italie). 

Accord sur le transport aérien

« A l’inverse de l’Accord sur les transports terrestres, celui sur le transport aérien autorise le cabotage. C’est même son but. On voit peut-être mal des compagnies aériennes européennes opérer d’un aéroport à l’autre de la Suisse, mais l’inverse pourrait avoir un sens. Le problème, c’est que Swiss, filiale du groupe allemand Lufthansa, la première concernée a priori, n’a pas une seule ligne reliant deux aéroports de l’Union. La filiale d’EasyJet basée en Suisse ne compte pas plus de 1% de ses vols en cabotage » (De l’inconsistance des Bilatérales I, L’Agefi, 12 juin 2015). Dans les faits, la reprise de Swiss par le leader européen Lufthansa, en 2008, a fait de cet accord un cas tout à fait radical et singulier de libre accès au marché suisse. Quant à l’importante filiale suisse d’EasyJet, ne sert-elle pas principalement à convoyer un important tourisme à haut pouvoir d’achat dans les villes européennes?

Accord sur les marchés publics 

Il permet à des entreprises européennes de soumissionner en Suisse auprès des « petites » collectivités et entreprises publiques (communes en particulier). Les grands appels d’offres transfrontaliers relèvent de leur côté des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans les faits, cet accord avec l’UE porte presque exclusivement sur des activités de proximité liées à la construction (pour une valeur de moins de 6,5 millions de francs par adjudication). Il concerne donc l’ensemble de la Suisse, mais seulement les régions frontalières d’Allemagne, de France, d’Italie et d’Autriche. Dans les faits également, les offres transfrontalières des entreprises suisses sont pratiquement inexistantes. Elles seraient tout simplement beaucoup trop chères. L’accord sur les marchés publics est donc devenu en réalité un accord d’accès aux petits marchés publics suisses.

Accord sur les produits agricoles

Comme les trois autres, cet accord s’ajoute à d’autres dispositions déjà existantes allant dans le sens du libre-échange (OMC en particulier). Ce n’est pas qu’un accord de voisinage, bien que les principaux partenaires agro-alimentaires de la Suisse en Europe soient l’Italie (1,418 milliard de francs d’excédent d’importation en 2018), l’Allemagne (858 millions) et la France (481 millions). Les effets économiques de cet accord, douanier principalement, sont plus aisément mesurables que dans d’autres domaines.  

Il s’agit encore une fois d’accès au marché suisse en premier lieu, puisque les importations de produits européens dépassent d’un peu plus de 4 milliards les exportations de produits suisses.

Depuis 2000, les importations agro-alimentaires européennes en Suisse sont passées de quelque 6 milliards à 10 milliards de francs (+166%). Les exportations de la Suisse vers l’Europe de 2.5 milliards à 5,5 milliards (+220%). Depuis l’application de l’accord en 2002, la Suisse a continué d’apparaître comme un client net important de l’Europe dans l’agro-alimentaire, mais elle a pu réduire quelque peu son déficit commercial.

Cette progression spectaculaire des exportations suisses est toutefois due essentiellement au tabac et à d’autres produits dits « d’agrément », qui ne sont pas concernés par l’accord. Dont le chocolat et le café transformé: la Suisse figure avec l’Allemagne dans le Top 5 des exportateurs de café dans le monde!…Elle en vend pour près de 2,5 milliards de francs (trois fois plus que le chocolat).

Dans le segment-clé du fromage en revanche, pour lequel l’accord semble avoir été taillé sur mesure avec de grandes attentes, les exportations suisses en Europe n’ont progressé que de 57 millions de francs de 2000 à 2018 (+14%). Autant dire une paille par rapport aux 135 milliards d’exportations suisses globales vers Europe. Les importations de fromages européens ont en revanche progressé près de trois fois plus. De 158 millions précisément (+60%).

Sur le terrain modeste et controversé de la viande, également très concerné par l’accord sur les produits agricoles, les exportations ont cette fois progressé bien davantage que les importations: +350% à 70 millions de francs, alors que les importations n’ont augmenté que de 50% (sans compter les importants achats transfrontaliers non déclarés). Il faut dire toutefois que les Suisse importent encore six fois plus de viande d’Europe qu’ils n’en exportent.     

A noter encore que cet Accord sur les produits agricoles de 1999, dans le cadre des Bilatérales I, a aussi été pionnier aux yeux des Européens dans la reconnaissance des appellations d’origine contrôlées. L’Union est une véritable puissance en la matière, mais ni l’Amérique ni l’Asie n’y sont très sensibles. Elle compte 1300 AOC environ. La Suisse n’en compte qu’une trentaine. Les deux principales appellations, Gruyère et Emmenthal, considérées unilatéralement par les Européens comme des noms communs et génériques, ont cependant été exclus de l’accord à leur demande.

Nécessaire rééquilibrage

Très déséquilibrés dans les faits en faveur de l’UE (comme l’accès réciproque aux marchés du travail d’ailleurs), ces quatre accords commerciaux deviendraient-ils caducs en cas de dénonciation par la Suisse de l’Accord de libre circulation des personnes? En principe oui, sauf entente entre partenaires pour annuler l’annulation automatique. Le reste relève d’hypothèses. Ce qui n’empêche pas d’en formuler, ni d’esquisser quelques scénarios.

Au-delà des rétorsions européennes et menaces de guerre commerciale, la pratique de ces accords serait sans doute difficile à faire disparaître du jour au lendemain. Très bénéficiaires, les industriels européens (italiens, allemands et français surtout) exerceraient à coup sûr des pressions pour que l’UE en maintienne la continuité pratique, sur la base d’arrangements plus ou moins tacites et provisoires avec la Suisse.

Toutes choses égales par ailleurs, on peut imaginer dans un second temps des négociations incidentes ou comparables à celles qui vont bientôt avoir lieu entre l’UE et le Royaume-Uni. C’est-à-dire sans libre circulation des personnes. La Suisse pourrait alors proposer de reconduire ces quatre traités. Mais sans parallélisme non plus cette fois, les négociations étant enfin débarrassées de toute idéologie européiste et intégratoire. Cette offre serait simplement valable en échange d’une continuité dans les deux autres accords actuellement constitutifs des Bilatérales I : reconnaissance mutuelle des normes techniques, et pleine association aux programmes de recherche. Deux domaines dans lesquels les Bilatérales I bénéficient aussi en premier lieu à l’UE. C’est dire si cette contrepartie proposée par la Suisse, augmentée d’une immigration européenne quasi-unilatérale qui n’aurait pas cessé avec la fin de la libre circulation, paraîtrait encore très généreuse. 

(Deux articles à paraître prochainement sur le thème de l’accès au marché européen : Accord sur la reconnaissance mutuelle et Accord sur la recherche).

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Ce que veut dire « accès au marché européen » (1) : une voie royale vers le marché suisse

Impossible d’en finir avec le libre accès des Européens au marché suisse du travail (libre circulation des personnes). Parce que cette « folie » reviendrait à priver aussitôt les exportateurs suisses « d’accès au marché européen ». Répétée en boucle depuis des années, cette subordination a fini par verrouiller toute discussion possible sur la politique européenne en Suisse. Elle repose pourtant sur de lourds abus de langage. (Photo: Container-Terminal Basel)

Reprendre le contrôle de l’immigration européenne, comme l’ont fait les Britanniques ? Rétablir l’égalité de traitement migratoire avec les ressortissants d’Etats non européens ? L’impossibilité de réaliser cet élémentaire ajustement dans la politique européenne de la Suisse a un seul motif : la clause juridique dite « guillotine », qui invalidera automatiquement les autres Accords bilatéraux I le jour où l’on renoncera à la libre circulation.

Or les organisations économiques, le parlement et le gouvernement proclament depuis des années que ces six autres traités subordonnés sont des éléments cruciaux d’accès au marché européen pour les entreprises suisses. Ce qui est objectivement faux, comme nous le verrons bientôt (à propos des accords de reconnaissance mutuelle ARM en particulier).

Le vrai problème, c’est que ni la Confédération ni les organisations économiques n’ont voulu jusqu’ici, ou n’ont été capables de monitorer précisément et de manière exhaustive les avantages économiques tangibles de ce paquet d’accords. Censées aller de soi, les vertus économiques de la voie bilatérale sont scandées depuis vingt-cinq ans ans comme un mantra à la gloire de « l’accès au grand marché ». Dont l’alternative serait ni plus ni moins une sorte d’étranglement économique. La politique européenne de la Suisse repose depuis trois décennies sur une rhétorique de la peur et une véritable phobie de l’étranglement.

Premier malentendu : bien avant d’être des accords d’accès au marché européen pour les Suisses, les Accords bilatéraux I appliqués depuis vingt ans offrent surtout des facilités d’accès au marché suisse pour les Européens.

Comme nous le (re)verrons ultérieurement, c’est de toute évidence le cas des transports terrestres, des marchés publics et de l’agriculture, sans parler de l’accès au marché du travail (et de sa désopilante réciprocité). C’est un tout petit peu moins évident s’agissant des transports aériens ou des obstacles techniques. Et impossible à déterminer s’agissant d’un accord d’association formalisant la participation à des programmes de recherche.

Ce constat provisoire, qui n’a jamais été approfondi faute de données disponibles, relativise sérieusement le dogme de l’intangibilité. Pourquoi les Européens, qui ne sont pas des idiots, ne voudraient-ils pas renouveler les Accords bilatéraux I sans libre circulation ? Une fois menaces et chantages épuisés ?

Sur une base juridique très légèrement modifiée en réalité : abandon du principe de parallélisme, avatar idéologique de l’époque à laquelle l’adhésion pure et simple à l’UE était l’objectif officiel de la politique européenne de la Suisse (jusqu’en 2005). Les Bilatérales I redevenant alors aujourd’hui de simples accords commerciaux, de voisinage ou d’association. Comme les Bilatérales II et une centaine d’autres traités.

Balance commerciale de plus en plus déficitaire  

Tout le commerce extérieur avec l’Union Européenne est en fait dominé par la problématique de l’accès des Européens au marché suisse. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner l’évolution de la balance commerciale chroniquement déficitaire : les Européens exportent bien davantage de marchandises vers la Suisse que la Suisse n’en exporte vers l’Union. Pour 17 milliards de francs de plus en 2019, soit 13,5%%.

Cette balance commerciale s’est détériorée depuis trente ans. Et elle est devenue plus négative encore depuis l’application des Accords bilatéraux I à partir de 2002. A noter que l’on ne parle pas des services, dont la balance est positive, mais qui ne sont qu’indirectement concernés par ces accords.

Le déficit commercial global avec l’UE s’était déjà creusé de 28% entre 1990 et 2001 (phase de crise économique consécutive à la crise immobilière et financière). Il s’est encore aggravé de 37% entre 2002 et 2011 (période homogène du point de vue méthodologique). Puis de 67% entre 2012 et 2018 (autre période homogène).

Il est vrai toutefois que ces chiffres sont influencés par des produits spéculatifs: oeuvres d’art, monnaies, or et argent en barre, qui sont entrés dans la statistique générale de l’Administation fédérale des douanes (AFD). Si l’on n’en tient pas compte, la balance s’est au contraire améliorée de 4,5 milliards à -17 milliards de francs (2019). Elle a cependant bénéficié sur le plan comptable des importants élargissements du périmètre de l’Union dans les années 2000 : treize adhésions tardives d’Etats en transition, très demandeurs en machines et équipements. Ils ont aussi augmenté la démographie de l’UE de quelque 20%.

Le Département fédéral de l’Economie a beau alléguer que « le déficit commercial avec l’UE n’est pas un signe de faiblesse » (titre d’un article d’analyse macroéconomique alambiqué du mensuel La Vie économique de juillet 2018). Comme s’il s’agissait d’un non-sujet. Il peut bien y ajouter des graphiques confus sur la balance commerciale (ne tenant pas compte des changements méthodologiques et ne distinguant pas les biens et les services). L’ampleur et l’évolution de ce déficit en disent long sur l’importance relative et abusive accordée à la notion d’« accès privilégié au marché européen ».

C’est surtout d’accès au marché suisse dont il devrait être question. On ne peut plus faire aujourd’hui comme si cette réalité ne comptait pas, comme à l’époque où l’adhésion en était la finalité officielle. Les Suisses sont d’importants clients nets de l’Union Européenne. Ils doivent sans doute apprendre à se comporter comme tels. N’est-ce pas plutôt à eux qu’à leurs interlocuteurs d’avoir des états d’âme ? En fin de cycle néolibéral, répondre à des menaces protectionnistes par des menaces protectionnistes ne manque ni de pertinence ni de légitimité.

La Suisse a aujourd’hui les moyens de résister aux intimidations continuelles de l’Union Européenne et de la guerre commerciale qui s’annonce. L’enclavement géographique n’est plus depuis longtemps synonyme d’encerclement économique ni de reddition sans condition. Cette nouvelle configuration n’est pas encore un thème dans les médias et le public, mais l’archéo-soumissionnisme semble avoir été sérieusement ébranlé du côté des partis politiques depuis décembre 2017 (annonce par Bruxelles du non-renouvellement de l’équivalence boursière).

Après trois décennies de béni-oui-ouisme rampant, dire non à l’UE redevient envisageable. Après les syndicats et la gauche, une partie de plus en plus importante de l’économie comprend que c’est aussi et surtout dans son intérêt à long terme. Les représailles et les chantages récurrents et humiliants de Bruxelles ne sont évidemment pas pour rien dans cette prise de conscience. Comme l’a montré le long épisode de l’Accord cadre, la Suisse n’obtiendra jamais de stabilité dans sa voir bilatérale vers l’intégration.

Quand la Suisse ouvre l’Europe sur le monde

Inspirée surtout par la France, l’attitude méprisante de l’UE est d’autant moins compréhensible que la faiblesse de sa propre balance commerciale globale est un problème chronique qu’elle cherche comme tout le monde à surmonter (22 milliards d’euros de déficit en 2018). Or la Suisse est le troisième débouché des exportations européennes (après les Etats-Unis et la Chine, largement devant le Japon). Cette position est due en grande partie à un effet de proximité très répandu dans le commerce international, mais pas seulement.

Une partie importante, bien que non quantifiée malheureusement, des exportations européennes vers la Suisse sont des composants intégrés dans des produits et systèmes vendus ensuite à l’échelle du monde. Le degré élevé de globalisation des réseaux commerciaux de l’économie suisse offre ainsi un relais significatif à l’industrie d’exportation européenne.

En d’autres termes, la Suisse contribue doublement à améliorer la balance commerciale de l’UE. Et il ne s’agit que d’une des raisons pour lesquelles l’Union européenne, au-delà de la gesticulation et des effets de manche, ne devrait avoir aucune raison (au sens de rationalité) d’ouvrir une guerre commerciale avec la Suisse. Surtout s’il n’y a plus d’enjeu politique d’intégration, la libre circulation des personnes ayant été abandonnée.

C’est dire encore une fois s’il sera intéressant de voir comment le Royaume-Uni et l’UE normaliseront leurs relations économiques. Au-delà de la propension immédiate des technocrates européens (et de leur désespérant négociateur en chef français Michel Barnier) à punir et humilier les Britanniques.

 (A suivre : Comment chacun des sept Accords bilatéraux I bénéficient en premier lieu à l’Union Européenne. Et parfois lourdement.)

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ANNEXE

Effets difficilement compréhensibles des Accords bilatéraux I sur les exportations vers l’Europe.

Extrait du blog de 2013 à 2015 “Economie et migrations” sur le site de L’Agefi

Les six accords sectoriels bilatéraux avec l’Union Européenne (sans la libre circulation) sont appliqués depuis 2002. Ils sont censés représenter un accès supplémentaire important aux marchés européens de biens et de services (c’est ce que disent l’administration fédérale et les organisations économiques). C’est-à-dire favoriser les exportations suisses vers l’UE de manière significative, voire spectaculaire. C’est pour cela que la Suisse ne doit prendre aucun risque d’activation de la clause guillotine de la part de l’UE.

Si c’était le cas, une progression supplémentaire des exportations devrait apparaître dans les chiffres du commerce extérieur depuis que les accords sont appliqués. Or, la progression annuelle moyenne des exportations vers l’UE est plus basse sur la période 2003-2012 (dix ans après les accords) que sur la période 1992-2001 (dix ans avant les accords). Le comble, c’est que le périmètre de l’Union a encore été élargi de manière significative après les accords. En 2003, les trois pays baltes, la Pologne, la République thèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie, Chypre et Malte ont adhéré à l’UE. En 2007, ce fut le tour de la Roumanie et de la  Bulgarie (la courbe des exportations semble d’ailleurs refléter ces nouvelles adhésions).

Si l’on compare la progression des exportations de 1992 à 2001, puis de 2003 à 2012 à périmètre constant, c’est-à-dire dans la seule Europe des Douze, on constate qu’elle a été de 40% sur dix ans précédant l’application des accords, et de 32% seulement sur les dix années suivantes. A noter que la seconde période a été marquée par deux crises financières et économiques, mais que la première l’a été par une survalorisation chronique du franc pénalisant lourdement les exportations. Si les avantages que l’industrie suisse d’exportation retire des accords bilatéraux I étaient si importants, la courbe de progression des ventes suisses vers l’Union Européenne ne devrait-elle pas refléter une différence? On ne la voit nulle part.

Le grand avenir de la neutralité économique

Ce qui devait arriver est arrivé : la multipolarité géopolitique issue de la fin de la Guerre froide tourne à l’affrontement des grandes puissances. L’antagonisme n’est heureusement qu’industriel. Dans cet environnement, la neutralité économique apparaît comme la seule attitude raisonnable des petits Etats très exportateurs à l’échelle planétaire. La Suisse devrait mieux en tenir compte dans sa politique européenne.      

Dans les années qui ont suivi la fin de la Guerre froide, un large consensus intellectuel affirmait que le monde allait progressivement passer d’un état de bipolarité géopolitique à une configuration multipolaire. Cinq pôles étaient en général mentionnés. Ils correspondaient en gros aux plus grandes puissances démographiques, politiques et économiques: les Etats-Unis, l’Union Européenne, la Russie, l’Inde et la Chine (l’Inde a disparu de ce panthéon par la suite). Le monde s’étant débarrassé des guerres impériales et totales, la signification de cette nouvelle multipolarité semblait surtout économique.

La période était d’ailleurs dominée par l’idéologie multilatéraliste anglo-américaine. Cette doctrine d’inspiration éco-wilsonienne allait culminer dans l’Organisation mondiale du commerce, créée en 1995. Un idéal pacifiste diffus imprégnait la multipolarisation du multilatéralisme universel. Depuis la Belle Epoque en Europe, au début du XXe, jamais la conviction très libérale que les échanges internationaux rendaient la guerre impossible n’avait semblé aussi naturelle. La menace nucléaire achevait d’en faire une vérité définitive.

Tout s’est passé comme si les courants intellectuels, littéraires et politiques de l’après-Guerre froide avaient oublié que la notion même de superpuissance incluait celle de rivalité. On ne se rendait pas bien compte non plus à quel point l’économie allait devenir un substitut de la guerre dans l’antagonisme des grandes souverainetés. L’idée que les Etats leaders du nouveau et paisible monde multipolaire interdépendant étaient voués à s’affronter était tout simplement absente des débats. Ce genre de prémonition n’a laissé aucune trace intelligible pendant au moins dix ans. Il en a fallu vingt pour se rende compte que le destin de l’Europe et de l’Amérique avait lui-même cessé d’être commun.

L’arme des grands marchés

C’est l’émergence de la Chine et de l’Union Européenne, mâtinée d’un anti-américanisme opérant comme le plus petit dénominateur commun, qui a progressivement réveillé les consciences. Ne parlons pas d’impérialisme, moins encore de néo-impérialisme, des termes surchargés de connotations vaines et contradictoires. Le monde du XXIe siècle naissant se reconnaît plutôt dans la simple collision de quatre hégémonies économiques. Trois au moins manient l’arme de leur vaste et incontournable potentiel de consommation et de production.

La première spécificité des Etats-Unis, de l’Union Européenne et de la Chine n’est pas seulement que leur immense marché intérieur permet de réduire leur dépendance par rapport au monde (ce qui représente un fond de souveraineté considérable). Elle se trouve aussi dans le fait qu’aucune activité globale, en particulier technologique ou de marque, ne peut se passer d’accès à ces larges et intenses bassins de clientèle privée et institutionnelle.

Les grands Etats ont un faible ratio de commerce extérieur par rapport à leur création annuelle de valeur (trade-to-GDP ratio). Pour le dire plus simplement, leur prospérité de long terme dépend peu des exportations et importations (moins de 10% aux Etats-Unis). Elle équivaut en général à la vigueur de leur marché intérieur. Après avoir favorisé le développement de l’économie globale, les Etats-Unis, l’Union Européenne et la Chine sont entrés dans une phase de recentrage sur leur marché intérieur.  

L’accès au marché s’est en ce sens substitué

aux politiques coloniales de la canonnière.

Cette quête autarcique ne sera évidemment jamais complète. Elle passe néanmoins par un regain de protectionnisme revêtant des formes assez diverses : relèvement archaïque des barrières douanières, politiques fiscales dissuasives, taxation et renchérissement des transports, densification des normes écologiques et de qualité, contrôle des fusions, acquisitions et investissements directs, multiplication des aides et financements publics d’intérêt national, etc. Sans parler des listes noires et des embargos. Ils n’avaient jamais vraiment disparu non plus. Ni des contreparties non économiques exigées en échange de nouvelles facilités d’accès aux grands marchés. Elles sont souvent liées à des problématiques nationalistes de voisinage. Comme dans le cas de l’Union Européenne avec la Suisse, des Etats-Unis avec le Mexique, ou de la Chine avec Taiwan. L’accès au marché s’est en ce sens substitué aux politiques coloniales de la canonnière. 

Multilatéralisme universel

A contrario, la mentalité économique des Etats à démographie restreinte relève en général d’un haut degré de mercantilisme au sens classique du terme : la prospérité vient en premier lieu de la capacité à exporter (compétitivité), qui permet ensuite d’importer ce que l’on ne peut pas – ou ne veut pas – produire soi-même. Ce besoin d’ouverture crée des rapports de dépendance rendant en général les questions de souveraineté plus compliquées et plus exigeantes. Même si la sagesse populaire selon laquelle on a toujours besoin d’un plus petit que soi se vérifie souvent, les grands Etats peuvent se passer d’un nabot qui ne leur revient pas. L’inverse est une autre histoire.

Il n’est pas étonnant que les petits Etats défendent en général un multilatéralisme basé sur l’égalité des nations (au sens anglophone d’Etat). Il peut s’agir d’un multilatéralisme régional, genre zone de libre échange ou marché commun, consacrant la relation de dépendance pour l’approfondir (Union Européenne). Ou de multilatéralisme global, à l’image de ce que l’OMC a réalisé. L’objectif de souveraineté des petits Etats est en général d’élargir les partenariats, pour dépendre le moins possible de chacun d’eux. C’est ce à quoi les membres secondaires de l’UE ont renoncé avec l’Union douanière. 

Le multilatéralisme global égalitaire n’avait pas atteint sa pleine maturité que la futurologie des années 1990 aimait déjà thématiser la formation de grandes zones économiques macro-régionales. L’émergence euphorique du Marché unique en Europe, autour de l’axe franco-allemand, attisait les scénarios de long terme sur de futurs partenariats panaméricains, euro-africains et sino-asiatiques de proximité (macro-régionalisme). La notion de confrontation des superpuissances étant absente, celles d’exclusivité et de loyauté de la part de leurs satellites ne l’étaient pas moins. Ce n’était pas encore un problème.  

Fin de l’innocence

Cette innocence toute libérale s’est assez vite dissipée dans ce qu’il faut bien appeler le retour des politiques de puissance, d’obédience et de clientélisme appliquées au domaine industriel. Pour s’en tenir aux plus grands symboles de l’actualité, prenons une compagnie britannique de moyens courriers comme Easyjet. Elle opère essentiellement en Europe. On la verrait mal s’équiper en Boeings juste après le Brexit, et obtenir néanmoins des égalités de traitement avec les compagnies continentales sur l’exploitation des lignes aériennes.

On n’imagine pas les Suisses opter pour des avions de combat américains par rapport à leurs problèmes continuels de voisinage avec l’Union Européenne. L’acquisition idéale serait un Rafale pour apaiser la France, inspiratrice et cheffe de file des suissophobes en Europe. Le groupe chinois de technologies Huawei est ostensiblement discriminé aux Etats-Unis et en Europe. Bruxelles et des Etats membres font tout pour entraver et décourager les grands groupes américains de l’internet. La Chine, qui s’était relativement ouverte, n’a plus du tout la même motivation. Son trade-to-GDP ratio est passé de 60% à 30% en dix ans. Elle préfère investir aujourd’hui dans le monde plutôt que vendre à l’étranger. Il est devenu banal de se plaindre ou de se réjouir partout des tendances de plus en plus protectionnistes, alors que le protectionnisme passait depuis des décennies pour une relique barbare hors-sujet.

Concurrence déloyale

La phase protectionniste dans laquelle la civilisation industrielle s’est engagée n’est évidemment pas favorable aux puissances « moyennes » peu enclines à cultiver la mono-dépendance (ou mono-interdépendance, ce qui revient au même sous cet angle). Les grands ont d’ailleurs peu d’états d’âme par rapport à ces quantités géopolitiques négligeables, fanfaronnant si souvent en tête des classements de performances économiques.

Ne sont-ils pas surtout des profiteurs bénéficiant de coûts de complexité bien moins élevés sur le plan des conditions cadres ? S’ils développent en plus des relations privilégiées avec de grands rivaux genre Union Européenne, à quoi bon les reconnaître pleinement en tant qu’Etats? Les assimiler à leur protecteur ne semblerait-il pas plus cohérent? On se souvient du drame que provoqua en Suisse la non-invitation au G20 de crise en 2008. Une véritable humiliation pour la quatrième place financière du monde, la dixième puissance économique (l’UE comptant pour une) et le septième exportateur en chiffres absolus (l’Europe comptant pour vingt-huit).

Cette méfiance est précisément celle de l’Europe franco-allemande par rapport au Royaume-Uni, à sa proximité et à ses affinités avec l’économie américaine (voire chinoise ou indienne). Les Britanniques qui ont voulu désimbriquer leur pays de l’Union Européenne savent pourtant ce que neutralité économique veut dire. Leur objectif n’est absolument pas de rejoindre l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA). C’est au contraire de pouvoir ajouter au multilatéralisme global de l’OMC des accords bilatéraux ou régionaux diversifiés à l’échelle du monde. Sans apparaître comme de simples affiliés. C’est ce que leur appartenance à l’Union douanière européenne les a empêchés de faire pendant des décennies. Alors que la libre circulation des personnes les contraignait à accorder aux Européens un accès privilégié au marché britannique du travail. 

Communauté de destins

La plupart des économies nationales ouvertes ont un commerce extérieur à dominante macro-régionale. C’est a fortiori le cas des pays de l’Union européenne (c’est d’ailleurs l’une de ses finalités) : leurs exportations se dirigent vers les autres Etats membres. A plus de 70% dans le cas de la Belgique, des Pays-Bas ou de l’Autriche. A près de 60% en Allemagne, en France ou en Suède (Eurostat 2018). Ce n’est en revanche plus le cas du Royaume-Uni depuis des années. Ses exportations intra-européennes sont devenues minoritaires. Elles ne représentent plus que 45% des ventes à l’étranger. Soit une diminution de 10 points de base sur 20 ans (comme en Suisse), alors que le périmètre de l’Union s’est agrandi.

La Suisse connaît également un élargissement continu de son commerce extérieur depuis les années 1990. Les ventes à destination de l’Union européenne seront bientôt minoritaires elles aussi dans les exportations. Elles ne sont plus que de 52%, alors qu’elles dépassaient encore 60% de l’ensemble il y a vingt ans (64% en 2001). Elles se rapprocheront des 45% après la réalisation du Brexit (le Royaume-Uni et la Suisse seront les deux seuls Etats d’Europe à exporter davantage dans le monde que sur le continent).

Cette globalisation croissante a d’abord l’avantage de diversifier les risques conjoncturels géographiques. Elle permet surtout de bénéficier des taux de croissance élevés en Amérique et dans les grandes régions en développement, plutôt que de subir les problèmes structurels chroniques pesant sur l’Europe. Elle a eu lieu jusqu’ici dans un environnement monétaire tendanciellement défavorable, incitant continuellement l’industrie à se concentrer sur des spécialités sophistiquées et à marges élevées, dont le marché ne peut être que mondial.

On comprend dès lors que la politique économique de la Suisse proclame son attachement au multilatéralisme global plutôt que régional. L’OMC et d’autres agences économiques internationales ne sont-elles pas en plus basées à Genève ?  Certaines attitudes découlent naturellement de ce genre de privilège historique.

Bon sens commercial

Le multilatéralisme universel ne progresse plus. Il régresse même par endroits, mais il n’a pas rendu l’âme. La plupart de ses acquis les plus importants vont probablement survivre à la phase protectionniste actuelle. Pour repartir peut-être sur de nouvelles bases, pour un nouveau cycle. Lorsque les ajustements macro-économiques nécessaires auront été réalisés (rééquilibrage partiel des balances commerciales en particulier).

En attendant que le terme redevienne audible, le multilatéralisme en suspension a une signification évidente pour les économies nationales les plus globalisées (et qui veulent le rester) : la neutralité économique. Elle fait partie du plus élémentaire bon sens commercial : ne pas accepter de privilèges qui obligent. Ne pas se lier à des clients en concurrence avec d’autres. Respecter le principe d’égalité de traitement. Sur le plan de la politique économique : appliquer la clause de la nation la plus favorisée. Si le libre accès des Européens au marché suisse du travail est considéré comme une liberté économique, alors l’accorder à tous les autres. En commençant par les Américains, les Chinois, les Indiens… Ou alors s’abstenir.

La neutralité économique n’est pas un absolu.

Juste un principe à faire valoir dans l’intérêt de tous à long terme

La neutralité économique n’empêche nullement de faire partie de zones de libre-échange régionales classiques et non exclusives, comme il en existe plusieurs qui se recoupent en Asie. La neutralité économique n’est pas un absolu. Juste un principe à faire valoir dans l’intérêt de tous à long terme. A part la Suisse et le Royaume-Uni, on pense spontanément à ce que cette valeur d’indépendance peut représenter pour des Etats comme le Japon, la Corée, Taiwan, Israël, Singapour, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. Mais il y en a bien d’autres. Des Etats continuellement soucieux de ne pas apparaître comme des fournisseurs privilégiés ou clients captifs d’une grande puissance hégémonique.

La valse des malentendus

Dans les semaines qui ont précédé et suivi le Brexit, un courant d’opinion peu renseigné avait fait de la Suisse le modèle susceptible d’inspirer le Royaume-Uni pour ses futures relations avec l’Union Européenne. Un article particulièrement enlevé du Financial Times avait coupé court à ces spéculations. La Suisse, fut-il rappelé avec un mépris plutôt paradoxal venant d’un média historiquement européiste, n’est-elle pas au contraire un modèle d’Etat intégré progressivement à l’Union Européenne ?

Passe encore qu’elle ait adhéré aux Accords de Schengen et Dublin, que les Britanniques ont toujours rejetés. Mais la Suisse n’a-t-elle pas aussi accepté la libre circulation des salariés et indépendants, dont le Royaume vient précisément de se débarrasser ? Avec des approfondissements en cours de négociation dans le cadre d’un accord institutionnel, comprenant des reprises automatiques du droit communautaire ? Tout ce dont les Britanniques du Brexit ne veulent plus entendre parler.

Cette image d’une Suisse inféodée à l’Europe de Bruxelles est en fait celle qui circule aujourd’hui dans les milieux économiques des cinq continents. Les Suisses ne donnent guère l’impression d’être en mesure actuellement de préserver leur neutralité économique. Leurs spécificités semblent plutôt vouées à se dissoudre dans l’homogénéité du marché européen. Leur image condamnée à devenir de plus en plus européenne au sens le plus controversé et le plus décevant du terme*. A moins qu’ils acceptent enfin la confrontation avec l’Union, lorsque leurs organisations économiques auront compris où se trouvent les intérêts les plus durables de la place industrielle, de services, de recherche et de développement. Investir dans l’avenir de la Suisse, c’est d’abord investir dans sa neutralité économique. Ce n’est pas d’abord une question d’argent, mais bien de volonté. De volonté populaire plus précisément.  

Revue de presse commentée  https://cutt.ly/ve5wzDI

*Annexe

Décrochage industriel européen

« Un seul fait suffit pour se convaincre du décrochage industriel de l’Europe: en 2008, sur les 500 premières entreprises mondiales, 171 étaient européennes et 28 chinoises ; dix ans plus tard, 122 sont européennes et 110 chinoises. Dans le secteur numérique, les Américains ont leurs GAFAM ; les Chinois leurs BAT (Baidu, Alibaba, Tencent); les Européens, eux, n’ont pas réussi à faire émerger une seule entreprise de cette envergure.

Face à ce sentiment de déclin, l’Europe, par la voix notamment de la France et de l’Allemagne, a cru trouver dans la politique de concurrence la cause principale de ses maux. À la suite de l’interdiction de la fusion Alstom – Siemens, le contrôle des concentrations a été montré du doigt: trop rigide, trop centré sur le seul intérêt des consommateurs, il empêcherait l’émergence de nouveaux géants sur notre continent.

Or cette explication apparaît peu fondée. Les statistiques ne confirment pas la prétendue intransigeance de la Commission par rapport à ses homologues américains, bien au contraire: sur la période 2014-2018, seules trois opérations ont été interdites par la Commission dans l’Union européenne, alors que le Department of Justice et la Federal Trade Commission ont tenté d’en faire annuler vingt-deux aux États-Unis. Il est certes nécessaire d’améliorer le contrôle des concentrations, par une réelle prise en compte des gains d’efficacité ou une vigilance accrue face aux «acquisitions tueuses» ; mais l’affaiblir serait un contresens. »

Emmanuel Combe, Paul-Adrien Hyppolite et Antoine Michon, extrait de « Renforçons enfin la défense commerciale de l’Europe face aux États-Unis et à la Chine! » Figaro Vox, 5 décembre 2019. Les trois auteurs viennent de publier une étude en trois volumes : L’Europe face aux nationalismes économiques américain et chinois (Fondapol, « think tank libéral, progressiste et européen »).

 

La libra creuse sa tombe à Genève

Ou comment l’avantage de cette localisation en dehors des Etats-Unis et de l’Union Européenne est en train de se retourner contre le projet monétaire de Facebook et de ses vingt-sept partenaires. 

Il n’est guère difficile de deviner quels raisonnements ont incité Facebook et ses vingt-sept entreprises partenaires à localiser leur projet de monnaie numérique libra à Genève:

#    meilleure acceptabilité dans le monde que s’il était basé aux Etats-Unis ;

#    ou même dans l’Union Européenne ;

#     sans parler de la Chine ni de l’Asie, plus problématiques du point de vue de la sécurité juridique ;

#    mauvais timing sur Londres (Brexit chaotique) ;

#    gains d’image sur la neutralité, grâce aux organisations internationales et à la Banque de règlements internationaux à  Bâle (BRI, dite communément banque centrale des banques centrales) ;

#    secteur financier et fintech très globalisés en Suisse ;

#    gestion relativement bonne de la crise de 2008 et de ses effets ;

#    régulation bancaire et financière ouverte et reconnue sur le plan  international .

Tout se passe cependant comme si ces pieuses considérations étaient en train de se retourner contre Facebook et Genève. Il semble même ardu de rejeter en bloc un autre fil conducteur possible de ce qui se déroule depuis l’annonce du projet en avril. Le narratif se réfère alors aux politiques de puissance des grands Etats en premier lieu.        

#    Les Etats-Unis ont mal pris le projet de libra dès le début. Comme s’ils ne voyaient pas pourquoi une innovation de cette importance ne serait pas basée sur le territoire américain. En plus, les réactions dans le monde ont aussitôt relevé que la libra pourrait assez vite devenir un concurrent pour le dollar.   

#    Voyant les délégations de dignitaires américains se rendre à Berne depuis la mi-août pour discuter avec les instances locales de régulation (assez flattées sans doute de tant d’attention), le ministre français de l’économie et des finances Bruno le Maire saisit l’occasion d’une conférence de l’OCDE à Paris pour prendre la souveraineté monétaire des Etats en otage (12 septembre) : « Nous ne pouvons pas autoriser le développement du libra sur le sol européen. » On ne peut évidemment s’empêcher de penser que c’eût été un peu différent si la libra avait été basée à Paris (comme l’OCDE).

#    Mise sous pression par la France, l’Allemagne se réveille à son tour, mais pour calmer le jeu (la libra n’est pourtant pas non plus basée à Francfort). Un communiqué franco-allemand paraît le lendemain au sommet ECOFIN à Helsinki pour annoncer que cette affaire représente un vrai défi et qu’un rapport du G7 paraîtra en octobre à ce sujet. On ne saura pas ce que les vingt-cinq autres membres de l’UE en pensent. On ne sait pas non plus si la Suisse est consultée, ni partie prenante dans ces travaux (qui ont l’air d’être en cours avec l’OCDE également).

C’est dire si les jeux paraissent faits et refaits. On ne voit pas très bien pourquoi le cartel des grandes puissances occidentales laisserait une chance à Facebook et à Genève. A moins d’une intervention divine de dernière minute, d’un accès de bon sens ou d’un compromis permettant de sauver la face en vidant le projet d’une partie de sa substance.

#    Le ton est sans surprise très différent en Suisse. La Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne ont assez vite exprimé des craintes élevées s’agissant des effets pervers probables de la libra sur la politique monétaire et la stabilité financière. A contrario, Thomas Jordan, président de la Banque nationale suisse (BNS), s’est montré beaucoup plus ouvert par rapport à cette expérience intéressante, qui doit être soigneusement régulée, mais pas inutilement entravée ni surtout interdite. « Au final, c’est le marché qui décidera des formes de monnaies auxquelles les ménages et les entreprises accorderont leur préférence à long terme.» (Le Temps, 6 septembre)  

La localisation en Suisse n’est évidemment pas seule en cause s’agissant du sort de la libra. Il y a surtout l’image accablante des GAFAM en général. De Facebook en particulier, avec ses dérapages commerciaux. Le réseau social des réseaux sociaux a aussi rendu la vie politique encore plus inconfortable. Genève n’est certainement qu’un handicap complémentaire dans cet environnement hostile, mais il n’est à coup sûr pas insignifiant. Il s’avérera peut-être même décisif au final.

Bruno Le Maire à l’OCDE (12 septembre).
Il veut interdire la libra en Europe. On ne peut guère s’empêcher de penser que ce ne serait pas tout à fait la même chose si le projet était basé à Paris.

Le catalogue des mauvaises raisons

On ne parlera pas d’hypocrisie, puisqu’il s’agit de politique et de raison d’Etat. Mais les motifs invoqués au plus haut niveau contre le projet monétaire de Facebook sonnent passablement faux. On s’en rend mieux compte en évaluant de manière un tant soi peu critique l’argumentaire dominant et quasi-officiel.

#    Un danger pour la souveraineté des Etats et de leurs banques centralesComme toutes les innovations, personne ne sait ce que la libra va donner sur le plan sociétal. Ce n’est qu’à l’usage qu’on se rendra compte en quoi il met ou non la souveraineté monétaire des Etats en danger. Préjuger de l’importance qu’il prendra dans les paiements, dans la thésaurisation et dans la spéculation n’a aucun sens à ce stade. D’autant plus que le phénomène dépendra beaucoup de la régulation évolutive qui lui sera imposée. En tout état de cause, les Etats peuvent déjà, et pourront encore intervenir à tout moment pour détruire de que bon leur semble. Fût-ce la libra ou même Facebook.

#     Un risque particulier de substitution dans les Etats à forte inflation et monnaies faibles. Quelle soudaine sollicitude pour ces Etats à problèmes. Mais pourquoi particulier ? Ce risque est déjà pleinement réalisé aujourd’hui avec le dollar, l’euro ou encore le yuan accessoirement. Utilisés dans ces pays pour les paiements et surtout la thésaurisation (la mauvaise monnaie chassant la bonne).     

#     L’importance de la libra dans le monde requiert une régulation globale qui ne peut être assumée par un petit Etat comme la Suisse. Le global et son assimilation aux grandes puissances relève de la sophistique, voire de la pure contradiction. Toutes les activités financières sont domiciliées quelque part. Morgan Stanley ou Deutsche Bank sont basés et régulés dans leur Etat d’origine. Ils relèvent ensuite d’une régulation secondaire locale dans tous les Etats dans lesquels ils sont actifs (Finma, BNS et d’autres instances en Suisse). UBS et Credit Suisse sont soumis à une régulation primaire en Suisse, et à des régulations secondaires dans le monde. Ces régulations sont elles-mêmes influencées par des dispositions relevant du droit international. Même constat s’agissant du dollar ou de l’euro, monnaies quasi-nationales dans de nombreux Etats. Leur usage est plus ou moins régulé localement en tant que tel.    

On retrouve ce genre d’architecture régulatrice générale s’agissant d’Internet ou des réseaux sociaux. Facebook en sait quelque chose. Le groupe fait l’objet de procédures judiciaires dans plusieurs pays. Et s’y soumet. Ce ne serait guère différent pour la libra. Invoquer la perte de souveraineté des Etats comme le fait Bruno Le Maire s’apparente surtout à de l’agitation politique.             

#      Un danger pour la stabilité financière. On a entendu (et probablement dit) la même chose du bitcoin. Plus personne ne s’inquiète aujourd’hui des risques systémiques du bitcoin, qui a semble-t-il atteint sa maturité. Dans ses intentions, la libra s’apparente d’ailleurs bien plus à des plateformes de micro-paiement déjà existantes, ou aux transferts d’argent de type Western Union. S’agissant des importantes réserves financières de garantie que la libra générera en contreparties (produits de la vente d’unités de libra), elles ne représenteront pas un risque systémique bien supérieur aux multiples grands fonds d’investissement, aux fonds souverains ou aux bilans des banques centrales. Il y a d’ailleurs beaucoup d’autres dangers pour la stabilité financière, et d’une toute autre importance. A commencer probablement par le surendettement public, le déséquilibre des balances commerciales et la concentration des capitaux.

#     Une aubaine pour le blanchiment et le financement du terrorisme. L’une des phobies préférées du grand complotisme. Oui, ce risque existe. Dans tous les systèmes de paiement. Il n’est guère cohérent d’affirmer à la fois que la monnaie scripturale et les paiements électroniques ont l’avantage de la traçabilité par rapport aux coupures, mais que la libra représenterait un risque particulier sur ce plan.

#      Un danger pour la protection de la personnalité. Oui, certainement, et c’est un combat permanent. Facebook en sait aussi quelque chose. Il s’agit probablement de l’entreprise la plus scrutée du monde. Il n’est évidemment pas question que les données personnelles des utilisateurs de la libra puissent être utilisées à d’autres fins. Sachant bien entendu qu’aucune entreprise ne peut répondre à 100% de son personnel ni de ses prestataires de service. C’est le cas également des plateformes de paiements, des banques ou encore des administrations fiscales.

#     Ce sont aux organisations internationales, aux Etats et à leurs banques centrales de concevoir et développer des systèmes de paiement correspondant aux objectifs de la libra. Oui, certainement, et Bruno Le Maire a eu la délicatesse de reconnaître que la libra avait au moins le mérite de mobiliser ces différentes instances publiques sur le sujet. Parce que si l’on avait attendu sur elles pour prendre ce genre d’initiative, on en serait encore au téléphone à manivelle. A priori, le public ne devrait d’ailleurs pas empêcher le privé. Sauf qu’il ne dispose pas d’un réseau homogène et à hautes performances de 2.4 milliards d’utilisateurs. Et que la nationalisation de Facebook ne figure dans aucun agenda. Sans parler du simple potentiel d’excellence technologique. Le secteur public n’est vraiment à l’aise dans ce domaine que lorsqu’il se trouve en position de monopole, avec ou sans recours à des sous-traitants. Comme dans le cas de l’industrie d’armement. Ça donne une idée des vertiges que l’affaire libra pourrait encore susciter.

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Annexe

La libra et l’autre fin du monde (pas l’écologique)

(Paru dans Le Matin Dimanche du 15 septembre)

Ce n’est peut-être qu’une vague start-up financière de quelques personnes, localisée dans un espace de coworking sur le Quai de l’Ile à Genève, mais la libra concentre un maximum d’attention au plus haut niveau dans le monde. Rien à voir avec les techno-pignoufleries spéculatives du bitcoin.

Le moyen de paiement projeté par Facebook a d’autres ambitions : faire en sorte qu’envoyer de l’argent à quelqu’un, en face de vous ou à l’autre bout de la planète, s’avère aussi facile que lui envoyer un selfie. Les diverses implications du projet en font quelque chose qui pourrait assez vite ressembler à une monnaie. Une monnaie banale pour 2,4 milliards d’utilisateurs de Facebook. C’est presque autant que le dollar.

Une délégation du Congrès américain s’est rendue à Berne au mois d’août. Les parlementaires ont visité le Palais fédéral et rencontré tout ce que le pays compte de régulateurs financiers. Certains ont été quelque peu rassurés de constater que la Suisse n’était pas qu’une zone de non-droit dédiée au blanchiment d’argent. La localisation de la libra à Genève restant néanmoins très incongrue à leurs yeux, il a fallu leur expliquer en plus ce qu’était la neutralité. Les fonctionnaires fédéraux se sont peut-être même surpris à devoir préciser ce à quoi ils n’avaient jamais pensé jusque-là : la neutralité peut aussi avoir un sens économique.

Plus encore que les gouvernements et parlements, ce sont les banques centrales que le projet de libra perturbe sur les bords. Ne surgit-il pas au moment où elles ont renié leurs principes de rigueur et d’indépendance ? Après la crise de 2008, la création monétaire sans limite a permis de regonfler les marchés financiers. Il s’agissait surtout de sécuriser l’emploi et les systèmes sociaux en relançant l’investissement industriel et la consommation par effet de richesse. La croissance se retrouve aujourd’hui dans un état d’addiction profonde. Elle ne peut plus se passer de taux d’intérêt anormalement bas, voire négatifs. Et les banques centrales ne parviennent plus à résister à la pression politique. Elles s’exécutent. Le modèle de développement du demi-siècle écoulé a perdu ses repères.

Cette dérive vient s’ajouter aux grands cercles vertueux devenus lourdement pervers à force de ne plus vouloir les maîtriser : déséquilibre des balances commerciales entre Etats, endettement public, concentration des capitaux. Une nouvelle crise de confiance généralisée semble programmée. Elle sera sans doute provoquée par un battement d’aile imprévisible. Il n’est pas certain que les banques centrales aient cette fois la crédibilité nécessaire pour rétablir l’optimisme. La suspicion monétaire pourrait même venir s’ajouter à la crise financière. Sonnant le grand retour de l’inflation. Ce mal tellement éradiqué que l’on ne parvient même plus à le réhabiliter au niveau raisonnable de 2%.

Créé pour n’être qu’une monnaie parallèle, comme il y en a déjà beaucoup à plus petite échelle (en dollars, en euros, en francs), la libra pourrait alors devenir une vraie monnaie de substitution. Souveraine et privée, comme il en existait encore au XIXe siècle en pleine révolution industrielle. C’est ce genre de scénario qui plane au-dessus de nos têtes. S’il se réalisait, ce serait dans un environnement économique et politique tellement pétrifié que cette libra libertaire pourrait tout d’un coup apparaître comme un moindre mal. (FS)

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Généalogie de la voie bilatérale

Pour l’Union Européenne, il s’agit depuis les années 1990 d’une voie intégratoire progressive en vue d’une future adhésion. Ce fut également le cas pour la Suisse jusqu’en 2005. La demande d’adhésion n’a ensuite été retirée qu’en 2016. L’UE n’a en revanche jamais dit que son objectif stratégique avait changé. Le moment est probablement venu de clarifier les intentions et de désembrouiller la situation.  

Dans son indispensable et inusable ouvrage de synthèse « Suisse-Union Européenne – L’Adhésion impossible ? » (2006, 2010, 2015), le politologue René Schwok relève à quel point l’on peut s’étonner de la dimension émotionnelle du débat politique au début des années 1990 sur l’adhésion de la Suisse à l’Espace économique européen (EEE) : « Les jeunes générations éprouvent aujourd’hui de la peine saisir comment les Suisses ont pu pareillement s’enflammer sur un engagement qui, dans les faits, restait très limité. »

Cet énorme décalage de perception renvoie en réalité aux articulations que les sciences humaines observent entre causalités de premier niveau, agissant souvent comme de simples déclencheurs (le vote populaire du 6 décembre 1992 en l’occurrence), et déterminismes plus environnementaux. Des causes cumulatives éloignées et indirectes s’avèrent en général bien plus relevantes s’agissant de comprendre certains phénomènes historiques. De toute évidence, l’enjeu de 1992 ne fut pas le banal accord commercial sectoriel et multilatéral que toutes les institutions du pays s’épuisèrent à « vendre » à l’opinion publique. Il s’agissait en réalité d’une étape cruciale dans un processus d’intégration  progressive et irréversible dans l’Union Européenne. Plusieurs éléments en témoignent clairement :

#     Les événements se sont produits dans les circonstances de la fin de la Guerre froide. L’Union soviétique s’éclipsait, libérant la place pour une nouvelle superpuissance. Tous les commentateurs s’accordaient sur le fait qu’un monde multipolaire allait se substituer au monde bipolaire, avec l’Union Européenne comme nouvelle superpuissance aux côtés des Etats-Unis, de la Chine et d’une Russie «redimensionnée» (l’Inde était également mentionnée à l’époque). Cent-vingt ans après les Etats-Unis d’Amérique, l’Europe émergente devait d’abord achever de s’unifier dans un processus historique naturel et tardif d’agrégation des Etats. Il s’agissait d’une phase de rattrapage succédant à la longue période de  formation des nations et de guerres nationales en Europe. L’intégration rapide des retardataires de l’Association européenne de libre-échange (AELE), dont la Suisse fait toujours partie, allait précéder la fixation beaucoup plus problématique des frontières à l’Est (intégration des Etats d’Europe orientale).

#     Initiées en 1984, les discussions entre AELE et CEE (future UE) en vue d’une association des deux zones entre égaux changent de nature en 1991. Bruxelles décide unilatéralement qu’il s’agira au contraire de discuter d’une subordination des Etats membres de l’AELE au droit européen dans le domaine de la politique économique élargie. L’objectif d’association est remplacé par un objectif d’intégration en vue d’une adhésion complète ultérieure.

#     L’Autriche était déjà candidate à l’adhésion complète. Dans ces nouvelles circonstances, la Finlande et la Suède déposent aussitôt leur demande. La Norvège et la Suisse suivent en mai 1992. La demande d’adhésion de la Suisse reflète les convictions majoritaires du Conseil fédéral à l’époque. Aussitôt controversée par les adhésionnistes eux-mêmes, qui craignent qu’elle dissuade le public d’adopter au moins l’EEE pour commencer, cette démarche jugée “fatale” par la suite témoigne surtout des impératifs de cohérence, de transparence et d’honnêteté du gouvernement s’agissant de la finalité du traité : si les autorités suisses n’avaient pas assorti leur demande d’adhésion à l’EEE d’une demande d’adhésion complète à l’Union, il eût été plus difficile encore d’expliquer à l’opinion publique une perte de souveraineté de cette ampleur en politique économique et migratoire. N’avait-il pas été question initialement d’obtenir de Bruxelles un simple accord commercial multilatéral dans le cadre de l’AELE ?

#     La Norvège et l’Islande, toutes deux membres de l’EEE depuis 1992, n’ont d’ailleurs toujours pas retiré aujourd’hui leur demande d’adhésion. La Suisse n’y a renoncé qu’un quart de siècle plus tard, en 2016, après le vote populaire de 2014 contre la libre circulation des personnes. Lorsque l’on mesure le drame provoqué par le Brexit au Royaume-Uni depuis cette année-là, s’agissant de sortir de l’UE, on comprend mieux l’émotion de 1992 en Suisse s’agissant d’y entrer, même progressivement.

#     L’adhésion complète est resté l’objectif stratégique du Conseil fédéral pendant toutes les années 1990, et même au-delà. Ce n’est qu’en 2005 qu’elle est officiellement devenue une option parmi d’autres. Côté Union Européenne, il n’a jamais été dit en revanche que l’adhésion de la Suisse n’était plus un objectif stratégique. A Bruxelles, le dossier suisse ne fait pas partie de la Politique européenne de voisinage (PEV), mais de la politique d’élargissement. Les choses sont donc tout à fait claires. Contrairement à ce que suggère Christoph Blocher par exemple, il n’y a aucune espèce de complot. Les relations politiques entre l’UE et la Suisse revêtent un bon degré de transparence. Le problème, c’est que les processus sont si longs que l’on en perd assez vite le sens et la vue d’ensemble. Que l’on soit du côté de Bruxelles ou du côté de Berne.

S’ils cessent de croire que la Suisse adhérera un jour à l’UE, la voie bilatérale n’a plus aucun sens pour les Européens. Elle fait des Suisses de simples profiteurs.

Dans l’esprit des institutions européennes à Bruxelles, et des opinions publiques probablement, la non-intégration d’un Etat enclavé comme la Suisse n’était pas envisageable en 1992. Elle ne l’a pas été davantage par la suite (Berne n’a malheureusement jamais commandé de sondage à ce sujet). Ce n’est d’ailleurs qu’en septembre 2018, quand il devint évident que l’Accord institutionnel tout juste conclu allait poser de sérieux problèmes de ratification en Suisse, que le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a reconnu face au journaliste Darius Rochebin (RTS) qu’il ne croyait plus que la Suisse adhérerait un jour à l’UE. Jusque-là, l’échec de la voie multilatérale en 1992 semblait pourtant dû simplement au caractère très particulier de la Suisse. Il s’agissait donc de lui accorder une voie également particulière vers l’adhésion, sur le mode bilatéral précisément, avec davantage de progressivité

Les vertus du spillover effect

Cette approche des années 1990 et suivantes s’avérait en plus tout à fait compatible avec la base théorique des processus d’intégration européenne depuis les années 1950. La doctrine du spillover effect (effet d’entraînement), souvent évoquée en français en termes d’«engrenage vertueux» (formulation un peu malheureuse pratiquée par Jacques Delors en particulier), permet de segmenter l’intégration en unités successives et susceptibles d’obtenir chacune un consentement populaire plus limité, plus pragmatique et moins politisé.

Chaque nouvelle étape validée par les parlements ou corps électoraux est irréversible (ratchet effect, effet de cliquet). L’application des nouvelles dispositions juridiques fait ensuite apparaître comme évident que leur optimisation requiert de passer à l’étape suivante. Le deuxième passage n’a plus d’apparence qualitative. Il ne s’agit plus d’un changement de nature, mais d’une simple adaptation quantitative, une différence de degrés. Exemples d’effets d’entraînement les plus souvent évoqués dans la littérature et les déclarations politiques :

#     le libre accès aux différents marchés nationaux du travail (libre circulation des personnes) rend assez vite nécessaire et naturel une certaine harmonisation sociale. Qui requiert ensuite une certaine politique fiscale et intérieure commune, etc.

#     pratique et très difficilement réversible en soi, l’unification monétaire est aussi destinée à rendre ensuite évidente et nécessaire la régulation financière commune, l’union bancaire ou encore l’harmonisation fiscale. Qui débouchera plus tard sur une politique budgétaire commune, etc. Autant d’abandons de souveraineté impossibles à obtenir d’un seul coup.

Dans cette perspective et dans le cas de la Suisse, la voie bilatérale n’a pas seulement permis d’obtenir la libre-circulation après cinq ans d’intimidations et de chantages économiques. Verrouillée par le lien juridique qualifié de clause guillotine (en tant que cliquet), l’application des Accords bilatéraux I allait en plus rendre nécessaire et naturelle une certaine dose de reprise automatique du droit européen dans des domaines d’abord restreints, puis élargis. Avant même d’en arriver à des considérations institutionnelles allant dans ce sens (années 2010), les accords de Schengen/Dublin compris dans les Accords bilatéraux II ratifiés en 2005 allaient ouvrir une première brèche dans la muraille rendant jusque-là impossible toute reprise automatique du droit européen.


Le grand malentendu bilatéral

Le problème politique de la voie bilatérale en Suisse, c’est qu’elle s’est adossée dès le départ sur des alliances contre-nature générant de lourds malentendus. Lors de la campagne pour ou contre les Accords bilatéraux I en 2000 en parrticulier. Ils consacraient le bilatéralisme intégratoire, la vision du Conseil fédéral étant encore et toujours fixée sur l’adhésion. Ni les organisations économiques, ni l’UDC ne voulaient toutefois entendre parler d’adhésion. « Les eurosceptiques savent qu’on pourra en rester là après ces accords, synthétisait l’Agence télégraphique suisse avant le vote. Les pro-européens savent pour leur part qu’il faut passer par là pour avancer vers l’adhésion. Il n’y a donc aucune raison de ne pas dire un grand oui le 21 mai. » Il y eut en effet un grand oui. 

On se rend mieux compte avec le recul qu’il n’était en réalité pas possible « d’en rester là ». Bruxelles le fit comprendre aux négociateurs suisses après la ratification des Accords bilatéraux II en 2005. De son côté, la perspective d’une adhésion ultérieure, encore très présente à l’époque, s’est ensuite dissipée en Suisse malgré l’acceptation populaire très nette des Accords bilatéraux I et II. L’objectif d’adhésion de la Suisse à l’UE n’ayant toutefois nullement disparu en Europe, la voie bilatérale revêt encore aujourd’hui un sens complètement différent selon que l’on se trouve du côté de Bruxelles ou du côté de Berne.

Formalité bien comprise

Après les deux séries de traités intégratoires finalisés laborieusement sur plus d’une décennie, les Européens ont jugé à partir de 2005 qu’il était enfin temps de passer à la deuxième étape du bilatéralisme : la soumission progressive au droit européen, impliquant davantage de reprises automatiques sans participation à l’élaboration législative. A la manière de l’Espace économique: jusqu’à ce que la nécessité d’une pleine et entière participation apparaisse ensuite comme une étape supplémentaire allant de soi. Et que la Suisse puisse ensuite ouvrir la voie à la Norvège et aux membres de l’EEE, dont les réticences seraient plus faciles à ébranler. 

L’application des premiers accords bilatéraux sur plusieurs années montrait d’ailleurs clairement l’importance d’en adapter le contenu aux évolutions juridiques nombreuses et rapides en Europe. Il s’agissait dans le fond d’une simple optimisation des acquis. Le pragmatisme légendaire et avéré des Suisses n’allait certainement pas s’opposer à ce genre de formalité bien comprise. D’autant plus que Bruxelles n’était plus disposée à négocier quoi que ce fût avec la Suisse tant que ce cap ne serait pas franchi. 

Du sable dans les engrenages

Plusieurs événements sont toutefois venus perturber le bon déroulement des opérations. Le rejet en 2005 du projet de Constitution européenne par les électeurs français en premier lieu. Il allait passablement changer la dynamique communautaire. L’Europe franco-allemande élargie et ascendante de l’après-Guerre froide, qui avait culminé avec la création de l’euro, allait progressivement passer de l’euphorie absorbante à un état d’errance chronique et de motivations refroidies. Entre principe de réalité et ambitions contrariées, le grand projet national et identitaire européen s’est assez naturellement mis à reporter mauvaise humeur et ressentiment sur le voisin suisse enclavé.

En tant qu’électron libre, la Suisse allait être de plus en plus soupçonnée d’abus et de parasitage, apparaissant comme un « passager clandestin » du grand et glorieux marché continental intégré. Le fait contrariant que la balance commerciale fût largement en faveur des exportateurs européens vers la Suisse n’y changeait rien. Bilatéralisme ou non, les dix à vingt milliards de francs annuels de surplus devaient en quelque sorte être considérés comme un dû de la part des Suisses. Une contrepartie au privilège de pouvoir exporter dans le grand marché selon les règles de l’OMC, mais avec l’avantage de l’hyper-proximité. Il n’était en tout cas pas question de considérer la Suisse comme un client-roi.

Quand l’Europe va mal, tout va mal

Les effets du revers constitutionnel de 2005 en France sont une nouvelle fois venu confirmer une corrélation historique relativement forte depuis le XIXe siècle (et pas seulement dans le domaine économique) : lorsque l’Europe va bien, ses relations avec la Suisse vont bien. Lorsqu’elle va mal, les choses deviennent beaucoup plus difficiles. A partir de 2005, l’intégration institutionnelle croissante de la Suisse dans l’Union Européenne ne sera même plus présentée comme une option hautement souhaitable, mais comme une exigence incontournable assortie de menaces de rétorsions.

En Suisse, cet état d’esprit a sans surprise eu pour effet de réduire à presque rien ce qu’il restait d’europhilie et d’adhésionnisme. Anti-européen, le Parti populaire (UDC en français), dont les commentateurs scrutaient avec jubilation et depuis quinze ans les signes de déclin et d’effondrement (ça n’a pas changé), s’est au contraire durablement installé comme première formation et principale référence politique du pays.

Premières représailles

Le deuxième événement perturbateur du spillover intégratoire fut la victoire retentissante de l’initiative populaire contre la libre-circulation des personnes en 2014. Elle demandait que Berne reprenne le contrôle de l’immigration européenne. La pleine application du libre accès des ressources humaines continentales au petit marché suisse du travail à partir de 2007 avait aussitôt débouché sur un afflux près de dix fois supérieur aux prévisions formulées lors du vote de 2000 sur les Accords bilatéraux I.

Les effets positifs de cet écart spectaculaire sur la croissance du marché intérieur n’ont pas suffi à surmonter la crise de confiance du public envers ses institutions si peu prévoyantes. Partout dans le monde, l’ampleur des migrations s’avère d’ailleurs imprévisible en l’absence de politiques migratoires efficaces. Ce vote de défiance fut évidemment très mal pris à Bruxelles, suscitant aussitôt des représailles (programmes de recherche, erasmus, euromedia, etc.). 

Premier coup d’arrêt

En s’en prenant au cœur même de la mécanique d’intégration, cette première initiative populaire contre la libre circulation des personnes et ses développements potentiels (au sens de libre accès au marché du travail) portait un sérieux coup au bilatéralisme. Elle introduisait ni plus ni moins la volonté et la possibilité d’une rétrogradation. Même si le Parlement a jugé qu’elle n’était pas applicable en l’état, Bruxelles s’est alors mis à augmenter la pression pour tenter de sortir de cette mauvaise situation par le haut. Le forcing fut engagé pour obtenir enfin un accord institutionnel de reprise automatique du droit européen dans certains domaines, permettant d’entrer tout de même dans la deuxième phase de la voie bilatérale.

Fontaine by Jean Tinguely, 1980

L’irruption du Brexit

La troisième salve contre l’intégration européenne de la Suisse par voie bilatérale vint du Royaume-Uni. Le référendum de juin 2016 (Brexit) n’impliquait-il pas clairement la fin du libre accès des Européens au marché britannique du travail ? Cette rupture abrupte avec la libre circulation des personnes venait en plus d’un Etat membre non soumis aux accords de Schengen/Dublin. Elle ne fut jugée inapplicable ni par Londres ni par Bruxelles. Elle reflétait simplement la volonté des Britanniques de redevenir un simple Etat tiers par rapport à l’Europe franco-allemande et à son marché intérieur.

Accompagnée d’une sortie de l’Union douanière, cette rupture devait aussi permettre aux Britanniques de conclure leurs propres accords commerciaux dans le monde au gré des évolutions plus ou moins protectionnistes : une sensation forte d’ouverture après des décennies d’enfermement dans un grand marché aux contraintes économiques et politiques oppressantes. Cette libération n’excluait nullement que Londres et Bruxelles concluent par la suite des accords bilatéraux de libre-échange ou d’association d’Etat à Etat, mais sur un pied d’égalité juridique cette fois.

Le déni de Brexit

Quelques jours après le référendum britannique sismique et historique de juin 2016, l’ancienne conseillère fédérale et cheffe du Département des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey proclamait dans une interview l’urgence pour la Suisse d’attendre la conclusion des négociations de sortie entre Royaume-Uni et Union Européenne avant de poursuivre quelque discussion que ce fût avec Bruxelles. Elle ne fut pas entendue. Tout s’est passé ensuite comme si les milieux politiques ne voulaient pas voir à Berne que le Brexit avait fait bouger les rapports de force et modifié l’esprit des relations internationales en Europe.

Simple exercice diplomatique

Les deux ans d’attente et de tractations anglo-européennes de l’après-référendum britannique ont certainement interféré dans les discussions entre la Suisse et l’UE s’agissant d’accord institutionnel. De quelle manière au juste reste une thématique sujette à interprétation. Il est assez vite apparu toutefois que les négociations ressemblaient de plus en plus à un simple exercice diplomatique. Ni les concessions de détail ostensiblement arrachées par les négociateurs suisses, ni les exportations menacées par la mauvaise humeur et les représailles européennes en cas de refus n’allaient suffire à l’obtention d’une ratification populaire.

Pourquoi les Suisses accepteraient-ils sous la contrainte un nouveau palier dans leur intégration, alors que les Britanniques, bien plus avancés jusque-là, ont décidé souverainement de retourner d’un coup à la case départ ? Et de retrouver une liberté présentée depuis des décennies comme n’étant même plus envisageable ? Le fait de ne plus être seuls et à la traîne changeait évidemment la perception de la politique européenne en Suisse, et de la politique suisse à Bruxelles.

Les hauts fonctionnaires et négociateurs européens n’ont d’ailleurs pas attendu que la Suisse retire sa demande d’adhésion, ni le Brexit, pour se mettre à douter de l’avenir de la voie bilatérale. Cette voie encombrée d’obstacles par laquelle la Suisse procède à son rattrapage intégratoire avec une motivation et une lenteur devenues proprement décourageantes. Et si le Conseil et la Commission, comme Juncker, ne croient plus que la Suisse adhérera un jour à l’UE, la voie bilatérale n’a vraiment plus aucun sens pour les Européens. Il semblerait bien plus normal que le dossier suisse ressortisse à la Politique européenne de voisinage (PEV) plutôt qu’à la politique d’élargissement.  

L’attitude du Conseil fédéral décidant de mettre l’Accord institutionnel négocié défensivement et de haute lutte en consultation, plutôt que de le promouvoir solennellement devant le parlement et le public a fait le reste. Elle a exaspéré à Bruxelles. En Suisse, à part les organisations économiques prêtes à toutes les compromissions par le plus illusoire des gains de paix, qui peut penser aujourd’hui que la voie bilatérale mérite encore d’être défendue ?

Quatrième acte : l’apothéose

Le quatrième acte du grand drame bilatéral s’est joué en 2018. En pleine période estivale, l’Union syndicale suisse (USS) annonce qu’elle ne soutiendra pas l’Accord cadre institutionnel négocié avec l’UE. Ne représente-t-il pas une régression sur le plan social ? Adoption de la nouvelle directive européenne sur les travailleurs détachés, et remise en cause programmée de la protection des salaires garantis par les conventions collectives de travail. Le Parti socialiste, deuxième force politique du pays et dernière formation du Parlement à avoir laissé l’adhésion à l’UE dans son programme, s’aligne sans surprise à la rentrée sur son aile syndicale. Les dernières chances d’acceptation de l’Accord institutionnel par le corps électoral s’évaporent.

Les circonstances de ce spectaculaire changement de cap ne pouvaient pas mieux tomber pour le Parti socialiste. Après trois décennies de combat défensif face au Parti populaire sur la politique européenne, une année avant les élections fédérales, elles offraient les meilleures conditions pour un repositionnement jugé nécessaire depuis longtemps : il ne faut plus compter sur l’Union Européenne pour venir élargir ou approfondir le champ du social en Suisse, contre la volonté des Suisses de surcroît.

Vers la fin d’un cauchemar national

Ce nouveau terrain de manœuvre attend en plus le conseiller d’Etat vaudois et ancien président du gouvernement cantonal Pierre-Yves Maillard. Issu d’une famille ouvrière, syndicaliste à succès, ancien candidat au Conseil fédéral, poids lourd du PS, il a entre-temps été nommé à la tête de l’USS. Maillard a peut-être été européiste dans sa jeunesse, mais on ne l’a guère entendu défendre la libre circulation des personnes par la suite. Profiler l’Union syndicale suisse comme leader et modèle de défense des acquis sociaux et salariaux en Europe correspondrait bien à son envergure intellectuelle, à ses ambitieuses convictions et même à sa fibre patriotique. Or on ne voit pas très bien ce que la voie bilatérale, qui consiste à aligner les concessions humiliantes et sans fin, apporte sur ce plan.

L’expiration de ce cauchemar politique, dont les avantages économiques paraissent de plus en plus dérisoires, remettrait au contraire la question de l’adhésion à l’Union européenne au premier plan. En la subordonnant clairement à des avancées sociales concrètes, revendiquées sur le plan européen contre vents et marée. Dans le registre du compromis dynamique « à la vaudoise », on l’aura compris, référence faite aux spectaculaires avancées de Maillard dans ce domaine à l’échelle locale. La fin du bilatéralisme et des vaines soumissions à Bruxelles ne permettrait-elle pas en définitive à la gauche internationaliste de sauver la face et de reprendre l’offensive ?

La fin du bilatéralisme serait même un soulagement pour la droite économique, non européiste contrairement à toutes les droites économiques d’Europe depuis des décennies. Prisonnière d’un soumissionnisme dégradant, ne doit-elle pas défendre en permanence des accords présentés comme ultimes et générateurs de stabilité ? Alors que Bruxelles ne cesse d’y ajouter de nouvelles exigences sur le mode de l’engrenage ?

Les organisations économiques n’ont jamais été capables de chiffrer de manière convaincante les avantages du bilatéralisme pour l’industrie, les services et l’emploi. Ni globalement, ni surtout traité par traité, domaine par domaine. Elles se sont toujours contentées de corrélations de principe à interprétations multiples. Genre: l’économie suisse va mieux aujourd’hui que dans les années 1990, ce qui prouve que les accords bilatéraux sont nécessaires. Comme si l’économie suisse n’avait fait qu’économiser quelques centaines de millions de francs de coûts d’homologation par an à l’exportation pendant deux décennies. Comme s’il n’existait pas d’économies nationales très ouvertes et performantes dans le monde qui ne se seraient pas inféodées de la sorte à de grandes puissances. Certainement douloureux dans un premier temps, la fin du bilatéralisme permettrait surtout de restaurer les relations de la Suisse avec l’Union Européenne dans la durée, sur des bases assainies, égalitaires sur le plan juridique, bien plus stables et bien plus fécondes.

Revue de presse commentée  https://cutt.ly/ve5wzDI

Annexe

Ratchet et spillover : la stratégie d’engrenage commentée par Jacques Delors

Issue de l’approche fonctionnaliste des sciences humaines, en sociologie,  histoire et relations internationales en particulier, la notion de spillover effect a beaucoup été thématisée dans l’analyse de la formation des Etats-Unis au XIXe siècle, et des organisations internationales au XXe. Les pères fondateurs de l’Union Européenne (Jean Monnet et Robert Schuman en particulier) s’en sont explicitement inspirés dans les années 1940 et 1950. De même que Jacques Delors, président de la Commission européenne de 1985 à 1995, initiateur de l’Espace économique européen et de la voie dite « bilatérale » pour la Suisse. Dans une allocution de 1991 à l’International Institute for Strategic Studies de Londres, Delors évoquait ainsi la dynamique interne fondamentale de l’intégration communautaire :

« C’est pourquoi l’expression « marché commun », encore utilisée par certains, ne correspond plus à la réalité. Nous construisons une Communauté dont les Etats membres exercent, en commun, une partie de leur souveraineté, grâce à des politiques communes de plein exercice, comme l’agriculture ou la cohésion économique et sociale, ou bien partielles, comme les actions communes en matière de recherche et de technologie, dans le domaine de l’environnement ou bien encore au titre de la dimension sociale. Tels sont les fondements d’une Communauté qui, grâce à cela engendre aujourd’hui une union politique ; l’Union Européenne, comme l’Acte unique, en formule l’objectif.

Par un effet d’entraînement, qui est une des caractéristiques de l’ingénierie communautaire, nous sommes conduits à ouvrir de nouveaux chantiers, dont un est très lié à une conception globale de la sécurité. Il s’agit des conséquences de la libre circulation des personnes (ici au sens des déplacements transfrontaliers qui sera approfondi par Schengen, pas seulement au sens du libre accès des Européens aux marchés nationaux du travail, ndlr), de l’exigence d’une action commune ou, à tout le moins, d’une très étroite coordination, pour lutter contre ce qui menace la sécurité individuelle : la grande criminalité internationale, les trafics de drogue, les menaces terroristes… La solidarité, l’une des pierres angulaires du pacte européen, passe aussi par des initiatives politiques dans ce domaine, qui relève bien de la sécurité.

Toujours au titre de cet engrenage vertueux se profile l’Union économique et monétaire. Certes, sa réalisation pleine et entière nécessitera des transferts de souveraineté, notamment avec la création d’une Banque centrale européenne. Mais il s’agit moins d’un saut qualitatif que d’un mouvement entraîné par le succès du Système monétaire européen. On imagine aisément ce que représente pour la Communauté, dotée d’une monnaie unique, la possibilité de jouer un rôle majeur dans le domaine international, pour remédier aux facteurs de désordre qui peuvent perturber les marchés des changes et les marchés financiers. En pesant de tout son poids pour une plus grande stabilité monétaire – ce qui implique des responsabilités mondiales pour la monnaie européenne –  en plaidant pour une meilleure allocation des ressources financières entre pays riches et pays pauvres, la Communauté apportera une contribution significative au renforcement de la sécurité dans le monde. Mais, là aussi, répétons-le, non sans accepter les contraintes d’une responsabilité mondiale lucidement assumée.»

(Texte intégral dans « Le Nouveau Concert européen », Odile Jacob, 1992)

Généalogie de la libre circulation des personnes

Les collectivités publiques et l’économie n’ont absolument pas besoin d’un accord de libre accès des Européens au marché suisse du travail pour accueillir toutes les compétences et talents dont elles ont besoin. D’autant plus que la réciprocité de cet accord est proprement dérisoire. La libre circulation a donc une autre signification. Si les Européens y tiennent tellement, c’est qu’elle revêt une importance politique bien particulière et cruciale pour eux. 

Elle fait partie des principes fondateurs du Traité de Rome instituant en 1957 la Communauté économique européenne (CEE). Ce traité n’est pas un simple accord de libre échange ou d’association. Il crée un marché unifié, avec un tarif douanier commun et exclusif vis-à-vis de l’extérieur (union douanière). La liberté de mouvement portant sur les marchandises (revendication plutôt banale à l’époque) est assortie d’une même liberté accordée aux personnes, aux services et aux capitaux. La libre circulation des personnes est donc placée en deuxième position dans la formulation des quatre libertés fondamentales. Ancien militant syndical, favorable à des conventions collectives de travail transnationales, relanceur de la dynamique européenne et président de la Commission Européenne dans les années décisives de 1985 à 1994, Jacques Delors prendra l’habitude de mentionner cette liberté-là en premier.

Les quatre libertés intégratoires ne sont initialement que des principes, qui vont devoir s’appliquer de manière évolutive et de plus en plus approfondie de traité en traité. La Cour européenne de justice a en plus pour mission officielle de produire une jurisprudence arbitrant en faveur de l’intégration (subsidiarité inversée). Les conflits de législations nationales, les vides et flous juridiques seront en particulier interprétés à l’avantage des futurs citoyens européens, bénéficiaires du principe de libre circulation des personnes.

La grande vision de l’époque renvoie à des Etats unis d’Europe, inspirés tardivement des Etats-Unis d’Amérique. Le modèle est accessoirement compatible avec l’Union soviétique, qui était elle-même une sorte de fédération de républiques. Quelque peu oubliée aujourd’hui, cette analogie a légitimé et favorisé pendant des décennies le soutien de la gauche et des intellectuels au grand projet européen : étape historique, voire scientifique ultime vers la future union des républiques socialistes d’Europe.

La dimension économique restreinte de la libre circulation, qui équivaut surtout à augmenter la liquidité du marché des salariés et indépendants, devait flexibiliser dans un premier temps le facteur travail et faire converger progressivement les niveaux de rémunération des différents Etats membres. Il fut prévu dès le départ que la mobilité géographique de la main d’œuvre, considérée comme un élément décisif du succès économique américain, serait activement encouragée en Europe, et de différentes manières (échanges de jeunes travailleurs d’un Etat à l’autre en particulier).

Dynamique intégratoire par la citoyenneté

La libre circulation n’est en réalité jamais venue à bout des différences salariales parfois abruptes entre Etats européens. La littérature théorique s’accorde en revanche sur le fait que ce vecteur d’intégration a surtout permis de sortir la CEE de sa sphère étroitement économique. Pour la projeter vers la future Union Européenne, politique et véritablement transcendante par rapport aux vieux Etats nationaux.

Etape par étape, le principe de la libre circulation va conduire à l’instauration du passeport européen dans les années 1980, à la reconnaissance mutuelle des systèmes sociaux, ou encore aux Accords de Schengen et Dublin. Dans une interview à plusieurs médias européens, dont Le Temps(« L’Europe n’est pas un supermarché, c’est un destin commun », 21 juin 2017), le président Emmanuel Macron rappelait solennellement que la libre circulation des personnes était « un élément constitutif de la citoyenneté européenne ».

La libre circulation fut aussi un ambitieux programme d’intégration sociale à l’échelle du continent. C’est ce qui explique que le Parti socialiste l’ait défendu si longtemps en Suisse. Avant de se rendre compte qu’elle était surtout de nature à tirer les meilleures conditions salariales vers le bas.

A la fin des années 1980, lors de la préparation du traité instituant l’Union Européenne (Maastricht), nouvelle étape dans l’intégration politique, Jacques Delors et son entourage ont imaginé un dispositif de transition (un « sas » disait-il) permettant aux Etats non encore membres de s’intégrer progressivement. En commençant eux aussi par l’économie, en vue d’une adhésion complète à plus long terme.

L’Espace économique européen (EEE) devait inclure les quatre libertés fondamentales, à commencer par la plus importante sur le plan politique : l’audacieuse libre circulation des personnes dans l’état de ses développements de l’époque, déjà bien avancés, et de ses évolutions futures par reprise automatique du droit européen.

Un petit livre remarqué de la collection Que sais-je, paru en 1992 à Paris, intitulé « La Libre circulation en Europe », donnait une idée de l’ampleur de ce que le principe impliquait : les Etats de l’EEE allaient en particulier devoir reprendre les dispositions du droit communautaire en matière d’avantages sociaux. « Or, la Cour de Justice européenne a souvent eu recours dans ses arrêts à la fois à la notion d’égalité de traitement et à celle d’avantages sociaux élargie (…). La notion d’avantage social telle qu’elle est entendue par la Cour est à son tour devenue, à certains égards, l’un des piliers de l’évolution du droit de la libre circulation.» Un corpus juridique qui atteignait déjà un niveau de complexité proprement labyrinthique.

L’illusoire réciprocité

La Norvège, l’Islande et le Liechtenstein acceptèrent et ratifièrent en 1992 leur adhésion à l’EEE. Leur marché du travail était à vrai dire peu attrayant, pour des raisons géographiques et linguistiques toujours valables s’agissant des Nordiques. Les Suisses, en revanche, ont rejeté le traité de justesse le 6 décembre par référendum, malgré l’unanimité institutionnelle, médiatique et partisane (Parti populaire et Verts alémaniques exceptés).

De l’avis également général, ce fut principalement la libre circulation des personnes, ses risques pour le marché du travail, son étendue, son caractère évolutif, sa finalité identitaire qui avaient fait échouer le projet. Mise continuellement en avant dans le débat politique, la réciprocité n’avait pas non plus convaincu : cadres et spécialistes de haut rang mis à part, souvent binationaux et que la Suisse n’avait de toute manière aucun intérêt à laisser partir, pourquoi des salariés sans double nationalité se seraient intéressés en Europe à des emplois payés sensiblement en dessous des prestations de chômage en Suisse ? Voire des rentes de base de l’Assurance vieillesse (AVS)?

Après l’échec de 1992, la recherche d’une voie plus particulière encore que l’EEE vers l’intégration, dite cette fois « bilatérale », lente et non évolutive, s’est provisoirement contentée d’une libre circulation simplifiée et statique : interdiction des quotas d’immigration et de travail frontalier, non-discrimination nationale lors des recrutements, avec quelques aménagements complémentaires. Les négociations furent longues et difficiles, prenant plusieurs années.

Le ratage  politique retentissant sur l’EEE avait ouvert les yeux des formations politiques de gauche. Indispensable pour obtenir une majorité en vote populaire, une partie significative de leur base, en général syndicale, était en fait opposée à la libre circulation. L’un des buts de cette LCP n’était-il pas d’augmenter la compétitivité de l’économie en augmentant la concurrence sur le marché du travail ? Faisant ainsi converger les niveaux de salaire suisses et européens vers le bas ? L’argument selon lequel le niveau général des prix baisserait également ne convainquait pas davantage. A peu près tout a d’ailleurs été fait par la suite pour anéantir l’îlot suisse de cherté. En vain. 

Ouvrir la porte et mettre le pied

La gauche a finalement consenti à la libre circulation des personnes dans la seconde moitié des années 1990, à condition qu’elle fût assortie de mesures d’accompagnement. C’est-à-dire de contrôles systématiques permettant de s’assurer qu’il n’y aurait pas de dumping salarial dans les entreprises des secteurs les plus sensibles. La gauche progressait ainsi d’un pas dans l’une de ses grandes aspirations idéologiques : le contrôle des salaires.

Ces mesures étaient complètement contraires à l’esprit et à la lettre de la libre circulation en Europe, mais elles furent acceptées du côté de Bruxelles. Le premier objectif des Européens n’était-il pas de caler la singularité suisse sur la voie de l’intégration, fût-elle tardive et très progressive ? Tout s’est passé comme si le but était surtout d’ouvrir une porte et d’y mettre le pied. Il serait toujours temps de faire évoluer les choses dans le bon sens par la suite. Comme leur nom l’indique, des mesures d’accompagnement ne sont que des précautions transitoires.

Totalement inutile pour la Suisse

Il y avait évidemment un risque dans cette affaire hautement sensible : que l’inutilité intrinsèque et pratique de la libre circulation apparaisse assez vite. La Suisse n’a en réalité nullement besoin de cet accord pour accueillir toute les compétences et talents européens dont son marché du travail a besoin. Les quotas annuels d’immigration en vigueur jusqu’à l’introduction de la libre circulation dans les années 2000 n’étaient d’ailleurs jamais atteints.

Les milieux économiques en étaient bien conscients, mais ils soutenaient la libre circulation pour que l’immigration européenne et le travail frontalier ne dépendent plus d’une opinion publique chroniquement soupçonnée d’être bien trop restrictive et aveugle sur les intérêts de l’économie, qui étaient aussi les leur: réduire les coûts salariaux augmente la compétitivité des exportations et des multinationales. 

Les négociateurs européens n’eurent aucune peine à obtenir dans ces conditions un redoutable dispositif rendant pratiquement inenvisageable toute réversibilité de la libre circulation. L’adhésion à l’UE n’est-elle pas restée  l’horizon et objectif officiel du Conseil fédéral pendant toutes les années 1990 (et même au-delà) ? Une clause dite « guillotine » prévoyait donc qu’une dénonciation de l’accord sur la libre circulation entraînerait automatiquement l’invalidation des six autres traités sectoriels du premier paquet bilatéral. C’est ce qui rend si difficile aujourd’hui la dénonciation de la libre circulation par la Suisse, bien que les effets migratoires n’aient pas du tout été de l’ordre de ce qui avait été prévu (ce qui invaliderait de fait n’importe quel traité international dans le monde).

Point de départ de l’intégration

Contrairement aux six autres accords liés des Bilatérales I, la libre circulation ne relève ni du libre échange, ni de la simple association. On se rend mieux compte avec le recul à quel point elle est en réalité vouée à reproduire avec la Suisse ce qu’elle a réalisé en Europe depuis les années 1950 : partir de la relation d’accès réciproque aux marchés nationaux pour s’élever à une dimension beaucoup plus globale, identitaire, historique et politique.

Les Européens, qui « accèdent » au marché suisse pour 20 milliards de francs de plus que les exportateurs Suisses n’ « accèdent » au marché européen (balance commerciale 2018), ne parlent d’ailleurs pas d’ « accès » des Suisses à leur grand marché. C’est en général de « participation » dont il est question, bien que les Suisses n’aient aucun pouvoir de décision.

Avec la libre circulation européenne en Suisse et sa contrepartie en termes de participation au marché européen, les Suisses participent déjà et de facto au grand chantier de la construction européenne. Pourquoi ne feraient-ils pas les petits pas intégratoires supplémentaires, qui leur donneraient au moins le droit de participer aux décisions? Puis de se rendre compte en définitive que l’adhésion complète n’est plus qu’une formalité (lire prochainement « Généalogie de la voie bilatérale ») ?

Le oui de la grande lassitude

En attendant que les Suisses se décident à participer complètement à la vie communautaire européenne, ouvrant peut-être un jour la voie aux Etats retardataires de l’EEE, les Accords bilatéraux I ont été soumis au vote populaire le 21 mai 2000. Huit ans après le rejet traumatique de cet EEE, les circonstances semblaient cette fois idéales. L’opinion publique et le climat politique étaient empreints d’une grande lassitude.

La Suisse était plongée depuis plus de dix ans dans une profonde crise immobilière, bancaire et économique. Olivier Steimer, ancien membre de la direction du groupe Credit Suisse dans le monde, puis président de la BCV et du Swiss Finance Institute, dira après 2008 dans un entretien off avec des rédacteurs en chef que cette crise fut pour la Suisse ce que le subprime fut pour les Etats-Unis : un choc d’une violence inouïe, dont elle ne s’est remise complètement que dans les années 2000.

Pendant toute cette période, le rejet de l’EEE et de la libre circulation furent pourtant présentés par celles et ceux qui les avaient soutenus en vain comme la cause d’à peu près tous les problèmes. Les futurs accords bilatéraux pouvaient alors fonctionner comme une rédemption. Ce narratif déprimé et biaisé n’a d’ailleurs guère changé aujourd’hui.

Si loin des clichés morbides

Encore mal documentée historiquement, la décennie 1990 fut en réalité, et de toute évidence celle qui a vu la Suisse sortir de son économie de guerre, si représentative du XXe siècle. Entre décartellisation, programmes de revitalisation, politique monétaire rigoriste contraignant les exportateurs à monter en gamme, délocalisations et globalisation forcées, ou encore mise en ligne du marché des actions (une première planétaire), l’économie et la politique économique menée par le conseiller fédéral Jean-Pascal Delamuraz ont connu un véritable bouleversement.

Or c’est bien le choc politique du rejet de l’EEE, privant en plus la Suisse du confortable oreiller de paresse économique européen, qui a paradoxalement donné à cette révolution son impulsion initiale. En ce sens, cet événement fut une chance immense pour le pays. Une génération plus tard, le rayonnement industriel et économique de la Suisse dans le monde en est encore largement redevable.

Très orienté Europe, le secteur des machines venait d’ailleurs d’augmenter ses ventes à l’étranger de près de 20% en cinq ans lorsque les Suisses se sont prononcés sur les Accords bilatéraux I en mai 2000. Mais comme toute réorganisation, ce formidable effort d’adaptation et de relance eut il est vrai un coût sévère sur le moment : plusieurs années de récession et taux de chômage au plus haut. Beaucoup mieux chroniqués, l’accompagnement social, les investissements de long terme et la mise à jour du secteur public ont généré un endettement considérable.

Sous la rédemption, la refondation

D’autres Etats en Europe et dans le monde, plus ou moins à la même époque, sont également passés par ce genre de refondation, que ses détracteurs qualifient en général de néolibérale. Assez loin à vrai dire des récits de punition collective s’abattant sur le peuple coupable d’avoir rejeté la libre circulation des personnes et le saint accès privilégié au marché européen (de plus en plus protectionniste d’ailleurs à partir de ces années-là).

C’est dire qu’il y a une manière bien plus positive de considérer les choses : la Suisse fait aujourd’hui partie des plus grands gagnants de la mondialisation d’après Guerre froide, y compris sur le plan social : ce n’est pas la plus mauvaise position pour affronter les courants actuels de démondialisation. Tout a commencé dans les années 1990 déjà. La croissance de l’économie suisse était d’ailleurs réorientée vers le haut avant la fin de la décennie. Elle rattrapait les moyennes de l’OCDE à grande vitesse.

A partir de 2007, lors de la pleine application de la libre circulation avec l’UE, les performances économiques des multinationales et de l’industrie d’exportation dans le monde ont provoqué un formidable appel d’air. Ce sont des dizaines de milliers d’Européens qui sont venus travailler en Suisse. Mais pas seulement là où l’économie les attendait. Dans le secteur public et para-public principalement, le social, la formation, les organisations internationales. C’est cet élargissement démographique du marché intérieur qui a soutenu la croissance en Suisse dans les années 2010, pendant et après la profonde crise mondiale de 2008. Du jamais vu depuis des décennies. 

L’immense écart prévisionnel

C’est dire si rien ne s’est passé comme prévu. En 2000, lors du vote populaire, la libre circulation des personnes apparaissait comme le prix à payer pour sortir d’un enfer économique largement fantasmé. Avec les autres accords bilatéraux, elle a été plébiscitée à plus de 65% des voix. Tous les partis gouvernementaux les ont soutenus, y compris l’UDC. Les électeurs de gauche étaient rassurés par les mesures d’accompagnement. Trompés par la dépression régnant sur le marché du travail dans les années 1990, le gouvernement tablait sur une modeste augmentation de l’immigration européenne de quelque 8000 personnes au plus par an.

Les milieux économiques en espéraient 10 000. Ils étaient surtout soulagés que le marché du travail fût enfin élargi au vaste bassin de population européen, et que la politique d’immigration ne dépende plus en Suisse de la sphère politique (de plus en plus lente et imprévisibles dans un monde très changeant). L’industrie d’exportation économisait quelques coûts et lenteurs administratives liés aux demandes de permis de travail pour ressortissants européens.

Les entreprises orientées marché intérieur devaient en revanche assumer les charges nouvelles générées par l’application des mesures d’accompagnement. Que du bonheur dans un pays imprégné de mercantilisme (comme l’Allemagne et d’autres petits Etats d’Europe du Nord), mentalité économique classique considérant les exportateurs comme des héros, les importateurs comme des profiteurs et les Arts et métiers comme de l’intendance.

Le contrôle paritaire et sectoriel des salaires permettait aussi aux syndicats d’augmenter leurs revenus et effectifs. Rien de bien alarmant, ni de quoi s’adonner à l’euphorie. Et comme l’avait imprudemment déclaré le chef du Département fédéral de l’économie Pascal Couchepin le 17 mars dans le Blick, ces accords bilatéraux allaient servir « de banc d’essai en vue d’une future adhésion à l’Union Européenne, en particulier sur la libre circulation ».

Comment la trappe s’est refermée

La Suisse était surtout parvenue à échapper à toute contrainte de reprise automatique du droit européen. La sécurité juridique semblait parfaite, l’incertitude des conditions cadres réduite à l’insignifiance. L’Union Européenne allait sans doute avoir d’autres exigences et formuler d’autres demandes par la suite, la Suisse aussi d’ailleurs, mais les citoyens seraient libres d’accepter ou de refuser.

Deux jours avant le vote, le Genevois Bernard Koechlin, membre du comité du Vorort (future economiesuisse), se réjouissait à son tour de ces bilatérales dans le Temps. Il pensait comme à peu près tout le monde qu’elles allaient permettre de faire un essai avec l’Union Européenne, « et que si ça n’allait pas, nous pourrons toujours faire un pas en arrière et remettre certaines choses en question ».

On a vu ce qu’il en était en 2014, lorsque le corps électoral a suivi l’UDC en vote populaire dans la dénonciation de la libre circulation. Mais personne ne semblait bien se rendre compte sur le moment de ce que représentait le lien juridique entre les sept accords (clause guillotine). Il en était d’ailleurs fort peu question.

Ce n’est que des années plus tard, lorsque l’horizon adhésif s’est éteint, que la clause guillotine est clairement apparue comme un piège dans lequel la Suisse s’était tragiquement laissée enfermer. Même Alexis Lautenberg, ancien chef de la vaillante mission suisse à Bruxelles, qui avait suivi les négociations dans l’esprit des mandats du Conseil fédéral, me confiait humblement lors d’un séminaire en novembre 2013 à Genève que cette clause guillotine « avait été une erreur malheureuse».

Les neuf Accords bilatéraux II finalisés cinq ans plus tard ne furent pas liés juridiquement, ce qui montre par surabondance ce que personne n’a d’ailleurs jamais vraiment nié : en deça des belles paroles sur le pragmatisme et les intérêts économiques, la libre circulation des personnes et sa clause guillotine sont l’acte par lequel Bruxelles et les vaincus de 1992 ont pris leur revanche en arrimant la Suisse à la dynamique intégratoire de l’Union Européenne. Avec elles, les accords bilatéraux ne se contentaient plus d’un caractère commercial ou associatif. Ils devenaient des accords dynamiques et irréversibles d’intégration.

9 février 2014

Le résultat de cette triste dynamique de l’obstination et du ressentiment est apparu dans toute sa pesanteur lors du débat politique précédant le vote populaire de 2014 sur la première initiative de l’UDC contre la libre circulation des personnes : réintroduction de quotas et fin de la préférence nationale européenne en Suisse par rapport aux ressortissants du monde. Il n’y fut plus question d’adhésion.

C’est le soumissionnisme à la petite semaine, fébrile et transi de peur qui a dominé toute l’opposition à l’initiative. Faisant valoir que reprendre le contrôle de l’immigration européenne en Suisse n’était tout simplement plus possible. Qui avait envie de renoncer ainsi aux six autres Accords bilatéraux I, si pratiques et politiquement inoffensifs ? Sans parler des multiples contrariétés et rétorsions que cette folle rébellion allait inspirer à Bruxelles et dans certaines capitales européennes. A commencer par Paris, toujours très motivée s’agissant de s’en prendre à la Suisse. Puis Rome, Madrid, et bien des petits Etats du Nord que la souveraineté suisse renvoie à leur propre condition.

Contorsions inédites

L’initiative fut même proclamée inapplicable tout au long de la campagne. Une fois acceptée quand même de justesse, grâce à l’appui assez prévisible des souverainistes non identitaires hors UDC, l’inapplicabilité fut confirmée avec un aplomb confondant. Le texte constitutionnel adopté par le corps électoral fit alors l’objet de contorsions inédites dans la longue histoire du traitement des initiatives populaires en Suisse : une sorte de contre-projet de rattrapage ultérieur au verdict des urnes, soumis à référendum après avoir été élaboré et approuvé par le Conseil fédéral et le Parlement

Lucide sur ses chances de l’emporter de nouveau dans ces circonstances exacerbées, l’UDC a refusé de lancer un référendum. Incongruité contre incongruité, elle a préféré répliquer aussitôt par une deuxième initiative contre la libre circulation des personnes.

Contrairement à ce qui a été répété sur tous les tons après 2014, appliquer la fin de la libre circulation des personnes n’impliquait nullement de revenir au système archaïque d’avant son introduction. Des dizaines d’Etats performants et prospères dans le monde régulent leur immigration dans l’intérêt de l’économie et de la population.

Il s’agissait toutefois de préserver le principe et de sauver les apparences pour ne pas contrarier les dignitaires européens. Le compromis du Parlement maintenait donc formellement la libre circulation des personnes, bien qu’en la vidant d’une partie insignifiante de son contenu. Les Européens conservaient leur libre accès au marché suisse du travail. Mais les entreprises étaient quand même tenues d’annoncer leurs offres aux services publics de l’emploi lorsque les taux de chômage des groupes de métiers auxquels elles appartenaient étaient supérieurs à la moyenne. Une discrimination vénielle validée par Bruxelles en se bouchant le nez.

Chaos et impasse programmée

Cet épisode rocambolesque tombait en plein Brexit, avec de surcroît le refus de la gauche en Suisse de céder sur l’affaiblissement des mesures d’accompagnement prévu dans le cadre de l’Accord institutionnel finalisé en 2018. Il devenait de plus en plus clair que la voie bilatérale vers l’intégration et l’adhésion, empruntée dans les années 1990, menait bel et bien vers l’impasse programmée en réalité depuis ses débuts.

La prochaine étape sera le vote populaire sur la deuxième initiative de l’UDC contre la libre-circulation des personnes. En 2020 probablement. Elle s’annonce aussi dramatique qu’imprévisible. En cas de refus, une troisième initiative pourrait être lancée lorsque la fin de la libre circulation au Royaume-Uni aura produit tous ses effets. Il sera peut-être possible alors de mieux se rendre compte que l’on peut vivre sans elle. Et que l’on peut même bien vivre, avec des relations de voisinage désidéologisées, clarifiées et assainies.

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